La Main Gauche, made in Paris XIII
Interview

La Main Gauche, made in Paris XIII

Après vingt ans de rap et trois projets avec le groupe K2C, La Main Gauche s’est offert son premier effort en solitaire : Derrière les Palissades. Retour sur un parcours tracé à l’ombre des projecteurs, empli de souvenirs heureux mais dénué de nostalgie.

Photographie : Cyril Zannettacci

Abcdr du Son : Tu as sorti un maxi dès 1994 avec ton groupe K2C. Comment es-tu rentré dans ce milieu ?

La Main Gauche : La première fois que j’ai entendu parler de rap, c’était avec un pote qui s’appelle Aztek. Un grand de son immeuble allait souvent à des soirées et lui rappait des morceaux. Et après mon pote me les re-rappait. Au départ, j’étais plutôt dans la danse. Et puis au lycée, j’ai découvert le milieu, le graffiti. On allait sur les terrains, à Ticaret avec Badypnose… C’était le pèlerinage, on allait voir les nouveautés, les sapes… J’ai grandi à Porte de Vitry. Un mec de mon quartier allait souvent à Londres et ramenait des sons. Il y avait peu de sorties, donc on écoutait tout. DJ Chabin était dans le coin, aux Olympiades. EJM n’était pas loin non plus. Des grands nous parlaient de Jhony Go, Destroy Man… Dans notre quartier, il y avait aussi Daddy Nuttea et toute la scène ragga. On trippait bien sur les émissions de Radio Nova. Ça nous plaisait car ça collait à notre quotidien et puis il y avait un petit côté artistique. Le délire s’installait peu à peu et, ajouté au graffiti et à la danse, ça donnait quelque chose qui nous semblait cohérent. J’ai dû commencer à écouter du rap en 90 et à en faire en 92 ou 93. On répétait sérieusement avec Efay qui a été après dans Légitime Processus. On allait tous les dimanches chez lui écouter les nouveautés, on sortait les textes qu’on avait travaillés la semaine…

A : Qui étaient les membres originels du groupe K2C ?

L : Au début, on avait un groupe de danse avec les mecs de mon quartier. Demba habitait plus vers le quartier chinois. Il était dans un autre groupe contre qui on faisait de petits battles de danse. Arrivé en seconde, je me suis retrouvé dans la classe de Demba et c’est là que K2C a été créé. Il y avait Badypnose, un ami d’enfance qui ne faisait que du graffiti, Demba et moi. Très vite, le cousin de Demba, Keukeur, nous a rejoints. Et puis Franck, un mec de notre quartier qui avait deux ans de plus – ce qui est énorme quand tu es jeune –, est parti au service militaire et, quand il est revenu, des mecs lui ont dit : « Il y a Jean-Charles et ses potes qui rappent maintenant… » Et lui faisait du piano. On ne sait pas comment ça lui est tombé dessus. [sourire] C’était un mec de cité qui avait arrêté l’école très tôt… Il voulait faire du jazz et du piano. Il est tombé sur Gang Starr et la bande originale de Mo’ Better Blues… Et quand il a appris qu’on s’était mis à rapper, il est venu nous voir : « Moi je fais des instruments, on va faire des sons à la Gang Starr ! » Bon, c’était la période jazz-rap mais, nous, on était à bloc, c’était vraiment très jazz.

Le premier enregistrement qu’on a fait, c’était pour la compilation Paris Groove Up. On était en plein trip acid-jazz à Paris. On faisait beaucoup de concerts parce qu’on avait la section acoustique et ça impressionnait les gens. Donc on s’est retrouvés sur cette compilation sans vraiment s’en rendre compte. On était arrivés avec notre morceau déjà travaillé. On était hip-hop, on appréciait les samples même si on les faisait rejouer. Les producteurs de la compilation nous ont dit : « Ah nan mais avec les samples, on va se prendre la tête… » Donc on a dû refaire une compo et retravailler le morceau au studio… En fait, ça nous a saoulé. [rires] On était tellement épris de liberté, ce n’était pas assez spontané. On avait vingt ans, alors les délires de maison de disques, Warner… On s’est dit qu’on allait se diriger vers l’autoprod’. Il y avait Dis Bonjour à la Dame, Mad in Paris et le premier morceau de Mellowman sur la compilation. [sourire] On a eu un article dans l’affiche avec une photo de Xavier de Nauw. C’était bien, on n’avait rien calculé. Mais après avoir écouté la compil’ et s’être retrouvés catalogués dans le délire acid-jazz, c’était moins trippant…

Quand on a fait notre autoprod’, on a eu un article dans Get Busy. Sear, égal à lui-même, y disait grosso-modo : « Ce n’est pas ma tasse de thé mais ce n’est pas du jazz-rap à la con, c’est du hardcore jazz. » Pour nous, les jazzmen, c’étaient des toxicomanes énervés. [sourire] Pas les modèles à la française, assis sur un siège… Nous, on kiffait le bebop. Franck était à fond mais je n’ai jamais compris comment ce mec de cité en Air Max Lacoste avait pu se mettre au piano. [rires] On voyait ce côté compétition et la même exigence technique dans le rap et le bebop. En concert, les gens étaient choqués. Comme il y avait des musiciens, ils pensaient voir arriver de petits minets alors qu’on ressemblait à n’importe quel groupe de rap de l’époque. Coco Bello alias Larsen a intégré le groupe après le premier maxi. Il était présent aux enregistrements. Et Mickey C était un proche, plus jeune. Il a fait plusieurs apparitions dans Hymne Mature, des compilations et quelques mixtapes comme les SOS Freestyle de Mazer & Dj Deck.

A : Vous aviez des influences particulières ?

L : Le fil conducteur de K2C a été de développer une identité et d’avoir cette démarche indépendante. On voulait se démarquer, ne pas vivre dans l’ombre d’un autre homme. Jamais je me suis dit : « Je vais rapper comme untel. » Si tu copies quelqu’un, tu seras toujours le second, le troisième… On ne voyait pas pourquoi on devait « se coucher » devant un être humain, qu’il soit cainri, africain, asiatique… En 1995, pour la compilation Departement E Posse, un concert avait été organisé avec des Américains : Evil Dee, Smooth B, 8-off, Jamalski, Supernatural, 12 O’Clock, le petit frère d’ODB… On n’était pas en extase. On appréciait la qualité artistique mais c’est tout. Ils avaient peur de venir en France. Les mecs pensaient débarquer à l’époque des châteaux-forts, se demandaient s’ils allaient trouver des gâteaux au chocolat et des hamburgers… [sourire]

A : A combien d’exemplaires a été pressé le maxi de 1994 ?

L : Mille exemplaires. Le structure s’appelait Clandestin Sound. On vendait même les disques de la main à la main, à Châtelet… On avait une petite réputation locale dans le treizième, donc on était un peu renfermés sur nous-mêmes.

Stekri [NDLR : Beatmaker et membre de Dezordr Records] : C’est un pays à part, le treizième !

L : Ceux qui sont vraiment dans le son savent qu’il y a toujours eu des choses. Même en graffiti, on a été une plaque tournante. Mais on n’a jamais vraiment eu un groupe de référence, hormis Departement E puis Mafia Trece où c’était un peu le bordel : il y avait des mecs d’Ivry, Bagneux… Djo avait voulu recréer un super collectif sur mesure, avec un casting et tout… Nous, on a toujours mis en avant les affinités artistiques et personnelles. Franck a quitté le groupe. Il était dans une période critique… On était dans des âges où l’on se construit nos identités, c’était compliqué. On passait toutes nos journées en groupe… Des personnalités s’affirment, certains s’éloignent mais il n’y a jamais eu d’embrouille. C’est pour ça qu’en 98, on a eu une nouvelle équipe de producteurs.

A : Vous côtoyiez la scène parisienne de l’époque ?

L : Oui, bien sûr, c’était un petit monde. On faisait souvent des scènes avec La Cliqua, Ménage à 3… DJ Jelahee est venu habiter dans le treizième donc on voyait souvent Rocca. East s’était installé dans le coin aussi. Au Trianon, il y avait eu une rencontre France/Allemagne, aux côtés de La Cliqua et d’autres, on avait représenté la France. On côtoyait aussi Nob de Rootsneg… Tout le monde se connaissait. C’est petit, Paris. On fréquentait l’Hôpital Éphémère à un moment pour répéter avec les musiciens. On a enregistré avec Clandestin Sound l’un des premiers maxis où un rappeur français, Soul El Pato, chante en espagnol. Il est d’origine péruvienne et pote avec Rocca… On croisait DJ Sek… Tout le monde s’encourageait à l’époque, il n’y avait pas encore d’histoires d’argent. C’était bon enfant. Tu allais à Châtelet, tu croisais Ekoué… C’était simple. Mais comme on avait notre treizième et nos potes, on ne ressentait pas le besoin de s’expatrier ou de se mélanger à une notre équipe. Après, il ne fallait pas t’afficher quand tu allais sur scène mais chacun connaissait un peu les ramifications. C’était aussi l’époque des bandes, toute le monde savait d’où tu venais… Tu n’avais pas besoin d’affirmer ta crédibilité. Il y avait du respect entre les groupes. A un moment, on devait faire un concert à Carpentier, dans le treizième, avec Ministère A.M.E.R. en tête d’affiche. C’était parti en vrille, il y avait eu une grosse embrouille entre les mecs de Gentilly et ceux du treizième donc les gars du Ministère n’ont pas fait leur concert. Nous, on a joué, on était contents d’occuper la grosse scène. [rires] On voulait faire des maquettes, on a été naturellement sonner chez Nuttea. On est tombés sur sa compagne qui nous a dit d’aller voir Tip Top, un organisateur de sound system. On a enregistré notre première maquette à High Fight, où il y avait Tonton David, Daddy Mory, Rud Lion et compagnie. Du coup, on était presque plus proches du milieu reggae. Nuttea nous a appris l’effort. [sourire] Dans le dancehall, ils se moquaient des rappeurs. Nous, on disait que jamais un Jamaïcain ne mettrait à l’amende un rappeur américain. [sourire] Mais en vrai, les Jamaïcains nous impressionnaient, notamment en termes de présence. On observait leur façon de faire. On travaillait beaucoup parce que quand tu faisais un freestyle sur scène, il fallait être là, tu ne pouvais pas te rater.

A : Vous veniez rapper et vous repartiez sans vous poser de questions ou bien vous touchiez déjà de petits cachets ?

L : Il y avait des cachets avec la section acoustique parce que c’était un autre circuit. On a arrêté de travailler avec les musiciens quand Franck a pris ses distances puisqu’on n’avait plus personne de légitime pour écrire les partitions et driver chacun. C’était trop galère, parce qu’il n’y a pas de règles dans la fusion donc chacun avait sa représentation de ce que pouvait être le rap acoustique. Il n’y avait pas de norme. Les musiciens d’aujourd’hui, ils ont connu le rap au berceau, ça n’a rien à voir. Donc il fallait gérer les influences de chacun et, après, il y avait les histoires de cachets parce qu’il faut bien que les musiciens se nourrissent. Il fallait ramener des plans payés. Mais on aimait se frotter à la scène rap en tant que rappeurs donc parfois on rappait sur des bandes. Là, il y avait moins de cachets. [rires] Les premières opportunités pour vraiment gagner de l’argent, c’était via les signatures en licence chez Night & Day. Puis les maisons de disques sont vite arrivées. Nous, on était déjà contents de faire des concerts et des radios.

« On a toujours été dans l’optique de faire vivre notre musique, pas d’en vivre. »

A : Vous n’avez jamais eu l’opportunité de signer en maison de disques ?

L : On a eu des opportunités mais on était trop radicaux dans notre démarche artistique. On a eu des échanges avec Night & Day qu’on n’a jamais concrétisés. On avait rencontré Patrick Colleony. Il était prêt à travailler avec nous parce que sa fille lui avait parlé de nous : « Ma fille m’a dit que c’était du bon ! » [rires] Ça n’avait rien à voir avec maintenant, c’étaient des passionnés. Sébastien Farran s’occupait de nos éditions suite à notre son chez Warner. Il était dans le reggae, on connaissait bien son petit frère. On avait eu un autre rendez-vous avec un mec de maison de disques. A l’époque, il cherchait des rappeurs espagnols, il était intéressé par Soul mais c’était trop long… Avant qu’on ne fasse Departement E, une copine de ma sœur était stagiaire chez un producteur de télé qui travaillait avec une meuf de BMG. La copine de ma sœur parle de nous et nous obtient un rendez-vous. Elle nous y accompagne avec trois copines, c’était chez le mec vers Châtelet… C’était une métisse mignonne un peu fofolle, qui dansait un peu… Le producteur était sympa, il était venu à quelques concerts… Il voulait se placer dans la musique. La fille de la maison de disques remarque direct les quatre meufs. Nous, on est à fond, on lui raconte notre truc. Elle commence à ne parler qu’à la métisse : « Alors, tu danses un peu ? Tu ne chantes pas avec tes copines ? » Elle a signé les meufs [rires] et nous a dit : « Nan mais attendez, j’ai des priorités, revenez dans six mois avec des maquettes. » C’était comme si elle nous avait dit de revenir dans trois ans, on n’avait pas le temps, nous [rires] ! Et en fait, ça a donné ADM, un boys band de meufs. On a eu quelques contacts mais on n’a jamais vraiment cherché à signer. Sans tomber dans la caricature anti-système, tu ne peux pas critiquer la vision que la société donne de l’être humain et ensuite aller toquer à la porte d’une multinationale et dire : « S’il vous plaît, je suis là. » On a toujours été dans l’optique de faire vivre notre musique, pas d’en vivre. On ne veut pas faire de concessions sur notre musique, c’est notre espace de liberté.

A : Qui a produit Hymne Mature, votre EP sorti en 1998 ?

L : Bo Diarra et Samir, qui avaient une petite structure appelée Mad Funk. Comme on avait une expérience avec les musiciens, on était à fond sur les arrangements. On a travaillé des nuits entières là-dessus avec eux. Un grand de leur quartier travaillait à AB Productions, donc on grattait des séances pour faire les prises et les prod’. Et l’autre partie, on l’a faite chez Tonton David. Il avait connu sa période un peu plus commerciale et une scission avait eu lieu avec les autres membres de High Fight et, nous, on était restés davantage proches de Standtall, Daddy Mory, Daddy Nuttea, Selekta K-Za… Mais comme Samir était ingé’ son pour Tonton David, on s’est de nouveau retrouvés dans son studio. Shone [NDLR : Audiomicid, Digithugz, 3DT] a assuré tous les scratchs. On a commencé à travailler avec lui comme DJ vers 1997. D’abord pour la scène, avec ou sans section acoustique. C’était la rencontre avec une autre équipe du treizième. Il venait du turntablism avec Mogz, Kodh, Feadz… Et du graffiti. On le considérait comme un instrument à part entière. Les musiciens étaient souvent impressionnés par sa technique et sa musicalité. En 2005, il a produit le titre « Je Rentre » sur le EP K2C03. Sur cet opus, il y a les premières prod’ de Dtracks pour K2C, et un son de Blacknotes. Le projet a été mixé par Pan@point au studio Soul Sodium. Nous avons plusieurs inédits produits par Shone et Soper que nous sortirons, j’espère, un jour…

K2C - « Je Rentre »

A : Il ne vous est jamais venu à l’idée de collaborer avec toute cette scène ragga ?

L : C’est eux qui n’ont pas eu l’idée ! [rires] A un moment, on devait collaborer avec Nuttea sur un de ses albums, on avait commencé à écrire mais ça ne s’est jamais fait. Mais ce n’était pas une finalité de toute façon.

S : C’était pas une époque où il y avait ce côté : « Je vais faire un feat parce que ça va me servir. » On ne regardait pas les gens qui marchaient bien en fonction de ce qu’ils pouvaient nous apporter. Tu essayais surtout d’avancer et de faire en sorte que tes sons soient bons.

L : C’était comme des bulles qui coexistaient. Chacun avait son délire. A partir du moment où l’autre validait ta démarche, c’était cool. C’est comme quand on enregistrait Soul, Rocca était là. Pourtant, on ne s’est jamais dit : « On va faire poser Rocca. » Tout le monde était déterminé aussi, les groupes avançaient en parallèle et ça leur suffisait de partager des scènes. Par exemple, une fois, à l’anniversaire d’une copine, on a fait un sound system chez elle avec Daddy Mory, K-za et Polino. C’était « tac, on y va », on n’a même pas parlé d’argent, c’était naturel.

S : Même pour les simples auditeurs, c’était encore un petit milieu. Tu avais deux boutiques, tout le monde se connaissait de vue. C’était en train de se construire, il n’y avait pas de : « Je vais me faire pote avec lui parce qu’il peut m’ouvrir des portes. » On ne réfléchissait pas à ce que pouvait représenter le gars en face.

L : On trippait sur les disques, les arrangements et tout, on s’en faisait une montagne mais la vraie vie, c’était la scène. Un disque, ça permet de fixer le travail, d’avoir l’empreinte d’une époque mais ce n’était pas vraiment le but. Aujourd’hui, j’imagine que certains commencent par le studio. Nous, ce qu’on voulait, c’était rapper ! Sortir notre dernier texte, se confronter à la scène.

S : C’était vachement informel. Aujourd’hui, les gars ont des stratégies avant même de commencer. Ils ne prendraient même pas le risque de se confronter en freestyle avec d’autres gars.

L : Il y a des gars qui n’ont jamais sorti de disques mais qui avaient une aura : « Il y a tel mec dans le vingtième qui démonte. » D’ailleurs, il y a un mec qui s’appelait Langue de Chat, dis-toi que je ne l’ai jamais entendu mais il avait une bête de réputation. East était très respecté aussi alors qu’il n’avait quasiment rien sorti. Une fois, j’ai rencontré une personne, sans doute un peu déçue du rap, qui m’a dit : « Les rappeurs n’ont jamais réussi à retranscrire sur disque l’énergie qu’ils peuvent donner sur scène et en freestyle. » C’est une vision que je peux comprendre.

S : C’est difficilement comparable. On a tous des disques qui nous ont marqués. Mais ce n’est pas la même logique que tu mets en place. Par exemple, j’ai vu que tu avais interviewé Dan de Ticaret et, moi, j’étais un gros fan de Moda. Mais, pour moi, ses meilleurs sons, c’étaient des trucs sur des tapes obscures ! « Moda & Dan s’ennuient », c’était déjà une autre histoire. Toute la culture des tapes, c’était chanmé. Le Sept, que j’ai rencontré des années après, la première fois que je l’ai entendu, c’était sur une tape de Cut Killer. Et il a sorti un disque simplement sept ans après. Les tapes, c’était une autre facette du rap. Ça ne veut pas dire que c’était mieux mais ça offrait une approche différente. Supernatural, c’est un tueur ce mec, un des meilleurs rappeurs de tous les temps mais il n’a jamais réussi à faire un bon disque. Par contre, tu le mets dans un battle ou un cypher, il te fume tout. Et tu en as d’autres qui n’ont jamais croisé un cypher et qui sortent de bons disques.

L : On a un freestyle avec Supernat’ !

S : C’est compliqué. Rares sont ceux qui performent dans les deux. Et puis il y a ceux qui se lassent très vite de ce qu’ils font lorsqu’ils fixent un morceau. Par exemple, JP Manova vient de sortir son disque. Je ne le connais pas personnellement mais, déjà à la fac, je le croisais et j’entendais parler de lui. Tu as vu le temps qu’il a mis à faire son premier album ? J’imagine que ça a dû être un parcours particulier.

A : Ça peut être une souffrance de mener à bien un projet…

L : Un disque, je pars du principe que c’est toujours une souffrance.

S : Si tu y mets tes tripes et ton cœur, c’est toujours difficile parce que tu as beaucoup de doutes. Si tu es sincère avec ce que tu fais, bien sûr. Même la veille de le mettre en ligne, tu te dis : « Putain, est-ce qu’on a vraiment mis tout ce qu’on voulait mettre ? » Après, tu finis par relativiser avec le temps. Ce qui est difficile dans la musique, en particulier à plusieurs, c’est qu’il faut trouver un bon climat, un bon équilibre. Entre nous, on est suffisamment critique pour ne pas se gonfler la tête pour rien et suffisamment aveugle pour y aller quand même. C’est le problème de tous les rappeurs : l’entourage. Parfois, il n’y a personne pour leur dire : « Mais gars, tu fais n’importe quoi ! » Parce que très vite, quand tu commences à avoir une notoriété, les gens te regardent différemment. Des fois, les gars ne changent pas mais leur entourage oui et ça change tout ! C’est compliqué le passage à la visibilité, il faut le gérer. Maintenir le climat d’honnêteté, ça dépend beaucoup des relations que tu as avec les gens qui font du son avec toi. L’amitié, ce n’est pas forcément être complaisant.

« Bah ouais, on n’est pas aigris, pourquoi on le serait ? Le rap nous a donné une jeunesse de feu ! »

A : Comment vous êtes-vous retrouvés sur le maxi de M.Group ?

L : A l’époque, on traînait beaucoup à la radio FPP, à l’émission Kool & Radikal. On connaissait le producteur de M.Group, Dafré, bien avant qu’il ne les produise. Il nous a invités naturellement. Tunisiano était la mascotte du groupe, il était tout jeune. Tout le monde se connaissait. Même Booba, aujourd’hui, les gens le voient comme Dieu le père [sourire] mais on le voyait de temps en temps, période La Cliqua. Si tu lui dis K2C, je pense qu’il connaît. Il a bougé, par la suite, avec des connaissances communes du quartier. Et puis il y avait Egosyst : lui, c’était une forte personnalité. Ace et Noï, la Section Camouflage, ce sont des gars de chez nous, des amis du quartier. Ace, je le croise presque tous les jours. Le son « La fin d’une espèce », présent sur Département E, c’est Ace qui travaillait les scratchs quand on répétait le morceau. Le petit frère d’Hifi dansait et s’est mis à rapper ensuite… De l’extérieur, c’est peut-être difficile à imaginer ou concevoir mais tout le monde se croisait.

S : Ill était dans ma fac mais il n’est pas resté longtemps. C’était un mouvement en gestation. Aujourd’hui, t’as vingt mille mecs qui rappent dans chaque quartier. A l’époque, tu avais deux ou trois groupes par quartier maximum, donc tout le monde était identifié.

L : Et puis il y a ceux qui se faisaient virer de leur bahut et se retrouvaient tous dans le collège pourri. [sourire] Jelahee était au lycée avec Aztek, un ami d’enfance qui fait du graffiti et a notamment clippé « Beaucoup de bruit pour rien ». Donc quand Jelahee est venu habiter dans le treizième, Aztek lui a présenté ses potes : Ace, Noï… L’histoire se faisait.

S : Après, on n’est pas du tout dans la nostalgie. Tirer le parallèle entre les années quatre-vingt-dix et d’aujourd’hui, c’est absurde. Quand un mouvement est en train de se faire, les styles sont plus affirmés. Chez les grands producteurs, même s’ils utilisaient les mêmes machines, tu pouvais reconnaître Pete Rock, Premier… Ils avaient leur style. Depuis, il y a tellement eu de choses de faites que l’histoire de cette musique en est à un autre point et les logiques ne sont plus les mêmes. Tu ne peux pas regarder les choses de la même manière. Nous, on continue à échanger sur les nouveautés. Les gens qui disent que c’était mieux avant, ils parlent de leur jeunesse et ils oublient que tout était à faire et que c’était donc plus facile de se démarquer. Toutes les pages étaient à rédiger. Aujourd’hui, c’est plus compliqué d’innover. Et le pire, ce sont les vieux rappeurs qui continuent à dire la même chose qu’il y a vingt ans. A la base, j’étais un fan d’Assassin et à partir du moment où le mec a commencé à se répéter dans ses textes, j’ai vu que c’était fini. Après, toute notre génération est un peu fâchée avec le rap français. C’est un art difficile, le rap. Il y a trois critères à remplir : le contenu de ce que t’écris, la forme que tu lui donnes – la technique, le flow – et l’interprétation. Et c’est très difficile de réunir les trois. Le problème, c’est que quand tu dis que t’es attaché au texte, on te place de suite dans les auditeurs de « rap conscient ». C’est des conneries tout ça. Vast Aire de Cannibal Ox dit qu’un rappeur « doit donner des visions. » Je suis assez d’accord. J’ai kiffé le Sameer Ahmad dernièrement. Pourtant, c’est de l’egotrip. On dit tout le temps que les rappeurs qui aiment le texte n’aiment pas l’egotrip mais c’est n’importe quoi. Moi, j’adore l’egotrip mais il faut que je puisse écouter le morceau vingt fois, le mettre dans mon walkman. Sentir que le mec s’est pris la gueule, qu’il y a des références cachées, c’est ce que j’aime dans l’egotrip.

L : Le groupe du quartier où j’ai grandi qui marche en ce moment, c’est MZ. Ça n’a rien à voir avec ce que je fais mais dans l’énergie, la volonté qu’ils affichent, je trouve ça bien. On n’est pas des ascètes. L’autre fois, un petit du quartier m’a demandé si j’étais fier d’eux. Bien sûr que je le suis ! Ils ressemblent à leur époque, ils aiment le son et cherchent à en faire quelque chose. On n’est pas des censeurs. On ne va pas dire à ceux qui font de la musique différente de la nôtre : « Vas-y, arrête… » Je ne pense pas que dans d’autres genres musicaux, les gens aient ce délire de vouloir juger ce qui est bon ou pas.

S : On ne vit pas la musique comme une frustration.

A : C’est vrai que pour certains rappeurs, on a parfois la sensation que l’aigreur s’est substituée à ce vieil espoir de vivre du rap…

L : Beaucoup ont tout arrêté pour le rap. Nous, vu notre milieu social, si j’avais dit à ma mère que j’arrêtais tout pour le rap, elle m’aurait regardé comme un hurluberlu. [sourire] On a fait des études, on a travaillé. On est contents d’avoir fait le rap parce qu’on a eu une jeunesse de folie. Coco Bello et Keukeur ont arrêté le rap mais il n’y a ni regrets ni haine en eux. Alors que, souvent, quand tu vois des anciens, ils font tous la gueule. Beaucoup ont vécu avec ce vieux rêve de vivre du rap. Maintenant, ils se retrouvent en chien et ils reprochent ça à la musique. C’est pas la musique, c’est toi en tant que bonhomme qui, à un moment, as fait des choix et il faut les assumer. Ce sont les mêmes qui nous disent aujourd’hui : « Ah ça va, vous, vous êtes bien… » Bah ouais, on n’est pas aigris, pourquoi on le serait ? Le rap nous a donné une jeunesse de feu ! On a vécu plein d’expériences, connu trop de monde. Au quartier, les gens étaient plutôt sympathiques [rires] avec nous parce qu’à l’époque, il y avait encore ce délire « tu représentes ! » Ça nous a largement suffi et ça nous a donné de la force. Il y avait un peu ce délire « racaille intelligente », il fallait faire des études… C’était ça le hip-hop, il fallait devenir intelligent, faire un travail de recherche quand tu étais dans le son… J’allais à la fac à Créteil, on voyait les mecs de La Brigade… On était vigilant par rapport à ce qui était enseigné mais c’était important d’étudier. On était en plein dans le débat sur l’histoire officielle… On n’était pas dupes mais il y avait ce désir d’apprendre, dans les institutions ou non.

S : Cette culture nous a fait grandir. On a tendance à oublier que rapper, c’est aussi écrire, c’est un cerveau qui tourne. Le rap a été un levier de ouf. J’ai vu un tas de mecs prendre un stylo alors que, pour eux, l’école c’était de la daube. Tu peux dire des trucs très street et le faire super bien. Il y a un vrai imaginaire autour de ça. Ce qui est dommage, c’est l’appauvrissement d’un certain discours mais ce n’est pas propre au rap. On a tendance à séparer la musique du reste. La musique, elle est de son époque.

L : Quand tu as une exigence dans l’écriture, les mecs te disent souvent que t’es dark. On en sourit tout le temps. On ne veut pas faire peur, on essaie d’être lucides. Par rapport à la vie de tous les jours, c’est tendre. [sourire]

S : C’est une part de nous-même. Je crois que Lénine disait : « La réalité est toujours plus radicale que toi. » [sourire]

A : Comment est née la structure Dezordr Records ? Et qui en fait partie ?

S : Tout le monde et personne !

L : Après l’EP de 98, on a eu une petite période où on se cherchait un peu. Keukeur arrête de rapper mais on continue à se voir vu que c’est le cousin de Demba. D’ailleurs, Keukeur, c’est le grand-frère de Patrice Mercier d’Action Discrète. On rigole quand on le voit rapper dans ses sketchs parce qu’on sait qu’il connaît bien le rap. C’est lui qui rappe devant Balkany ! [rires] Bref, on se cherche un peu mais on fait toujours de petites scènes, on traîne avec Shone, on se motive… Shone nous oriente vers Pan@point, un beatmaker et ingé’ son qui avait monté la structure Kamasoundtracks et un studio avec d’autres musiciens à La Fourche, dans le XVIIIe. Il travaillait à cette période sur le projet Soul’Sodium. Nous, on avait commencé les prises de voix de l’EP K2C03 chez Tip Top, à Evry. Et on a décidé de le finaliser avec Pan@point. Un peu avant, on avait rencontré Dtracks [NDLR : Cyril Zannettacci, auteur des photos de l’interview] qui était dans le graffiti et qu’on voyait au début pour nos visuels et un site internet. On vient du même arrondissement et on a des connaissances communes. Un jour, il me dit : « Mais je fais aussi des prod’, tu veux écouter ? » Et on lui prend quelques morceaux. Tout ce beau monde se côtoie le soir au studio : Dtracks, Shone, Iris, Le Sept, Grems et toute l’équipe de Soul’Sodium. Et après les séances, on discute souvent de tout ce qui a trait à la façon de sortir un disque, de le promouvoir… Parce que la plupart du temps, dans les collectifs, il n’y en a qu’un ou deux qui se coltinent les parties relou, la paperasse… Là, ils trouvaient enfin des interlocuteurs à qui parler de ces choses relou. [sourire] C’est ce noyau-là qui a fait naître Dezordr : Pan@point, Dtracks, Weedafresh… Shiyugosha devait sortir son projet et était en connexion avec Dtracks qui lui avait toujours voulu monter une structure. Moi, j’avais K2C/Clandestin Sound et les autres Kamasoundtracks… Donc c’est plus Dtracks, Shiyugosha et Weedafresh, qui les accompagnait et les conseillait, qui sont vraiment à la genèse de Dezordr Recordz. Ensuite, ils ont rencontré mr.teddybear, ancien de Psykick Lyrikah, qui connaissait Weedafresh… Et tout ce petit monde s’est rassemblé.

S : Ils avaient décidé de faire des compil’. Moi, je traînais beaucoup à FPP avec mon pote Thomas qui avait une émission appelée Frontline. Du coup, je les ai invités parce que je trouvais leur démarche mortelle : monter un label ayant pour vocation d’ouvrir les portes à tout le monde plutôt que de faire des trucs dans leur coin et attendre que la providence vienne les chercher. C’était une belle énergie, elle me correspondait.

L : C’est un peu un pôle ressources, Dezordr. Tout le monde a des compétences différentes et à chaque fois que quelqu’un vient avec un projet, chacun met ses compétences au service du projet.

S : Le collectif ne devait jamais être une contrainte, c’était le principe de base. On fait des trucs ensemble parce qu’on a envie de faire de les faire ensemble. On a un noyau de quelques personnes mais on peut parfois accueillir des projets de personnes venant de l’extérieur. C’est ce qu’on a fait avec L’Oniraunote, un beatmaker venu avec un beau projet clé en main qu’on a diffusé. On ne s’est jamais pris non plus pour des directeurs artistiques mais on se rend compte qu’on est assez d’accord sur les artistes qu’on ramène sur les compilations Dezordr Session. On prépare la neuvième là. On a un putain de réseau informel de gens qui suivent le délire : des Moldaves, des Ukrainiens… On a également sorti un beau disque d’Audioclockers dont fait partie Dtracks, avec beaucoup de connexions indé’ américaines. Sans oublier Huis Clos de mr.teddybear et Équilibre de Shiyugosha, un album un peu hybride, entre post-rock et hip-hop. Ensuite, on a produit Versus, un vinyle quatre titres qui est un croisement entre nous tous. Moi, j’ai un projet beaucoup plus expérimental, Terres Noires, le premier d’une série de trois. Et on a bien sûr pas mal d’autres choses en prévision. Tout est disponible sur notre site.

A : Tu viens de sortir Derrière les Palissades, ton premier EP. Pourquoi cette escapade solitaire si tardive ?

L : Depuis longtemps, on m’encourage à sortir un projet solo. J’ai fait de la résistance. Moi, j’ai toujours eu cet esprit de clan, peut-être parce que je viens d’une famille nombreuse. Mais en vrai, c’est un projet collectif. Stekri a eu rôle de réalisateur et j’échange beaucoup avec les beatmakers. C’est marrant parce que même vingt après, on se rend compte qu’on a toujours plus ou moins eu des liens indirects avec les gens qu’on a rencontrés plus récemment. DJ Moktarr nous a présenté Clément, qui a produit les deux remixes. En parlant avec Clément, j’ai appris qu’il était à l’époque le DJ de Gentleman, le premier groupe d’Eben des 2 Neg’. Et on s’aperçoit qu’on fréquentait les mêmes soirées, via les défis de danse…

S : Dans la construction, il y a une certaine collectivité dans le projet. Quand on fait les prises, on est toujours trois. On a de grosses discussions entre nous.

L : Et puis avant, les beatmakers cultivaient leur indépendance, ils étaient toujours derrière leurs platines, tout timides. Maintenant, ils veulent leur part du gâteau [rires]. Il m’a fallu avoir la maturité et la volonté de m’exprimer seul, trouver une thématique qui se tienne. J’ai souffert à l’écriture. Les gens ont beau dire que j’écris bien, être seul, c’est pas pareil. Quand on est trois ou quatre sur un morceau, c’est du concentré, de la rigolade. Construire une logique et une thématique sur un morceau, c’est pas évident. D’ailleurs, le plus intimidant, ça a été de faire écouter les morceaux aux autres membres de K2C. J’avais la pression. [sourire]

« Quand tu voulais aller voir un graffiti, la perle, le Graal, il fallait passer la barricade, escalader la palissade. »

A : Dans quelles conditions écris-tu ?

L : Je note tout le temps des phrases, où que je sois. Heureusement qu’il y a les smartphones maintenant. Avant, je notais des phrases sur des bouts de papier et je les recopiais ensuite dans un cahier, c’était la galère. [sourire] Mais je suis capable de tout, je peux écrire d’une traite sans musique et retravailler le texte par rapport à l’instru’ ensuite. Mais la base pour charbonner, c’étaient les petites feuilles pour faire des assemblages. Après, une fois que tu as la première phrase, c’est bon, ça coule. De temps en temps, sur scène, je me retourne vers eux et je leur demande : « C’est quoi ma première phrase déjà ? » Quand tu as un blanc sur scène, c’est flippant. Donc on rend les textes malléables parfois. C’est de la gymnastique.

S : Quand on a des concerts et qu’on galère parfois à caler les répétitions, j’appelle La Main Gauche et il me dit : « T’inquiète, je fais des pompes ! » Ça veut dire qu’il s’entraîne sur le métronome. [sourire]

L : Comme on était souvent avec des musiciens, ça peut sembler étrange mais on faisait beaucoup de métronome. Ça t’oblige à être précis au niveau du flow. C’est un sport, il faut s’entretenir pour tenir la scène. Demba, il a avalé un métronome à la naissance. [sourire]

S : Après, c’est bien d’être dans les temps mais c’est l’interprétation qui fait la différence. Si c’est super technique mais un peu froid, c’est pas forcément intéressant. La musique, c’est aussi de l’émotion. Il faut savoir laisser un truc qui déborde.

A : Ill disait grosso-modo : « Plus tu fais de prises, moins c’est toi. »

L : Ouais voilà, c’est l’énergie jazz, ça. Il vaut mieux avoir un petit défaut et la bonne énergie que le truc parfait sans substance. Certains considèrent la première prise comme un échauffement, d’autres donnent le meilleur sur celle-ci. Généralement, ma première prise est rarement bonne mais il ne m’en faut que trois ou quatre.

S : Le critère déterminant entre deux prises se valant techniquement, ça va être l’interprétation.

L : Chaque jour est différent, la cabine, c’est le moment de vérité. Ça peut être un moment agréable ou pas selon l’état d’esprit dans lequel tu es à ce moment. La scène, c’est encore une autre énergie. Là, tu n’as qu’une seule prise…

A : Comment définirais-tu la thématique de Derrière les Palissades ?

L : C’est vraiment sur l’identité. Ce que tu donnes à voir, ce que tu es vraiment, ce que tu crois que tu donnes à voir et ce que les gens perçoivent. Je joue beaucoup là-dessus et ça peut se transposer sur le monde qui nous entoure. Comment on le perçoit et ce qu’il se passe en vérité. Après, il y a un parallèle avec le graffiti. A l’époque, quand tu voulais aller voir un graffiti, la perle, le Graal, il fallait passer la barricade, escalader la palissade.

S : Coller sa tête sur la fenêtre dans le métro !

L : C’est une façon de rendre hommage aux nombreux graffeurs qu’il y a eu dans mon entourage.

A : Vous avez un morceau favori sur l’EP ?

L : Entre ceux que je préférais avant et ceux que je préfère maintenant… [sourire] « Cocaphonie », j’aime bien. « Derrière les Palissades », même si c’est la thématique principale et que j’aime bien le texte, c’est au moment de la sortie que je lui ai trouvé à la fois sa cohérence et sa place particulière au sein de l’EP. « Beaucoup de bruit pour rien », j’étais fan mais ça a été un débat. Dtracks voulait la jeter. Il l’a faite une nuit et sa copine lui dit : « Nan, elle est bien celle-là ! » Laurence Vandelli, la chanteuse qui est sur le morceau, est une tueuse.

S : Le problème parfois, c’est que les beatmakers aiment bien reprendre la main sur les arrangements. « Cocaphonie », ça a été pris sur un autre instru’, avec quasiment la même programmation de batterie.  Dtracks aime bien refaire tout, il a repris totalement le beat. Mais j’ai adoré la manière dont il l’a repris. Le texte est très bon, la référence à la cocaïne… Il prend un peu le contre-pied de l’image parfois renvoyée, sème le trouble par rapport à la vision qu’on peut avoir de l’EP.

L : Kilo de Cess, c’est K2C en fait. Au tout début, le groupe s’appelait K2Conscience mais c’était un fardeau de porter ce nom. Après, on disait K2C et quand les gens nous demandaient, on disait : « Un Kiwi 2 Citrons. » [rires] On va sortir un remix de ce morceau d’ailleurs.

S : « Mes Erreurs » est le son que je préfère. J’aime bien quand JC [NDLR : La Main Gauche] est plus mordant, qu’il change de registre. Dtracks n’aimait plus l’instru’ mais c’est classique, ça. [rires] Cet instru’ est davantage contemporain. JC est plus agressif et, en même temps, le texte est plein de subtilités. J’ai milité pour que ce son reste tel qu’il est.

L : Le son est contemporain et le texte est porté sur la société, les rapports à la police, un peu dans la veine de ce que pouvait faire NTM ou Assassin à l’époque. C’est un texte de rap quoi. Mais si tu te contentes d’écouter la façon de rapper et l’instru’, tu pourrais te dire que c’est un peu hype, ambiance…

S : Et puis il y a des références typiques de ce qu’on kiffe dans le rap ricain, quand il parle des origines martiennes par exemple… Sur la question de l’identité, les mecs cherchent et inventent du coup de nouveaux concepts autour de ce thème. Ça nous parle.

L : Parce que toi, t’es un relou. C’est un littéraire, il casse la tête… [rires] Dans « LGB », il y a une connotation jamaïcaine. Mais je ne sais pas si les gens le perçoivent. C’est ça la création, on a nos références, on se crée un univers et l’auditeur le reçoit comme il veut.

S : Ça revient un peu en ce moment les références au dancehall, sur le dernier Kendrick notamment. Je me suis dit : « Putain, c’est du Bootcamp ! » Ce sont des cycles. On mélange, c’est une grande expérience. Si tu perds le côté expérimental et que trouves une recette, ça devient chiant. Quand tu es dans une logique, c’est compliqué de la casser. Mais si on ne prend plus de risques, on s’emmerde. Et puis ce n’est pas très satisfaisant pour l’esprit. C’est un jeu, il y a un côté ludique.

A : On vous sent aussi passionnés qu’au premier jour…

L : Nous, on a fait des choix dont on est super satisfaits mais pleins sont restés sur le carreau. On en voit certains arrêter puis reprendre la musique tous les dix du mois. Normalement, si tu kiffes le son, tu en fais tout le temps. C’est la passion. Tu ne fais pas du son pour sortir un album.

S : Après, le grand kif, c’est que ton son pète au moment où il sort dans les enceintes. Et puis on a envie de le partager. Si tu nous proposes l’Olympia, on vient. On n’a pas de limites mais à la base, c’est de faire de la bonne musique qui nous intéresse. Investir beaucoup d’argent dans le son pour que ça marche, je n’y crois plus trop aujourd’hui. Certains le font et se plaignent de ne pas s’y retrouver. Qu’ils mettent tant d’oseille, ça les regarde, mais personne ne les force. J’ai du mal à comprendre pourquoi ils viennent pleurer derrière quand ça ne fonctionne pas. C’est la prise de risque qui est plutôt importante au départ.

L : Le problème, c’est que les mecs se mettent les exigences d’une maison de disques alors qu’ils sont en indé’. Tu ne peux pas être en indé’ et vouloir appliquer les mêmes processus, copier les schémas des maisons de disques…

S : C’est comme si tu avais un artisan qui voulait te refaire un meuble Ikea…

L : [rires] Il est bon, t’as vu !

S : Je vais sortir mon album rap, ça va tout péter ! [sourire] Parfois, il y a vraiment une confusion. On parlait d’identité tout à l’heure ; ils ne savent pas trop où ils sont, il me semble. Ça leur donne sans doute une manière d’exister de se croire dans ce circuit.

L : Certains ne savent peut-être pas ce qu’ils veulent de leur vie. Nebay, un pote assez coté dans le graffiti, m’a dit un jour : « Être un grand artiste, c’est bien. Mais être un homme bien, c’est mieux, non ? »

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