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Lundi soir, quand nous avons publié la deuxième partie de notre entretien avec Thibaut de Longeville, nous savions qu’elle allait faire réagir : Thibaut nous avait confié des anecdotes ahurissantes, mais aussi une analyse franche, juste et amère sur toute une époque du rap français. Nous n’imaginions pas qu’elle aurait l’effet d’une véritable boîte de Pandore.
Au lendemain de la parution de cette interview, Akhenaton lui-même nous a appelé, à notre grande surprise. Chill souhaitait nous faire part de son point de vue concernant le réenregistrement de L’École du Micro d’Argent, évoqué par Thibaut dans l’interview, et corriger certaines inexactitudes.
Soucieux de préserver son histoire, le groupe IAM a depuis publié un communiqué à ce sujet. Après discussion avec Akhenaton, Thibaut de Longeville a quant à lui choisi de corriger certaines erreurs factuelles – après tout, 1997 aussi, c’est loin – et expliciter son propos pour éviter toute polémique inutile.
Voici donc son témoignage, revu à la lumière de ses échanges avec Chill. Son propos initial reste toujours consultable dans l’interview originale. Quant à nous, nous sommes évidemment disponibles pour revenir sur les histoires d’IAM et Time Bomb –  dans leurs moindres détails  –  au cours d’interviews futures. Notre dictaphone est grand ouvert.


Thibaut de Longeville :

« Après la publication de l’interview, j’ai eu quelques conversations téléphoniques amicales avec Chill qui m’a donné des informations sur sa rencontre avec Les X et sur le morceau « Demain, C’Est Loin » écrit en compagnie de Sat de La FF bien avant tout ça, et m’a également donné l’occasion de me rappeler plus précisément des circonstances dans lesquelles j’ai découvert L’École du Micro d’Argent.

La première séance d’écoute de l’album à laquelle j’ai pu assister était en fait à New York. Je suis venu rendre visite au groupe IAM – qui sont des amis, je précise – avec les gars de Sunz Of Man, qui se trouvent également être des copains à moi. Si mes souvenirs sont bons, c’est le jour où ils ont rencontré les Sunz Of Man. On a écouté plusieurs morceaux, dont « L’Empire Du Côté Obscur », les premières versions de « Dangereux », « Petit Frère », « Bouger La Tête », et d’autres.

Au niveau du son et du style de rap, c’était assez proche d’Ombre est Lumière. Ils rappaient « à la IAM », avec un son un peu à la Wu-Tang circa 1993. Ça sonnait globalement plus comme « L’Empire du Côté Obscur » que comme « Demain, C’est Loin ».

Puis ils ont décidé de refaire l’album, pour un ensemble de raisons qu’ils ont expliqué dans leur communiqué. La principale, c’était la sortie de quelques albums, dont les prods et l’acoustique ont ébranlé l’idée que l’on pouvait se faire du son d’un album de rap à l’époque, notamment Hell On Earth de Mobb Deep. À son écoute, IAM ont eu l’intelligence, le courage – et les moyens – de revoir complètement le son de l’album qu’ils s’apprêtaient à sortir. Ils ont fait passer à la trappe le mix de Nick Sansano et ont engagé l’ingénieur/producteur Prince Charles Alexander pour remixer l’album dans un gros studio à Suresnes, où je suis venu également plusieurs fois leur rendre visite et où j’ai pu apprécier l’évolution et les changements de version.

Je suis venu une fois avec Emmanuel de Buretel et Laurence Touitou, et deux ou trois fois avec les X-Men et Ali des Lunatic. Je me rappelle qu’on avait été assez soufflés avec les gars de Time Bomb par « Nés Sous La même Étoile », dont on trouvait la prod’ dingue et la plume super moderne, et évidemment par « Demain, C’Est Loin » dont Shurik’N a écrit le couplet à Paris aux cours de ces sessions. Je me rappelle que les X leur avaient fait écouter leurs démos en studio. Je me rappelle par ailleurs très clairement d’échanges tendus entre Imhotep et la maison de disques, et me souviens avoir quitté une fois le studio avec Emmanuel de Buretel et Laurence Touitou qui me disaient que le groupe les rendait fous à vouloir tout refaire depuis qu’ils avaient entendu des nouveaux morceaux, que ça foutait en l’air leurs plannings de sortie pour un album très attendu, etc.

« Ce dont je voulais témoigner, c’est de l’influence que les X-Men, un groupe qui n’a pas eu le succès d’IAM et de La Fonky Family, a eu sur le rap français à cette époque. »

J’en ai conclu à l’époque qu’une des raisons pour lesquelles ils refaisaient l’album était l’émergence d’un nouveau style d’écriture et d’interprétation porté par la Fonky Family à Marseille et le crew Time Bomb à Paris, qui étaient en train de révolutionner l’idée que l’on pouvait se faire du rap français pendant qu’IAM concevait son troisième album à New York. Si IAM et les X-Men ne se sont en fait rencontrés physiquement que lors de ces sessions, soit quand la deuxième version de L’École était finie ou en phase de mix, les morceaux et les freestyles tournaient déjà bien avant et on sentait indéniablement qu’une autre génération de MC’s arrivaient.

J’ai probablement fait un amalgame avec tout ça. Je m’excuse auprès d’IAM si mes infos sont inexactes, j’exprimais un ressenti sur l’époque et c’était il y a un moment.

Après, ce que je retiens principalement de tout ça, c’est que L’École du Micro d’Argent est un des dix meilleurs albums de l’histoire du rap français, un monument du genre, et sans conteste celui qui a popularisé un style d’écriture et un style de son qui, sans ça, serait vraisemblablement resté très underground en France. C’est pour moi le plus bel exemple de réussite artistique et commerciale du rap français, et d’un album qui a servi le genre dans son ensemble.

Au-delà du groupe IAM, c’est tout le rap français qui a bénéficié du succès de cet album. Quelle que soit la back story derrière la refonte de l’album, les influences américaines ou françaises, je trouve génial que le groupe ait eu la clairvoyance de revoir l’album et d’en faire cette deuxième version qui est aujourd’hui un des plus grands classiques du rap français. Si les rappeurs en France étaient plus souvent capables de prendre ce type de recul sur leur travail et se remettre en question, le patrimoine artistique du genre se porterait mieux.

Concernant le fait que Ill ou les X aient pu influencer Akhenaton, l’influence s’est fait plus ressentir dans la période Sad Hill, ce sur quoi AKH s’accorde avec moi. C’est à mon sens probant sur un morceau comme « J’Ai Pas de Face », qui reprend le « J’casse la baraque » de « Pendez-les… » en hook, et où AKH rappe en utilisant le type de consonances qui étaient la signature du style de Ill à l’époque : “Tu t’appelles Anna, c’est ça ? / Ecoute Anna, mets-toi des collants moulants / Qu’on mate avec les panats” ou “Ici-bas / Casse dans la caisse des casses-couilles / Le casse-dalle / Danys Nacache du rap / J’fracasse la casbah et casse-toi”.

Après, on peut argumenter qu’Akhenaton comme Ill sont tous deux pratiquement bilingues et partageaient les mêmes références, soient Mobb Deep, Smif-N-Wessun, Raekwon, et tous les fils spirituels de Kool G. Rap et Rakim, dont Akhenaton a toujours revendiqué l’influence. Akhenaton faisait par ailleurs déjà des consonances en 1990, comme il me l’a brillamment rappelé avec cet extrait : « Mes versets versent dans l’averse de vers sévères, traversent la verve du versus pour une défaite sévère en sus chère aux frères, en plus tire cette force du cerceau, s’exerce au mic le berceau, du style pas d’verseau mais l’serpentaire… »

Je ne prétends en tous cas pas être le « juge » de l’influence de tel sur tel, ce dont je voulais témoigner dans l’interview c’est de l’influence que les X-Men, un groupe qui n’a pas eu le succès d’IAM et de La Fonky Family, a eu sur le rap français à cette époque (y compris IAM, et il n’y a aucun mal à ça à mon sens), qu’ils ne sont peut-être pas tout-à-fait reconnus comme tel, au moins par l’industrie du disque d’alors qui n’a pas capitalisé sur leur talent et ce qu’ils pouvaient apporter au genre.

J’ai mal choisi mon exemple concernant IAM, « Demain, C’est Loin » et « L’École du Micro d’Argent », j’aurais du parler de « J’Ai Pas de Face » ou choisir d’autres exemples parmi ceux qui florissaient dans l’underground de l’époque. Je m’excuse auprès de tous ceux que ça a fait chier, mais je suis friand de ce type de précision, quand c’est pour l’amour du rap. Pas de parisianisme ou de révisionnisme historique dans tout ça. Je précise par ailleurs pour – j’espère – clore le débat que j’ai eu ensuite l’occasion de travailler avec Akhenaton à sa demande sur l’album Sol Invictus, notamment en tant que conseil artistique sur les remixes du titre “AKH”, version “K” et version “H”. Pour ceux qui douteraient du fait que l’on se connaît et se respecte mutuellement depuis longtemps, voici le « H » comme Hommage. »