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Quand Your Old Droog a sorti ses premiers projets au milieu des années 2010, certains ont cru qu’il s’agissait de Nas rappant sous un alias. Il faut dire que la ressemblance entre les voix des deux rappeurs était alors troublante. Elle a d’ailleurs suffi à ce que des esprits chagrins range le jeune Brooklynite dans la catégorie des pompeurs éhontés, sans autre forme de procès. Un peu comme Action Bronson quelques temps auparavant, décrété pâle copie de Ghostface Killah alors que son univers n’avait finalement que peu en commun avec celui de l’Ironman du Wu. S’il fallait trouver une proximité entre Your Old Droog et une « figure » établie, ce serait davantage du côté de MF Doom – d’ailleurs invité sur It Wasn’t Even Close – qu’il faudrait chercher : les deux partagent l’amour des productions simples où la boucle occupe une place centrale, des univers décalés par rapport aux autres rappeurs de la Grosse Pomme et ce goût des tracklists un peu foutraques, brouillant les limites entre morceaux et interludes.

Nas et MF Doom : voilà des référents de comparaison un peu encombrants. Un constat qui amène une question évidente : pourquoi écouter un jeune artiste peu médiatisé dont l’œuvre renvoie à des grands noms de sa discipline, et pas plutôt les œuvres de ces grands noms elles-mêmes ? Your Old Droog n’apporte rien de radicalement nouveau au genre. Pourtant, pour en venir à It Wasn’t even Close, difficile de nier qu’il se passe quelque chose quand la grosse caisse de « 90 from the Line » vient souligner ses mots ou qu’il agresse la boucle guillerette de « Babushka ». Quand YOD ouvre la bouche, on tend l’oreille : de par son flow, mélange d’autorité et de nonchalance, ainsi que par son timbre de voix, il est de ceux qui captent immédiatement l’attention, peu importe ce qu’ils racontent ou le support sur lequel ils s’expriment.

« Your Old Droog est de ceux qui captent immédiatement l’attention, peu importe ce qu’ils racontent ou le support sur lequel ils s’expriment. »

L’album est d’ailleurs bâti pour ne jamais que le lecteur ne se détourne des paroles prononcées : les productions sont agréables mais suffisamment sobres pour ne pas empiéter sur la prestation d’Your Old Droog, dont la voix est clairement mise en avant. Et le New-Yorkais se livre à une démonstration dans le registre du rap East Coast : le style est rugueux, sans fioritures et percutant. Pas de passages chantés ni d’étalage technique, des refrains réduits à la portion congrue, tout se joue sur les placements et l’éloquence, qui magnifient les egotrips de YOD. Pendant la quarantaine de minutes que dure l’album, le rappeur fait montre de ses talents dans des ambiances différentes – du crépusculaire « Gyros » au revanchard « 90 from the Line » – mais toujours plantées par des instrumentaux plutôt lo-fi, signés par Sadhu Gold, Evidence, Daringer ou Tha God Fahim.

Se dégage d’It Wasn’t Even Close une impression de maîtrise et d’assurance : Your Old Droog n’a peut-être que cinq ans de carrière discographique derrière lui mais il sait visiblement où il va. Probablement aidé en cela par Mach-Hommy, producteur exécutif du projet, il donne à l’album une direction artistique claire et stricte : le rappeur est ici au centre des compositions et en aucun cas un élément parmi d’autres d’un univers sonore. Et quand le rappeur en question est aussi bon que Your Old Droog et que les productions sont à la hauteur, ça ne peut que fonctionner.

Sur nos réseaux sociaux, des diplômés de l’Université du South Bronx font parfois part de leur colère quant à notre méconnaissance de la chose Rap. Jusque-là, aveuglés par la suffisance, nous n’avions pas pris leur parole en compte, mais force est de constater qu’ils avaient peut-être raison. Pour le bilan de l’année 2016, nous prédisions le burn out à Tha God Fahim s’il continuait sur un tel rythme de sorties, en ajoutant qu’il aurait peut-être intérêt à se recentrer sur le beatmaking pour ne pas trop vite se cramer. Résultat des courses, lors du premier trimestre 2017, Fahim a sorti deux projets instrumentaux et trois albums rappés, sur lesquels il produit bien moins qu’à l’accoutumée. Et surtout, loin de se griller, le rappeur venu de Géorgie (celle d’Outkast, pas celle de Staline) commence à générer un certain engouement autour de son taf. On s’était donc bien plantés sur ce coup-là et il va falloir se relever avec panache. En commençant par exemple à parler de Fahim avec des termes plus laudatifs, puis en s’attardant sur Dreams of Medina 2, opus le plus remarquable à notre goût de cette rafale de sorties.

L’album commence par une confirmation : TGF a une sacrée oreille. Il n’y a en effet pas grand-chose à jeter au niveau des instrumentaux, qu’il en soit l’auteur ou non, et on va jusqu’à tutoyer l’excellence avec la sinistre flûte de « Boryokuda » ou les chants fantomatiques de l’éthéré « Rolls Royce Chimera ». Si Fahim semble récemment se rapprocher de beatmakers assez établis (Vanderslice, DJ Skizz, Sonnyjim), la conception sonore est ici assurée par de relatifs inconnus (Michael Angelo, Sadhu Gold, Al Divino, Animoss), TGF signant tout de même cinq des douze productions. Nouveauté appréciable, Dreams of Medina 2 est moins sombre que la petite dizaine de projets qui l’ont précédé et Fahim n’hésite pas à s’aventurer par moment dans des ambiances jazzy fort plaisantes (« Ason Unique », « Memento Mori »), où son sens de la mélodie fait merveille.

« Avec cet album, la carrière de Tha God Fahim prend une tournure assez enthousiasmante.  »

Cette ouverture est peut-être la clé du succès modeste mais récent que Fahim semble connaitre, là où Soul Eater, TGIF ou Tha Dark Shogunn Saga, ses albums les plus notables jusqu’ici, étaient efficaces mais quelque peu interchangeables. Sur « Night & Day », le rappeur d’Atlanta se permet même de convier Mach-Hommy pour un refrain chanté neurasthénique reprenant « Baby I Love Your Way » de Peter Frampton, ou plus sûrement de Big Mountain (attention, référence préhistorique). Au micro il y a également du progrès. Fahim est notamment plus à l’aise qu’auparavant avec les temps et paraît moins énervé en permanence. Les tempos lents lui convenant mieux, il livre même des moments de rapping convaincants sur « Fishin Wire » ou « The Sheikh Pull up U Shake the Masjid » (!). TGF ne sera probablement jamais Rakim mais on finit par se faire à cette technique un peu archaïque. Il en va de même pour Mach-Hommy, autre valeur montante gravitant autour de Griselda Records, invité sur trois morceaux ici.

De par sa densité et sa variété, Dreams of Medina 2 est donc jusqu’ici le projet le plus abouti de Tha God Fahim, dont la carrière prend ces derniers mois une tournure assez enthousiasmante. Mais ne mentons pas non plus : si le garçon est un bourreau de travail et a de grandes qualités, on a toujours du mal à imaginer comment il pourra tenir ce rythme effréné de sorties sans finir par lasser son monde. Fahim a beau venir d’ATL, son public ne consomme assurément pas la musique comme celui d’autres surproductifs résidents de sa ville. Souhaitons-lui donc de nous faire passer pour des buses une seconde fois.