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Sous une pochette érotico-biblique qui n’est pas sans évoquer celle du A Piece of Strange des Cunninlynguists sous ecstasy – en nettement plus débridé, donc – Del prolonge une collaboration avec l’équipe de Parallel Thought entamée en 2009 en compagnie de Tame One. Elle avait alors abouti au très recommandable Parallel Uni-Verses, disque chaleureux dédié pour l’essentiel à la célébration, forcément nostalgique mais aussi enjouée, de l’arche perdue du hip-hop. Cette fois, le rappeur californien et les producteurs du New Jersey se retrouvent entre eux, autour d’une formule légèrement modifiée, même si elle ne dévie pas franchement du sillon tracé précédemment.

Les Parallel Thought piochent toujours avec gourmandise dans l’héritage jazz, soul et funk, à grand renfort de cuivres et dans une moindre mesure de claviers. Mais ici la richesse et la densité du son déjà remarquées dans leurs opus précédents prend parfois une dimension quasi-orchestrale, surtout quand le duo devenu trio cultive son sens de la modulation mélodique, jouant ici et là sur la panoramique. En témoigne « Ownership », sorte de bœuf hip-hop qui mêle sax, guitare et piano sur un beat à contretemps, avec pour effet une texture quasi-live. Cette chaleur instrumentale se retrouve plus ou moins tout au long de l’album, associée à un tempo généralement élevé qui offre un vaste champ de jeu au phrasé élastique et articulé de Del. Sur le morceau inaugural, l’imposant « On Momma’s House », avec sa batterie funk surplombée de cuivres aux saveurs disco (et, en arrière-fond, sa ligne de harpe caressante), le natif d’Oakland rappe ainsi pendant cinq minutes ininterrompues qui défilent en un claquement de doigts.

De manière générale, Del fait montre de la dextérité qu’on lui connaît, exprimée par ce timbre de voix reconnaissable entre mille. Si ses fanfaronnades semblent plus terre-à-terre et ses textes moins distanciés qu’auparavant (ses piques anti-wacks ne sont pas des plus inspirées, surtout quand elles sont parlées), son flow, qui paraît à la fois bien calé dans les temps et off-beat, est toujours aussi affûté. Et ce y compris quand la cadence se fait plus paisible, comme le prouve l’ondoyant « Get to Drillin » avec, à gauche, sa boucle de piano entrecoupée de frôlements de harpe et, à droite, sa flûte et ses roulements de cymbales. Ceci dit, perdre en route l’ex-Artifacts n’était peut-être pas une très bonne idée. Le flow (plus rugueux) autant que la voix (plus rauque) de Tame One offraient un bon complément à ceux de Del. Si ce dernier occupe sans problème l’espace tout seul, c’est au risque d’une légère monotonie, surtout sur une fin d’album moins entraînante que son début. De leur côté, les productions de Parallel Thought s’avèrent un peu plus linéaires que sur Parallel Uni-Verses, tandis qu’on regrette la rareté des scratches (« Blow your Mind » et « Front Like ya Know » faisant exception), davantage présents sur l’album de 2009. En comparaison, Attractive Sin est en ce sens un poil décevant. Ce qui n’empêche pas ce LP mélodieux d’être tout à fait digne d’attention.

Retour en arrière, remontée dans les années 1990, s’empressent de conclure certains commentateurs, pour le saluer ou le regretter. Mais non. Pourquoi faire d’Attractive Sin un disque passéiste? Il colle bien à son époque. Évidemment, il n’a pas la fraîcheur des premiers disques de Del, ni l’audace de ses meilleures expérimentations (Deltron 3030 en tête, dont une suite est annoncée depuis si longtemps que la crainte l’a emporté sur l’attente). Mais il ne les imite pas platement non plus. Et des rappeurs qui sortent des disques de cette qualité après plus de vingt ans d’une carrière qui a souvent emprunté des chemins de traverse, il n’y en a pas des centaines.

Artifacts est l’une des rares formation Hip-Hop n’ayant pas eu le triste loisir de connaître le froid désamour que le passionné du genre réserve à ceux qu’il avait tant aimé et qui, pour des raisons parfois bien obscures, ne trouvent plus grâce à ses yeux. Du fait, il faut bien l’avouer, d’une carrière courte, se déroulant entre 1994 et 1997, du lumineux ‘Wrong Side of da Tracks’ au bondissant ‘Brick City Kids’. Mais également d’une discographie impressionnante : de la poignée de maxis aux deux albums, il n’y a simplement rien à jeter des titres signés par le groupe de Newark, New Jersey. Chaque morceau siglé ‘Artifacts’ est un hit potentiel, empreint d’une spontanéité et d’une fraîcheur propres aux « Brick City Kids« .

That’s Them, donc, 1997. Les ambiances sonores lourdes et obscures règnent sur la côte Est, et le duo de MCs El da Sensei/Tame One en a pris effet : Shawn J-Period, Da Beatminerz, VIC ou encore Showbiz et Lord Finesse sont les pointures de la production choisies pour lifter le « son Artifacts« . Les mélodies envoûtantes, les tempos effrénés et les énormes lignes de basses du premier album, « Between a Rock and a Hard Place » sont soigneusement mis de côté. Les beats deviennent plus rugueux et minimalistes, plus sombres, même si tout est relatif. On ne s’écarte en effet jamais trop longtemps du boom-bap sautillant qui avait tant séduit sur le précédent opus du groupe : ‘This is da Way’, ‘The Ultimate’ (l’original comme le remix de Showbiz) ou ‘The Interview’ rassureront rapidement les sceptiques qui auraient pu craindre un changement d’orientation musicale trop radical. Le beat oppressant de ‘Collaboration of Mics’ ou celui, plus froid et mélancolique, de ‘Skwad Training’ permettent aux deux MCs de s’illustrer sur des productions où on ne les attendait pas forcément. Comme sur B, on ne pourra que s’incliner devant l’efficacité du choix des beats, et apprécier la place laissée au turntablism, assuré pour sa majeure partie par DJ Kaos.

Au micro, le parti a été pris de ne pas modifier en profondeur une recette à l’efficacité déjà prouvée. Les références au graffiti, qui avait dans un premier temps unis les deux « Brick City Kids », restent omniprésentes, et la répartition des tâches demeure la même : Tame One dans le rôle du « notty headed nigguh » exubérant et versatile, El da Sensei dans celui du performer froid et imperturbable. Rarement complémentarité entre 2 MCs n’aura parue si évidente. L’énergie déployée par le duo atteint son paroxysme lors des titres phares de l’album que sont ‘Collaboration of Mics’ (où Tame One et El da Sensei croisent le fer avec le légendaire Lord Finesse et Lord Jamar), ‘The Ultimate’, et ‘This is da Way’ et demeure tout au long de l’album magnifiquement mise en valeur pas des breaks de batterie qui tapent (très) fort et des lignes de basse ronflantes. Sur ce terrain très favorable, Tame s’en donne à cœur joie (« New jacks relax cause the syntax can’t be Xeroxed, Cause I be locked on spots like niggaz movin in from swat, I X more Men out than Elijah, Muhamm Ali of rhyme schemes, Leavin my stickers at the crime scene ») et El da Sensei, dans un style plus sobre, n’est pas en reste : « We wish to diminish MC frauds who need to check, Into a rap clinic, thinking that they all in it, My message to those is right down to the core, Kick your best MC and all his niggas through the door, 3-point offense, defense level’s high, Stamina a hundred, leave your team ass dry ». Les textes sont très largement basés sur l’egotrip et on ne trouvera pas, même en cherchant bien, l’ombre d’un morceau à thème précis.

A sa sortie, That’s Them fut boudé par une certaine frange du public d’Artifacts, reprochant au duo d’avoir voulu renoncer à son atypisme pour mieux coller aux tendances d’alors. Sûr qu’après quelques écoutes approfondies de l’opus, ces irréductibles ont révisé leur jugement. Une fois la rupture avec la candeur qui faisait le charme de Between a Rock and a Hard Place consommée, on se demanderait presque si That’s Them ne se situe pas un cran au dessus de son illustre prédécesseur. Il s’agit en tous les cas d’un album homogène et très abouti, par le biais duquel Tame et El da Sensei remplissent leur principal objectif, à savoir faire hocher des têtes et passer du bon temps pendant plus d’une heure.

La suite pour Artifacts ? le duo achèvera sa collaboration par le maxi Brick City Kids / What What, sorti en 1997. Puis les ex-compères se lanceront dans des aventures solos, avec des fortunes bien distinctes : Tame One a aujourd’hui perdu toute crédibilité, après deux albums très quelconques et beaucoup de projets inintéressants avec sa clique Eastern Conference/Weathermen. El da Sensei a quant à lui mieux géré l’après Artifacts, sortant plusieurs maxis très intéressants, et livrant en 2002, Relax, Relate, Release, LP efficace à défaut d’être exceptionnel, et, très récemment, The Unsual, tout aussi convaincant.