Rap français

Nos 20 morceaux du 4ème trimestre 2013

Promis, après cet article, on se concentrera enfin sur 2014. Voici une liste, non-exhaustive comme d’habitude, de 20 morceaux de rap français qui ont retenu notre attention durant les trois derniers mois de 2013.

Alpha Wann – « L’histoire d’un type bien »

Même si on n’a pas encore été entièrement convaincu par leurs sorties jusqu’à présent, il serait difficile de nier qu’il y a du talent chez 1995. Parmi les six membres du groupe, Alpha Wann est probablement celui qui sera capable de réconcilier le plus grand nombre, aussi bien les fans historiques des auteurs de Paris Sud Minute que ceux qui les ont regardé de loin jusqu’à présent. Son premier projet solo, Alph Lauren [Si vous relisez notre première interview du groupe, vous constaterez que le titre du projet est prévu depuis longtemps] s’annonce en tout cas sous les meilleurs auspices. Ses deux premiers extraits, “Flingtro” et “L’histoire d’un type bien”, le voient dérouler son flow millimétré avec la même fausse nonchalance. “Enlève ma soi-disante richesse et y a plus de haters”. On verra le 20 janvier s’il aura réussi à faire tomber les a priori qui l’entourent encore. – Mehdi

Crown – « Ecrans de fumée » feat. Scylla

Sur un beat mélancolique de Crown, Scylla convoque rêves et fantômes, plonge dans les fêlures qui parfois séparent enfance et âge adulte. A la lumière de l’écran, seul point lumineux dans des appartements aux lumières éteintes, le bruxellois manie le magnétoscope. Entre rembobinage et avance rapide, froissant la bande du grand embobinage et dévidant les soucis de ceux qui ont la bobine marquée, Scylla ne fait pas de tube mais éclate le cathodique. Magnétique MC. – zo.

Le Bavar & La Hyène – « Ganaches Grillées »

Ne surtout pas se fier à ce titre trompeur. Les Inédits 2 n’a rien de l’exhumation de morceaux tombés du camion. La vraie suite de l’inégal Tout brûle déjà ressuscite l’esprit des trois volets fondateurs, alternant entre Ekoué, Hamé et Philippe, jonglant entre le film noir et la gouaille de quartier. Il se déroule comme on tourne les pages de vie de trois vieux potes qui ont aujourd’hui la trentaine bien tassée (ou « l’ancienneté de mes barreaux de chaise »). Amené par un Bavar au cigare toujours fumant, « Ganaches grillées » sent la petite routine et les années passées à traîner ses guêtres sous les lampadaires parisiens. Invité à table comme un ami de longue date, La Hyène y marque les esprits avec un couplet mémorable – le genre qui incite à (re)creuser sa discographie souterraine. – Nicobbl

Gros Mo – « Tranquille »

Depuis plusieurs années déjà, Gros Mo, en solo ou en compagnie de Nemir, prouve qu’il a bien trop de talent pour se cantonner au rôle de “pote du héros”. Avec “Tranquille”, il en profite pour annoncer (enfin !) un premier EP solo à qui on souhaite forcément le même destin que celui connu par Ailleurs en 2012. Tout est réussi dans ce premier extrait : de la prod vaporeuse d’Everydayz au joli clip de Valentin Petit en passant, évidemment, par les rimes finement ciselées de Gros Mo. Plus qu’à attendre le 1er février pour en entendre davantage. – Mehdi

« Paco et Mani Deïz – Mi-fugue Mi-Résine »

Dans le rap, le mois de décembre fait parfois figure de calendrier de l’avent. Chaque jour est une fenêtre de tir pour débusquer la dernière ogive de l’année. A ce petit jeu-là, le retour de Paco trace un gros panache de fumée dans le ciel du solstice d’hiver et y décolle la dernière mandale de 2013. Appuyé par les flammes chancelantes que sont les productions de Mani Deïz, le MC à la voix rugueuse comme un grattoir d’allumettes éclaire les âmes qui s’effritent. « Mi-Fugue, Mi-Résine » ne fait pas de demi-mesure dans les parcours de vie, et celui de Paco s’écoute en regardant les rêves partir en fumée. Le tableau n’est pas toujours glorieux, mais en neuf titres, Paco et Mani s’affirment comme des maîtres du Clair-Obscur. Éteins la lumière. – zo.

Gradur & Kozi – « La street a tout gâché »

“On est tous passionné par la barre de traction, les armes de poing et la drogue monnaie.” Si on était dans La Vie Rêvée de Walter Mitty, le personnage incarné par Adam Scott conseillerait probablement à Gradur de faire graver cette phrase et de l’exhiber sur son bureau. Morceau guerrier, “La street a tout gâché” est de la vraie musique de motivation, de celle qui vous donne le sentiment d’être invincible et l’envie d’aller au combat. Kozi a beau être en forme, son couplet a du mal à faire le poids avec l’entrée ravageuse de Gradur, grand gagnant de ce morceau. – Mehdi

Stamina – « Entre les Lignes » feat. Sidi O

Prêts pour une plongée en apnée dans les entrailles du serpent de fer souterrain ? Toujours peu de visions saines ici – en tout cas rien de merveilleux ni d’exotique. Dans cet extrait de leur second album Prison(s) de verre, Emoaine et Freez, accompagnés pour l’occasion de Sidi-O, nous guident dans les méandres labyrinthiques du ventre de la ville. A défaut d’une flore luxuriante, ils y croisent une faune disparate et composent en autant de polaroïds verbaux un portrait en creux de Paris Nord Sale via ses artères enterrées, épiées par l’œil des caméras de surveillance. Et si certaines personnalités politiques voient dans le métro un lieu de charme source de moments de grâce, les trois MC’s, eux, se souviennent surtout de mines grises, de visages fermés, de regards ailleurs et d’une solitude de masse distillant un stress au goût aigre. Question de point de vue, sans doute. – zo.

Lucio Bukowski & Tcheep – « Impopulaire »

“C’est pas du rap, c’est des mathématiques” disait Sidi Sid sur l’album Peplum. Lucio Bukoswski, lui, prend le chemin inverse en affirmant ne pas faire du rap “mais de la littérature”. Peu étonnant pour un rappeur qui a emprunté son nom au génial auteur du Journal d’un vieux dégueulasse. Comme Charles en son temps, Lucio se montre revanchard, presque misanthrope mais toujours diablement habile pour manier les mots. “Impopulaire”, extrait du EP De la survie des fauves en terre moderne, prouve une nouvelle vois que l’Animalerie est un incroyable vivier de talents. – Mehdi

Sir Doum’s – « Tour d’ivoire »

2013 aura vu plusieurs illustres figures du rap hexagonal refaire surface et montrer qu’elles avaient encore l’envie d’exister. C’est le cas de Sir Doum’s qui, après plusieurs projets en dents de scie, s’était fait discret avant donc de réapparaître l’année dernière avec “Tour d’Ivoire”. Foudroyant à chaque rime, Sir Doum’s rassure sur son état de forme et affirme que, lui aussi, sait parfaitement vivre avec son temps. Impossible à ce stade de savoir ce que ce morceau annonçait mais on est en tout cas très curieux d’entendre la suite. – Mehdi

Nemo Nebbia – « Enième Lune »

« Nemo Nebbia, on peut dire que vous faites du rap conscient ? ». A la question qui lui est posée sur son propre EP, l’ancien rappeur de la Moza, dubitatif, répond « conscient de ses limites ». Noyé dans un verre d’eau soumis aux cycles lunaires, son rap vogue entre l’océan qu’est une profession de foi de rappeur et les rivages d’un perpétuel travail de remise en cause. Et si l’EP En Direct du Brouillard préfère s’adosser aux étoiles que naviguer selon la voute céleste, il plonge en profondeur sans revivre un énième « 20 000 Lieues Sous la Merde ». Alors, vraiment conscient de ses limites le rap de Nemo ? En tous cas, il est bien informé que tenir un cap ne permet pas toujours de lutter contre le courant par lequel il est facile de se laisse porter. Voilà pourquoi sa discrète corne de brume fait taire les sirènes qui hurlent avec les loups sous la lune. – zo.

Myth Syzer & Prince Waly – « Clean shoes »

En 2009, Salif nous expliquait que le salut du rap français passerait par les beatmakers. S’il disait vrai, l’ultra-polyvalent Myth Syzer sera forcément de ceux-là. Qu’il oeuvre dans le cloud rap ou dans le boom-bap 90’s comme sur “Clean Shoes”, il rend constamment une copie parfaite et fait terriblement regretter le fait que peu de têtes d’affiches se soient décidées à le contacter. Mention spéciale à la découverte Prince Waly qui semble sorti tout droit d’un clip de 1994 sans que ça ne fasse tâche. – Mehdi

Bang Bang – « Delirium »

Quand le refrain de « Delirium » arrive et que les rappeurs fredonnent qu’ils sont “dans leur délire”, on y croit. Tout simplement parce que l’imagerie développée par l’entité Noir Fluo/Bang Bang depuis quelques années est, en plus d’être inédite, particulièrement maîtrisée. Bang Bang, c’est une sorte de regroupement de talents brisés, de mecs qui brûlent leurs vies tout en essayant vainement de sortir la tête de l’eau. La prod de FTWWTF, entre son piano mélancolique et ses envolées épiques, met parfaitement en scène l’espèce d’état fragile des rappeurs, eux qui semblent partagés entre dépression et envie de conquête. Un album est annoncé pour 2014 et on souhaite vivement que ce ne soit pas une promesse en l’air. – Mehdi

Nekfeu – « U.B. »

En septembre dernier, peu avant la sortie de leur album, le S-Crew avait organisé un open mic à Châtelet qui aurait dégénéré après qu’une rixe avec le groupe Certifié Parisien ait éclaté. Il a en tout cas été rapporté que Nekfeu aurait fui ses poursuivants, d’où le titre de ce freestyle qui reprend les initiales d’Usain Bolt. Le plus triste dans cette affaire, c’est probablement qu’il ait fallu qu’une embrouille aussi insignifiante ait lieu pour qu’on ait l’impression que Nekfeu recommence à vraiment s’amuser au micro. Sur “U.B”, le membre de 1995 varie ses flows avec une facilité troublante, lâche plusieurs punchlines (“J’organise des gang bang avec des Femen”), répond intelligemment à Guizmo et cite un illustre morceau de la Malekal Morte. Un souhait pour 2014 : que Nekfeu conserve cet état d’esprit.. – Mehdi

Psykick Lyrikah – « Invisibles » feat. Iris

L’être humain est doté de cinq sens. Mais quand Iris et Arm rappent ensemble, il s’en découvre un sixième. Le définir ? A quoi bon ? Assemblage de contraire, polarité mettant à l’épreuve un tourbillon de sons saturés encadrés par une grosse caisse à pulsations, le duo le plus atmosphérique du rap français s’installe dans l’œil du cyclone. Celui qu’on ne voit jamais mais qui est au centre de tout lorsque le grain s’abat sur les formulaires noircis, lorsque les rafales tranchent les souvenirs et que les vagues submergent les trottoirs et les regards. La sagesse qui commande la tempête, depuis son coeur. Alors Invisibles ? Peut-être, mais sûrement pas insensible. – zo.

Casseurs Flowters – « Prends des pièces »

Sous certains aspects, Orelsan et Gringe sont des rappeurs tout à fait ordinaires. Ils ne se démarquent ni par la voix, ni par la technique. Ils ont par contre des idées, de l’humour et de la mémoire. Et surtout une vraie capacité à créer de la proximité, à restituer sur disque le quotidien du plus grand nombre, adossant toutes ces anecdotes qui habillent ces journées faîtes de petits riens. Quasiment dix ans après un premier essai pas tout à fait transformé (Fantasy : Épisode 1), les deux vieux potes déroulent ces tranches de vie sur une journée. Et un album. « Prends des pièces » met bout à bout ces petits moments de lose, ceux que tu as vécus en serrant les dents. Avec sa production clin d’œil au bon vieux Super Mario cuvée Nintendo 8 bits et manettes carrées, il réussit à faire vibrer la corde sensible des retrogamers et autres trentenaires nostalgiques. Une partie de nous en somme.
Nicobbl

Zesau – « Ennemy »

Remontez le temps jusqu’en 2004 et l’album HLM Rezidants des Dicidens. Ecoutez le morceau “De larmes et de sang” qui les voyait croiser le micro avec Lunatic. Le rap était sombre et l’inspiration mobb deepienne. Zesau et Booba ayant eu des trajectoires différentes depuis, on pourrait croire que leur musique n’aurait plus rien à voir dix ans plus tard. Il est au contraire intéressant d’observer que leur évolution est finalement assez similaire, Zesau s’évertuant lui aussi à rester avec brio dans l’air du temps. Sur “Ennemy”, il s’essaye même à l’autotune avec succès et annonce le futur projet Deuxmillezoo. A noter qu’un deuxième clip, “Chargeur plein”, avait été mis en ligne et retiré depuis, Jérémy Menez ayant peut-être jugé a posteriori que son apparition n’était pas le choix le plus judicieux pour redorer son image. – Mehdi

Astro FatCap – Bankebeul

Leur EP Première Pression en était surtout un sacré coup. Flow cogneur, voix granuleuse et textes habiles, Mr Colfer frappe fort à la porte de tous les pavillons auditifs un tant soit peu portés sur le rap français. Et si « Bankebeul » inaugure une nouvelle équipe tout en n’étant pas aussi prenant que les morceaux sortis fin 2012, il démontre le soin que Colfer et DJ Crabees apportent à leur travail. Casquette sur la tête plutôt que cagoule à trois trous, canette de 400ml plutôt que flingue au bout du bras et sourire foncedé en guise de voiture bélier, Astro FatCap ne fait ni dans le braquage ni dans l’enfoncement de portes ouvertes. Par contre, son boom-bap gonflé à bloc, entre ancienne et nouvelle école, fait rentrer la pression poussée d’Archimède dans le tonneau de Diogène. Pour certains, la pression se mesure en hectopascal, pour d’autres en hectolitre. Reste qu’un bel anticyclone plane au-dessus de ce rap. Manque plus qu’une bonne blonde. – zo.

Mac Tyer – « Tu casses tu payes »

Mea culpa : on aurait dû parler, à un moment ou un autre, de l’album Banger sorti en 2013 par Mac Tyer. Pas parfait mais franchement solide, le dernier projet de la moitié de Tandem était probablement son meilleur depuis Le Général, l’ambitieux double album sorti en 2006. Mac Tyer semble en tout cas satisfait de l’accueil reçu par le disque puisqu’il a décidé de lui donner une suite dès 2014. “Tu casses tu payes” en est le premier extrait et fait plutôt honneur au titre de l’album. Entre références à Dragon Ball et égotrip efficace, Mac Tyer rappelle qu’il reste un de nos meilleurs rappeurs et qu’il n’est probablement pas exactement là où il devrait être. – Mehdi

DJ Fly – « Insolite » feat. Anton Serra

Pour son pote Zaïro, Anton Serra avait déjà vidé des extincteurs. Cette fois, il allume la mèche du baril de poudre sur lequel sa passion l’a assis. Le MC aux faciès les plus dingues du rap français (mais pas que !) vandalise un instrumental orchestré par DJ Fly. Soundbombing revisitant les prouesses de Cut Killer un temps effectuées depuis une fenêtre de Chanteloup-les-Vignes, « Insolite » déverse des bombes de 400ml dans les oreilles entre deux éclats de gyrophares. Déprédations multi-diffusées en couleurs, défouloir et courses poursuites, il y a ici l’urgence du vandale, la pression du doigt sur le fatcap et l’adrénaline qui s’affiche sur les murs immaculés. Pendant que Le C.Sen nous disait que dans un monde où on fait toujours de toi un numéro, il a voulu devenir des lettres, Fly et Serra n’ont pas non attendu pour foutre le feu à la matrice. Eh oui, les années passent. Mais certains n’ont jamais tenu en place. – zo.

Metek – « Gwadanigga »

On a longtemps pensé que, comme Ill, Metek resterait à tout jamais une sorte d’énigme, un rappeur largement plus doué que la moyenne, cité par tous ses pairs comme une référence mais dont les projets rencontreraient des difficultés folles pour voir le jour. Pourtant, Riski Metekson semble bien décidé à ce que son talent dépasse enfin la poignée d’initiés. On l’a bien sûr vu avec Noir Fluo ces dernières années mais sa carrière solo semble repartir sur de bons rails puisqu’un vrai projet personnel est prévu pour 2014. “Gwadanigga” résume parfaitement le style du MC : phases fulgurantes dont lui seul a le secret (“on ira bronzer une fois l’argent blanchi”), fantasmes d’une vie de luxe à laquelle lui-même semble avoir du mal à croire et incessantes références à Paris et ses ruelles. On espère sincèrement que 2014 lui permettra de justifier tous les espoirs placés en lui. – Mehdi

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5 commentaires

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  • Kuato,

    « Kisum sokaw » de Wakos Music

  • borsalino,

    Sean Hines – You See Me
    http://www.youtube.com/watch?v=_An5B4oEdRs
    flow / talent / dope beats / underdog / underated album

  • AlexZ44,

    Déçu de l’absence d’Oligarshiiit (Enz, Dood’s, Tedji) qui ont signé un EP avec la tuerie Démerde-Toi et le très bon Jacques Préfert.

    Sinon j’ai pas écouté le dernier IAM donc j’peux pas juger mais je suis étonné qu’y ait pas eu un foutu titre à fourrer dans ce top. IAM quoi.

    Bon sinon là j’en connais que la moitié, donc cession de rattrapage à venir, merci abcdr

  • DFHDGB,

    Et hyahya alors.

  • Reusta,

    J’ai toujours cette fâcheuse impression d’être ignorant devant vos articles, comme si j’avais une tonne de truc à rattraper 😉 Bonne continuation je reste fan 🙂