Chronique

Dany Dan
Poétiquement correct

Disques durs - 2006

A la vision du dernier film de Martin Scorsese Shine a light, dans lequel le réalisateur de Mean Streets braque la caméra pendant deux heures sur les Rolling Stones, une chose vient immédiatement à l’esprit. En plus d’être unique, ce groupe semble refléter une unité « imbrisable ». C’est clair, pas de Mike Jagger sans Charlie Watts, pas de Keith Richards sans Brian Jones, pas de Charlie Watts sans Keith Richards. Près de 50 ans après sa création, le groupe semble toujours aussi soudé. Tous les membres sont talentueux mais aucun ne s’est jamais imaginé faire de véritable carrière solo. Il s’agit des Rolling Stones, il s’agit de rock’n roll.

Dans le rap, c’est quelque peu différent. Afficher 10 ans de longévité fait figure de record. Ce n’est pas la récente reformation de la Cliqua ou celle, largement médiatisée, de NTM qui nous feront dire le contraire. Très rapidement, les rappeurs émettent l’envie de s’écarter du groupe originel, de développer leurs propres univers. On pourrait tenter de donner des raisons à ce phénomène sans jamais vraiment trouver de réponse. A en croire les propos de certains rappeurs eux-mêmes, l’argent monterait rapidement à la tête de ces jeunes artistes propulsés très vite dans un milieu qu’ils ne connaissaient absolument pas. D’autres diront que le rap est un art fondé d’abord sur l’écriture rendant l’exercice encore plus intime.

Dans le cas de Daniel Lakoué, il ne semble pas qu’une de ces raisons soit satisfaisante. Dany Dan n’a jamais été un leader cherchant à tout prix à tirer son épingle du jeu. Dany est issu d’un groupe à trois têtes : Dany, donc, le dandy, Zoxea le psychopathe et Mélopheelo alias Calimélo. Trois individualités qui ont contribué à la légende d’un des plus grands groupes du rap français. Auteurs de deux disques majeurs (Qu’est ce qui fait marcher les sages ? et Jusqu’à l’amour), ils ont fini par continuer leurs chemins individuellement sans jamais véritablement se séparer. Dany, lui, est un cas à part. Malgré l’omniprésence au micro de Zox, la plupart des auditeurs ont développé une préférence pour le « tympan perceur ». Bagout, style, métaphores, punchlines à la pelle et flow de haute voltige, Dany Dan s’est rapidement imposé comme l’un des Mc’s les plus doués de sa génération. Et pourtant, on a l’impression qu’il ne l’a jamais voulu. S’il a développé des textes souvent portés sur l’egotrip, ce serait davantage pour jouer le jeu de la compétition que pour satisfaire un orgueil débordant. Anecdote simple mais révélatrice : le couplet de Dany Dan sur le morceau ‘Champion’ présent sur Jusqu’à l’amour passe carrément à la trappe. Rien de grave mais un petit quelque chose nous laisse penser que Zoxea, par exemple, aurait cherché à mettre le moindre de ses couplets en valeur. Pas Dany Dan qui dans le Dvd inclus avec Poétiquement correct précise bien que « tout seul, il n’aurait pas réalisé tout ça ».

Alors que Zoxea a sorti son premier album solo en 1999, Dany Dan aura attendu 2006. Entre les vraies-fausses annonces (des beats de Get Large et Drixxxé, un feat de Kery James, un morceau des Sages Po au complet), les mixtapes sorties entre temps (la Spéciale Dany Dan volume 2 mixée par Jay Carré prouve d’ailleurs que le son des Sages Poètes de la Rue est indémodable) et la création de son label, Disques Durs, il s’en est passé des choses. Le rap a changé et les beats jazzy ne constituent plus la norme. Fini les « rondes autour du monde ». Le discours a changé et un trentenaire peut-il encore toucher le public rap? Poétiquement correct était-il destiné à connaître le même sort que La Pièce Maîtresse de Busta Flex, c’est à dire un disque sincère mais décalé par rapport à son époque?

Pas vraiment. Tout d’abord, parce que, loin de chercher à faire revivre un quelconque âge d’or perdu, Poétiquement correct est tout à fait dans l’air du temps. A l’ère des street-cds et autres mixtapes, les albums deviennent de plus en plus des projets stéréotypés dans lesquels les rappeurs se forcent à écrire sur certains thèmes. Si les street-cds peuvent garder un peu de spontanéité, les albums ressemblent souvent à des passages obligés pour les MC’s. La tendance est au dirty south ? On prend 2 ou 3 beats dans cette veine et on pose 3 couplets. Bien sûr on n’oublie pas les morceaux pour les filles et ceux où l’on explique que l’on est le meilleur rappeur qui existe. Mixez le tout et vous avez à peu près la ligne directrice de Poétiquement correct.

Seulement, et on ne le répètera jamais assez, Dany Dan n’est pas n’importe quel rappeur. Un peu comme De Palma a le don pour transformer une scène a priori anodine en grand moment de cinéma, Dany Dan fait frissonner l’auditeur avec des phrases simples. Ainsi, lorsqu’il parle de ‘La Ville’, il retrouve sa plume d’antan, celle qui décrivait la vie d’un « premier métro preneur » avec tant de brio. Au détour de deux morceaux, il se permet même d’apporter son grain de sel dans la compétition intra-muros de Boulogne. Peu importe que la prod du ‘Pape de Boulogne’ soit manquée (on se gardera d’ailleurs de remercier l’apport de Dj First Mike à l’album qui avec ‘Bagout’ et ‘Le Pape de Boulogne’ signe deux des plus mauvaises prods de l’album), Dany y réinvente son style et en profite pour larguer une des plus grosses punchlines de ces dernières années (« T’as rien à faire sur terre gars, à part te pavaner, ta mère aurait dû mettre une capote ou t’avaler« ).

En forme, le Mc du 92 cherche aussi à se démarquer en construisant le disque de manière originale. Avec ‘On vient de loin’ et ‘Bienvenue à Babylone’, Dany, avec l’aide des Nubians et d’Al Peco, relate l’histoire d’un Africain qui migre en France pour fuir un conflit sévissant dans son pays. De la même manière, il développe son écriture cinématographique sur la trilogie ‘Le Parc’, ‘La femme d’un autre’ et ‘La fuite’. Ces morceaux, avec ‘Ne me pousse pas’ et ‘Jamais dire jamais’, figurent d’ailleurs parmi les plus grandes réussites du disque. Pas de doute, PopDan est en forme et ce n’est pas sa prestation individuelle le long du disque qui nous laisse sur notre faim.

Le problème est ailleurs. Le vrai problème c’est que, quand on lit des interviews de Madizm, 20syl ou Drixxxé, Dany Dan est toujours en tête de la liste des rappeurs avec qui ils aimeraient travailler. Ce qui tombe bien compte tenu que tout le monde adorerait voir Dany rapper sur les instrus de ces beatmakers. Tout le monde sauf Dany? En tout cas, ce dernier a préféré s’entourer de producteurs peu connus, laissant ainsi la majorité des productions à Melodius et Dave Davery. Au final, l’ensemble est sur ce plan très inégal. Si ‘J’suis qu’un homme’ ou ‘On a’ de Cannibal Smith sont réussies, le beat de ‘La voix claire’ paraît avoir été réalisé en 38 secondes.

Finalement, il ne faut pas oublier que Poétiquement correct n’est que le premier album sorti par le label Disques Durs qui ne s’était cantonné jusque là qu’à sortir des mixtapes. Cela explique sûrement un mixage parfois approximatif et un disque trop brouillon. Mais, malgré certaines imperfections, le disque s’écoute avec plaisir. S’il est différent des premières œuvres des Sages Poètes, il provoque pourtant le même ravissement à chaque écoute. C’est clair, Dany Dan n’est pas un leader et n’avait pas forcément vocation à officier en solo. Et il n’est sûrement pas le meilleur directeur artistique qui soit. Mais Daniel Lakoué rappe comme un Dieu. Et c’est le plus important.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*