Nos 25 morceaux du second semestre 2018
Rap anglophone

Nos 25 morceaux du second semestre 2018

Tous les six mois, L’Abcdr propose une photographie de ce qu’a été le rap. Retour en vingt-cinq titres sur ce second semestre 2018.

Styles P – « Never Fight An African »

De tous les membres de LOX, Styles P semble le mieux traverser les décennies. Et puisque l’époque est à la surproductivité, le natif de Yonkers a sorti en 2018 trois albums dont un avec son homonyme Dave East. C’est sur le dernier en date, Dime Bag, qu’on retrouve cette marche victorieuse portée par des chants tribaux et des cuivres puissants quasi militaires. Paradoxalement, il y est question de paix et d’unité, preuve qu’après vingt ans de carrière, David Styles sait encore surprendre et livrer son propos sans caricature. Il se permet même une pique à Obama, figure presque intouchable pour beaucoup de ses collègues (« Not a Trump supporter, not a Clinton supporter/ And Obama slipped too we need to get it in order »). Les références à l’esclavage appliquées à la vie de rue, la fierté noire affirmée et la royauté sont autant de sujet présents pendant ces trois minutes qui n’auraient pas fait tâche sur la bande originale d’un certain blockbuster de début d’année. On tient peut être là un ingrédient de la longévité : sentir l’air du temps tout en restant fidèle à soi-même. – Pap’s

Westside Gunn – « Dean Malenko »

Dean Malenko était un catcheur actif jusqu’au milieu des années 2000. Pas très à l’aise quand il s’agissait de causer face caméra, Dean Simon de son vrai nom était en revanche très compétent pour (donner l’impression de) martyriser les articulations de ses adversaires de toutes les façons possibles et imaginables. Cette technicité sans bornes lui avait valu le surnom de « L’Homme aux mille prises ». Il est plutôt ironique que Westside Gunn ait choisi cette figure taiseuse pour intituler son morceau. Lui serait plutôt à ranger du côté des Hulk Hogan ou The Rock : des mecs qui font toujours la même chose mais le font sacrément bien et adorent la ramener au micro. Les innovations, ce ne sera d’ailleurs pas pour « Dean Malenko ». Westside Gunn propose ici sa combinaison favorite : une production bien crade de Daringer, des onomatopées en pagaille et un flow gueulard pour servir un texte cryptique, mêlant histoires de deal et name dropping de marques de luxe. En somme, un morceau comme WSG en a fait des dizaines depuis le début de sa carrière. Et pourtant, même en sachant exactement ce qui nous attend, on finit toujours par être conquis. « Jouer simple est la chose la plus difficile du monde » disait le regretté Johan Cruyff. Ça marche aussi pour le rap et ça permet de mettre en relief ce que fait Westside Gunn depuis quelques années. – Kiko

Earl Sweatshirt – « Nowhere2go »

Chez les artistes, la vulnérabilité est une vertu. Elle est preuve d’honnêteté, mais surtout de remise en question, de maturité, et in fine, de création. Elle ouvre de nouvelles portes pour se définir, un peu comme ajouter un nouveau livre à son étagère, pour plus tard contempler son catalogue. Cette valeur de l’ensemble, « l’œuvre artistique », tend à se diluer mais certains nous rappellent sa pertinence. Premier single de son troisième album, « Nowhere2go » est une nouvelle pièce à la collection de son auteur. Point de départ d’un nouveau « je », une nouvelle mue esthétique, introspective, artistique (« Tryna refine this shit, I redefined myself »), détachée de cette image souvent projetée, celle d‘un « enfant star prodigieux, provocateur et dépressif »,  Thebe Neruda Kgositsile envoie des signes « positifs » sur ses névroses à l’image de cette mesure à l’imparfait « Yeah, I think I spent most of my life depressed / Only thing on my mind was death », une première étape pour esquisser un rictus après une année rude sur le plan personnel. Et même si le fils du poète et politique militant Keorapetse Kgositsile « ne sait toujours pas où aller », il distille l’ébauche d’une intention totalement sienne, plus enfouie, égoïste, poussiéreuse, entre jazz, hip-hop, ésotérisme, sans se soucier de l’auditeur. Immersion dans l’univers de Thebe. Il reste encore de la place pour être soi-même dans l’industrie du disque. – ShawnPucc

Lil Wayne – « Let It All Work Out »

Sur un Carter V dans lequel on découvre moins Lil Wayne que Dwayne Carter (l’intro est ainsi titrée « I Love You Dwayne »), « Let It All Work Out » est une épiphanie, qui vient conclure les multiples questions, franches ou dissimulées, qu’il se pose sur lui-même. « Was on the outside, looking in this bitch, but now I’m in this bitch », entame-t-il ainsi, pour mieux appuyer son retour comme acteur, et non plus spectateur, de sa propre vie, entre grosses sommes, femmes faciles, problèmes de drogues et difficultés contractuelles. Plus loin, alors qu’il cherche sans succès dans le miroir le sourire brillant, mais factice, qu’il arborait le temps de sa superbe, un souvenir enfoui vient frapper sa conscience : sa tentative de suicide lorsqu’il avait douze ans, à laquelle il a miraculeusement survécu. Le séquençage du morceau semble raconter l’introspection de Wayne autant que son texte. Alors que dans les deux premiers couplets, le piano et la voix remplis d’espoir de Sampha sont posés sur une rythmique lente et méditative, la cadence s’accélère légèrement sur le troisième et dernier couplet, donnant l’impression que Wayne comprend et accepte la source de son mal-être et de sa fuite en avant depuis des années, pour enfin embrasser sa propre histoire. Libéré de tout artifice (ni jeu de mots foireux, ni masque d’Auto-Tune), enthousiaste sans être hystérique, Lil Wayne « laisse les choses s’arranger d’elles-mêmes » sur ce beau final. Et surtout n’essaie plus de n’être que l’ombre de ses années psychédéliques, en acceptant enfin ses parts d’ombre comme de lumière. – Raphaël

Aminé – « Dr. Whoever »

Dans la longue histoire des intros qui défoncent tout le reste de l’album, « Dr. Whoever » se pose là. Une intro, c’est souvent l’occasion pour un rappeur de donner le ton, de prouver quelque chose, de s’affranchir de tout code car ce ne sera jamais (en théorie) un single : « Theses intros ain’t meant to be bangers, they meant for you and me so we’ll never end up as strangers. » Sur celle-ci, Aminé prend l’auditeur à parti et en fait son thérapeute anonyme, le temps de sortir des confessions désarmantes sur la famille, l’amour, ses choix de vie, le tout contrebalancé par des traits d’humour doux-amer qui préviennent toute lourdeur. C’est dense mais léger, ça s’emballe quand le beat débarque enfin à mi-morceau avant de s’apaiser sur des phases plus introspectives. Ouais, ça, c’est une intro. – David

Googie – « Kneecaps »

Googie était apparu sur nos radars il y a deux ans avec « Big Mouth Arcade », souriant hymne à son quartier de West New York. Si, ‘Tis What ‘Tis, l’album dont était issu le titre, manquait d’une direction artistique claire, Googie y montrait de grandes qualités qui laissaient présager le meilleur pour la suite. A défaut d’être réellement l’album de la confirmation, Floating Polygons, sorti cette année, révèle que le membre des Karma Kids a évolué dans le bon sens : il tire notamment mieux parti de sa voix caverneuse et a su donner une vraie identité à son projet. La preuve avec « Kneecaps », morceau à la fois envoûtant par son ambiance et cauchemardesque par son texte (I can’t feel my kneecaps, I can’t feel my legs / I’m loosing all my teeth and now it’s going to my head). Googie étale à la fois ses qualités d’écriture – celle-ci est plutôt abstraite pour les couplets et très concrète lors du refrain – et d’interprète, alternant avec brio parties quasi-parlées, rapées et chantées. La prochaine étape sera donc de réaliser un album à la hauteur de ce formidable talent. – Kiko

Cypress Hill – « Locos »

Que pouvaient donc bien offrir les MCs de Cypress Hill après dix-huit années passées à s’affirmer comme un groupe de rap devenu spécialiste du cross-over ? Le premier extrait de leur neuvième album donnait un élément de réponse. « Band of Gypsies » était puissant tout en étant foutrement cannabique. Enregistré en Égypte avec des rappeurs locaux aux hooks dévastateurs, le titre dévoilait également le retour du savoir-faire nécessaire au liant de la Fonky Cypress Hill Shit : DJ Muggs. En musique comme dans la vie, une seule chose compte : se remémorer les fondamentaux. Ambiance enfumées, vaporeuses, menaçantes, voire même – et surtout – gangsta. À ce titre, « Locos » renoue avec l’esthétique du quatuor de South Gate, L.A. À mi-chemin entre les sonorités du mythique Temples of Boom (« Pass the Knife ») et celles plus agressives du chapitre IV (écoutez « Put em in the Ground » pour voir), Elephants on Acid offre une galerie de musique meurtrière sauce Bloods. Filiale sud-américaine ou filiation de la Cité des Anges ? Peu importe. « Locos », avec l’incontournable Sick Jacken au refrain, est l’une des apogées de ce renouement avec la vie que la rue a tatouée. Nouvelle preuve, si nécessaire, qu’il ne faut pas réduire à la weed ce qui a rendu insane in the brain les auditeurs de Cypress Hill. – zo.

Apollo Brown & Joell Ortiz – « Reflection »

Depuis le début de cette décennie, Apollo Brown accroche à son tableau de chasse de solides, voire d’excellents albums collaboratifs. Après Skyzoo en 2016, Planet Asia en 2017, le producteur de Detroit en a sorti deux cette année, dont Mona Lisa avec Joell Ortiz. La formule Apollo Brown y reste de même nature, comme sur « Reflection », sa batterie appuyée mais dépouillée, et son sample automnale savamment découpé et réanimé à chaque coup de grosse caisse. Premier titre rappé de Mona Lisa, « Reflection » présente un Joell Ortiz avec le vague à l’âme, qui reprend l’histoire là où s’est arrêtée celle avec Slaughterhouse, son super-groupe avec Joe Budden, Crooked I et Royce da 5’9 », dissout en avril dernier. Contemplatif devant le fleuve Hudson, Joell ravale ses rêves de gloire, avec le sentiment d’être un gros poisson dans une petite marre (« So here I am still the hottest nigga in my barber shop »), avant de réaliser qu’il a accompli l’essentiel (« Let’s celebrate that my apartment ain’t from Section Eight no more / Ain’t no more hungry nights »). Ni totalement amer, ni totalement résigné, « Reflection » montre un rappeur lucide sur son retour, sans doute définitif, à la case départ. – Raphaël

22gz – « Spin The Block » feat. Kodak Black

Bien qu’il soit indéniablement une tête d’affiche de la scène drill de Brooklyn, 22Gz a longtemps eu du mal (comme nombre de ses homologues) à sortir de la simple imitation des grands frères chicagoans. Il semble cependant depuis quelques mois avoir trouvé sa formule : un sample grillé de rap de la Grosse Pomme et un flow dérivé de Lil Herb époque « Kill Shit ». Les résultats « Spazz Out » et « 2 Chops » servent de prélude au morceau dont il est question ici. En effet, « Spin The Block » emprunte le piano menaçant de « Wu Gambinos » et le mélange au rap de tête brûlée du gamin de Flatbush. De la laverie automatique à la bouteille d’Hennessy en passant par le « blicky », tout le lexique contribue autant que le sample à cette couleur new-yorkaise combiné à un flow plus lent qu’à l’habitude. Et puisque le trans-régionalisme est à l’honneur, c’est Kodak Black qui vient, le temps d’un couplet qu’on jurerait sorti de Project Baby , officialiser la signature du Brooklynite sur son label Sniper Gang. S’il réussit à reproduire cet exercice d’équilibriste sur sa Blixy Tape annoncée pour début 2019, 22Gz pourrait bien sortir du microcosme destructeur dans lequel il évolue actuellement. « Once I get up out the hood, I ain’t coming back. » – Pap’s

E-Turn – « Makeshift »

« I think that in hip-hop, for women, it’s just all about killin’ shit. » En plus de le dire, E-Turn le fait. Rappeuse d’Orlando, ayant produit ses deux précédents albums avec le champion DMC, secteur U.S.A, DJ SPS, c’est cette fois avec Swamburger des Solillaquists of Sound qu’elle offre son troisième disque. Publié sur le label Fake Four inc., Young World propose ce que beaucoup de rappeurs ont oublié de faire ces dernières années : performer. Mais attention, ici ce n’est pas juste pour la démonstration. Car si les skills d’E-Turn varient entre passages chantés, fast rhyming, toast et découpage de beats, la MC met surtout un sens incroyable dans ses morceaux. Young World c’est de la politique au sens humain du terme, celui qui laisse penser que chaque regard et chaque action fait transparaître avec humilité mais certitude la façon dont le monde pourrait s’améliorer. Ni faussement positif, ni décliniste, simplement un mélange d’émotions personnelles et de lucidité collective, telles sont ces douze pistes qui ne sont pas sans rappeler une Invicible, mais version boom-bap survitaminé (et absolument pas vieillot).  « Makeshift » résume bien tout cela. Son introduction touche à l’essentiel : prendre la parole, sans jamais baisser la tête face à ses propres droits ni se laisser dénier sa place. Quant à sa réalisation, elle revient à l’essence même de ce que le rap peut apporter : technique et mélodie ne sont pas inséparables, et l’émotion reste le meilleur moyen de se surpasser plutôt que de se laisser dépasser. Voire balader. Morceau fort pour album rare. Rien à foutre des tendances. – zo.

J.I.D – Off Deez feat. J. Cole

La dextérité verbale est une « figure du style » attribuée à l’icône du rappeur dans l’optique d’impressionner ses adversaires. Cette figure est une arme de séduction massive aussi bien pour s’attirer le respect de ses pairs ou encore les faveurs du public, notamment celles de l’aile « conservatrice ». En un sens, la dextérité verbale consiste à montrer la maîtrise parfaite de la panoplie du rappeur, autrement dit, la technique, sans pour autant oublier l’aspect essentiel : la musique. Nombreux tombent dans le premier écueil et ne s’en relèvent jamais. Pour leur dernière collaboration « Off Deez », J.I.D et J. Cole font l’étalage de cette technique sur les deux champs. La structure des couplets est riche, alambiquée, voire dense à avaler. Le débit des deux compères est nettement au-dessus de la moyenne, une subtilité basique pour impressionner les premiers venus, mais dans cet aspect, les métaphores et les variations de flows tordues, complexes, additionnées les unes aux autres donnent une sensation de vertige. ChaseTheMoney, producteur majeur de l’année, en rajoute une couche avec des hi-hats lancinants tout au long du titre, sur lesquels les deux artistes se collent, s’extraient, toujours avec un sens de la rythmique impeccable. En résumé, avec J.I.D, Dreamville est entre de bonnes mains. – ShawnPucc

Bun B – « Gone Away » feat. Leon Bridges et Gary Clark Jr

Les morceaux hommages, ça peut vite être trop larmoyant, trop mièvre, trop convenu. Celui-ci arrive plus de dix ans après la disparition de Pimp C. Pour ce nouveau titre à la mémoire de son pote de toujours avec qui il formait le légendaire groupe UGK, Bun B joue à fond le retour aux racines blues. En rimes simples et touchantes, à travers quelques souvenirs qui donnent le sourire, Bernard honore la mémoire de Chad, puis se retire pour laisser parler la musique. Car « Gone Away » est aussi l’occasion de réunir des bonhommes texans de grande classe, Leon Bridges au chant et Gary Clark Jr. à la guitare, le tout produit par Big K.R.I.T. qui, s’il n’est pas du Texas, est sans doute l’artiste qui a su le mieux s’inspirer de l’héritage de Pimp C. Un grand morceau pour un grand monsieur. – David

Noname – « Ace » feat. Smino and Saba

Malgré l’immense talent de la rappeuse chicagoane Noname, on s’ennuie un peu sur Room 25, son dernier projet. La faute à une petite tendance à minauder et à des productions parfois mollassonnes. Mais il y a ce moment de bravoure et de virtuosité, « Ace », qui éclaire le tout. Sur un enchevêtrement de voix suaves, Smino, Noname puis Saba viennent pour lâcher les chevaux avec leurs flows caractéristiques : mi-chanté mi-rappé pour le premier, gourmand et espiègle pour la seconde, tout en changement de rythme pour le troisième. Avec Noname qui retrouve au passage un peu de la rugosité toute relative qui avait tant contribué au magnifique équilibre de Telefone, sa précédente mixtape : « Smino Grigi, Noname and Saba the best rappers / And radio niggas sound like they wearing adult diapers« . – Kiko

Buddy – « Real Life Shit »

Placé en ouverture du lumineux Harlan et Alondra, « Real Life Shit » donne le ton du premier album de Buddy. Malgré la signature précoce par Pharrell il y a déjà presque dix ans et les rêves de gloire qu’il a effleuré à tout juste quinze ans alors, Buddy se présente sur ce titre comme un jeune homme simple, les deux Vans collées au bitume des artères sud de Los Angeles. Son ton, bas en volume, y est conversationnel, presque confident, malgré les sursauts dans le flow. Une interprétation idéale pour décrire son itinéraire vers l’ascension sociale, parsemé de nids-de-poule : dettes, retards de loyer, addictions, smartphone cassé, prunes à répétition. Des détails évocateurs mais simples, contrebalancés par un faussement évasif « I just pray that I’ll make it home safe », renvoyant sans exagération à la violence quotidienne de son environnement. Brody Brown, musicien de session habitué des stars de la pop (Bruno Mars) comme des icônes rap du coin (on le retrouve aux crédits du majestueux Victory Lap de Nipsey Hussle), propose ici un terrain de jeu idéal pour la voix mélodieuse de Buddy, un groove funky, entre longs synthés légers et basse paresseuse. « I’m just a regular nigga, on an irregular mission », lance Buddy, avant quelques vocalises désabusées. A l’image de son pseudo (« buddy », pote), le rappeur de Compton chante un blues moderne, proche de son voisinage, malgré son évidente envie de briller comme une étoile. – Raphaël

Oba Rowland – « Hot 107.5 » feat. Sada Baby

La musique de Sada Baby a quelque chose de physique. Dès les premières mesures de la plupart de ses morceaux, on se retrouve possédé par cette voix nasillarde et imprévisible qui se permet toutes les excentricités. L’exemple le plus flagrant est apparu en début d’année avec « Block Party », dont le succès doit autant aux acrobaties vocales de ses auteurs qu’à la gestuelle des participants du clip. On a même pu retrouver certains mouvements dans « This Is America » qui partage ce rapport au corps particulier. Mais la vie est ainsi faite que les génies sont rarement les personnes les plus productives et chacune des apparitions du chien fou de Detroit est un présent à chérir précieusement. « Hot 107.5 » présent sur l’album Northland de Oba Rowland ne fait pas exception à la règle. Sur des accords qui fleurent bons le Mexique, les deux compères déclarent leur amour aux lunettes Cartier et aux armes à feux à la frontière du bon goût et des imitations hasardeuses. Ce mélange des genres n’est certes pas unique en 2018 mais son caractère ludique et délirant le rend bien plus efficace que les emprunts téléphonés au reggaeton et aux musiques afro-caribéennes qui ont pullulé cette année. – Pap’s

Mick Jenkins – « Understood »

Cette année, dans la catégorie « Meilleure association producteur/rappeur », un tandem peut légitimement réclamer une place dans le Top 10 : Mick Jenkins et KAYTRANADA. Pour son second album, Pieces of a Man, avec seulement deux titres réalisés conjointement pour cet opus, le binôme rappelle une nouvelle fois la générosité de leur association. « Understood » est une palette du meilleur des deux univers. D’un côté, des couplets déposés sur un ton quasi religieux, empli de maîtrise, sans pour autant oublier que la musique reste de la musique. De l’autre, KAYTRANADA, loin des sentiers battus, tout en haut dans les étoiles, entre la cinquième dimension et nos tympans. Par instants, Mick Jenkins frôle les nuages du bout des doigts, et confirme l‘état de grâce d’un artiste que certains peinent à percevoir (« I spit it all on the paper, I’m twisting all of this paper / I’m spending all of this paper for retail therapy »). – ShawnPucc

Travis Scott – « Sicko Mode » feat. Drake

Faire des morceaux avec des changements de beat est devenu une petite mode depuis quelques années, quitte à ce que le résultat soit parfois un peu artificiel. Pour « Sicko Mode », Travis n’y est pas allé de main morte. C’est un vrai puzzle. Entre les divers passages de Drake particulièrement en forme, les trois instrus distincts, l’intervention éclair de Swae Lee, les samples disséminés de Biggie, d’Uncle Luke, de Big Hawk, il y a de quoi se perdre. Mais comme Travis le dit lui-même, il est la glue qui fait tenir tous ces éléments en un tout cohérent et ambitieux. Un beau tour de force, même s’il faut l’avouer : à chaque écoute, on aimerait bien que la première minute dure longtemps. – David

Bambu – « Drive By »

D’origine philippine, rangé des gangs, adoubé par Muggs, plutôt à gauche, Bambu se situe à la croisée de pas mal de canaux historiques du milieu hip-hop californien. Actif depuis une quinzaine d’années, sa discographie alterne le bon et le plutôt dispensable, malgré un talent indéniable. Son dernier projet, A Few Left, en est d’ailleurs une bonne illustration, soufflant le chaud et le froid jusqu’au grandiose « Drive By ». Sur une production douce et planante, Bambu raconte par le menu les expéditions punitives, les mises au vert aux Philippines et les retours en scred aux États-Unis. Le récit minutieux est entrecoupé des témoignages d’un OG des Satanas, Hopper, qui renforce encore le réalisme cru du propos, en contraste total avec le beat soyeux qui invite davantage à la contemplation d’un coucher de soleil que d’une fusillade meurtrière. Les derniers mots du titre et donc d’A Few Left sont d’ailleurs pour Hopper : « Unfortunately, some of us had to pay a certain price for people to have respect for other people« . – Kiko

Atmosphere – « Stopwatch »

Entre le titre de son neuvième album et le premier extrait diffusé sur internet, Atmosphere avait laissé craindre le pire : un folk rap de quadragénaire. Mais Slug a beau porter sur ses épaules les incertitudes de la vie tout en voulant entendre toutes les femmes hurler qu’il a bien vieilli, il n’est pas du genre à se laisser martyriser par le temps sans rien dire. Rappeur adulte à la fébrilité adolescente, il condense avec « Stopwatch » tous les fondamentaux de son groupe. Une écriture simple parsemée d’images sorties tout droit d’une mythologie née dans un verre de bourbon avec un œil rivé sur les conflits du monde. Un pessimisme compensé par un humanisme fort, qui transforme l’attention portée à son entourage en leçon d’universalisme. Et évidemment, il y a l’habituelle part de confessions et de leçons d’existence, brassées dans un mélange de « je fais de mon mieux » et de « je merde souvent, mais moi au moins, j’ai été moins cruel que la vie ». Le tout est porté par ce flow ultra intelligible et scandé avec pêche et conviction sur un instrumental mi-acoustique, mi-synthétique, dont seul Ant a le secret. À l’image de Mi Vida Local, « Stopwatch » est quasi intégralement un rap épistolaire, des lettres lues à voix haute et écrites aux présents dont on redoute plus que tout le jour de leur absence. Si en France, on utilise de plus en plus souvent le terme de rap de proximité, la leçon est définitivement à prendre sur les rives des Twin Cities. L’Emo rap a bel et bien muté. Et en plus il reste les scratches. – zo.

Metro Boomin feat. 21 Savage – « 10 Freaky Girls »

Après quelques mois de pause nécessaires pour éviter le burn out et la panne d’inspi, Metro Boomin a créé avec NOT ALL HEROES WEAR CAPES un album aussi ambitieux qu’inégal, sorte d’opéra-rap grandiloquent et grotesque. Un album dans lequel il parvient tout de même à synthétiser les différentes phases par lesquelles il est passé, de la trap gothique pour Young Thug aux ambiances lugubres avec 21 Savage. C’est ce dernier qu’on retrouve d’ailleurs sur « 10 Freaky Girls ». Ici, Metro Boomin a l’air de faire siffler en chœur par des fantômes une incantation pour l’ouverture d’une porte démoniaque, avec l’arrivée des cuivres de Siraaj Rhett sur sa rythmique sautillante. Une ambiance infernale idéale pour 21 et sa voix à la fois nonchalante et sinistre, loin du raccourci facile du mumble rap que certains souhaiteraient lui faire prendre. Son élocution est au contraire claire et articulée. Si bien que lorsqu’il termine le mot « rock » au refrain, avec l’effet d’écho, on croirait un caillou tombé au fond du puits de sa cruauté. 21 Savage fait de l’ASMR, sauf qu’au lieu de détendre son interlocuteur, il lui implante ses récits crapuleux dans le cerveau (« Last altercation, got a hundred rounds in him »). La paire 21/Metro parvient par ailleurs à faire des merveilles dans ces atmosphères suspectes dans I Am > I Was, deuxième album du rappeur d’Atlanta, encore tout chaud, voir bouillant, au moment du bouclage de notre liste. – Raphaël

Pardison Fontaine – « Backin It Up » feat. Cardi B

Cardi B ne fait décidément rien comme personne. Accusée début 2018 d’avoir repris « Be Careful » à un obscur rappeur ami de Charlemagne Tha God, la désormais superstar assume : oui Pardison Fontaine est un de ses paroliers privilégiés (il est aussi derrière « Bodak Yellow » et « I Like It ») et un ami de longue date. Il est indéniablement un des hommes de l’ombre de l’année puisque son nom se retrouve également dans les crédits à rallonge de Ye. La collaboration entre Cardi B et le rappeur de Newburgh donne donc lui à un jeu de miroir assez intéressant. Le refrain à deux voix montre l’alchimie évidente qui existe entre les deux artistes et on devine aussi, dans certaines phases de l’un, d’où l’autre tient son humour trash (« Fuck a condom, Imma bring Saran Wrap/ I can’t let no good pussy go to waste »). Démonstration définitive du talent inné d’interprète de l’ancienne strip-teaseuse du Bronx, « Backin It Up » est un banger à la fois drôle, agressif et malin dans son écriture. Pardison Fontaine a ainsi eu son quart d’heure de lumière en 2018 et en mériterait quelques autres dans les années à venir, mais s’il devait rester dans l’ombre celle de Cardi B pourrait l’emmener loin. – Pap’s

The Alchemist – « 94 Ghost Shit » feat. Conway & Westside Gunn

Dans la célèbre famille de Buffalo, Conway est le tireur. Un peu à la manière du célèbre Agent 47, tueur à gages au crâne proprement rasé, il exécute froidement chaque opposant sous les ordres du capo : WestSide Gunn. Les émotions ne traversent pas une seule fois son esprit avant de presser la gâchette. Il prend les ordres. Trouve sa cible. L’exécute. Et repart avec son chèque plié soigneusement dans sa poche sans laisser aucune trace. « 94 Ghost Shit » est une scène de crime parfait. La voie royale a été dressée pour son bourreau, Wes s’écarte, n’assure qu’un espèce d’interlude entre les deux strophes de son frangin, puis s’ensuit des invectives de haute volée. L’air est irrespirable (« Niggas who got multiple bodies before they was 20, I can name a few »). The Alchemist plante un panorama anxiogène. Des notes de piano frénétiques en boucle pendant quatre minutes. Des bruissements de toute part. Des bruits de rails de coke sniffés. Et des rires toqués en fond comme dans un mauvais film d’horreur. Les deux frères de Buffalo sont connus pour « faire du sale », et rappellent une énième fois leur statut à part sur la scène musicale (« Ayo, Machine, them niggas not the same as you / Them niggas playin’ crazy but them niggas not the same as you »). – ShawnPucc

Jade River & Myka 9 – « Good Lookin Lady »

À la fin des années 70, Dario Argento réalise Suspiria. Le film, le dernier tourné en Technicolor, est une explosion chromatique sur fond d’intrigue ésotérique. Voilà qui colle parfaitement à Myka 9 tant l’écouter rapper relève toujours de l’expérience surnaturelle, même trente ans après ses débuts. Sur des boucles parfois grillées – mais magistralement bien maîtrisées – de Jade River, un producteur inconnu (une fois de plus !) originaire de Portland, le MC de Freestyle Fellowship explore le chef d’œuvre du cinéma fantastique en le dépouillant de tout ce qu’il contenait de gore. Car Michaël 9 Troy, aussi fou et parfois illisible soit-il, c’est d’abord la douceur. La preuve avec ce « Good Lookin’ Lady », génial moment de funambulisme dans une tracklist qu’il est difficile de décrire sans tomber dans les champs lexicaux de la magie et de l’onirisme. Des envolées chantées aux didascalies tantôt rappées, tantôt parlées, Myka 9 partage sa musique entre placements quantiques et relaxation vocale. Loin du rouge sang cher à Dario Argento, mais définitivement bien plus kaleidoscopique que le développement d’une pellicule Technicolor. – zo.

Alexander Spit – « Likeabullet »

Cette décennie, Los Angeles a été une ville caractérisée par le croisement des genres musicaux. Dans cette tendance toujours d’actualité, Alexander Spit fait partie de ces électrons libres, ces acteurs discrets mais pourtant indispensables à la bonne jonction de chaque scène. À titre d’exemple, cet été, il a réalisé le morceau « Wings » du regretté Mac Miller. Mais au-delà de se distinguer par son talent, le producteur/rappeur – mais surtout meilleur producteur que rappeur – brille par son absence. Par-ci, par-là, il nous dépose quelques éclats, des morceaux éparpillés dans une collection foisonnante d’essais – une belle série de beat tapes est à mettre à son actif. Une fois de plus, de nulle part, le morceau « Likeabullet » tombe des nues. Des traits appréciables de ses travaux antécédents sont décelables. Des voix allongées en arrière-plan pour multiplier les motifs. Des reliefs toujours plus profonds, qui ne cessent de rappeler son penchant pour les voyages sous acides façon Hunter S. Thompson. Une note de saxophone somptueuse, parfaitement déposée par un tout jeune artiste, Brandon Hailey. Puis un texte pétri d’humilité, le récit d’un bilan entre pointe d’amertume et réalisme. Quelque chose touche dans ce morceau et, en réalité, si une chose devait être retenue, c’est surtout un sens de l’orchestration remarquable à nous faire regretter de ne pouvoir l’entendre à nouveau sur un long essai (« It’s been a minute since i pulled up on the block / Like a bullet i’ll be there – say a prayer if i’m not / I keep it humble since my bubble never popped »). – ShawnPucc

Mac Miller – « So It Goes »

Avant de quitter ce monde le 7 septembre 2018, la dernière story Instagram de Mac Miller fut une vidéo dans laquelle il jouait « So It Goes », piste clôturant son album Swimming. Le morceau tourne sur des notes frappées de violoncelles, couvertes peu à peu par une nappe de synthé galactique montant crescendo. Cette évolution donne l’impression d’écouter Mac Miller léviter et s’élever peu à peu vers l’atmosphère, avant de toucher les cieux et s’éloigner tellement de nous que l’on perd son signal sur les dernières secondes du morceau. Sur la rythmique titubante programmée par ses soins, de sa voix toujours emplie de malice même dans ses instants les plus mélancoliques, Mac débute un bilan de sa courte vie (« There was nothin’ in my wallet, just a lot o’ dreamin' »), prend conscience de ses propres mauvaises décisions (« You could have the world in the palm of your hand, you still might drop it ») sans tout à fait en tirer de véritables leçons (« No relaxing, kicking back, this ain’t exactly in the plan »). Imaginé comme une « arrivée vers le paradis » par Mac lui-même, dans son échange avec le musicien et arrangeur Jon Brion, « So It Goes » devient de manière posthume l’épitaphe musicale qui a marqué sa génération par son funambulisme constant sur le fil de sa dépression. Et qui a chuté sur une dernière figure tout en légèreté. – Raphaël


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