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Ce mix aurait pu s’appeler L’autre west coast, en opposition au Gangsta Rap de South Central ou aux standards de G-Funk. Mais le monde est souvent moins binaire qu’il n’y paraît, en témoigne le parcours de Myka 9. Alors nous avons préféré parler d’une tribu. Parce que bien plus que l’héritage de la Native Tongue, il s’agit ici de témoigner d’une scène dont les acteurs se sont rejoints autour d’une même volonté : marier performance et inventivité.
C’était parfois avec plus ou moins de réussite selon les années et les projets. Jurassic 5 a peut-être trop porté son amour pour les Furious 5 dans sa musique. Depuis Long Beach, les isolationnistes Ugly Duckling ont sûrement un peu trop tiré sur la corde de la dénonciation pastiche de la scène gangsta. Mais il n’empêche : DJs, rappeurs et producteurs présents sur ce mix partagent tous la même obsession. Celle de productions qui doivent alterner entre audace raffinée et sampling de boucles funk explosives. Les expérimentations tendant vers le jazz minimal côtoient les basses bien rondes. Mais surtout, il y a la lubie d’un rap virevoltant, dont l’ADN contient une bonne part de freestyle. Ici, les mots sont une acrobatie. Les open-mic du Project Blowed ne sont pas loin.
La tracklist de ce mix esquive pourtant quelques classiques qui illustreraient à merveille ce vœu de performance. Les « Lesson » de Cut Chemist et Jurassic 5, l' »Alphabet Aerobic » de Blackalicious ou les morceaux des grandes heures de The Freestyle Fellowship ne figurent pas dans ces soixante-dix minutes. Parfois même, elles vont jusqu’à narguer la trajectoire de certains des artistes qui y figurent, à l’instar du succès planétaire de « I Changed my Mind » chanté par Lyrics Born et vu comme l’apogée d’un rap qui a parfois troqué son adresse verbale contre l’easy – mais en l’occurrence tout de même agréable – listening. Une histoire de feeling encore. Sans aucun doute même.
Il n’empêche. Sans pouvoir restituer l’ensemble des histoires qui ont construit cette scène dite alternative (le mot lui-même est un piège : alternatif à quoi ? Selon l’acteur de la-dite scène auquel on s’adresserait, la réponse risquerait de quelque peu varier), A Tribe Called West s’organise inconsciemment comme des battles entre MCs virevoltants, techniques et audacieux. Gift of Gab versus Myka 9, Lateef the Truthspeaker versus Chali 2 Na, MURS versus Aceyalone, sont autant de duels imaginaires qui peuplent ce mix. À l’écoute, il y a d’un côté le Good Life Café, dont les open-mic du Project Blowed ne peuvent résumer uniquement cette scène indépendante (après tout, Snoop est bien passé par là lui aussi), même s’ils l’ont grandement nourrie. De l’autre côté, il y a KVDS, la radio de l’Université de Californie de Davis, où s’agrégeront Blackalicious, Lateef, DJ Shadow et consorts pour donner naissance à Solesides, futur Quannum Project. Et à côté d’eux, il y a des satellites, des étoiles filantes et parfois même de discrets piliers, de Del the Funky Homosapien et son groupe The Hieroglyphics à The Nonce, en passant par 2Mex.
Composés également de détours par Sacramento, Longbeach, Portland ou San José, de clins d’œil à la chaîne en or de DJ Young Einstein, aux cuivres latinos qu’affectionne Sen Dog, aux mash-up de Z*Trip ou encore aux Living Legends, ces vingt titres ne peuvent donc pas être résumés à une vulgaire opposition à ce que la culture populaire retient d’abord du hip-hop de Los Angeles et de sa région. Même si parfois, ils cultivent eux-mêmes cet antagonisme. Car ici, il s’agit d’abord et avant tout d’une déclaration d’amour. Au rap du Golden State, bien sûr, mais aussi et surtout au rap tout court. Ça se fait via l’une de ses tribus, tellement inventive qu’elle s’en est parfois un peu perdue route. On lui pardonne, car sa richesse, son audace et ses identités sont un motif de plus pour le dire : California Love.
Tracklist :
- Haïku d’Etat – Mike, Aaron & Eddie
- The Nonce – Keep it On
- Latyrx – Lost in the Feelin’
- Hieroglyphics – Soweto feat. Goapele
- Ozomatli – Cut Chemist Suite feat. Chali 2Na
- Delinquent Habits – Let the Horn Blow feat. Ozomatli
- Myka 9 – To the Sky
- Lateef & Z-Trip – The Overlord feat. Rakaa Iriscience & Fingerbangerz
- MURS – You & I
- Lyrics Born & Poets of the Rythm – I Changed my Mind
- Ugly Duckling – Everything’s All Right
- Lifesavas – It’s Over feat. Libretto
- Boac – Spittin Images
- Charizma & Peanut Butter Wolf – Devotion
- Jurassic 5 – Twelve
- Blackalicious – Sky is Falling
- Abstract Rude + Tribe Unique – Yep feat. Dj Drez
- Abstract Rude + Tribe Unique – Heavyweights Round 4 feat. Aceyalone, Busdriver, Dr. EZ, Ellay Khule, J Smoov*, K-Bar, Ko Ko, Medusa, Mikah 9, Neb Luv, Nga Fish, P.E.A.C.E., DJ Rhettmatic, Riddlore?, Self Jupiter, Suga BJ, Trensetta, Volume 10, Zulu Butterfly Priest
- 2Mex – Return of the Fernando Mania
- DJ Shadow – Organ Donor
« Perhaps the greatest party group in hip-hop history. »
Voilà le titre de gloire que l’on peut lire dans la recension du disque par le site AllMusic. Pour des représentants d’une musique née de et pour la fête, et qui ne manque pas de pointures en la matière, difficile d’imaginer plus gros compliment. Il est vrai que les piliers du Likwit Crew — groupe élargi qui comptait notamment le mentor King Tee, ici présent au micro et aux machines, de même que Lootpack, groupe d’un certain Madlib encore inconnu — sont à coup sûr de crédibles prétendants au titre. Car pour ce qui de l’entertainment, pas de doute, le trio savait y faire. Notamment sur 21 & Over, l’un des morceaux de choix de la très riche année 1993 : « perhaps the quintessential West Coast party album », dixit le prudent AllMusic toujours. Fun à souhait, en tout cas.
« I never drink and drive cuz I might spill my drink. »
21 & Over est entièrement consacré à la déconne en général et à la déconne alcoolisée en particulier. Car les Californiens n’ont pas choisi par hasard leur nom, ni la pochette de ce premier LP. Leur identité se déclinait le long d’un fil rouge thématique imperturbable : alcool, fête, nanas et alcool, accessoirement pétards et railleries envers les (mauvais) rappeurs qui se prennent au sérieux. Iconoclastes, les Liks prennent non seulement le contre-pied du gangsta rap auquel est déjà identifiée la côte ouest, mais ils n’épargnent pas non plus ceux qui se donnent une posture morale de prêcheur ou de prophète. Picole et bonne humeur sont les seuls dogmes respectés ici. Et ça coule tout seul.
« Rappers, talkin’ bout, back to the old school / You never shoulda left in the first place fool ! »
Il faut dire qu’on baigne dans une bande-son soul/funk imparable, qui sonne autant east que west coast : des beats pêchus et des boucles courtes où on retrouve, entre autres, Lou Donaldson, James Brown, Fred Wesley & the J.B.’s, Sly & the Family Stone, Cannonball Adderley ou Tyrone Thomas & The Whole Darn Family (la ligne de basse déjà empruntée par EPMD et reprise plus tard par Jaz-O pour le « Ain’t no Nigga » de Jay-Z). Épaulé ou non, E-Swift, qui rappe d’ailleurs sur plusieurs morceaux, parsème ses productions de scratches et de cuts aussi discrets que bienvenus, de Schoolly D à Busta Rhymes en passant par les Pharcyde. Idem pour les nombreux breaks et variations qui animent les morceaux et leur donnent du relief. Quant à Tash et J-Ro, entièrement dévoués à l’humour potache et aux punchlines à gogo, ils ont du flow à revendre. Si la fin du disque est un peu plus sombre, 21 & Over reste une valeur sûre du rap festif. À l’époque comme deux décennies plus tard, on ne s’ennuie pas une seconde, d’autant que la fête ne s’éternise pas : dix morceaux, trente-six minutes, et rien qui déborde. « So don’t be a nitwit, get with the Likwit! »