Chronique

Smoothe Da Hustler
Once Upon a Time in America

Profile Records - 1996

Connu principalement en France pour son titre ‘Broken language’, Smoothe da Hustler n’a pu conquérir les oreilles du plus grand nombre malgré un titre assez largement diffusé fin 1996. Egalement présent sur le deuxième épisode de Hip-Hop Soul Party de Cut Killer (amputé au passage d’un couplet) mais aussi avec ‘Dedication’ sur What’s tha flavour de DJ Poska, le rappeur de Brownsville (Brooklyn) en est quasiment resté à ce seul fait d’arme dans l’hexagone. Bien que l’album, sorti en avril 1996, reçut un accueil plus qu’honnête aux USA et des échos généreux dans la presse française (L’Affiche l’avait qualifié de ‘diamant à l’état brut’), celui-ci ne sembla pas marquer les esprits en dépit d’une qualité indéniable.

Mais Smoothe da Hustler ne semble pas être un rappeur comme les autres, même aux Etats-Unis. C’est à sa sortie de prison qu’il a commencé à mettre les rimes qu’il y avait écrites en musique, sur des compositions de Dr Period, qui réalise ici l’intégralité des productions de l’album, excepté pour ‘Glocks On Cock’, produit par Kenny Gee. Et, comme un symbole, le premier titre a avoir été enregistré fut ‘Hustlin’. A partir de là, comment ne pas donner une tournure narrative à un premier opus au nom déjà si évocateur : « Il était une fois l’Amérique », description et destruction d’un mythe en quelques 15 titres bien ficelés et durs à assumer. Tout cela ajouté aux prods d’un Dr Period, qui collaborait à l’époque avec M.O.P., ne peut laisser entrevoir qu’un album sombre, brut et lourd à digérer.

Ainsi l’histoire décrite dans Once upon a time in America est la sienne. C’est celle de la galère, d’un mec qui n’a d’autres choix que de dealer et de businesser avec son frère pour faire vivre sa famille : « When Moms was having financial woes, me and Trigger hit the block to make that money« , mais qui sait également faire la part des choses et reconnaître : « Behind that we got greedy and we kept hustlin’ even when we didn’t have to, so we had to get up off that. » C’est ainsi que cette dualité est palpable, tout au long de l’album, tout au long de 15 titres qu’il ne nous appartient pas de juger tant les causes et les raisons peuvent nous sembler éloignées.

Malgré tout, le discours de Smoothe se veut également large et mobilisateur. Son existence dans le ghetto ressemble selon lui à des centaines d’autres et ne saurait se limiter à Brooklyn, ni même à New-York. C’est l’histoire oubliée de la vie d’un hustler ‘lambda’ vivant aux Etats-Unis. Et c’est en ce sens que le track ‘Neva Die Alone’ est un hommage à tous ces homies qui traînaient à ces côtés et qui sont décédés : chanson lancinante bercée par une voix féminine qui vient rompre avec la tonalité et l’atmosphère générale dégagée jusque là par l’album. Le titre ‘Only Human’ raconte quand à lui comment Smoothe a dérapé et comment au fil du temps il est devenu cet hustler. Le côté très humain de ce disque est par ailleurs renforcé par la présence de son frère, Trigger Tha Gambler, sur quatre titres, dont ‘My Brother My Ace’, véritable exercice de style où les deux frangins jouent à un ping-pong verbal en se renvoyant des rimes à tour de rôle.

Outre des lyrics qui ne peuvent laisser indifférents, même si l’on ne connaît que de très loin ce style de vie, les productions sont d’une richesse et d’une violence sans égales et donnent à elles-seules un immense intérêt à l’ensemble de l’album. Ainsi la présence d’un Dr Period apparaissait comme une évidence pour faire ressortir le côté enragé et agressif du MC. Preuve en est le monument de brutalité ‘Murdafest’ avec Trigger Tha Gambler et D.V. (aka Christ), qui est sans nul doute le track le plus hardcore de l’album, ou encore un très inspiré Kenny Gee sur l’instru sourd et pesant de ‘Glocks On Cock’.

Mais, au-delà de discours bruts et d’histoires qui paraissent à un auditeur tel que moi « irréelles« , c’est ici la vie d’un mec ayant dealé, pris des balles, été en prison, ne se repentant pas et assumant ces actes qui est présenté dans ce Once upon a time in America. C’est tout cela qui nous est donné d’entendre (et d’imaginer) : le genre d’histoire que le rêve américain omet malencontreusement de mentionner lorsqu’il répand sa réussite et sa grandeur à la face du monde. Et ce n’est sans doute pas un hasard si Smoothe pose devant le capitol… en contrechant d’un « parental advisory explicit lyrics » décerné par les députés qui le remplissent. Il convient cependant de décerner autre chose qu’un macaron censeur à un MC qui a su ôté le ‘c’ de crime pour n’en garder que la rime, et ce dans le but de faire comprendre qu’avoir une histoire de galérien comme la sienne n’est pas un choix… et force est de constater que ce n’est pas non plus une fatalité, lorsque l’on observe le talent présent tout au long de cet album.

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