Chronique

DJ Krush
The DJ Krush EP

Shadow Records - 1995

« La faiblesse de la force est de ne croire qu’à la force ».
Proverbe japonais de l’ère Jômon ? Non, Paul Valery…

S’il est une phrase qui pourrait résumer l’approche de la musique de Krush, c’est bien celle-là. Hideaki Ishi, producteur et DJ impassible, semble en effet être le seul -tout du moins le premier- à avoir su extraire le meilleur de la force du rap et de sa rythmique pour lui insuffler par le jazz la fragilité lui faisant défaut, afin qu’il puisse être magnifié… Révélé pour beaucoup grâce à son single ‘A whim’ sur Mo’ Wax, Krush s’est rapidement offert un détour sur Shadow records pour y lâcher sa première véritable galette : « The DJ Krush EP », en 1995. Annonçant la sortie d’un premier album éponyme déjà très attendu, ce quatre titres est un condensé de vingt minutes de son massif, intégrant tous les ingrédients de la recette du plus célèbre des DJs nippons : une alchimie antinomique de beats écrasants et de samples de jazz légers.

La face A met ainsi en avant une boucle de piano légère sur ‘Roll & tumble’, tandis que ‘On the dub-ble’ est construit autour du thème d’une trompette. On mesure aujourd’hui l’attachement indéfectible que Krush porte pour cet instrument. En tant qu’adorateur de Miles Davis il ne manque par exemple jamais de reprendre ‘So what’ dans chacun de ses sets -il a par ailleurs travaillé avec Ronnie Jordan, guitariste sur ce même titre. En plus de cela, et de manière plus concrète, il a aussi collaboré avec le virtuose Toshinori Kondo sur « Ki-Oku » (également sorti sur Shadow records). Rien d’étonnant alors que le résultat de ce ‘On the dub-ble’ soit détonnant. Tout en décalages et subtilités.

La face B est quant à elle beaucoup plus sobre, ‘Into the water’ reposant pour l’essentiel sur une contrebasse. Le titre est joué façon ‘impro’ et quelques scratches viennent garnir l’ensemble et rappeler qu’il s’agit bel et bien d’un DJ et non d’un band… C’est d’ailleurs ce qui fait le talent et la particularité de Krush : sampler des séquences et des mélodies de plusieurs mesures, les associer entre elles, pour que cela donne une véritable nouveau morceau et pas seulement une simple boucle et un break arrivant au bout de seize mesures. ‘Ruff neck jam’, à l’instar de ‘On the dub-ble’, reprend lui aussi le thème d’une trompette. Il est parfaitement dans la veine de ce qui se faisait alors beaucoup au milieu des années 1990, et que l’on appelait Acid jazz… sans que cela ne renvoie véritablement à quelque chose de bien défini. Mais le groove dégagé par le morceau, lui, est bel et bien réel et vient clore ce maxi avec la même énergie qui l’avait ouvert.

Shadow records (label sur lequel Krush sortira quatre disques et le « Big City Lover Remixes ») propose avec cet EP une synthèse parfaite de la puissance légère et parfaitement canalisée qui s’émane des platines de Krush. Les deux faces posent les bases d’une nouvelle forme de Hiphop instrumental, à la fois hypnotique et profondément sensoriel, dont le japonais deviendra le fer de lance des années durant. Inspirant par la même de nombreux DJs. Par leur touché, ses sonorités marqueront les auditeurs par leur capacité à pénétrer les âmes aussi bien avec des beats lourds qu’avec des samples de jazz discrets. Démontrant ainsi, si besoin était, que si la force prend conscience et sait jouer de sa faiblesse, l’énergie se dégageant de ce subtil équilibre devient intemporelle…

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*