Tag Archives: timbaland
C’était en 2007, sûrement au moment de la promo de Shock Value. Il le répétait à qui voulait bien l’entendre : Timbaland s’ennuyait. Peut-être était-il grisé par son récent succès avec Nelly Furtado et Justin Timberlake. Peut-être avait-il fait le tour de la question après plus de dix ans de création continue dans le rap et le r’n’b, aux côtés de Missy Elliott, Aaliyah, Magoo, Bubba Sparxxx ou Keri Hilson. Timothy Mosley n’a finalement pas jeté l’éponge. Mais il raconte qu’il compte encore changer la face de la musique contemporaine.
L’ascension
De la bouche de n’importe quel autre artiste, la phrase sonnerait incroyablement prétentieuse. Chez Timbaland, elle ne l’est que de moitié. Timbo est parvenu à imposer sa signature sonore tout en la faisant évoluer : une double réussite rare dans la production rap. Pas tout à fait imperméable les unes et des autres, la discographie de Timbaland pourrait se diviser en trois périodes. La première débute à partir de 1996 avec son travail sur les albums One in a Million d’Aaliyah, The Bachelor de Ginuwine, Supa Dupa Fly de Missy Elliott et Welcome to Our World de lui-même avec son pote Magoo. Sur ces albums, Timbo présente un style singulier pour l’époque. Les beats sont secs, syncopés, remplis de contre-temps et de boucles de toute évidence synthétiques, mais étrangement organiques. Quelques samples des Delfonics ou d’Ann Peebles sont présents, mais la grande majorité des compositions repose plutôt sur un sens de l’épure et du gimmick qui fonctionne aussi bien pour les vocalises d’Aaliyah que les raps décalés de Missy Elliott. Avec elle, il développera d’album en album un véritable laboratoire à idées. Sur le deuxième, Da Real World, sorti en 1999, les deux amis de Virginie mêlent orchestration classique minimale et rythmiques rebondis. Plus innovant encore dans le rap, ils s’essayent aux compositions en deux temps, changeant radicalement certains titres dans leur dernier tiers (« Beat Biters », « Busa Rhyme », »You Don’t Know »).
La consécration
La même année, Timbaland signe sur le Life and Times of S.Carter de Jay Z des compositions influentes pour la suite de sa carrière : l’ambiance harem de « Big Pimpin' », les vertigineux synthés de « Snoopy Track », ou enfin la rugosité de « Come and Get Me », prouvant qu’il peut aussi briller dans un style plus new-yorkais. Ces différentes directions marquent d’une certaine manière la seconde période de production de Timbo, la plus tentaculaire. Le début des années 2000 allait être celui de l’audace constante pour Timbaland. Il multiplie les tubes construits sur des rythmiques rebondies, des samples hétéroclites et des sons extra-terrestres : « Try Again », « Get Ur Freak On », « Raise Up », « Roll Out », « Ugly », « Oops (Oh My) », « Dirt Off Your Shoulder ». Mais il s’aventure aussi dans la direction d’albums ambitieux, comme Miss E… So Addictive et son groove polyethnique, et Deliverance de Bubba Sparxxx, mélangeant rap et country. Lors de ce second cycle, Timbaland passe du statut de beatmaker à celui de véritable producteur collaborant avec d’autres musiciens. Il débauche Scott Storch, alors connu comme claviériste pour The Roots puis Dr. Dre, pour gonfler ses productions en mélodies accrocheuses. Il mêle ses rythmiques puissantes aux compositions symphoniques de Larry Gold, arrangeur et chef d’orchestre vétéran de la soul de Philadelphie. Point d’orge du travail avec ses nouveaux collaborateurs : « Cry Me a River » de Timberlake, balade douloureuse et baroque qui marque l’entrée de Timbaland dans le monde de la pop.
La globalisation
Le début de la troisième période de production de Timbaland pourrait se délimiter à partir de 2004 et 2005. Il commence alors à travailler en binôme avec Danjahandz, jeune producteur également originaire de Virginie. La collaboration de Tim avec Danja va clairement modifier sa musique et ses ambitions. Après des singles rap au son plus agressif (« Hey Now » d’Xzibit, « Put You On The Game » de The Game), c’est à l’univers de la pop que Timbo et son nouvel acolyte s’attaquent. A travers les albums Loose de Nelly Furtado et FutureSex/LoveSounds de Justin Timberlake, les deux compères explorent des sonorités inspirés des synthétiseurs froids et criards de la funk et de la pop des années 80, mais aussi de la dance des années 90. Succès critiques et commerciaux, ces albums font sortir Timbaland du monde du rap, et nourrissent ses ambitions de devenir, comme le titrait un numéro du magazine Scratch de 2007, « bigger than hip-hop ». Shock Value, son deuxième album solo, en était l’ultime démonstration, avec son casting Billboard (Dr. Dre, Elton John, 50 Cent, Nicole Scherzinger, Fall Out Boy) et ses tubes évidents comme « Give It to Me » et « The Way I Are ».
« Pop is the new hip-hop », affirme-t-il alors dans cette même interview. La pop devient pour lui, à compter de ce moment, son nouveau terrain de jeu. Madonna, Chris Cornell, Ashlee Simpson : en produisant pour ces artistes un son global et taillé pour les radios grand public, il perd de sa capacité à produire une musique singulière. Pour extrapoler, la musique de Timbaland semble alors prendre le même aspect que sa propre condition physique. Menacé par son surpoids (cent cinquante kilos, tout de même), il se transforme en une montagne de muscle, comme son pote Dre. Après des airs de gros nounours marrants, immortalisés dans la séance de studio filmée pour Fade to Black, Timbaland ressemble depuis sa transformation à un catcheur de WWF. De la même manière, sa musique troque à partir de 2007 cette bonhomie rondouillarde et exubérante pour une attitude trop prétentieuse. A-t-il perdu au change en laissant Danja essayer de voler de ses propres ailes et en travaillant plus régulièrement avec Jerome « J-Roc » Harmon ? Leur musique montre alors moins de nuance dans le mélange entre hip-hop et pop. Évidemment, la discographie de Timbaland depuis Shock Value n’est pas une vaste escroquerie, car Mosley reste un producteur prodigieux. Des instrus comme « Ayo Technology » pour 50 Cent, « Venus Vs. Mars » pour Jay Z ou « Here We Go Again » pour T.I. prouvent qu’il a même gardé une fibre certaine pour le rap. Mais son errance sur Shock Value II ou des titres comme « Pass At Me » avec Pitbull et David Guetta ont sérieusement fait douter des facultés de Timbaland à retrouver sa créativité d’antan. Surtout quand d’autres compositeurs, comme Hit-Boy dans le rap ou SBTRKT dans la musique électronique, ont adapté des caractéristiques timbalandiennes à leur propre musique.
La récréation
Comme un signe, la première sortie de 2013 signée Timbaland a réuni les deux artistes avec qui il a redoré son nom cette année. « Suit & Tie », de Justin Timberlake accompagné par Jay Z, était un nouveau titre inattendu de la part du chanteur. Son entraînante composition par Timbaland l’était tout autant. Son ambiance rétro, à la fois plus organique et moins tape-à-l’œil, a rassuré quand à la créativité de Timbo. Mais pourrait-il réitérer cette bonne surprise sur l’ensemble d’un long format ? Sur les dix titres de The 20/20 Experience, troisième album de Justin, ce n’est pas un Timbaland nouveau que l’on découvre, mais un étrange et pourtant confortable sentiment de déjà entendu. De « Pusher Love Girl » à « Blue Ocean Floor », on retrouve parsemées sur chaque titre des marques de l’évolution artistique de Timbaland. Les longues envolées de cordes en ouverture rappellent sa collaboration avec Larry Gold il y a dix ans. La chaleur moite de « Pusher Love Girl » renvoie à celle de ses premières compositions pour Aaliyah ou Ginuwine. Les percussions et voix orientales de « Don’t Hold The Wall » rappellent ses plus grands succès inspirés par les musiques arabe et indienne. Le funk aquatique de « Strawberry Bubblegum » reflète certaines ambiances du Miss E… So Addictive. Les arrangements et mélodies pop de « Mirrors » et « Blue Ocean Floor » constituent une continuité plus subtile de ses dernières aventures musicales. Et puis il y a ces ingrédients éternellement liés au style Timbaland : les étranges samples vocaux formant une mélodie inimitable, comme sur « Tunnel Vision » ; ses beatbox superposés à ses rythmiques (« Mirrors ») ; et surtout ces compositions en deux temps, testées sur Da Real World, et perfectionnées sur FutureSex/LoveSounds.
Mais la surprise d’un Timbaland requinqué ne s’est pas arrêté là. Il a suffi, en juin, d’un spot de pub parfaitement mis en scène et annonçant le nouvel album de Jay Z pour imaginer un regain partagé de mojo entre messieurs Carter et Mosley. Sur Magna Carta… Holy Grail, Timbaland se débarrasse de tous les artifices pop et autres effets spéciaux sonores pour un son bien plus épuré, quasi-new-yorkais dans sa forme. La rugosité de « Picasso Baby » rappelle d’autres grands moments de collaboration entre Shawn et Timothy, comme « Hola Hovito » ou « Come and Get Me ». Les mises en boucle minimale de « F.U.T.W. » et « Heaven » semblent presque trop paresseuses pour du Timbaland, mais s’accordent bien avec l’ADN musicale de Jay Z. Lorsqu’il tend d’avantage à continuer dans sa propre veine, Timbaland montre également plus de finesse : les différentes strates savamment dosées de « JAY Z Blue » rappellent son travail avec Bubba Sparxxx ou Petey Pablo. Des titres comme « La Familia » ou « Tom Ford » renvoient au style plus récent du producteur dans leur esthétique futuriste, mais ne donnent pas l’impression de pesanteur que laissaient aux tympans leurs prédécesseurs, notamment sur The Blueprint 3. Enfin, si le squelette de « Holy Grail » doit sans doute beaucoup à The-Dream, la production de Timbo trouve le bon équilibre entre mélodie et efficacité super-sonique. Une collaboration majeure entre Jay et Tim n’était a priori forcément plus aussi excitante qu’elle l’aurait été il y a dix ans. Mais la direction musicale opérée par Timbaland sur cet album est une réussite, mêlant plusieurs des styles qu’il a développé sans donner l’impression d’en faire des tonnes.
En deux albums, Timbaland a rassuré sur sa capacité à produire une musique de qualité et variée, entre l’orchestration riche de celui de Timberlake et l’aspect plus spontané de celui de S. Carter. Pourtant, il y manque cette touche avant-gardiste qui démarquait Timbo de ses confrères, lui qui est si obsédé par son temps d’avance sur les autres. Sortie fin septembre, la suite de The 20/20 Experience, plus enlevée que la première partie, puise dans la même formule : le meilleur des différentes facettes de Tim, producteur qui se réinvente brillamment mais n’innove plus. Son travail sur ces trois albums soulève alors de vraies questions : Timbaland s’est-il ennuyé en les produisant ? Maître de la mutation pendant dix ans, doit-il se contenter aujourd’hui d’une simple réincarnation ? Tel Jean-Baptiste Grenouille, personnage du roman Le Parfum à la recherche éperdue de nouvelles senteurs jusqu’à en devenir fou, Timbaland prétend pourtant vouloir toujours créer un nouveau son. Le véritable ennui de Timbaland est peut-être là.
Le 25 août 2001, Aaliyah mourait dans le crash de son avion aux Bahamas. La jeune femme, qui venait de sortir son troisième album, était alors en pleine gloire. Un destin tragique comme le monde de la musique les adore. L’annonce de sa disparition provoque une vague d’émotions et, comme il se doit, une foule d’hommages en tous genres. Le milieu musical, très friand de nouvelles légendes, canonise immédiatement la chanteuse. Dix ans plus tard, alors que les esprits se sont apaisés, que le maigre stock des inédits est écoulé et que les adolescents ne savent plus qui elle était, son héritage est encore bien vivant.
En trois albums, la discographie d’Aaliyah représente toute l’évolution du rnb, depuis les chansons mielleuses sur des beats new-jack jusqu’au son plus synthétique, plus rapide et aux influences multiples du début des années 2000. Le vrai tournant se situe en 1996, avec l’album One in a Million. Après avoir passé un temps sous l’aile peu scrupuleuse de R. Kelly, la jeune fille rencontre Timbaland et Missy Elliott, alors presque inconnus du public. Le duo écrit et produit la majorité de l’album, qui atteint un succès critique et commercial considérable. Dès lors, l’influence de Timbaland ne cessera de croître, faisant du producteur l’un des plus grands gourous du rnb et du rap. Aaliyah continuera de collaborer avec lui par la suite, mais de manière moins exclusive, donnant lieu notamment aux tubes « More Than a Woman » et « Try Again ».
Au-delà de sa mort prématurée, Aaliyah a marqué les esprits par son talent d’interprète. Ses albums ont posé les bases du rnb moderne. Outre ses succès les plus évidents, plusieurs de ses chansons ont fourni des modèles insurpassés dans le registre de la ballade sentimentale (« Heartbroken » ou « It’s Whatever » par exemple). Sa voix, aussi fragile que chargée d’émotion, se prêtait idéalement à ce genre de musique suave. Ce n’est pas par la puissance vocale ou des prouesses techniques que la jeune femme se démarque des autres. Ce qui distingue Aaliyah de l’interminable procession des jolies chanteuses, ce sont, bien sûr, les compositeurs géniaux qui l’entouraient, mais aussi cette voix dont la clarté et la douceur sont impossibles à atteindre par le travail.
Le monde du hip-hop, toujours prêt à balancer des R.I.P. à tout-va pour honorer les disparus, a chéri le souvenir de la chanteuse au point de la faire entrer dans la sainte trinité des artistes morts les plus cités, aux côtés de Tupac et Biggie. Il y a maintenant dix ans qu’Aaliyah est morte, mais elle est toujours dans les mémoires. Pour preuve cette nouvelle forme d’hommage qui dépasse le simple clin d’œil glissé dans un couplet et qui consiste à sampler ou à faire un featuring virtuel avec la disparue (et c’est sans compter le scandale autour de Lil Wayne qui reprend un couplet entier de « I Don’t Wanna » pour l’un de ses featurings). Le phénomène ne se limite pas au rap, puisque des artistes comme The Weeknd (sur « What You Need ») ou James Blake ont également samplé la voix d’Aaliyah. La génération de rappeurs qui étaient adolescents à sa mort semble avoir gardé d’elle un souvenir indélébile. Gros plan sur trois morceaux récents qui invoquent le fantôme de la chanteuse.
J Cole – « Best Friend » (Friday Night Lights, 2010)
À l’origine, « Best Friend » est une chanson du premier album de Missy Elliott qui raconte les déboires amoureux d’une jeune femme et le soutien que lui apporte sa meilleure amie. J Cole s’est offert une bouffée de nostalgie en reprenant ce morceau de 1997. Il l’a détourné pour y jouer le rôle du petit ami indélicat, qui donne la réplique à Aaliyah et Missy.
Drake ft. Young Jeezy – « Unforgettable » (Thank Me Later, 2010)
Drake voue une admiration toute particulière à Aaliyah. Il avait déjà repris quelques paroles de « Are You that Somebody » sur le single « Bedrock », et il avait même écrit à la chanteuse une lettre ouverte presque gênante de naïveté l’an dernier. Sur « Unforgettable », c’est le célèbre Let me know d’Aaliyah qui vient orner cette production aérienne.
Kendrick Lamar – « Blow my High (Members Only) » (Section80, 2011)
« Blow my High » est un morceau étrange. Son rythme est d’une lenteur hypnotique, sa structure est déroutante, ses sonorités dépouillées. Et puis il y a ce R.I.P. Aaliyah entêtant et parfaitement gratuit qui revient après chacun des couplets. Sur cette production nébuleuse, Kendrick Lamar rend un double hommage à deux des disparus les plus importants des années 2000 : Babygirl et Pimp C. La voix ralentie de l’ambassadeur du Texas plane sur tout le morceau. Son couplet issu de « Big Pimpin' » est utilisé ici en guise de refrain, tandis qu’un sample de « 4 Page Letter » d’Aaliyah conclue la piste en beauté. Le rappeur le plus prometteur de la côte Ouest a bon goût, et bonne mémoire.
Parmi les grands noms de la production qui ont émergé entre la fin des années 90 et le passage au nouveau millénaire, Rockwilder était l’égal des Timbaland, Swizz Beatz et autres Neptunes. De son vrai nom Dana Stinson, son pseudo était une valeur sûre dans les crédits des albums mainstream. Il avait une marque : un son immédiatement efficace, synthétique, clinquant, électrique, appuyé par des rythmiques basées sur des hi-hat joués tous les quarts de mesure (en noire) plutôt que tous les huitièmes (en croche).
Si son nom apparaissait déjà sur les premiers Redman, les deux albums d’Organized Konfusion ou encore le When Disaster Strikes de Busta Rhymes, c’est à partir de 1999 et « Da Rockwilder » pour Meth et Red que Rock est devenu l’un des hommes forts de la production U.S.. Une bonne cote qui l’amènera à produire des gros cartons pop, dont l’incontournable reprise du « Lady Marmalade » de LaBelle par Mya, Pink, Lil Kim et Christina Aguilera, pour lequel il a même remporté un Grammy Award.
Pourtant, contrairement à ses collègues précités, Rock a disparu du radar. Depuis 2005, il réapparait ici et là, sur des albums de Redman bien sûr, mais aussi Kelis, Beanie Sigel, ou 50 Cent. Il a également ouvert un marché virtuel de beats ou a pensé un temps à passer au rap chrétien (il a été élevé par une mère ministre). Peut-être a-t-il été emporté par le lent déclin des scènes du Nord Est. Peut-être n’a-t-il pas réussi à faire évoluer son son assez significativement pour survivre aux nouvelles modes et tendances. Quoi qu’il en soit, il aura marqué la production rap en l’espace de quelques années d’intense activité. Voici une flopée de ses instrumentaux les plus marquants.
25. Big Pun – Super Lyrical (ft. Black Thought) Capital Punishment, 1998
Des prods pré-« Da Rockwilder », « Super Lyrical » pour Big Pun représente en quelque sorte un pont entre les deux sons qu’a développé Rock dans sa carrière. L’instru renvoie à ses premières œuvres, avec son beat classique et ses nombreux samples. Mais sa rythmique sèche et surtout sa basse électrique annoncent le changement de son qu’il allait proposer pour les années à venir.
24. Redman – « How U Like Dat » (ft. Gov Mattic) Red Gone Wild, 2007
Même si sa participation était minime comparée à celle d’Erick Sermon, de Dare Iz A Darkside à Reggie, Rockwilder a toujours été présent sur les albums du patron du New Jersey. Et il a souvent servi des compositions sur-mesure pour Red. La preuve avec ce « How U Like Dat » et sa basse grasse et poisseuse, digne de Bootsy Collins.
23. Nate Dogg – « I Got Game » (ft. Snoop Dogg et Armed Robbery) Nate Dogg, 2003
Une autre particularité de Rockwilder a été son affection pour les cordes jouées pizzicato. Habituellement placées en détail mélodique sur ses instrus, il en a fait la base du « I Got Game » de Nate Dogg. Le résultat est excellent, tout en nonchalance et en musicalité, résumant le caractère du crooner de l’ouest.
22. Ice Cube – « $100 Dollar Bill Y’All » Greatest Hits, 2001
Inédit placé sur son Greatest Hits, « $100 Dollar Bill Y’All » fut le dernier single de Ice Cube avant son retour en 2006 avec Laugh Now, Cry Later. Quoi de mieux pour garder la forme que de poser sur une composition d’un producteur à la mode de l’époque. Rock a livré pour O’Shea Jackson un beat moins clinquant que d’accoutumée mais tout aussi percutant grâce à l’alliance entre une basse bourdonnante et des sons de claves.
21. Method Man & Redman – « Cisco Kid » (feat. Cypress Hill) How High O.S.T., 2001
C’est sans doute avec Redman et Method Man que Rockwilder a le plus expérimenté. Sur la bande originale de leur film déjanté et enfumé How High, il a sorti ce « Cisco Kid » reprenant un sample du groupe de latin-funk War. Un instru plutôt laidback et à part dans la carrière de Rock, quand sur la même B.O. son pote DJ Twinz copiait son style avec son « America’s Most ».
20. Fabolous – « Get Right » Ghetto Fabolous, 2001
Le premier album de Loso était symptomatique de l’air du temps du début des années 90, avec ses singles produits par les Neptunes et Timbaland… et sa livraison de Rockwilder. Une prod de club épileptique et bouncy à souhait, dont Sulee B. Wax avait repris l’esprit en 2002 pour le « Monsieur Qui ? » de Lino, en la transformant en égotrip musclé et violent.
19. LL Cool J – « Imagine That » The G.O.A.T. (Greatest Of All Times), 2000
Premier single du dernier très bon album de James Todd Smith (merci DJ Scratch), « Imagine That » détonne au premier abord en ouverture d’un album aussi musclé. Mais smooth et virile à la fois, mélangeant gémissement féminin, roulette de revolver et gimmick de guitare funky, la composition de Rock était idéale pour que Cool James roule encore des mécaniques devant la gente féminine. Irrécupérable, mais ça marche à tous les coups.
18. The Outsidaz – « Keep On » The Bricks, 2000
S’il fallait trouver une filiation au style de Rockwilder, on pourrait le définir comme une évolution du son d’Erick Sermon. Et s’il fallait le démontrer, « Keep On » des Outsidaz en serait une preuve irréfutable, tant cette prod aurait pu se retrouver sur Blackout!, Malpractice ou Music. Une atmosphère idéale pour kicker comme le faisait si bien le crew de Brick City, ou certains rappeurs hexagonaux invités chez Cut Killer.
17. Prodigy – « Gun Play » (ft. Big Noyd) H.N.I.C., 2000
Même s’il n’avait pas son pareil pour sortir des headbangers juteux, Dana Stinson était avant tout un natif du Queensbridge. Quoi de plus normal qu’il s’essaie à l’essence sombre du Q.B. pour Prodigy sur son premier album solo. On retrouve sur ce « Gun Play » la signature de Rock, avec cette rythmique minimaliste et cette basse futuriste, mais adaptée façon Infamous avec une nappe de violon en fond sonore et un sample inquiétant.
16. Nas – « Everybody’s Crazy » The Lost Tapes, 2002
Bonus track de la version japonaise de Stillmatic, « Everybody’s Crazy » est la énième preuve que Nasir Jones a un énorme problème dans son choix d’instrumentaux. Car la production de Rockwilder aurait mérité une bien meilleure place que certains autres morceaux sur l’album du retour de Nas. Heureusement, il a eu la bonne idée de le replacer sur son catalogue de trésors retrouvés, The Lost Tapes. Bouncy et rugueux, sa rythmique est redoutablement efficace, appuyée par une ligne de basse ronde et quelques claviers discrets, parfaits pour laisser de la place pour le flow de Nas.
15. Rah Digga – « Break Fool » Dirty Harriet,1999
Aujourd’hui dissous, le Flipmode Squad de Busta Rhymes avait une bonne cote à la fin des années 90. Et pas seulement du fait de la popularité de son Général : que ce soit Rampage, Lord Have Mercy ou Rah Digga, les membres de son équipe étaient tous des rappeurs de talent. Party anthem typique de la fin des années 90 (à la « Party Up » de DMX), « Break Fool » de Rah Digga est un morceau à l’énergie incendiaire grâce aux synthés distordus de Rock et ses cordes au refrain.
14. Mystikal – « Oooh Yeah » / « I Get It Started » (ft. Method Man & Redman) Tarantula, 2001
Dernière œuvre en date de Mystikal avant son incarcération, Tarantula est un album sous-estimé et pourtant monstrueux. Au milieu de prods inventives et explosives (dont le génial « Bouncin Back » des Neptunes), Rockwilder a apporté de la matière à la toile du MC le plus fou de la Nouvelle-Orléans avec deux livraisons radicalement opposée mais complémentaire. Si « I Get It Started » (co-produit avec DJ Twinz) est une nouvelle démonstration de son talent pour électriser l’atmosphère, « Oooh Yeah » montre une toute autre facette de Rock, un poil enfumée et détendue mais aussi addictive, avec sa basse chaude, ses claviers étranges et ce gimmick de trompette.
13. 50 Cent – « Like My Style » (ft. Tony Yayo) Get Rich Or Die Tryin’, 2003
Passée l’année 2002 et son Grammy pour la B.O. de Moulin Rouge, Stinson s’est fait plus discret. Mais la discrétion n’empêche pas le flair. En plaçant une excellente prod sur l’album rap de l’année 2003, il s’est assuré de garder un peu de visibilité. Et de quelle manière : son instru pour « Like My Style » est l’un des grands moments de l’album, avec sa rythmique saccadée, et sa composition proche du style d’un autre Rock, Rick Rock.
12. Styles P – « Daddy Get That Cash » (feat. Lil Mo) A Gangster And A Gentleman, 2002
Rockwilder a été l’un des premiers producteurs de la côte Est a totalement laissé de côté le sampling pour passer à la composition pure. Pourtant, il le sait mieux que personne : lorsque l’on trouve un sample qui tue, mieux vaut ne pas le laisser passer. C’est le cas avec cet inspiré « Daddy Get That Cash » pour Styles, rejouant les premières mesures d’un titre du groupe Side Effect. Au passage, admirez l’intro crescendo de l’instru de Rock.
11. Redman – « I’ll Bee Dat! » Doc’s Da Name 2000, 1998
Le capital de sympathie de Redman repose sur des éléments simples : son sens de l’auto-dérision, son humour gras et débile, et son don pour sortir des titres joviaux. « I’ll Be Dat ! », premier single de son Doc’s Da Name 2000, en est l’exemple type, notamment grâce à son clip bordélique. L’instru de Rockwilder épousait à merveille le délire de Reggie Noble, avec sa basse crasseuse, ses tonalités de téléphone toutes les huit mesures, ses discrètes percussions et ce petit son indéfinissable au refrain. Un peu en avance dans la chronologie de Stinson, « I’ll Bee Dat ! » a déjà toutes les caractéristiques du Rock hitmaker de l’après Blackout!.
10. Busta Rhymes – « Make Noise » (feat. Lenny Kravitz) Anarchy, 2000
L’énergie du son de Rock offrait un espace de créativité idéal pour un rappeur comme Busta. Placé en dernière partie d’un album déjà costaud niveau prods, « Make Noise » est probablement l’un des instrus les plus énervés du producteur. Mélangeant sons imitant les riffs d’une guitare électrique à ceux, bien réels, de la gratte de Lenny Kravitz invité pour l’occasion, le résultat est supersonique.
9. Jay-Z – « Guilty Until Proven Innocent » (feat. R.Kelly) The Dynasty : Roc La Familia, 2000
Sacré Jay-Z. Faire tout un foin autour de son procès pour agression sur Lance Rivera en clamant qu’il est innocent, pour ensuite plaider coupable et être condamné à trois ans de conditionnelle… Le tout avec un bon morceau et un clip mémorable. La prod de Rockwilder est sans doute l’une de ses plus épurées, mais aussi une des plus classes : un beat minimal, une ligne de basse entêtante qui s’affole toutes les huit mesures, et des violons épiques au refrain pour accentuer l’abnégation de Jigga face à tant d’infamie.
8. Tha Liks – « Run Wild » (feat. Shae Fiol) X.O. Experience, 2001
Le style enjoué de Rockwilder était fait pour rencontrer le rap hédoniste et joyeusement barré (ou bourré, ça marche aussi) des plus célèbres alcooliques de Los Angeles. Après avoir livré quelques prods sur l’album solo de Tash, les Alkaholiks ont refait appel à Rock pour leur quatrième album, X.O. Experience, plus mainstream que les précédents. Deuxième single de l’album, « Run Wild » est porté par un instrumental entrainant, en dépit d’un beat assez simple. La science de Rock fait encore des merveilles grâce à sa composition ensoleillée et légère, appuyée par le rythme saccadé de ses charlestons.
7. Xzibit – « Front 2 Back » Restless, 2000
D’après Rockwilder, Dre aurait été hors de lui quand il a entendu les bruits d’amortisseurs de l’intro de 2001 utilisé en appui du beat de « Front 2 Back ». Pourtant, ce petit sample rend encore plus évident la filiation entre l’album de Dre et le troisième opus de Alvin Joiner. Placé en ouverture de Restless, « Front 2 Back » donne le ton et constitue plus qu’un hymne west coast, un véritable hommage de Rockwilder au genre.
6. Mos Def, Pharoahe Monch et Nate Dogg – « Oh No » Lyricist Lounge Vol. 2, 2000
Quand Rockwilder fait du RZA version Ghost Dog, ça donne « Oh No », kata exécuté de main de maître par Mos Def, Pharoahe Monch et Nate Dogg. L’association entre le crooner californien et les deux fines plumes de la grande époque Rawkus aurait pu sonner forcée. Mais Rock a livré l’instru parfait pour ce crossover. Moins évidente que d’autres de ses livraisons, la prod de « Oh No » est un petit bijou parce qu’elle seyait parfaitement à la musicalité du chanteur tout en collant à l’esprit new-yorkais des deux rappeurs. Sûrement l’une des dernières percées grand public de Rawkus.
5. De La Soul – « I.C. Y’All » (feat. Busta Rhymes) Art Official Intelligence Vol. 1 : Mosaic Thump, 2000
Pour composer un bon instru, il suffit parfois de trouver la boucle qui tue. En réinterprétant la tuerie funky « Galaxy » du groupe War (encore eux) et en la déposant sur un beat mécanique et brise-nuque, Rockwilder n’a peut-être jamais fait plus minimaliste dans une de ses productions. Mais ce « I.C. Y’All » est d’une efficacité redoutable grâce à ce synthé grésillant, ces cordes pizzicato et ces petits bruitages issus directement du titre des War.
4. Jay-Z – « Do It Again (Put Ya Hands Up) » (feat. Beanie Sigel et Amil) Vol. 3… Life and Times of S.Carter, 1999
Dans la discographie de Jay-Z, Life and Times of S.Carter tient une place toute particulière. Celui de l’album où il prend de l’avance sur la concurrence en se risquant à des choix artistiques plus audacieux. Si on le compare à « Guilty Until Proven Innocent », « Do It Again », premier single de l’album, est un morceau plus difficile d’accès, car sans véritable mélodie. Mais deux détails le rendent plus remarquable dans la carrière de Rockwilder. D’une part, comme le soulignait Cipha Sounds sur le site de Complex, c’est la première véritable club song de Jay-Z. Pourtant, et c’est là le deuxième détail d’importance, l’instru de Rock ne respecte pas le format traditionnel des morceaux de rap. Il est construit sur trois mesures au lieu de quatre, un choix surprenant et sacrément accrocheur.
3. Xzibit – « Release Date » Man vs. Machine, 2002
« Front 2 Back » était un single bélier, adaptation réussie du style de Rockwilder aux normes musicales de la côte ouest redéfinit par le 2001 de Dre. Mais la meilleure production de Rock pour Xzibit (et l’une de ses meilleures tout simplement) est bien moins tape à l’œil. Placé en intro du quatrième album de « Mister X to tha Z », « Release Date » est un instru cinématographique et sombre comme jamais Rock n’en a réalisé auparavant, ni après. Synthés glaçants et riffs de guitare grinçants ont inspiré Xzibit à écrire un de ses meilleurs morceaux.
2. Method Man & Redman – « Da Rockwilder » Blackout!, 1999
C’est avec ce morceau que tout a commencé. « Da Rockwilder » n’aurait dû être qu’un interlude sur le Blackout! de Meth et Red. Il est devenu le meilleur single de l’album. Un peu plus de deux minutes de sons futuristes, de court-circuits mélodiques et de basses lourdes suffisent à comprendre pourquoi « Da Rockwilder » fut un carton. Rock a bien fait d’insister auprès de Redman pour que son instrumental atterrisse sur cet album : tout le monde connaît son nom grâce a ce titre.
1. Redman – « Let’s Get Dirty » (feat. DJ Kool) Malpractice, 2001
La force de Rockwilder est qu’il a toujours su donner un côté accessible à l’énergie du rap dans la composition de ses hits. Si l’on compare son travail à celui de Swizz Beatz à la même époque, le son du producteur des Ruff Ryderz avait une brutalité qu’il n’y a jamais eu chez Rock. A une seule reprise, Rockwilder a lâché toute sa sauvagerie dans un instrumental, son meilleur : « Let’s Get Dirty » de Redman. Intro chaotique, beat minimaliste et tamponneur, synthés joués en deux temps aiguës et graves, pont annonçant la déflagration du refrain : « Let’s Get Dirty » est un condensé de puissance sonique sans aucune véritable mélodie que l’on puisse fredonner, mais que l’on retient immédiatement. En toute démesure, il contient tout ce qui définit le son de Rockwilder. Et le plus formidable c’est qu’il a réussi à produire un autre succès pour Christina en gardant l’essence de ce titre. Jamais son nom n’a pris autant de sens : dur et sauvage.
Beatmaker polyvalent et tout-terrain, producteur avant-gardiste, et artiste peut-être trop gourmand : Timbaland est sans doute l’un des musiciens qui aura le plus marqué son art lors de la décennie passée. De ses débuts avec le trio Missy/Ginuwine/Aaliyah à sa reconnaissance mainstream, tant recherchée, depuis 2007, Timothy Mosley a constamment réussi à marier deux principes contradictoires : l‘évolution et l‘identité. Car celui qui a changé plusieurs fois de formule tout au long de sa carrière est toujours parvenu à garder ce style si reconnaissable, fait de rythmes extraterrestres et irrésistibles, d’accumulations sonores et mélodiques en évitant la surcharge, en bref à faire aventurer le rap au-delà de nouvelles frontières – littéralement.
Si on a souvent salué son talent pour les sonorités synthétiques, le natif de Virginie a quelques fois été farfouiller dans le travail des autres pour créer. Le sampling selon Timbo est à l’image de son œuvre : touche à tout et un peu imprévisible. Entre musique latine, score de film, rock britannique et héritage afro-américain, petit tour d’horizon du talent de digger de celui qui se faisait appeler DJ Timmy Tim.
Missy Elliott feat. Method Man & Redman – « Dog In Heat » (Miss E… So Addictive, 2001)

Missy Elliott feat. Method Man & Redman « Dog in Heat »
J.M. Tim & Foty - “Douala by Night”
Le duo qu’il forma avec Missy Elliott le temps de quatre albums (jusqu’à Under Construction) fut un laboratoire sur-mesure pour Tim. Après les prods funky et épurées de Supa Dupa Fly (1997), les deux larrons de Virginie ont pris tout le monde à contre-pied avec leurs beats en deux temps jouant la fibre orchestrale sur Da Real World en 99. Sorti en 2001, Miss E… So Addictive offrit un nouveau virage à 180°, avec un son plus ample, plus fouillé, expérimental mais accrocheur. A peine l’intro souful passée que débute « Dog In Heat » avec son beat mid-tempo binaire, quelques gimmicks de guitare funky et sa basse aussi ronde que la Missy de l’époque. Cette ligne de basse est sûrement une des plus fines trouvailles de Timbo : elle provient de « Douala By Night », composition de funk du duo camerounais J.M. Tim & Foty. Endiablée en version originale, elle devient suave et lancinante dans les mains de Mosley. (A noter d’ailleurs que J.M. Tim – Jean-Marie Tiam de son vrai nom – se fait payer une partie de sa retraite en Aveyron grâce aux royalties que lui rapporte ce petit sample !)
Aaliyah feat. Timbaland – « We Need a Resolution » (Aaliyah, 2001)

Aaliyah « We Need a Resolution »
« She was like blood, and I lost blood. Me and her together had this chemistry. I kinda lost half of my creativity to her« . Nous sommes en 2001 et Timbo a appris la disparition tragique d’Aaliyah, star montante du R’n’B grâce à qui les projecteurs commencèrent à se braquer sur lui et Missy, à la fin des années 1990 et l‘album One In a Million. Fort de cette première expérience, la chanteuse rappela le producteur de Virginie pour son album suivant (et le dernier), éponyme. Suivi par l’incontournable et électrique « Try Again », « We Need a Resolution » offrait une ambiance mystique et troublante, combinant des synthés vertigineux façon « Snoopy Track » de Jay-Z à une petite portion de « Tricks of the Trade », tiré de la B.O. du thriller Incognito, signée John Ottman. Avec pour résultat une instrumentation mystérieuse, comme une paraphrase de cette énigme insoluble qu’essaie désespérément de résoudre Aaliyah dans sa chanson.
Fabolous – « Right Now & Later On » (Ghetto Fabolous, 2001)

Fabolous « Right Now and Later On »
The Meters - « Jungle Man »
The Meters - « Just Kissed my Baby »
Placé sur le premier album de Loso, « Right Now & Later Now » est l’un des beats les plus funky de Timbo. Le gimmick de guitare wah wah, le clavinet, le break syncopé : le son renvoie presque au style de ses débuts. Mais pour le coup, c’est à une inspiration antérieure à lui-même que Tim doit ce beat : les Meters. Le break, retravaillé, est emprunté à leur « Jungle Man » et la guitare wah-wah, rejouée de manière frénétique, provient de « Just Kissed My Baby », tous deux présents sur l’excellent Rejuvenation. Ou l’art et la manière d’injecter l’âme du bayou néo-orléanais à un rappeur de Brooklyn.
Ludacris – « Rollout (My Business) » (Word of Mouf, 2001)

Ludacris « Rollout (My Business) »
Africando - « Yay Boy »
Quelque part entre les studios d’Hollywood et ceux d’ATL, Ludacris doit parfois repenser à l’époque où il n’était encore qu’un challenger des grands noms du rap game. Une époque où Timbaland invitait ce jeune premier sur ses albums et où il lui fila une de ses prods les plus monstrueuses: « Rollout ». Rugueux et nonchalant, associant cuivres caliente et synthés épileptiques, l’instrumental du single le plus efficace de Word of Mouf repose sur un échantillon de « Yay Boy », salsa endiablée du combo afro-cubain Africando. La boucle, simplement ralentie, passe en un clin d’œil du sourire caribéen au froncement de sourcils atlante.
Brandy – « I Tried » (Afrodisiac, 2004)

Brandy « I Tried »
Iron Maiden - « The Clansman »
A priori, difficile de trouver des points communs à Brandy et Iron Maiden. Et pourtant… Produit en majorité par le duo Timbaland / Larry Gold (mythique arrangeur soul de Philadelphie), Afrodisiac est surement le meilleur album de la diva R’n’B. L’un des sommets de ce disque est « I Tried », mid-tempo langoureux et mélancolique où Timbo mêle les accords de guitare (plutôt doux pour le coup) du « The Clansman » des métalleux anglais aux cordes de l’orchestre de Gold. Un essai pour le moins réussi.
Timbaland & Magoo feat. Sebastian – « Indian Flute » (Under Construction, Part II, 2003)

Timbaland & Magoo feat. Sebastian « Indian Flute »
Toto la Momposina - “Curura”
C’est ce qui s’appelle une belle entourloupe. Celui qui nous avait habitué depuis « Big Pimpin' » aux mélodies orientales (façon ambiances de harem plutôt que lieux saints) sort en deuxième single du Under Construction II un « Indian Flute » jouant à fond sur les clichés bollywoodiens. Pourtant, difficile de résister à cette boucle de flûte minimaliste et envoûtante. Vous pensez au Taj Mahal ? Vous avez tout faux: la flûte indienne n’est pas à chercher en Asie mais en Amérique du Sud, chez la chanteuse colombienne Toto la Mamposina. Erreur façon Christophe Colomb ou détournement volontaire ? Vu le flair du type, on l’imagine mal confondre Toto avec Tata.
2001. Dans un des labels satellites d’Interscope, un rappeur blanc confidentiel appose son nom en bas d’un contrat proposé par un producteur noir de génie. La situation a un air de déjà-vu. Du côté de Detroit, il est arrivé à peu près la même histoire avec un certain Marshall Mathers deux années plus tôt. On connaît la suite. Mais pour Bubba Sparxxx, blanc-bec joufflu sorti tout droit de LaGrange, Géorgie, le parrainage de Timbaland sur son label Beat Club ne suffira pas à baliser une route de la renommée qui lui paraissait pourtant toute tracée. Après le succès d »Ugly’, et son fameux clip qui transférait dans la campagne tous les clichés de la vidéo hip hop, et malgré l’arrivée en force de quelques « country boys » sur le marché (Nelly, Nappy Roots), le premier album de Bubba, Dark days, bright nights, disparaît dans les méandres du Billboard, et le protégé de Tim Mosley se retrouve vite affublé de l’étiquette de « one hit wonder« , énième étoile filante aperçue dans le paysage du rap.
Mais Bubba Sparxxx mérite une deuxième chance. Pour sa défense, on notera sa présence en tant que seul invité de l’album collectif de la Dungeon Family, Even in darkness, dans lequel on pouvait entendre Wicthdoctor lancer cette rime pas tout à fait anodine : « Rap is from the center where only the tighest white boys can enter« . A l’heure où sort Deliverance, il est donc temps d’oublier cette vision caricaturale et boueuse de Bubba Sparxxx, même si le maxi annonciateur de ce deuxième album en remettait une couche -c’est le cas de le dire- avec son titre évocateur : ‘In da Mud’, parodie déjantée et plutôt amusante du mémorable tube de 50 Cent.
Ouvert par un poème de Big Rube, membre de la DF, l’album est d’une qualité aussi impressionnante qu’inattendue. Pendant la première partie de l’album, Le combo Bubba/Timbo fait des merveilles. L’immense Producteur, littéralement possédé, s’attaque à un genre musical que l’on croirait difficilement superposable au rap : la country. Passée la surprise de départ, suivie d’un léger sourire moqueur, on tend l’oreille et écarquille les yeux. Il faut l’entendre pour le croire : le résultat est tout bonnement jubilatoire. A l’écoute de ‘Jimmy Mathis’ et surtout ‘Comin’ Round’, on croit assister au kidnapping d’un redneck par un extra-terrestre. Et en terme de qualité, on est plus proche de ‘Rencontre du 3e type’ que d’un remake américain de ‘La Soupe aux choux’. Une fois n’est pas coutume, en prenant appui sur des boucles de violon, de banjo et d’harmonica, Timbo compose des productions moins déstructurées que dans ses travaux plus visionnaires, mais démontre une malice et une maîtrise sidérante dans le choix et l’agencement des kits de batteries, triturés, beat-boxés, grouillants de breakbeats ou de percussions tribales, body-buildées à coup de basses futuristes. Magistral. La suite ne fait que confirmer ce sentiment. Dans un registre plus introspectif, « Bubba K » évoque la rupture amoureuse dans ‘She tried’ (« It’s been six months and still no word / I try to carry on like it still don’t hurt / Hoes come around but I still won’t flirt / Drinking’s worse and the pills don’t work« ), avec un refrain désespéré qui répond aux guitares et violons crépusculaires de l’instru. Mais le coup de grâce n’est pas encore arrivé. Une plage plus loin, le sommet est atteint avec ‘Nowhere’. Sur une structure rythmique similaire à celle de ‘Cry me a river’, Bubba continue de méditer sur son parcours, ses erreurs et ses responsabilités, pendant que Timbaland quitte son habit de beatmaker pour celui de chef d’orchestre. Il assemble d’une main de maître une orchestration riche en violons et en guitare électrique, très émouvante, et éclairée par un refrain d’une tristesse désarmante : « I know what it’s like to be nowhere« , entonné par Kiley Dean, nouvelle recrue R’n’B de Beat Club. Plus tard, lors du morceau éponyme, le hit en puissance ‘Deliverance’, on en viendra à se demander comment le Pygmalion de Missy Elliott est parvenu à sublimer ses pulsions électroniques pour les fondre dans le terreau de la musique américaine. Ces créations exceptionnelles viennent nous rappeler qu’avant d’être un faiseur de tubes, Tim Mosley est surtout un explorateur génial, un savant fou, et une énigme permanente.
Après une moitié d’album haute en couleur, on commence à croire que Bubba va se réfugier dans le confort douillet d’un agréable album de country-rap qui pourra ratisser large, de Brooklyn jusqu’au fin fond du Nevada. C’est le moment que choisit Warren Anderson Mathis, fils de Jimmy, pour faire volte face. Les cuivres titubant de ‘Overcome’, tout d’abord, redonnent de l’élan au disque pendant que Bubba se fait chef de file de ce qu’il appelle le « New South ». Puis Bubba et Timbaland se retrouvent sur la corde raide, le temps d’un titre particulièrement ambitieux, ‘Warrant’, exercice de style électro-symphonique périlleux, dont ils se sortent plutôt bien malgré la présence obsédante d’un charley ouvert assez agaçant.
Plus nerveuse et électrique, avec un retour de productions typiques de Timbaland (‘Take a load off’, ‘My tone’), la suite est de facture plus classique, notamment quand l’ami Justin Timberlake s’invite sur un ‘Hootnanny’ un tantinet prévisible. C’est alors que Bubba a la bonne idée de faire à nouveau équipe avec le trio d’Organized Noize, qui lui apporte la touche de folie propre aux albums d’OutKast : trompettes et beat poussiéreux à la ‘So fresh so clean’ dans ‘Like it or not’, délire à grande vitesse façon ‘B.O.B.’ (‘Back in the mud’, excellent), le tout permettant à Bubba Sparxxx de s’émanciper de la tutelle de Timbo King pour s’aventurer dans un terrain que l’on croyait réservé à Big Boi et Andre 3000. Sans atteindre le degré de réussite de ses prestigieux aînés, notamment à cause d’un timbre de voix trop monolithique, le seul rappeur US à porter du Lacoste s’en sort avec les honneurs, et donne à l’album une tonalité plus éclectique. Dommage que la séparation entre les sons « country » et le reste soit si flagrante, le disque perd en densité sur la fin tant la première partie marque les esprits.
Si le Hip-Hop consiste à puiser dans ses racines et son environnement pour se surpasser, alors Bubba Sparxxx est un pur B-Boy. N’en déplaise à ceux qui ne voient en lui qu’un Eminem du pauvre ou un paysan marketé. Formidablement mis sur orbite par un Timbaland all over the place, surprenant d’aisance sur les instrus escarpées d’Organized Noize, l’enfant de LaGrange livre un disque décomplexé et audacieux. Warren Mathis, en pleine possession de ses moyens, prouve que « rural » ne rime pas toujours avec « caricatural » avec un deuxième album dont le nom, Deliverance, résume exactement la teneur. Faisant suite aux sorties récentes de Field Mob et OutKast, le « sophomore album » de Bubba Sparxxx est une excellente surprise, qui témoigne encore une fois du caractère atypique et fascinant du rap issu des alentours d’Atlanta.