Carnet de bord

Festival L’Original 2008 – Fragments

Retour en quatre épisodes sur la 5ème édition du festival l’Original, qui s’est tenue du 2 au 13 avril 2008 entre Rhône et Saône. Au menu entre autres cette année : Method Man & Redman ensemble, Seth Gueko en chair et en bosses ou la reformation le temps d’un concert unique de la mythique Cliqua.

Samedi 7 avril 2007 – jeudi 3 avril 2008 Retour à Hot Mountain

Un an presque jour pour jour a passé depuis l’inespérée frappe des 35 mètres de Method Man sous la barre transversale du Transbordeur de Villeurbanne, et le MC aux poumons d’aciers s’apprête à nouveau à fouler la pelouse de la capitale des goals. Les fans se pourlèchent d’autant plus les bibines que Meth est accompagné cette fois de son camarade actionnaire chez Occis Carton Blindé, Redman himself, héros ici aussi au printemps 2007 d’un concert solo à guichets fermés au sortir duquel minerves et Voltarène furent – paraît-il – de rigueur pour les nuques et les ceintures scapulaires… Même salle, même punition, mais cette fois-ci en 1 + 1 = 2 ? Cette année encore l’ami Papa-au-Rhum ne sera pas là pour vérifier. Il est parti en 4×4 le matin même en Allemagne avec trois acolytes pour s’acheter un costume de mariage.

Resté sur Lyon exprès, quasiment en mode pèlerinage après avoir atteint son point G de spectateur l’année précédente au même endroit, l’ami Guy Georges est tranquillement assis à tiser à la buvette. Comme le veut son surnom – désormais sous-titré « a.k.a. Max Mosley » -, il observe d’un œil plissé et la goutte au front les allées et venues de la gente féminine à la porte des WC. « Je suis fasciné par les filles qui portent leur sac en bandoulière avec la lanière qui leur passe juste entre leurs deux einss. Ça me donne envie de leur bouffer le einss droit et le einss gauche. Ça te le fait pas à toi ? » De temps à autre, Guy parvient à revenir au sujet de discussion du moment, à savoir l’organisation de l’enterrement de vie de garçon de Papa-au-Rhum, prévu dans trois jours. Ses suggestions sont à l’image de ses multiples surnoms : scandaleuses.

Sur scène, les premières parties se nomment La Moza et Alarme, respectivement 2ème et 3ème du tremplin Buzz Booster organisé la veille au Ninkasi Kao, en ouverture du festival – Dialect, le vainqueur, sera quant à lui programmé pour l’édition 2009… Dans la fosse, les places commencent à devenir chères. Ça pousse un peu moins qu’un 15 avril 1989 au stade Hillsborough de Sheffield, mais tout de même. Seul un culturiste d’un mètre cube soixante-dix reste immobile, les bras autour de la taille de sa compagne. Guy le surnomme Le Rocher, a.k.a. Big Pun, a.k.a. la Présipeauté de Gros-Land, l’abdo unique du monsieur étant plus large que ses massives épaules… De son côté, le décret 2006-1386 du 15 novembre 2006 portant interdiction de fumer dans les lieux publics semble ne pas concerner le Transbordeur ce soir. Ça et là, des petits malins aux visages poupons, sans doute en maternelle à l’époque où Method Man braquait ses premiers automobilistes, actionnent leur briquet, d’abord en fourbe puis de plus en plus ouvertement. A priori ce ne sont pas les têtes d’affiche de la soirée qui les dénonceront. Ni Le Rocher, toujours arc-bouté à sa compagne – c’est à se demander qui tient qui, en fait.

Ultime apéritif, la prestation de DJ Fly du Scratch Bandits Crew. Le sample « The champion is here… » prononcé en 1974 par Mohammed Ali à Kinshasa est l’humble fil conducteur du set. Les classiques de Roots Manuva, House of Pain ou DMX sont ainsi mixés avec la dextérité d’une pieuvre sous Redbull. EPMD, Mobb Deep, Busta Rhymes ou le couplet de Redman sur ‘Oooh’ sont quelques-unes des autres balises fluos de ce test de Cooper destiné à échauffer le public jusqu’au vrai show. Guy ôte d’ailleurs sa veste de survet et s’éponge le front avec – le matin même, sur le chemin du boulot, il est tombé dans un traquenard tendu par ses filous de cousins ; il n’en n’est ressorti qu’à 11 h du matin, déboîté au vin blanc (« C’est donc ça nos vies ? » prophétisait-il dix ans plus tôt)… Question terroir, le morceau ‘Thé à la menthe’ de La Caution est le seul indice qui prouve que cette soirée ne se déroule pas dans un pays anglo-saxon, entre deux appels à joindre les mains en forme de Wu et trois « Say what ? » éructés par les enceintes de DJ Fly. De leur côté, Le Rocher et sa compagne sont toujours les deux seuls points fixes de la fosse.

Il est 22h25 lorsque les « frères » Man s’avancent enfin sur la scène du Transbo. Chacun est accompagné d’un backer et de son DJ, MM. Streetlife et Mathematics pour Meth. Détail cocasse, Meth arbore cette année une barbe qui pourrait rapidement faire verser sataniques les plumes de Robert Redecker et Philippe Val, grands pourfendeurs de la paille située dans l’œil du voisin mangeur de dattes – chacun est ici libre de compléter le dicton comme il l’entend… « Welcome to the Method Man and Redman show » annonce dans un grand sourire celui qui fila des complexes tétanisants à Freeman lors d’un fameux 25 mars 2003 en studio.

Solos, featurings, albums, séries télé et même films ensemble – « How high » fait d’ailleurs partie de la DVDthèque idéale de Guy, aux côtés de « Babe le cochon devenu berger » et « Ali G in da house », entre autres curiosités comme ces enregistrements VHS d' »Alerte à Malibu » qu’il aimait jadis regarder sans le son -, les deux artistes ont visiblement depuis longtemps dépassé le stade du rodage de leur duo sur scène. Fosbury-flop dans le public (3-1 pour Method Man à ce petit jeu + une marche sur la tête des premiers rangs), freestyles de dingos pendant que le compère se repose ou change de ceinture, lancers de packs de bouteilles d’eau – pas des bouteilles à l’unité, des packs ! – dans le public au point de ne presque plus en avoir pour eux-mêmes, repérage de jolies spectatrices des premiers rangs pour l’après-concert (« Hey Meth, have you seen this wonderful pussy ?« ), invitation masochiste d’un Redman hilare à pousser la salle à hurler « Fuck you Redman »… Guy, qui sort par ailleurs d’une période tendue au niveau personnel, a soudain cette phrase enfantine : « Ferme les yeux quelques secondes, puis rouvre-les : putain, y’a Method Man et Redman à cinq mètres de nous, là ! » Et de sauter comme un cabri au couplet de Redman sur ‘Get the party started’, souvenir de nuits homériques en commun sur les dance-floors du sud de l’Espagne… Toute la salle fait d’ailleurs de même. Les T-shirts collent au corps, quelques éméchés tentent des pogos puis renoncent à force de se fissurer les gencives sur Le Rocher et sa compagne – éméchés mais pas fous, les pogoïstes. « And remember, the energy you give to us, we give it back to you » scandent à tour de rôle Meth et Red, plutôt diplomates face à un public un poil plus mou que l’an passé pour les deux solos. 1 + 1 = 2 ? C’est toute la question, avec le paramètre effet de surprise en moins.

Invité à dire quelques mots en tant que guest star, Chamillionaire – qui ne sortira pas de l’hôtel le lendemain, jour de son propre concert, vexé d’être programmé « seulement » en première partie de Bahamadia, Hezekiah et Jaguar Wright -, semble disposé à se montrer un peu moins Ban Ki-moon que ses hôtes à propos du public, au point que Meth lui reprendra le micro assez vite en le remerciant gentiment mais fermement. Profitant du flottement, une spectatrice noire aux tresses blondes en profite pour essayer de se faufiler backstage, comme à chaque fois qu’un Ricain vient rapper dans le coin… A 23h59, le portable sonne. Papa-au-Rhum, live from Germany, regrettant sans doute de ne pas être là. « Ça fait pitié » commente sobrement Guy en regardant le téléphone sonner. D’autant plus qu’avec les hommages à ODB arrivent les derniers tours de piste, et même Le Rocher (qui tient toujours solidement sa compagne) commence insensiblement à décaler sa nuque en cadence. C’est dire la performance du duo.

Un ultime (double) appel à ne pas oublier de lâcher quelques euros de plus au stand situé à la sortie, et le concert se termine. Le temps de coincer un vélo dans le coffre de la Renault Clito de Guy, et il est déjà temps de reprendre la route. Preuve s’il en est que l’alchimie, pour réussie qu’elle ait été, a un peu moins bien pris que l’année précédente lors des solos, Guy fait son H. – autre surnom de longue date, référence à Adolf H. et à un autoritarisme certain à mesure que l’alcool lui monte au cerveau – en déchiffrant les plaques d’immatriculations des voitures garées à l’arrache sur le trottoir. Cette Opel immatriculée dans le Morbihan ? « Paysan« . Cette 305 break immatriculée dans le 58 ? « Encore plus paysan« . Et cette Twingo venue du 42 ? « Stéphanois : summum de la paysannerie« . Rien que de très normal dans la bouche de quelqu’un qui a toujours qualifié les ressortissants du département 01 voisin de « paysans de l’Ain« , que ceux-ci roulent en J9 ou en Merco… Un signe comme un autre que 1 + 1 ne fait pas forcément 2, donc.

Dimanche 6 avril

14h47

Vautré sur sa compagne autant que sur le sofa familial face à un énième épisode du Prince de Bel-Air, Papa-au-Rhum digère tranquillement les dizaines de parts de gâteau englouties ce midi à l’occasion de son anniversaire, des cadavres de bouteilles de champagne – sa nouvelle marotte – finies au goulot roulant ça et là un peu partout dans la pièce jusque sur le tapis d’éveil des enfants – ce type mériterait parfois d’être signalé à la Ddass. Il sera dans quelques heures l’une des attractions du Festival l’Original mais ne le sait pas encore.

16h39

Qui est cet étrange visiteur ? Parmi les multiples gages que l’ami Papa-au-Rhum est tenu d’effectuer depuis le milieu de l’après-midi à l’occasion de son enterrement de vie de paillasson – se balader en skate-board dans un parc très fréquenté avec un ghetto-blaster sur l’épaule qui crache à fond du « J’aime la gym, je m’entraîne et j’aime la gym » ou « Hélène, je m’appelle Hélène« , faire peur aux joggers du dimanche en surgissant d’un buisson en hurlant avec une cagoule et une hache en plastique pour enfant, etc. -, figure celui-ci : se pointer à l’entrée de ses deux maisons secondaires, ci-devant le casino Le Pharaon et son voisin l’UGC Ciné-Cité, avec une casquette de pépé sur la tête, un peignoir incongru sur les épaules, des chaussettes de foot fluos dépareillées par-dessus un bas de survet rouge, des baskets que n’auraient pas renié Mark Wahlberg période Marky Mark and The Funky Bunch… Et surtout Papa-au-Rhum doit tirer derrière lui un caddie de grand-mère, visage impassible genre « keskia ? »

Enorme coup de pot pour lui, l’arrivée dans le hall de l’UGC Ciné-Cité coïncide avec l’une des étapes du Festival l’Original, et pas n’importe laquelle. Comme ce multiplexe jouxte également le Musée d’Art contemporain – où Papa-au-Rhum accomplira d’autres exploits quelques temps plus tard – et que ce musée propose depuis quelques semaines une exposition Keith Haring, peintre underground new-yorkais, les programmateurs du festival ont eu l’idée de créer une passerelle entre les deux évènements, via un programme commun de projections et d’ateliers découverte de la culture hip-hop (graff, DJing, danse, beatbox…) dans le hall du cinéma. Résultat du carambolage : un Papa-au-Rhum pété au champagne – il vient de se siffler une bouteille supplémentaire à la tétine au cours de l’heure précédente, à jeun – en train de danser sur du Wu-Tang avec son caddie de mamie, son peignoir qui le boudine et sa casquette de daron style clip de ‘Bisso Na Bisso’, en plein milieu de ce hall qu’il fréquente une bonne dizaine de fois par mois depuis des années, sous les applaudissements d’abord polis puis franchement enthousiastes des clients du bar, du personnel et des spectateurs. Car il faut bien le dire, Papa-au-Rhum est tout sauf un manche lorsqu’il s’agit de dandiner du croupion. A fortiori lorsqu’il s’agit « de bon hip-hop ».

Vendredi 11 avril

15h33

JB est arrivé la veille sur le site du festival. Il a assisté aux concerts d’Hocus Pocus et de Wax Tailor, puis a interviewé ce dernier. Logé sur la presqu’île à proximité de la rue de la Bourse, il a peu dormi et s’est levé vidé. L’interview avec Seth Gueko était fixée pour 15h30 dans le hall d’un hôtel situé à proximité de la gare de la Part-Dieu. A l’heure dite, son manager Vincent Portois a expliqué que Seth « pour m’avoir en feat faut faire appel à mon pote Vincent » Gueko dormait encore un peu et que dans quelques minutes ce serait bon. Excellente occasion de peaufiner les questions préparées rapidement autour d’une omelette au fenouil le midi. Même feutrés, les mots échangés suscitent les froncements de sourcils d’une lectrice du dernier Harlan Coben, assise sur la banquette d’à côté.

Il est 15h37 lorsque Vincent pousse la porte de la chambre de Seth. « Il vient juste de se réveiller » précise-t-il… Effectivement. Le poste de télé joue Zaïna, cavalière de l’Atlas. Seuls deux pieds déchaussés dépassent des draps du lit situé contre la fenêtre. A l’autre extrémité, une tête émerge. « Salut les p’tits veinards ! » : collier de barbe, bouche vermillon, yeux à l’ombre des orbites et portable qui siffle un peu comme Shuril’N sifflait « les gazières qui n’ont pas de frères« , pas de doute, c’est bien lui, l’homme pour qui « les plus dangereux c’est les mecs influençables. »

S’ensuivront 35 minutes passionnantes dont l’Abcdr reparlera bientôt sous la plume de JB. L’interview aurait mérité de durer immensément plus. Mais l’interviewé a opté pour le dévoilement progressif, projet par projet. Cela tient en haleine les fans et c’est finalement très bien ainsi – à la condition expresse que le Très-Haut lui prête suffisamment vie.

20h39

Dans une minute, Seth Gueko doit faire son entrée sur la scène du Transbo. C’est à lui que revient l’honneur de lancer cette soirée évènement – c’est en effet ce soir, et ce soir seulement, que La Cliqua va se reformer au terme d’une décennie de séparation. Jean-Marc Mougeot, le directeur du festival, a beaucoup œuvré pour que l’évènement ait bel et bien lieu – seul Raphaël manquera à l’appel… Premier constat de JB : le public n’est pas le même que la veille. Le fait est effectivement qu’il flotte une atmosphère étrange dans la salle, étonnamment clairsemée à cette heure.

Mais voici venu le temps du set de Seth. JB, comme beaucoup d’autres, ne voudrait surtout pas rater ça… Rares sont les MC qui s’offrent le luxe d’arriver sur scène les mains nues, sans micro. Seth Gueko se permet ce luxe-là, une grimace à la Denis la Malice sur le visage, un T-shirt à l’effigie de Jacques Mesrine et les poings serrés face à la clameur venue des premières rangées de fans – dont JB, donc. Le refrain de ‘Cabochard’ sans 25G (regretté le temps d’un soupir : « Il est pas là le gros !« ), un masque du gang des postiches pour ‘Les fils de Jacques Mess’, un tacle entre deux couplets à l’ingé lumière (« Tu m’en mets plein les yeux avec tes lampes, ma couillasse !« ) ou un bisou à son DJ (« Vas-y ma poule ! ») : façon Zoran Vulic 1992/1993, Seth tire dans le tas et compte ensuite les tibias. Une chose est d’écouter le phénomène sur disque, autre chose est de le voir mimer ses punchlines sur scène – à l’image de cet uppercut vrillé en l’air, les sourcils froncés, pour mimer sa fameuse condition de « babtou avec une bite de val-che« . Et bien que brillamment backé par le jeune AKA, force est de constater que la performance tient du one-man-show, mi-boute-en-train, mi-lance-bouteilles dans l’arrière-train. D’autant que dans la fosse un paquet de gones semblent connaître par cœur les gimmicks et les couplets du répertoire, illustration d’un buzz qui monte lentement mais irréversiblement – il n’est qu’à lire le nombre de forumeurs ici et là qui parlent aujourd’hui couramment le Seth Guex. « Je suis encore un tigre, je compte sur vous pour me dire à la fin du concert si je suis devenu un lion ! » Il y a même là un ado et son père, l’un semblant tout de même plus à l’aise à cet endroit que l’autre.

Un petit tapotement sur l’épaule, une volte-face, et voici Guy Georges et Papa-au-Rhum de la fête. « C’est lui alors, Seth Gueko ? Ma parole, il est tout rouge quand il rappe ! » Les morceaux ‘Ma couillasse’, ‘Guigui golden gun’, ‘Dès que’ achèvent de rameuter les derniers sceptiques à proximité de la scène, y compris backstage d’où Vincent observe en silence son protégé, croisement d’Eminem et de Foofur. Et lorsque retentissent les premiers synthés de ‘Patate de forain’ (« Senagalo-Ruskov il est pas là« ), les slips craquent les uns après les autres dans la fosse et il faut gérer le JB. « Tu voudrais une F1 t’auras une chaise roulante, patate de forain, tu vas repartir avec deux faux reins… » Une légère flexion des jambes, des mains qui empoignent une chevelure imaginaire et hop, percussion suggestive : « le rap américain va se faire défoncer l’arrière-train« . 40 minutes, c’est court mais suffisant pour prêcher des non convaincus. La preuve ? Guy, qui ne le connaissait pas jusqu’alors, esquisse un petit sourire : avis favorable.

22h12

Un petit tour au bar du Transbo le temps du set de Maréchal. Guy sort d’une de ces journées où tout est allé de travers. Il est là pour La Cliqua et ça a intérêt à être bien. Papa-au-Rhum, égal à lui-même, se souvient du dernier passage du groupe dans la région. Guy et lui y étaient. « Je me souviens, c’était dans la salle des fêtes de Crépieux-la-Pape. Ça devait être en 1994 ou 1995. J’avais moins d’embonpoint, moins de cheveux blancs, moins de soucis et surtout plus d’énergie. J’avais vraiment kiffé, notamment Rocca. C’étaient les temps héroïques. Voir des groupes comme ça à Lyon, ça arrivait une fois tous les 36 du mois ! C’est d’ailleurs pour çà que je suis là ce soir. C’est quand même incroyable de les revoir dans le coin si longtemps après ! » Guy, pour sa part, reste dans son registre de ce début de soirée : taciturne. « Moi ce dont je me souviens surtout d’eux et de ce concert, c’est qu’ils étaient révoltés en permanence. Et en ce moment je ne suis pas loin d’être dans le même état qu’eux à l’époque. » Heureusement quelques verres et des discussions autour de Jay-Z avec JB vont le détendre.

Dans la salle, la silhouette massive de Maréchal occupe toute la scène en dépit du défilé d’un paquet d’invités – Passi, Calbo, L.I.M… Il faut dire que le monsieur est ancien boxeur professionnel et accessoirement frère d’un adjoint au maire de Vénissieux. Le projet Barbare de Maréchal doit sortir trois jours plus tard et est modestement annoncé à grands renforts d’affiches à l’arrière des bus de l’agglomération comme « l’album le plus violent que le hip-hop ait jamais porté », rien que ça. Ce soir, c’est son soir. Si Maréchal a envie que des gamins de Vénissieux montent sur scène, ils monteront sur scène. S’il a envie d’appeler le Transbordeur le Transbordel, ce sera le Transbordel. S’il a envie d’appeler les spectateurs assis au fond de la salle la « tribune Jean-Jaurès » – allusion aux places les plus huppées du stade de Gerland – ce sera la tribune Jean-Jaurès. Idem avec les ingénieurs lumière, sommés de lui « faire la même lumière qu’aux autres artistes » – mais cette fois les ingés lumière n’ont pas bronché (c’était si gentiment demandé, pourtant, au micro et avec le doigt pointé dans leur direction)… Et la musique dans tout cela ? Prods recherchées, coffre puissant… En tout cas le champion a des fans, dont un très joufflu, tout heureux de pouvoir dédicacer au micro des morceaux à la rue des Martyrs de la Résistance ou au quartier de la Darnaise. Un bon paquet d’ados lui seront éternellement reconnaissants pour les avoir laissés grimper sur les planches, qui pour prendre le micro, qui pour breaker. Jean-Marc, pour sa part, se contentera d’indiquer au MC qu’il est bientôt 23h et que Seth Gueko a quitté la scène depuis près d’1h30. En résumé, le show à vingt-cinq sur scène c’est sympa mais il faudrait voir à laisser la place à La Cliqua, vous êtes bien urbains, merci.

23h

Quelques semaines après l’annonce de la reformation d’NTM, voici donc venue une autre recherche du temps perdu avec cette reformation ponctuelle de La Cliqua. « Back in the dayz !! » s’excite déjà Guy même si Raphaël n’est pas de la partie. Une semaine de résidence à l’Épicerie moderne de Feyzin n’a pas été de trop au combo pour retrouver quelques automatismes… Jelahee (aujourd’hui Gallegos) en T-shirt turquoise puis débardeur blanc lance l’intro de Conçu pour durer derrière les platines. Daddy Lord C est le premier à faire son entrée. Doudoune noire, lunettes fumées en diagonale sur le nez, flow nasillard reconnaissable entre mille et grosse addiction au « si si » en vogue ces derniers temps… Kohndo lui succède, sweat rouge et noir, démarche ramassée sous une clameur grandissante, bientôt suivi par Egosyst, désormais Aarafat, qui a eu la bonne idée de se faire floquer un n°10 à son nom sur un maillot de l’Olympique Lyonnais. Enfin arrive le tour de Rocca, petites foulées fléchies, jugulaire tendue, colliers aux couleurs colombiennes, alternance de français et d’espagnol et surtout immense présence scénique – son couplet est presque inaudible sur l’instant tant la fosse est au taquet… Au pied de l’ampli, Papa-au-Rhum et Guy arborent la banane des grands jours et commencent à mouliner des bras en cadence. JB aussi, même si l’ardeur de la foule l’incite prudemment à reculer de quelques pas.

Marrant de voir comme le public a changé du tout au tout entre le set de Maréchal et celui de La Cliqua. A croire que toute « la tribune Jean-Jaurès » dont parlait l’ancien boxeur a échangé sa place avec les minots précédemment installés aux premiers rangs. Car la moyenne d’âge de la fosse est désormais au minimum trentenaire, et cela ne l’empêche nullement de backer les couplets, au contraire. Le temps pour Aarafat d’adresser une pensée à Raphaël, le grand absent de cette soirée, et les missiles sont déballés les uns après les autres. ‘Tué dans la rue’, ‘Comme une sarbacane’, ‘Les jaloux’, ‘Dans ma tête’ ou ‘Freaky flow’ arrachent des râles de bonheur à plusieurs dizaines de groupies mâles, dont certains avaient peut-être quatre ans à l’époque, et tant pis si ‘Requiem’ n’est qu’amorcé.

Une petite pause pour permettre à Daddy Lord Clarck et Aarafat de présenter leurs nouveaux copains du moment – que des armoires bien vénères sur des sons sudistes – dont un type silencieux au physique de Séminole et au regard de Kanak période 4 mai 1989 à Ouvéa. Visiblement le public ce soir préfère jouer à fond la carte du parti conservateur, et pousse un soupir de soulagement lorsque Kohndo et Rocca reviennent. ‘Les jeunes de l’univers’, ‘Le hip-hop mon royaume’, ‘Mots pour mots’, ‘Les quartiers chauffent’ : Guy en a oublié sa vilaine période ; Papa-au-Rhum, lui, en renverse sa tête en arrière en fermant les yeux de joie, façon Stevie Wonder… A leurs côtés, une belle blonde d’un certain âge semble prendre un panard pas possible à chaque morceau et en fait part à tout son voisinage. « Elle veut que je la serre ou quoi ? » aurait très bien pu se dire Guy au cours de ses années Jean-Claude Duss. Bien lui prend de rester concentré sur le son, car lorsque Daddy « si si » Lord C s’élance – laborieusement – sur ‘Un point d’honneur’, la dame s’écrie, radieuse : « C’est lui, c’est Clarck, c’est mon mec ! »

« Le tonnerre gronde, la pluie s’abat sur terre pour tout effacer, Dieu créa les hommes et les hommes les armes pour se tuer… » ‘Un dernier jour sur terre’ annonce la fin prochaine du concert, que ponctue ‘Rap contact’ et un ultime big up au festival L’Original et au hip-hop… Il est 0h22 ce samedi 12 avril 2008 et il n’y aura pas de rappel eu égard au retard pris en amont. Ainsi s’achève donc a priori la seconde vie de La Cliqua, à l’âge record d’une heure et vingt-deux minutes. « Trop tard pour reculer ou regretter, se lamenter, pleurer. J’emporte avec moi mon passé et tout le mal que j’ai fait. C’est juste un dernier jour sur terre à passer. Je fais mes adieux et renonce à tout ce que j’ai pu aimer… J’attends la pluie qui viendra balayer ce chaos… Tout effacer pour tout recommencer à zéro. »

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