Chronique

Veerus
APEX

2012

La musique semble fatalement obéir à des cycles. Depuis l’avènement des Mac Miller et consort outre-Atlantique et de 1995/L’Entourage dans nos contrées, l’illustre boom-bap a été remis au goût du jour, lui qui pendant la dernière décennie était plutôt l’apanage d’une poignée d’irréductibles en France. Cette nouvelle tendance, qui, on l’aura compris, n’a rien de foncièrement nouveau, fait l’affaire de deux types de rappeurs. Ceux, qui ne savent pas quoi dire et qui par opportunisme vont sauter à pieds joints dedans. Quelques années auparavant, ils auraient probablement suivi la tendance de l’époque. Et ceux qui se reconnaissent vraiment dans ce rap là et qui voient une occasion de diffuser plus largement leur musique. Alors que les Enz, Dernier Pro ou Daz Ini se sont heurtés à un mur et n’ont jamais pu dépasser la niche dans laquelle ils avaient été rangés, les amoureux des beats à 90 bpm ont là une occasion en or de se mettre en avant.

Veerus fait partie de cette catégorie de rappeurs, celle qui cite les X-men comme référence absolue (une ligne leur est dédiée dans « Sans directions ») et qui a soigneusement écouté les premières mixtapes de Mac Miller (un monologue de K.I.D.S est repris en intro de « Proses prodiges »). Poussant une certaine nostalgie des années Time Bomb jusqu’à inviter DJ Sek pour assurer les scratchs de « Mauvaise nouvelle », le MC né en 1990 affiche clairement ses préférences. Et même s’il affirme n’écouter que Kendrick Lamar au détour d’un morceau, le décor est planté : sans vivre dans le passé pour autant, Veerus fait partie de cette génération fatalement nostalgique qui fustige les rappeurs qui ne parlent que de « pare-balles ». Si vous avez des difficultés avec ce type de rappeur, alors vous ne trouverez vraisemblablement pas votre compte avec APEX.

Pour ceux à qui il restera encore un peu de curiosité, il y a des chances que l’écoute de ce deuxième EP se révèle être un pari gagnant. Car en dépit de son jeune âge, Veerus a déjà acquis une vraie maturité et propose un projet remarquablement construit où les dix morceaux se suivent sans accroc. Un peu à la manière d’Eternal Kid de Meksa Peal, APEX est un EP qui brille par son sérieux et au cours duquel l’a peu près n’a pas de place. Le point fort du disque (ou plutôt du dossier mp3, APEX étant uniquement disponible en téléchargement gratuit) s’avère incontestablement être les productions, toutes justes, chargées de soul qui habillent les dix morceaux d’une même couleur. Entre la chill music de Ski (« Ambitions ») et la soul chaude de Jay Dee (« Apex » qui renvoie forcément aux Soulquarians), les influences sont maîtrisées et assumées.

Au micro, le constat est parfois plus mitigé et les qualités de Veerus finissent par devenir ses défauts. Son flow par exemple, volontairement lent, permet de mettre en avant une diction parfaitement intelligible qui fait du bien à côté du déluge de technique actuel dans lequel s’engouffrent trop de rappeurs, délaissant parfois toute forme de sens. Seulement, il arrive un moment où on souhaiterait que Veerus vive davantage ses écrits. Même si elle n’agit pas comme l’électrochoc espéré, l’énergie de Nemir sur « Chaque jour » donne une bouffée d’air nécessaire. Il en va de même pour la plume de Veerus, étonnamment précise et capable de distiller quelques perles lorsqu’il cherche à se décrire. Remplis d’images fortes sans être tapes à l’œil (« J’suis peace comme une terre vierge« , « Un tas de remords comme un frère qui diez la sœur d’un autre » ou encore « Je suis adroit malgré mes airs gauche et c’est la crise donc sur la caisse je vole comme une caissière pauvre« ), les couplets du rappeur font souvent mouche. Pourtant, si on sent qu’une forme de mélancolie pèse déjà sur ses jeunes épaules (« Plus je connais les femmes, plus j’aime maman« ), la multiplication d’images crée une distance paradoxale entre les textes de Veerus et sa personnalité. Si bien qu’il ne fait que donner des pistes mais ne parvient jamais à véritablement se livrer. Une fois l’écoute d’APEX terminée, on retiendra donc quelques phrases mais rarement de couplets entiers, ceux-là donnant parfois l’impression d’être le produit d’une récitation plutôt que d’une interprétation.

APEX n’en demeure pas moins un projet encourageant qui met en lumière un rappeur talentueux qui a considérablement progressé depuis Nouvelle Aube, sa précédente sortie. Conscient de son statut de total outsider (« J’ai zéro fan« ), Veerus semble prendre son temps (« Je m’applique quand ils speedent, une Maybach dans une course de Nascar« ) et s’affiche comme un des nouveaux espoirs du rap hexagonal. Avec un peu d’intelligence et beaucoup de chance, il pourra, lui aussi, profiter du contexte actuel si favorable à la musique qu’il défend. C’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*