Les Sages Poètes de la Rue : Après l’orage
Interview

Les Sages Poètes de la Rue : Après l’orage

Lundi 22 avril, au lendemain du résultat du premier tour des élections présidentielles, rencontre avec Zoxea et Melopheelo des Sages Poètes de la Rue. Calmes, posés et positifs ils reviennent sur les années passées et nous présentent leur troisième album, « Après l’orage ». VO

Abcdr : Comme vous le dites dans l’intro ça faisait un petit moment qu’on avait pas entendu parler des Sages poètes de la rue en tant que groupe, pourquoi un tel délai entre votre deuxième album Jusqu’à l’Amour et Après l’orage ? 

Zoxea : On a réalisé pas mal de projets pendant cette période. J’ai fait mon album solo à ce moment là. Melopheelo a fait des productions. Dany Dan a fait différentes apparitions, des featurings. Et, le plus gros truc c’est qu’on a mis 1 an et demi pour faire cet album. On a pris notre temps. Au final ça fait beaucoup d’espace entre les deux albums, mais quand tu regardes y’a eu beaucoup de choses qui se sont passées.

A : Vos deux premiers albums étaient sortis chez des indépendants, pourquoi avez-vous décidé de sortir celui-ci en major ?

Z : C’est une expérience qu’on a toujours voulu tester, et on est assez curieux. On a connu la période où on s’est fait signer par un indépendant, ou on a signé. On voulait voir l’expérience d’être en major, avec des moyens de diffusion.

A : Qu’est-ce que ça vous a apporté cette signature, en tout cas par rapport à cet album là ?

Z : Dans un premier temps, on a produit des groupes. Nous, les Sages Po’, on a souvent mis en avant les autres avant de nous mettre nous en avant. Pourquoi ? parce qu’on est des passionnés, avant tout. On aime cette musique et on a pas, malheureusement, l’esprit business. Nous, même que lorsqu’on a montré notre boite, c’était avant tout pour mettre des gens à nous en avant, plus que pour faire du gen-ar, pour leur permettre de sortir des disques. Maintenant, une des raisons pour laquelle on a voulu aller en major, c’est qu’on voulait avoir le cerveau libre. On voulait pouvoir faire notre truc et avoir une structure derrière pour le soutenir. Tout ça bien sur avec notre regard. Le fait qu’on ait été en indépendant nous a apporté une certaine maturité, et nous a permis de mieux connaître et gérer notre business. Après, ok on s’est mis avec une major, mais c’est du 50-50. On peut de notre coté leur apporter l’expérience du terrain, de la rue, eux ils ont la logistique.

A : Ce nouvel album est particulièrement éclectique, avec un panel d’influences très large. C’était une volonté délibérée du groupe de mélanger un peu les genres ?

M : On a voulu donner sur cet album du relief, dans la façon d’aborder les sujets et aussi dans la musique. Cette impression d’éclectisme vient du fait qu’on est très ouverts, on écoute beaucoup de musique. Le rap c’est pour moi une des musiques les plus créatives, puisque t’as pas besoin d’être compositeur, il suffit d’écouter de la musique et d’assembler, c’est un peu de l’alchimie. Aujourd’hui, c’est une évolution, un album en plus, mais on a toujours essayé d’apporter quelque chose d’original dans la musique. Justement, de ne pas faire comme les autres.

Z : Il est peut-être plus accentué l’éclectisme sur cet album, mais quand tu regardes nos albums on a toujours développé plusieurs univers différents. Nous même on est différents. Dany Dan, Melopheelo, Zoxea ce sont trois personnalités bien différentes. Ce sont des gens qui certes écoutent la même chose au final, mais on a chacun nos vies et nos influences musicales, même si en général on a baigné dans la musique noire, Africaine, Américaine. Toutes ces influences, aujourd’hui, avec la maturité, prennent le dessus. Le rap c’est une musique évolutive, qui voyage et s’inspire de plusieurs univers.

« On a voulu donner sur cet album du relief, dans la façon d’aborder les sujets et aussi dans la musique. »

Melopheelo

A : Tu parlais tout à l’heure des productions, dans cet album vous avez fait appel à pas mal de gens extérieurs, ce qui n’était pas le cas lors des albums précédents, c’était aussi une façon d’avoir des influences plus larges ?

Z : Nan, pas vraiment. Quand tu regardes Madizm qui a fait un morceau comme ‘Oublie-moi’, les gens pensent que c’est Melopheelo ou moi qui l’avons fait parce que c’est un son Sages Po’. En fait on est allé chercher des gens avec qui on avait des affinités musicales, des gens dont on appréciait le travail. Madizm c’est pour moi un des cinq meilleurs producteurs en France. C’est un gars qui peut passer d’un univers à un autre. Gutsy a aussi produit un morceau sur l’album, lui c’est un mec de Boulogne qu’on connaît et dont on apprécie la touche depuis longtemps, mais on avait jamais eu l’occasion de vraiment collaborer. Akhenaton, pareil. C’est un des rares rappeurs et producteurs talentueux. Sec’Undo a aussi fait un son.

Toutes ces personnes sont des gens dont on apprécie la performance, et avec qui on avait toujours voulu travailler. On leur a demandé de nous faire écouter, et on a choisi après les sons qui nous plaisaient le plus.

A : J’étais personnellement étonné de la quantité d’apparitions extérieures, que ce soit à la production ou au emceeing’

M : On a fait pour la première fois appel à un réalisateur sur cet album. Les albums précédents on les avait toujours réalisés nous-même. Comme Zoxea disait, ça fait un an et demi qu’on est dessus, et quand t’es enfermé pendant 1 an et demi en studio, parfois t’as pas trop le recul nécessaire pour juger de la qualité des morceaux et du choix des titres. Là, c’était bénéfique de pouvoir faire appel à quelqu’un de neutre et d’externe qui puisse avoir justement ce recul et cette vision. C’est au final ce qui fait que l’album est aussi riche.

A : On retrouve beaucoup de refrains chantés sur Après l’orage, c’était pas forcément le cas lors des opus précédents.

Z : C’est une particularité Sages poètes, qu’on ne retrouve pas sur les albums, mais dans les projets annexes, comme le premier Beat de Boul, c’est des trucs qu’on aimait bien expérimenter. Moi, personnellement, j’aime bien le chant. En fait, c’est un truc qu’on fait depuis longtemps, sur des petits projets et qu’on a pas bien exploité. Et effectivement sur cet album, on retrouve des chants un peu ouf’, pas des trucs classiques. Ca fait aussi partie de l’esprit qu’on voulait ramener.

A : En tant que figures historiques du rap français, quel regard vous portez aujourd’hui sur cette musique, notamment sur son évolution ? 

Z : Bonne et mauvaise évolution. Bonne parce que la scène s’est enrichie, et pas mal de groupes et de structures se sont développées. Mauvaise, malheureusement, en raison de l’état d’esprit, c’est devenu un peu chaotique. Le bon esprit que doit inculquer le Hip-Hop a un peu disparu.

A : Depuis vos débuts, vous avez toujours eu une attitude cool, je lisais que vous vous retrouviez dans l’esprit de la Native Tongue…

Z : Oui, on est des gens posés. Notre musique est le reflet de nos personnalités. On s’est toujours décrit comme Melopheelo le sage, Dany Dan le poète, moi plus la rue. On est des gens qui aimons quand même rire, plus que faire la gueule, malgré qu’on ait aussi nos problèmes, mais chacun a ses problèmes. Nous, on essaie de faire ressortir la positivité dans ce qu’on fait, au maximum. Le fil conducteur de cet album c’est la positivité qui s’en dégage.

A : Quel regard vous portez sur le rap très hardcore assez en vogue en ce moment, adoptant une attitude parfois irresponsable ?

Z : Il faut de tout. Mais on est pas pour ce qui est prôner la destruction, encore plus sans fondement, juste pour plaire. On a l’impression malheureusement que ces dernières années pour être crédible, il fallait obligatoirement venir avec un discours de rue, négatif. Or non, le rap à la base c’est du divertissement, faut pas l’oublier. Maintenant, faut de tout, y’a des groupes qui le font bien. A partir du moment où tout le monde va dans la même direction, ça devient du clonage et c’est pas intéressant. Le rap c’est une musique qui peut pas être enfermé, qui a plusieurs facettes. Le point négatif c’est le manque d’originalité de certains groupes, qui plagient ou copient.

A : Le morceau ‘Coup de gueule’ c’est une forme de réponse à cette dégradation de l’esprit Hip-Hop ?

Melopheelo : Du Hip-Hop, oui, et dans le monde en général. On a écrit ce morceau de manière impulsive. Chacun a mis ce qu’il avait sur le c’ur à ce moment là, et c’est comme ça que le morceau est venu. On avait besoin ce morceau sur l’album. On l’a écrit à une époque où on avait besoin de nous livrer, de dire quelque chose. Ce qui est frustrant, c’est qu’on est trois sur le titre et qu’on a pas pu développer autant qu’on l’aurait voulu.

A : Zoxea, aujourd’hui un morceau comme ‘Rap musique que j’aime’, tu peux toujours le faire ?

M: C’est marrant que tu dises ça, parce que dans notre concert, Zoxea fait le titre et à un moment il s’arrête, disant que le rap a trop changé…

A : Après l’orage est au regard des albums précédents, plus court que les deux premiers, c’était une volonté de condenser l’album pour ne garder que les meilleurs morceaux ? 

M : Oui, c’est un choix artistique, on travaille comme ça. On avait le double des titres présents sur l’album.

Z : On s’est fait mal. Avec le recul on se dit que certains titres auraient pu être dedans. On s’est fait violence. 4 ans en arrière, on aurait fait comme pour Jusqu’à l’amour, où y’avait 24 titres sur le tracklisting et 40-45 de produits. On s’était dit à l’époque : on va en mettre un maximum. Aujourd’hui, on s’est dit on va trancher. On est trois, y’en a peut-être certains qui préfèrent certains morceaux, on s’est pris la tête grave. Au final on a gardé 13 titres pour faire un album condensé, compact, qui représentait bien l’état d’esprit dans lequel on avait travaillé ces dernières années.

M : Surtout un album qui s’écoute facilement. On a voulu faire en sorte cette fois-ci que ce soit plus compact, et que tu puisses bien analyser les titres, bien rentrer dedans. C’est clair que sur un double album, y’a des morceaux qui vont passer à la trappe.

A : Quel bilan faites-vous aujourd’hui de l’aventure Beat de Boul ?

Z : C’était une expérience pour nous, on était un peu novice dans le domaine de la production. Le bilan c’est que quand toi t’es pas encore au top niveau, c’est chaud de produire d’autres personnes. D’autres personnes qui ne comprennent pas spécialement, qui sont pressées. Nous, on fait tout par passion. Quand on a monté Beat de Boul, c’était pas une histoire de gen-ar, c’était une histoire de c’ur. Pour faire sortir des disques aux gens dont on était proches. Aujourd’hui avec la maturité, tout ce qu’on connaît du rap, on aurait pu mieux le faire. A l’époque, c’était peut-être un peu trop tôt. Aujourd’hui beaucoup sortent en indépendants, font ceci, cela.

« On a mis nos projets de coté, pour nous mettre au service du groupe. »

Zoxea

A : Quel regard justement vous portez sur ceux qui étaient chez Beat de Boul, et sont en train de se réaliser autre part ?

Z : Ils ont fait leur chemin et choisi leur voie. Nous quand on fait Beat de Boul, c’était pas pour enfermer les gars, mais pour les aider à voler de leurs propres ailes, comme nous. On a donné un coup de pouce, dans le sens ou on leur a permis de ne pas passer par certaines étapes, en leur apportant certaines facilitées. Maintenant, chacun a choisi son chemin, c’est pas plus mal, on verra au final.

A : On a entendu ces deux dernières années pas mal de rumeurs autour d’un projet solo de Dany Dan, je voulais savoir ce qu’il en était réellement.

Z : Dany bosse dessus, et moi aussi je prépare un second album solo. On a mis nos projets de coté, pour nous mettre au service du groupe. C’était primordial si on voulait que Sages Poètes existent encore, on se devait de revenir avec un album Sages Po’.

A : Et toi Melopheelo quelque chose de prévu ?

M : A l’époque où on parlait d’un solo de Dany Dan moi aussi je commençais à préparer un truc. Mais un solo, c’est vraiment quelque chose du travail et c’est quelque chose que tu fais quand tu le sens. Moi je me sens plus à l’aise dans la production. Si je fais un album solo, ce sera plus un album concept dans lequel j’inviterai des gens dont j’apprécie le travail, plus qu’un album que je vais défendre sur scène. Mais aujourd’hui la priorité c’est le groupe.

A : On est au lendemain du premier tour des élections présidentielles, j’aimerais avoir vos réactions’

Z : A froid, on va te dire c’est la merde. C’est une surprise, mais en même temps, c’est une surprise qui fait mal. Ça reflète bien le climat de tension, de parano, de manque de communication dans lequel on est en ce moment. Tout ça a laissé la place à un mec qui oeuvrait dans l’ombre en faisant sa propagande. Le paysage politique était pas attrayant, ces dernières années on a entendu que des magouilles, et y’a eu un désintéressement encore plus important. Y’a eu des gens qui ne sont pas allés voter, comme nous. On était en studio pendant la période d’inscription, mais c’est pas une excuse non plus, mais y’a un sentiment de ras le bol, « c’est la même merde tout le temps ». Cette négligence ça nous amène à ces résultats.

A : En tant qu’artistes populaires qu’est-ce que vous pensez faire par rapport à ça ?

Z : Nous on a jamais été un groupe politique, mais on a toujours ce coté social qui est propre au rap. Bizarrement, nous sur scène dans notre show, avant le morceau ‘Coup de gueule’ on a un interlude où on dit que notre ennemi principal c’est le Front National. Mais à ce moment, le Front National c’était pas la menace que ça peut être aujourd’hui. C’était un signe.

A : On arrive à la fin, vous avez quelque chose à rajouter ?

Z : On espère que politiquement, ce vote sera juste une erreur. Sinon ça va vraiment être chaud.

Au niveau de l’album, on espère qu’il rentrera dans un maximum de foyers, des gens qui sont dans le rap mais aussi d’autres personnes. C’est un album éclectique, durant ces dernières années, on a côtoyé des gens qui étaient dans le rap et d’autres qui n’y étaient pas forcément. C’est ça la grande richesse de cet album. On espère qu’il sera écouté par un maximum de gens. On va faire des tournées, on va aller vers les gens, on va leur faire découvrir cet album.

M : On espère que ce sera un classique comme le premier Qu’est ce qui fait marcher les sages ? Aujourd’hui, on en parle encore beaucoup, certains font le rapprochement par rapport à l’esprit de cet album, que ça ressemble à l’esprit du premier, à la sauce 2002. J’invite tous les gens à se poser au moins une heure pour écouter cet album.

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