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Alors que son pays célébrait le 4 juillet dernier sa fête nationale, lui soufflait trois quarts de siècle d’existence, dont presque quinze années consacrées à une carrière aussi inattendue que fluctuante. Dire de Bill Withers que rien ne le prédestinait à devenir un des artistes les plus marquants de la soul n’est pas un euphémisme pour flatter sa bio. Benjamin d’une fratrie de six, Bill Withers nait en 1938 en Virginie-Occidentale, dans le petit bled minier de Slab Fork. Un village de deux cents âmes surtout habité par des blancs, mais où « tout le monde avait la gueule noire après une journée de travail à la mine », plaisantera-t-il en 2009 dans Still Bill, documentaire sur sa vie tranquille de retraité en survêtements. Enfant bègue (trouble qu’il n’arrivera pas à dompter avant la fin de sa vingtaine), orphelin d’un père mort à ses 12 ans, Bill s’engage dans la marine américaine peu avant sa majorité. Neuf ans plus tard, il est réformé, et s’installe ensuite à Los Angeles en 1967 dans l’espoir de poursuivre une carrière musicale. Pendant qu’il enregistre ses démos, il continue à bosser comme col bleu en assemblant à la chaîne des toilettes pour Boeing 747.
C’est par une rencontre cruciale avec Raymond Jackson que Bill parviendra à enregistrer son premier album. Grâce au claviériste du Watts 103rd Street Rhythm Band de Charles Wright, il arrange et peaufine ses démos auto-produites. Elles tomberont entre les mains de Clarence Avant, patron de Sussex Records, qui, convaincu du talent de Bill, le signe sur son label. Il assigne Booker T. Jones à la production de son premier album, Just As I Am. Sur ce premier opus sorti en 1971 (il a alors trente-deux ans), Bill apparaît dans sa tenue de travailleur, lunch box à la main. Il faut croire qu’elle contenait bien plus qu’un sandwich et un paquet de chips : le premier extrait de cet album sera son premier succès grand public, entré aujourd’hui au panthéon des plus grandes chansons de la soul : « Ain’t No Sunshine ». Une chanson déchirante sur le manque affectif, primée l’année suivante par un Grammy Awards. Dès ce premier album, le style Withers tranche avec la soul de l’époque, avec sa musique épurée aux influences blues et folk. Un style loin des arrangements grandiloquents des monuments de la Stax ou de la Motown de l’époque, qui épouse les textes simples de Bill. « J’écris et chante sur tout ce dont je suis capable de comprendre et ressentir, expliquait-il. Je pense que c’est plus sain de voir le monde à travers une fenêtre qu’à travers un miroir. Autrement, tu ne vois que toi-même et ce qu’il y a derrière toi. »
Suite à la sortie de cet album, il tourne alors avec Ray Jackson et ses collègues du Watts 103rd Street Rhythm Band et développe avec eux une réelle complicité musicale. Booker T. Jones étant très occupé, il convainc Clarence Avant d’enregistrer son deuxième album avec ses nouveaux compères. Une décision judicieuse : c’est en leur compagnie qu’il signe son œuvre la plus aboutie, Still Bill, mêlant ses racines rupestres au funk urbain de Ray et ses potes, avec des morceaux tels que « Use Me », « Who Is He (And What Is He to You) », « Kissing My Love ». Mais c’est encore avec une chanson touchante que Bill va cartonner : « Lean On Me », inspiré du gospel de son enfance, dans lequel ses mots sur l’amitié se lient parfaitement à ses accords simples sur le piano Wurlitzer. Suite à Still Bill, Withers signera deux autres disques chez Sussex : son excellent live au Carnegie Hall de New York, puis +’Justments, troisième album studio sous-estimé. C’est avec cet opus que se conclura la collaboration entre Bill et Sussex – la maison de disques mettra la clé sous la porte en 1975 pour fraude fiscale.
Après avoir signé deux chansons pour Gladys Knight sur son album I Feel a Song, Bill signera chez Columbia en 1975. Une période de sa carrière qui n’a pas été aussi foisonnante en chansons passées à la postérité, malgré quelques singles à succès, notamment « Lovely Day », ou plus tard, « Just The Two of Us ». La faute, peut-être, à des arrangements beaucoup plus léchés et travaillés, faisant perdre à la musique de Bill cette émotion claire et sincère qu’il avait trouvée sur ses premiers albums. De son expérience chez Columbia, il dira : « dès que je jouais quelque chose, on me disait « où sont les cuivres ? Combien de temps dure l’intro ? » Mon premier disque, « Ain’t No Sunshine », n’avait pas d’intro. Mais ces gars me balançaient toute sorte de suggestions – je les appelais des « blaxperts », des blancs censés être des experts en musique noire. Un de mes directeurs artistiques m’avait suggéré de reprendre « In The Ghetto » d’Elvis Presley… J’étais livide. Et à mesure que je devais gérer ce genre de situations, mon souhait de transmettre des émotions simples et vulnérables s’est complètement émoussé. »
Depuis son dernier album sorti 1985, Bill vit en Californie, où il gère avec sa femme et ses deux enfants ses droits d’auteurs, nourris en partie par le sampling de nombre de ses titres par des producteurs de rap. Paradoxalement, ce n’est pas de ses plus grands succès comme « Lean On Me » ou « Ain’t No Sunshine » qu’ils ont tiré leur meilleur boucle – la reprise quelconque de DMX de ce dernier titre en est l’exemple-même. Mais les dix samples ci-dessous tirés de son répertoire montrent un lien à la fois naturel et contradictoire entre l’humilité de sa musique et le caractère parfois expansif des instrumentaux qui l’ont repris.
« Grandma’s Hands » (Just As I Am, 1971)

Bill Withers « Grandma’s Hands »
C’est sans doute le sample le plus connu de Bill. Un simple fredonnement et quatre notes de guitare blues suffisent à planter instantanément le décor rural et pieux de son doux hommages à sa grand-mère. Une boucle courte mais suffisamment puissante pour attirer l’oreille de Teddy Riley, qui a composé l’incontournable et infectieux « No Diggity », sans doute le plus gros succès des Blackstreet. Une chanson sur une fille citadine futée et pleine d’assurance, loin du portrait de la femme maternelle et attentionnée dessiné par Withers.
Blackstreet ft. Dr. Dre and Queen Pen - « No Diggity »
« Kissing My Love » (Still Bill, 1972)

Bill Withers « Kissing My Love »
Pour accompagner sa voix chaude et ses accords de guitare, Bill Withers a su s’entourer de musiciens de qualité. Parmi eux, le batteur James Gadson tient incontestablement une place importante. Avec ses rythmiques sèches et son jeu funky, il a insufflé aux albums Still Bill et +’Justments un groove bien plus palpable à la musique de Bill que sur les autres albums de sa discographie. Au sommet de la collaboration entre les deux artistes se trouve sans doute l’enflammé « Kissing My Love ». Joué seul en introduction, le break de Gadson allait forcément devenir matière à instrumentaux rap une vingtaine d’années plus tard. Samplé une bonne trentaine de fois, c’est sans doute sur les titres « Let Me Ride » de Dr. Dre, « In The Ghetto » d’Eric B & Rakim et « Straight Out The Jungle » des Jungle Brothers qu’il est entré dans la liste des plus célèbres breakbeats du rap. A noter que sur le même album, seul un alien comme Timbaland pouvait reprendre le break de « Another Day to Run » pour composer un instrumental bounce comme lui seul savait en créer.
Jungle Brothers - « Straight Out the Jungle » (1988)
Eric B & Rakim - « In The Ghetto » (1990)
Dr. Dre - « Let Me Ride » (1992)
« Who Is He (And What Is He To You) » (Still Bill, 1972)

Bill Withers « Who Is He (And What Is He To You) »
Chanson sur la paranoïa sentimentale, « Who Is He (And What Is He To You) » est typique du style de Bill Withers de l’époque Sussex : une composition dépouillée mais subtile (le tambourin en appui de la batterie, les envolées de cordes suspicieuses) pour aborder un sujet universel et complexe. Lorsqu’ils ont été piocher dans ce titre, les producteurs rap ont évidemment surtout repris le gimmick entraînant joués par la guitare de Bill Withers et le clavinet de Ray Jackson. Des plusieurs sampling de cette boucle, on pourrait retenir deux visions diamétralement opposées du rap à la sauce new-yorkaise. D’un côté, le beat à contre-temps du « Horse & Carriage » de Cam’ron et Mase, où les Trackmasters ont accentué l’aspect funky de la guitare de Withers, pour un titre que l’on imagine spécialement conçu pour les grands clubs hip-hop de l’époque comme The Tunnel. De l’autre, le « Desperados » des Perverted Monks d’Afu-Ra, sur lequel la mise en boucle rugueuse de Curt Cazal sur une rythmique bélier joue sur le côté pistolero des accords de la gratte.
Cam’ron ft. Ma$e - « Horse & Carriage » (1998)
Perverted Monks - « Desperados » (2001)
« Lonely Town, Lonely Street » (Still Bill, 1972)

Bill Withers « Lonely Town, Lonely Street »
Deux époques, deux styles de musique, mais une filiation aujourd’hui évidente. Si Bill Withers représentait un versant plus rural de la grande époque de la soul, les pionniers du rap texan U.G.K. et les Geto Boys ont porté le fanion du country rap tunes avec leur musique moite et crapuleuse hors de la ligne NY/LA. C’est presque naturellement que l’on retrouve dans deux titres respectifs de ces groupes deux samples de Bill Withers assez proches, extraits de son album Still Bill. Pour les Geto Boys, il s’agit de « Lonely Town, Lonely Street », que N.O. Joe a repris sur le brulant « It Ain’t ». Pimp C, lui, a pioché la boucle de « Use Me » pour son titre solo « Use Me Up ». Si Chad Butler a modernisé l’esprit de la chanson de Withers, avec son histoire de maquereau complètement accroc à une gonzesse, Scarface de son côté applique la froideur urbaine décrite de manière globale par la chanson de Withers dans un panorama sombre de Houston, finissant par un récit de vengeance meurtrière. Si les traitements des samples sont différents (éclatant chez Pimp C, étouffant pour N.O. Joe), leur rendu est typique du son texan, à la fois funky, énergique et farouche.
U.G.K. - « Use Me Up » (1992)
Geto Boys - « It Ain’t » (1993)
« I Can’t Write Left-Handed » (Live At Carnegie Hall, 1973)

Bill Withers « I Can’t Write Left-Handed »
Jusqu’ici, on a beaucoup évoqué le talent de Withers pour les mélodies entêtantes et les textes touchants, mais assez peu la force de sa voix bienveillante, parfois plaintive, parfois joviale. Pour « I Can’t Write Left-Handed », chanson inédite qu’il joua lors de son concert de 1973 au Carnegie Hall de New York, Bill mit dans sa voix toute cette incompréhension, cette angoisse et ce sentiment d’injustice portés par le récit épistolaire d’un soldat coincé au Vietnam. « Tell the Reverend Harris to pray for me, Lord. I ain’t gonna live, I don’t believe I’m going to live to get much older », clame-t-il avec ferveur sur une composition élégiaque entre blues et gospel. C’est cette même impuissance face à la mort qu’a repris Kno, grand amateur de samples vocaux, pour introduire « The Gates », ponctuant l’aspect dramatique du passage dans l’au-delà du personnage principal d’A Piece Of Strange des CunninLynguists.
CunninLynguists ft. Tonedeff - « The Gates » (2006)
« Don’t You Want To Stay » (Making Music, 1975)

Bill Withers « Don’t You Want To Stay »
Débutant sur une ritournelle aux accents médiévaux, « Don’t You Want to Stay » est sans doute l’une des plus belles balades du répertoire de Bill, avec sa ligne de basse languissante et son ensemble de cordes chagrinées. Des arrangements quasi-motowniens, qui ne sont pas dus au hasard, puisqu’ils ont été dirigés par Paul Riser, ancien membre des Funk Brothers, célèbres musiciens de studio ayant fait la gloire du label de Berry Gordy entre 1959 et 1972. C’est sans doute l’aspect majestueux des violons associé à la mélodie désenchantée de la basse qui a séduit de nombreux producteurs quelques années plus tard : Dub-B pour l’egotrip aigre-doux « The Future » de Joe Budden, DJ Burn One pour les confessions de salopards sur « Fulla Shit » de Rittz, Yelawolf et Big K.R.I.T., ou Davy Done pour l’angoissé « What The Future Holds » d’Outerspace.
Joe Budden - « The Future » (2005)
Outerspace - « What The Future Holds » (2008)
Rittz ft. Yelawolf and Big K.R.I.T. - « Fulla Shit » (2011)
« Lovely Day » (Menagerie, 1977)

Bill Withers « Lovely Day »
De sa période passée chez Columbia, Withers n’a pas réussi à produire des titres aussi mémorables que les plus grands hits tirés de ses albums chez Sussex. Il y a pourtant une de ses chansons qui est devenue aujourd’hui incontournable lorsque l’on évoque sa discographie : l’estival et coeur-léger « Lovely Day ». Grâce à sa ligne de basse quasi-disco et les envolées de cordes dirigées par Charles Veal, « Lovely Day » reste encore aujourd’hui un titre immédiatement reconnaissable. Des beatmakers aux styles bien distincts ont cherché cet instantané de sveltesse en mettant en boucle le thème musical du morceau de Withers : le californien Ant Banks pour « Player’s Holiday » de son groupe T.D.W.Y. avec les parrains de la Bay Area Mac Mall et Too $hort, Swizz Beatz pour son narcissique « Take a Picture », ou encore Red Spyda pour l’enjoué « Sunshine » de Twista et Anthony Hamilton.
T.D.W.Y. ft. Mac Mall & Too $hort - « Player’s Holiday » (1999)
Twista ft. Anthony Hamilton - « Sunshine » (2004)
Swizz Beatz - « Take A Picture » (2007)
« Memories Are That Way » (‘Bout love, 1979)

Bill Withers « Memories Are That Way »
Cela aurait pu être un autre de ces moments passés avec Diddy. Certes, celui-ci est beaucoup plus confidentiel : « Nothing’s Gonna Stop Me Now » n’est qu’un interlude coincé au milieu du massif The Saga Continues. Mais il est particulièrement révélateur : Sean Combs, accompagné par les vocalises appuyées de Mario Winans et Faith Evans, y raconte que rien ne pourra l’arrêter dans sa route vers la réussite. Un grand moment d’auto-célébration sur un sample de piano suave et mélancolique, tirée de « Memories Are That Way », belle chanson nostalgique moins connue du répertoire de Withers. Ironie du sort : dans les crédits de The Saga Continues, c’est « Grandma’s Hands » qui est crédité comme sample de cette chanson. Oui : rien n’arrête Diddy, même pas les problèmes de mémoire ou de déclaration de sample.
P.Diddy ft. Mario Winans and Faith Evans - « Nothing’s Gonna Stop Me Now »
« Just The Two Of Us » (Winelight, 1981)

Bill Withers « Just The Two Of Us »
Arrivé aux années 80, du fait de ses problèmes avec Columbia et d’une envie de se consacrer à sa femme et ses deux enfants, Bill ne sortit qu’un seul et dernier album en 1985, Watching You Watching Me. Il a, en revanche, collaboré avec de nombreux artistes à mi-chemin entre le jazz et le funk, comme les Crusaders en 1980 pour « Soul Shadows », samplé plus tard par Big D The Impossible pour le « Papa’z Song » de 2Pac. Mais c’est surtout avec le saxophoniste Grover Washington Jr. qu’il a signé, l’année suivante, le dernier grand succès de sa discographie : le fleur bleue « Just The Two Of Us ». Repris par Sauce pour l’ode à la paternité de Will Smith, chez nous, c’est Chimiste qui sampla les quelques notes cristallines ouvrant le titre de l’originale pour le « Freaky Flow » de Daddy Lord C. Les deux reprises sont assez basiques, mais il paraît difficile de troubler la mélodie légère de Withers et Washington.
Daddy Lord C - « Freaky Flow » (1994)
Will Smith - « Just The Two Of Us » (1998)
« RIP GSH… and we do what we do and how we do because of you. » Cet hommage posthume à Gil Scott-Heron n’a rien d’anodin quand il vient de Chuck D, rappeur et tête pensante de Public Enemy. De son vrai prénom Gilbert, né un 1er Avril 1949 à Chicago, Scott-Heron fut un artiste protéiforme, musicien, poète, écrivain, « slameur » avant le mot. Disparu vendredi 27 mai, il est l’une des figures de la musique noire américaine qui a sans doute le plus influencé la naissance du rap, par sa posture contestataire assumée et certains de ses textes déclamés sur des musiques brutes.
Mais avant d’être « le parrain du rap », comme le répètent ad nauseam les articles de la presse généraliste, Gil Scott-Heron était un chanteur de soul talentueux. Sa voix, aussi douce qu’elle pouvait être emplie de verve, servait sa plume sans n’être qu’un simple outil. L’émotion qu’il mettait dans ses performances prouve qu’elle était un vrai instrument, se mêlant aux productions de son ami, le pianiste et claviériste Brian Jackson. Tous deux passionnés par le jazz, les œuvres musicalement riches de leur discographie ont accueilli la participation d’artistes comme le contre-bassiste Ron Carter ou le flutiste Hubert Laws. Et si « The Revolution Will Not Be Televised » fut l’un des premiers morceaux proto-raps, d’autres de leurs compositions plus ou moins connues ont inspiré rappeurs et producteurs. En voici cinq, manière à nous de rendre hommage à un grand artiste. « Peace Go With You, Brother ».
« We Almost Lost Detroit » (Bridges, 1977)

Gil Scott-Heron « We Almost Lost Detroit »
En mars dernier, lorsqu’il alluma sa télé ouvrit son journal et lut qu’un nuage radioactif menaçait le Japon, Gilbert a du se dire « bande de cons, je vous avais prévenu ». Quand en 1977, sur son huitième album Bridges, il critiquait le manque de moyens mis en œuvre à la sécurité autour du développement de l’énergie nucléaire sur le sublime « We Almost Lost Detroit ». Inspiré d’un livre traitant du même problème, le propos de la chanson se révéla d’autant plus pertinent deux ans plus tard après l’accident de Three Miles Island, et davantage une vingtaine d’années plus tard après celui de Fukushima au Japon. Pourtant, sur cette chanson mid-tempo, point de rage ni de hargne, mais un chant presque murmuré, des claviers galactiques et une guitare atmosphérique. En 1998, J.Rawls reprenait la douce mélodie de l’originale de Scott-Heron pour le romantique « Brown Skin Lady » de Mos Def et Talib Kweli, tandis que Kanye West, en 2007, le découpait superbement pour l’optimiste « The People » de Common. Ce n’est d’ailleurs pas la seule fois où Mos et Common ont rappé sur un sample de Gil : « Mr. Nigga » reprenait le jazzy « Legend in His Own Mind », et « My Way Home » l’enflammé « Home Is Where The Hatred Is ».
Black Star - « Brown Skin Lady » (1998)
Common ft. Dwele - « The People » (2007)
« 1980 » (1980, 1980)

Gil Scott-Heron « 1980″
Gil Scott-Heron et Brian Jackson ont toujours su capter l’air du temps sans changer l’esprit de leur musique. A l’aube des années 1980 et de leurs transformations musicales, les deux compères se sont essayés à des morceaux plus funky, comme ce bien nommé « 1980 », chronique d’un monde robotisé et déshumanisé. Démarrant sur un délire spatial et futuriste, le morceau est appuyé par une ligne de basse groovy et une batterie entraînante. Il n’en fallait pas plus pour que Johnny « J », collaborateur récurrent de 2Pac disparu en 2008, sorte un beat G-funk délicieux pour le défunt rappeur et son pote Big Syke.
2Pac ft. Big Syke - « Ready 4 Whatever » (1997)
« Did You Hear What They Said ? » (Free Will, 1972)

Gil Scott-Heron « Did You Hear What They Said ? »
Au coeur de Free Will, son troisième album, « Did You Hear What They Said ? » est probablement l’une des chansons les plus tristes et amères de Scott-Heron. Le piano aigre-doux et la flûte mélancolique qui s’expriment tout au long du morceau y sont sans doute pour beaucoup. MadIzm a été déniché cette boucle en 2001 pour conclure sur une note plus douce le premier album, pourtant frontal, de Salif, Tous Ensemble – Chacun Pour Soi. Quelques années plus tard, Freeway ouvrait son second opus, Free At Last, sur le même échantillon, pour raconter son histoire, des rues de Philadelphie aux studios de Roc-A-Fella. Avec une seule impression, « this can’t be real », reprenant l’affirmation pleine de dépit de GSH dans l’originale.
Salif - « O…o » (2001)
Freeway feat. Marsha Ambrosius - « This Can’t Be Real » (2007)
« Angel Dust » (Secrets, 1978)

Gil Scott-Heron « Angel Dust »
Malgré son thème grave et son récit émouvant (et probablement un peu autobiographique), « Angel Dust », chanson sur les ravages de la drogue, est portée par un funk doux et laid-back grâce aux claviers de Brian Jackson. Loin de la gravité de l’original présent sur … De La Planète Mars, le remix par Easy Mo Bee du « Tam Tam de l’Afrique » d’IAM repose sur le même principe que « Angel Dust » : faire passer un message sur une musique accrocheuse, grâce à l’utilisation de la boucle de Scott-Heron. Du côté de The Game et Common, l’addiction est assumée, contrairement au message de la chanson de Gil. Sauf qu’ici l’ange n’est pas de la poudre, mais de la musique. Et de la bonne.
IAM - « Tam Tam de l’Afrique (Easy Mo Bee Mix) » (1992)
The Game feat. Common - « Angel » (2008)
« Delta Man (Where I’m Coming From) » (Bridges, 1977)

Gil Scott-Heron « Delta Man (Where I’m Coming From) » (1977)
Triste ironie du calendrier, le « boss » du Texas, Slim Thug, a sorti trois jours avant la mort du chanteur le clip de « Coming From », virée dans le vieux Sud en compagnie de son acolyte J-Dawg et du nouveau héraut du Mississippi, Big K.R.I.T.. Le producteur du morceau, KC, y reprend le « Delta Man » de Scott-Heron, chanson au groove moite et poisseux narrant l’histoire d’un homme noir à différent moment de l’histoire des États-Unis. Sur un instrumental bluesy au style texan inimitable, les trois rappeurs rouvrent le livre écrit par GSH, et perpétuent ainsi son héritage en y ajoutant leur propre histoire.
Slim Thug ft. J-Dawg & Big K.R.I.T. - « Coming From » (2010)
Il y a quelque chose d’attachant chez les artistes malchanceux. Ceux qui, en dépit d’un talent égal, sont restés dans l’ombre d’un collaborateur ayant accédé à la gloire. Lamont Dozier est de ceux là. Membre de l’équipe de production « Holland-Dozier-Holland » avec les deux frangins Holland (Edward Jr. « Eddie » et Brian), il a forgé le son de l’âge d’or de la Motown dans les années 60. Des compositions telles que « Stop! In The Name of Love », « Baby Love », « Reach Out (I’ll Be There) », ou encore « How Sweet It Is to Be Loved By You » demeurent des monuments de la musique américaine, et sont sorties de l’imagination fertile de l’équipe H-D-H.
En 1967, le trio s’échappe de la Motown, contre l’accord de Berry Gordy, boss de la Motown, furieux. Les trois hommes fonderont alors deux labels : Hot Wax, maison des Honey Cone, et Invictus, qui accueillera la diva Freda Payne et un groupe de funk un peu barré, Parliament. Le mythique groupe y signera leur premier album, Osmium, seule livraison pour ce label.
Mais être un dénicheur de talent perspicace ne suffisait pas à Dozier. Il quitta ses potes au milieu des années 70 pour une carrière solo chez ABC. Mélodieux et soignés, ses projets n’ont pourtant pas marqué le Billboard, mis à part son plus gros hit « Trying To Hold On to My Woman » en 1973 (ressuscité en 2008 par Just Blaze pour le « The Light ’08 » de Common), et le disco « Going Back to My Roots » en 1977.
Parmi la dizaine d’œuvres de sa discographie, son second album, Black Bach, sorti en 1974, est remarquable. Les ballades soul soyeuses de cet album, parfois chantées, parfois simplement instrumentales, sont une démonstration du talent de chef d’orchestre de Dozier, accompagné de nombreux musiciens qui ont participé au Let’s Get It On de Marvin Gaye. De nombreux beatmakers y ont déniché des boucles pour composer leurs productions.

Lamont Dozier « Shine »
Chanson puissante, épique et à l’optimisme communicatif, « Shine » est l’ouverture parfaite de Black Bach. La montée crescendo de la première minute est saisissante, avec son piano cristallin, ses envolées de cordes quasi-moriconiennes et sa guitare déchirante. Reprise de nombreuses fois, des backpackeurs allemands de Snowgoons à l’orfèvre de Memphis DJ Paul pour Chrome, c’est probablement Carlos « 6 July » Broady qui en a saisi toute l’urgence sur l’intense et court « Saturday Nite » de Ghostface, tiré de son Supreme Clientele. Les inconnus Zurc & Nel ont quand à eux choisi de reprendre l’enthousiasme du refrain de Dozier pour l’entrainant « Shine » (ça ne s’invente pas) de Ransom, rappeur sous-estimé du NewJersey, anciennement proche de Joe Budden.
Ghostface Killah - « Saturday Nite »
Ransom - « Shine »

Lamont Dozier « Put Out My Fire »
Il y a des introductions de morceau qui défoncent, qui donnent irrémédiablement envie qu’on les écoute en boucle. Prenez celle de « Put Out My Fire », deuxième titre de l’album de Dozier. Une courte ligne de basse, un petit accord de guitare, quelques grosses caisses, des roulements de conga : une entrée en matière hypnotique. Emile ne s’y est pas trompé : appuyé par une nappe de synthé planante, l’instru du « Introspective » de Cormega recycle avec finesse la boucle de Dozier, et crée une ambiance effectivement méditative. Tout l’opposé de Just Blaze, qui, la même année, a joué sur la chaleur de la basse et des cuivres pour enflammer le remix du « Burnin’ Up » de Faith Evans.
Cormega - « Instrospective »
Faith Evans - « Just Burnin’ (Burnin’ Up Remix) » feat. Freeway & P.Diddy

Lamont Dozier « Let Me Start Tonite »
Lamont Dozier et Large Professor ont un point commun : tous deux ont connu la gloire en composant pour les autres, mais jamais seuls. La guigne a frappé d’autant plus fort sur le destin du beatmaker qu’il n’a jamais pu sortir son album solo chez Geffen, alors qu’il était auréolé du succès de sa collaboration avec Nas. Au détour des deux volumes de sa série Beatz, il y a fort à parier que l’on croise des instrumentaux en forme d’actes manqués, qui auraient pu bénéficier à de nombreuses fines plumes de l’âge d’or new yorkais. Qu’importe : des beats comme « Out All Night », reprenant une boucle de la ballade country « Let Me Start Tonite » de Dozier, nous font toujours profiter de son talent.
Large Professor - « Out All Night »

Lamont Dozier « Prelude / Rose »
« Rose » (et son « Prelude » indissociable) ont déjà été échantillonnés moult fois. Si Kanye West y a déniché les voix spectrales du « More or Less » de Shyne, « Rose » est surtout connu pour son sampling par Organized Noize pour le feutré « Jazzy Belle » d’OutKast. Mais c’est au sein d’un morceau plus méconnu que se niche un travail d‘orfèvre sur un échantillon de cette composition de Dozier. Jake One a fait preuve d’une excellente oreille en allant dénicher une boucle peu évidente pour le « God Like » du rappeur de Seattle D.Black, extrait du très bon White Van Music de Jake.
OutKast - « Jazzy Belle »
Jake One - « God Like » feat. D.Black

Lamont Dozier « Blue Sky And Silver Bird »
Les revoilà. Après le beat battle entre Just Blaze et Bink!, on pourrait tout aussi bien en organiser un entre Justin Smith et Emile Haynie. Tous deux ont été pioché une boucle dans la conclusion de Black Bach. « Blue Sky And Silver Bird » est un morceau purement instrumental d’une rare intensité émotionnelle. Une batterie mid-tempo pesante, un piano déchirant et des envolées de violon mélancoliques donnent des frissons tout au long de ces minutes. Une intensité capturée de manière différente par Blaze et Emile. Le blanc-bec de Buffalo a repris la boucle telle quelle, en y ajoutant quelques notes d’accordéon étranges, pour le désespéré « Kurt Kobain » de Proof. Le nerd du New Jersey, lui, l’a recomposé pour le « Living In Pain » de Biggie, 2Pac, Nas et Mary J. Blige, la complétant de quelques notes de piano et de cordes pour renforcer l’intensité dramatique du morceau. La méthode est différente, mais le résultat est aussi poignant. Il l’est d’autant plus pour le titre de Proof que son père, McKinley Jackson, fut le producteur et l’arrangeur de l’album de Lamont Dozier. C’est ce qui s’appelle boucler une boucle.
Proof - « Kurt Kobain »
The Notorious B.I.G. - « Living In Pain » feat. Mary J. Blige, 2Pac, Nas
Parmi les grands noms de la production qui ont émergé entre la fin des années 90 et le passage au nouveau millénaire, Rockwilder était l’égal des Timbaland, Swizz Beatz et autres Neptunes. De son vrai nom Dana Stinson, son pseudo était une valeur sûre dans les crédits des albums mainstream. Il avait une marque : un son immédiatement efficace, synthétique, clinquant, électrique, appuyé par des rythmiques basées sur des hi-hat joués tous les quarts de mesure (en noire) plutôt que tous les huitièmes (en croche).
Si son nom apparaissait déjà sur les premiers Redman, les deux albums d’Organized Konfusion ou encore le When Disaster Strikes de Busta Rhymes, c’est à partir de 1999 et « Da Rockwilder » pour Meth et Red que Rock est devenu l’un des hommes forts de la production U.S.. Une bonne cote qui l’amènera à produire des gros cartons pop, dont l’incontournable reprise du « Lady Marmalade » de LaBelle par Mya, Pink, Lil Kim et Christina Aguilera, pour lequel il a même remporté un Grammy Award.
Pourtant, contrairement à ses collègues précités, Rock a disparu du radar. Depuis 2005, il réapparait ici et là, sur des albums de Redman bien sûr, mais aussi Kelis, Beanie Sigel, ou 50 Cent. Il a également ouvert un marché virtuel de beats ou a pensé un temps à passer au rap chrétien (il a été élevé par une mère ministre). Peut-être a-t-il été emporté par le lent déclin des scènes du Nord Est. Peut-être n’a-t-il pas réussi à faire évoluer son son assez significativement pour survivre aux nouvelles modes et tendances. Quoi qu’il en soit, il aura marqué la production rap en l’espace de quelques années d’intense activité. Voici une flopée de ses instrumentaux les plus marquants.
25. Big Pun – Super Lyrical (ft. Black Thought) Capital Punishment, 1998
Des prods pré-« Da Rockwilder », « Super Lyrical » pour Big Pun représente en quelque sorte un pont entre les deux sons qu’a développé Rock dans sa carrière. L’instru renvoie à ses premières œuvres, avec son beat classique et ses nombreux samples. Mais sa rythmique sèche et surtout sa basse électrique annoncent le changement de son qu’il allait proposer pour les années à venir.
24. Redman – « How U Like Dat » (ft. Gov Mattic) Red Gone Wild, 2007
Même si sa participation était minime comparée à celle d’Erick Sermon, de Dare Iz A Darkside à Reggie, Rockwilder a toujours été présent sur les albums du patron du New Jersey. Et il a souvent servi des compositions sur-mesure pour Red. La preuve avec ce « How U Like Dat » et sa basse grasse et poisseuse, digne de Bootsy Collins.
23. Nate Dogg – « I Got Game » (ft. Snoop Dogg et Armed Robbery) Nate Dogg, 2003
Une autre particularité de Rockwilder a été son affection pour les cordes jouées pizzicato. Habituellement placées en détail mélodique sur ses instrus, il en a fait la base du « I Got Game » de Nate Dogg. Le résultat est excellent, tout en nonchalance et en musicalité, résumant le caractère du crooner de l’ouest.
22. Ice Cube – « $100 Dollar Bill Y’All » Greatest Hits, 2001
Inédit placé sur son Greatest Hits, « $100 Dollar Bill Y’All » fut le dernier single de Ice Cube avant son retour en 2006 avec Laugh Now, Cry Later. Quoi de mieux pour garder la forme que de poser sur une composition d’un producteur à la mode de l’époque. Rock a livré pour O’Shea Jackson un beat moins clinquant que d’accoutumée mais tout aussi percutant grâce à l’alliance entre une basse bourdonnante et des sons de claves.
21. Method Man & Redman – « Cisco Kid » (feat. Cypress Hill) How High O.S.T., 2001
C’est sans doute avec Redman et Method Man que Rockwilder a le plus expérimenté. Sur la bande originale de leur film déjanté et enfumé How High, il a sorti ce « Cisco Kid » reprenant un sample du groupe de latin-funk War. Un instru plutôt laidback et à part dans la carrière de Rock, quand sur la même B.O. son pote DJ Twinz copiait son style avec son « America’s Most ».
20. Fabolous – « Get Right » Ghetto Fabolous, 2001
Le premier album de Loso était symptomatique de l’air du temps du début des années 90, avec ses singles produits par les Neptunes et Timbaland… et sa livraison de Rockwilder. Une prod de club épileptique et bouncy à souhait, dont Sulee B. Wax avait repris l’esprit en 2002 pour le « Monsieur Qui ? » de Lino, en la transformant en égotrip musclé et violent.
19. LL Cool J – « Imagine That » The G.O.A.T. (Greatest Of All Times), 2000
Premier single du dernier très bon album de James Todd Smith (merci DJ Scratch), « Imagine That » détonne au premier abord en ouverture d’un album aussi musclé. Mais smooth et virile à la fois, mélangeant gémissement féminin, roulette de revolver et gimmick de guitare funky, la composition de Rock était idéale pour que Cool James roule encore des mécaniques devant la gente féminine. Irrécupérable, mais ça marche à tous les coups.
18. The Outsidaz – « Keep On » The Bricks, 2000
S’il fallait trouver une filiation au style de Rockwilder, on pourrait le définir comme une évolution du son d’Erick Sermon. Et s’il fallait le démontrer, « Keep On » des Outsidaz en serait une preuve irréfutable, tant cette prod aurait pu se retrouver sur Blackout!, Malpractice ou Music. Une atmosphère idéale pour kicker comme le faisait si bien le crew de Brick City, ou certains rappeurs hexagonaux invités chez Cut Killer.
17. Prodigy – « Gun Play » (ft. Big Noyd) H.N.I.C., 2000
Même s’il n’avait pas son pareil pour sortir des headbangers juteux, Dana Stinson était avant tout un natif du Queensbridge. Quoi de plus normal qu’il s’essaie à l’essence sombre du Q.B. pour Prodigy sur son premier album solo. On retrouve sur ce « Gun Play » la signature de Rock, avec cette rythmique minimaliste et cette basse futuriste, mais adaptée façon Infamous avec une nappe de violon en fond sonore et un sample inquiétant.
16. Nas – « Everybody’s Crazy » The Lost Tapes, 2002
Bonus track de la version japonaise de Stillmatic, « Everybody’s Crazy » est la énième preuve que Nasir Jones a un énorme problème dans son choix d’instrumentaux. Car la production de Rockwilder aurait mérité une bien meilleure place que certains autres morceaux sur l’album du retour de Nas. Heureusement, il a eu la bonne idée de le replacer sur son catalogue de trésors retrouvés, The Lost Tapes. Bouncy et rugueux, sa rythmique est redoutablement efficace, appuyée par une ligne de basse ronde et quelques claviers discrets, parfaits pour laisser de la place pour le flow de Nas.
15. Rah Digga – « Break Fool » Dirty Harriet,1999
Aujourd’hui dissous, le Flipmode Squad de Busta Rhymes avait une bonne cote à la fin des années 90. Et pas seulement du fait de la popularité de son Général : que ce soit Rampage, Lord Have Mercy ou Rah Digga, les membres de son équipe étaient tous des rappeurs de talent. Party anthem typique de la fin des années 90 (à la « Party Up » de DMX), « Break Fool » de Rah Digga est un morceau à l’énergie incendiaire grâce aux synthés distordus de Rock et ses cordes au refrain.
14. Mystikal – « Oooh Yeah » / « I Get It Started » (ft. Method Man & Redman) Tarantula, 2001
Dernière œuvre en date de Mystikal avant son incarcération, Tarantula est un album sous-estimé et pourtant monstrueux. Au milieu de prods inventives et explosives (dont le génial « Bouncin Back » des Neptunes), Rockwilder a apporté de la matière à la toile du MC le plus fou de la Nouvelle-Orléans avec deux livraisons radicalement opposée mais complémentaire. Si « I Get It Started » (co-produit avec DJ Twinz) est une nouvelle démonstration de son talent pour électriser l’atmosphère, « Oooh Yeah » montre une toute autre facette de Rock, un poil enfumée et détendue mais aussi addictive, avec sa basse chaude, ses claviers étranges et ce gimmick de trompette.
13. 50 Cent – « Like My Style » (ft. Tony Yayo) Get Rich Or Die Tryin’, 2003
Passée l’année 2002 et son Grammy pour la B.O. de Moulin Rouge, Stinson s’est fait plus discret. Mais la discrétion n’empêche pas le flair. En plaçant une excellente prod sur l’album rap de l’année 2003, il s’est assuré de garder un peu de visibilité. Et de quelle manière : son instru pour « Like My Style » est l’un des grands moments de l’album, avec sa rythmique saccadée, et sa composition proche du style d’un autre Rock, Rick Rock.
12. Styles P – « Daddy Get That Cash » (feat. Lil Mo) A Gangster And A Gentleman, 2002
Rockwilder a été l’un des premiers producteurs de la côte Est a totalement laissé de côté le sampling pour passer à la composition pure. Pourtant, il le sait mieux que personne : lorsque l’on trouve un sample qui tue, mieux vaut ne pas le laisser passer. C’est le cas avec cet inspiré « Daddy Get That Cash » pour Styles, rejouant les premières mesures d’un titre du groupe Side Effect. Au passage, admirez l’intro crescendo de l’instru de Rock.
11. Redman – « I’ll Bee Dat! » Doc’s Da Name 2000, 1998
Le capital de sympathie de Redman repose sur des éléments simples : son sens de l’auto-dérision, son humour gras et débile, et son don pour sortir des titres joviaux. « I’ll Be Dat ! », premier single de son Doc’s Da Name 2000, en est l’exemple type, notamment grâce à son clip bordélique. L’instru de Rockwilder épousait à merveille le délire de Reggie Noble, avec sa basse crasseuse, ses tonalités de téléphone toutes les huit mesures, ses discrètes percussions et ce petit son indéfinissable au refrain. Un peu en avance dans la chronologie de Stinson, « I’ll Bee Dat ! » a déjà toutes les caractéristiques du Rock hitmaker de l’après Blackout!.
10. Busta Rhymes – « Make Noise » (feat. Lenny Kravitz) Anarchy, 2000
L’énergie du son de Rock offrait un espace de créativité idéal pour un rappeur comme Busta. Placé en dernière partie d’un album déjà costaud niveau prods, « Make Noise » est probablement l’un des instrus les plus énervés du producteur. Mélangeant sons imitant les riffs d’une guitare électrique à ceux, bien réels, de la gratte de Lenny Kravitz invité pour l’occasion, le résultat est supersonique.
9. Jay-Z – « Guilty Until Proven Innocent » (feat. R.Kelly) The Dynasty : Roc La Familia, 2000
Sacré Jay-Z. Faire tout un foin autour de son procès pour agression sur Lance Rivera en clamant qu’il est innocent, pour ensuite plaider coupable et être condamné à trois ans de conditionnelle… Le tout avec un bon morceau et un clip mémorable. La prod de Rockwilder est sans doute l’une de ses plus épurées, mais aussi une des plus classes : un beat minimal, une ligne de basse entêtante qui s’affole toutes les huit mesures, et des violons épiques au refrain pour accentuer l’abnégation de Jigga face à tant d’infamie.
8. Tha Liks – « Run Wild » (feat. Shae Fiol) X.O. Experience, 2001
Le style enjoué de Rockwilder était fait pour rencontrer le rap hédoniste et joyeusement barré (ou bourré, ça marche aussi) des plus célèbres alcooliques de Los Angeles. Après avoir livré quelques prods sur l’album solo de Tash, les Alkaholiks ont refait appel à Rock pour leur quatrième album, X.O. Experience, plus mainstream que les précédents. Deuxième single de l’album, « Run Wild » est porté par un instrumental entrainant, en dépit d’un beat assez simple. La science de Rock fait encore des merveilles grâce à sa composition ensoleillée et légère, appuyée par le rythme saccadé de ses charlestons.
7. Xzibit – « Front 2 Back » Restless, 2000
D’après Rockwilder, Dre aurait été hors de lui quand il a entendu les bruits d’amortisseurs de l’intro de 2001 utilisé en appui du beat de « Front 2 Back ». Pourtant, ce petit sample rend encore plus évident la filiation entre l’album de Dre et le troisième opus de Alvin Joiner. Placé en ouverture de Restless, « Front 2 Back » donne le ton et constitue plus qu’un hymne west coast, un véritable hommage de Rockwilder au genre.
6. Mos Def, Pharoahe Monch et Nate Dogg – « Oh No » Lyricist Lounge Vol. 2, 2000
Quand Rockwilder fait du RZA version Ghost Dog, ça donne « Oh No », kata exécuté de main de maître par Mos Def, Pharoahe Monch et Nate Dogg. L’association entre le crooner californien et les deux fines plumes de la grande époque Rawkus aurait pu sonner forcée. Mais Rock a livré l’instru parfait pour ce crossover. Moins évidente que d’autres de ses livraisons, la prod de « Oh No » est un petit bijou parce qu’elle seyait parfaitement à la musicalité du chanteur tout en collant à l’esprit new-yorkais des deux rappeurs. Sûrement l’une des dernières percées grand public de Rawkus.
5. De La Soul – « I.C. Y’All » (feat. Busta Rhymes) Art Official Intelligence Vol. 1 : Mosaic Thump, 2000
Pour composer un bon instru, il suffit parfois de trouver la boucle qui tue. En réinterprétant la tuerie funky « Galaxy » du groupe War (encore eux) et en la déposant sur un beat mécanique et brise-nuque, Rockwilder n’a peut-être jamais fait plus minimaliste dans une de ses productions. Mais ce « I.C. Y’All » est d’une efficacité redoutable grâce à ce synthé grésillant, ces cordes pizzicato et ces petits bruitages issus directement du titre des War.
4. Jay-Z – « Do It Again (Put Ya Hands Up) » (feat. Beanie Sigel et Amil) Vol. 3… Life and Times of S.Carter, 1999
Dans la discographie de Jay-Z, Life and Times of S.Carter tient une place toute particulière. Celui de l’album où il prend de l’avance sur la concurrence en se risquant à des choix artistiques plus audacieux. Si on le compare à « Guilty Until Proven Innocent », « Do It Again », premier single de l’album, est un morceau plus difficile d’accès, car sans véritable mélodie. Mais deux détails le rendent plus remarquable dans la carrière de Rockwilder. D’une part, comme le soulignait Cipha Sounds sur le site de Complex, c’est la première véritable club song de Jay-Z. Pourtant, et c’est là le deuxième détail d’importance, l’instru de Rock ne respecte pas le format traditionnel des morceaux de rap. Il est construit sur trois mesures au lieu de quatre, un choix surprenant et sacrément accrocheur.
3. Xzibit – « Release Date » Man vs. Machine, 2002
« Front 2 Back » était un single bélier, adaptation réussie du style de Rockwilder aux normes musicales de la côte ouest redéfinit par le 2001 de Dre. Mais la meilleure production de Rock pour Xzibit (et l’une de ses meilleures tout simplement) est bien moins tape à l’œil. Placé en intro du quatrième album de « Mister X to tha Z », « Release Date » est un instru cinématographique et sombre comme jamais Rock n’en a réalisé auparavant, ni après. Synthés glaçants et riffs de guitare grinçants ont inspiré Xzibit à écrire un de ses meilleurs morceaux.
2. Method Man & Redman – « Da Rockwilder » Blackout!, 1999
C’est avec ce morceau que tout a commencé. « Da Rockwilder » n’aurait dû être qu’un interlude sur le Blackout! de Meth et Red. Il est devenu le meilleur single de l’album. Un peu plus de deux minutes de sons futuristes, de court-circuits mélodiques et de basses lourdes suffisent à comprendre pourquoi « Da Rockwilder » fut un carton. Rock a bien fait d’insister auprès de Redman pour que son instrumental atterrisse sur cet album : tout le monde connaît son nom grâce a ce titre.
1. Redman – « Let’s Get Dirty » (feat. DJ Kool) Malpractice, 2001
La force de Rockwilder est qu’il a toujours su donner un côté accessible à l’énergie du rap dans la composition de ses hits. Si l’on compare son travail à celui de Swizz Beatz à la même époque, le son du producteur des Ruff Ryderz avait une brutalité qu’il n’y a jamais eu chez Rock. A une seule reprise, Rockwilder a lâché toute sa sauvagerie dans un instrumental, son meilleur : « Let’s Get Dirty » de Redman. Intro chaotique, beat minimaliste et tamponneur, synthés joués en deux temps aiguës et graves, pont annonçant la déflagration du refrain : « Let’s Get Dirty » est un condensé de puissance sonique sans aucune véritable mélodie que l’on puisse fredonner, mais que l’on retient immédiatement. En toute démesure, il contient tout ce qui définit le son de Rockwilder. Et le plus formidable c’est qu’il a réussi à produire un autre succès pour Christina en gardant l’essence de ce titre. Jamais son nom n’a pris autant de sens : dur et sauvage.
Beatmaker polyvalent et tout-terrain, producteur avant-gardiste, et artiste peut-être trop gourmand : Timbaland est sans doute l’un des musiciens qui aura le plus marqué son art lors de la décennie passée. De ses débuts avec le trio Missy/Ginuwine/Aaliyah à sa reconnaissance mainstream, tant recherchée, depuis 2007, Timothy Mosley a constamment réussi à marier deux principes contradictoires : l‘évolution et l‘identité. Car celui qui a changé plusieurs fois de formule tout au long de sa carrière est toujours parvenu à garder ce style si reconnaissable, fait de rythmes extraterrestres et irrésistibles, d’accumulations sonores et mélodiques en évitant la surcharge, en bref à faire aventurer le rap au-delà de nouvelles frontières – littéralement.
Si on a souvent salué son talent pour les sonorités synthétiques, le natif de Virginie a quelques fois été farfouiller dans le travail des autres pour créer. Le sampling selon Timbo est à l’image de son œuvre : touche à tout et un peu imprévisible. Entre musique latine, score de film, rock britannique et héritage afro-américain, petit tour d’horizon du talent de digger de celui qui se faisait appeler DJ Timmy Tim.
Missy Elliott feat. Method Man & Redman – « Dog In Heat » (Miss E… So Addictive, 2001)

Missy Elliott feat. Method Man & Redman « Dog in Heat »
J.M. Tim & Foty - “Douala by Night”
Le duo qu’il forma avec Missy Elliott le temps de quatre albums (jusqu’à Under Construction) fut un laboratoire sur-mesure pour Tim. Après les prods funky et épurées de Supa Dupa Fly (1997), les deux larrons de Virginie ont pris tout le monde à contre-pied avec leurs beats en deux temps jouant la fibre orchestrale sur Da Real World en 99. Sorti en 2001, Miss E… So Addictive offrit un nouveau virage à 180°, avec un son plus ample, plus fouillé, expérimental mais accrocheur. A peine l’intro souful passée que débute « Dog In Heat » avec son beat mid-tempo binaire, quelques gimmicks de guitare funky et sa basse aussi ronde que la Missy de l’époque. Cette ligne de basse est sûrement une des plus fines trouvailles de Timbo : elle provient de « Douala By Night », composition de funk du duo camerounais J.M. Tim & Foty. Endiablée en version originale, elle devient suave et lancinante dans les mains de Mosley. (A noter d’ailleurs que J.M. Tim – Jean-Marie Tiam de son vrai nom – se fait payer une partie de sa retraite en Aveyron grâce aux royalties que lui rapporte ce petit sample !)
Aaliyah feat. Timbaland – « We Need a Resolution » (Aaliyah, 2001)

Aaliyah « We Need a Resolution »
« She was like blood, and I lost blood. Me and her together had this chemistry. I kinda lost half of my creativity to her« . Nous sommes en 2001 et Timbo a appris la disparition tragique d’Aaliyah, star montante du R’n’B grâce à qui les projecteurs commencèrent à se braquer sur lui et Missy, à la fin des années 1990 et l‘album One In a Million. Fort de cette première expérience, la chanteuse rappela le producteur de Virginie pour son album suivant (et le dernier), éponyme. Suivi par l’incontournable et électrique « Try Again », « We Need a Resolution » offrait une ambiance mystique et troublante, combinant des synthés vertigineux façon « Snoopy Track » de Jay-Z à une petite portion de « Tricks of the Trade », tiré de la B.O. du thriller Incognito, signée John Ottman. Avec pour résultat une instrumentation mystérieuse, comme une paraphrase de cette énigme insoluble qu’essaie désespérément de résoudre Aaliyah dans sa chanson.
Fabolous – « Right Now & Later On » (Ghetto Fabolous, 2001)

Fabolous « Right Now and Later On »
The Meters - « Jungle Man »
The Meters - « Just Kissed my Baby »
Placé sur le premier album de Loso, « Right Now & Later Now » est l’un des beats les plus funky de Timbo. Le gimmick de guitare wah wah, le clavinet, le break syncopé : le son renvoie presque au style de ses débuts. Mais pour le coup, c’est à une inspiration antérieure à lui-même que Tim doit ce beat : les Meters. Le break, retravaillé, est emprunté à leur « Jungle Man » et la guitare wah-wah, rejouée de manière frénétique, provient de « Just Kissed My Baby », tous deux présents sur l’excellent Rejuvenation. Ou l’art et la manière d’injecter l’âme du bayou néo-orléanais à un rappeur de Brooklyn.
Ludacris – « Rollout (My Business) » (Word of Mouf, 2001)

Ludacris « Rollout (My Business) »
Africando - « Yay Boy »
Quelque part entre les studios d’Hollywood et ceux d’ATL, Ludacris doit parfois repenser à l’époque où il n’était encore qu’un challenger des grands noms du rap game. Une époque où Timbaland invitait ce jeune premier sur ses albums et où il lui fila une de ses prods les plus monstrueuses: « Rollout ». Rugueux et nonchalant, associant cuivres caliente et synthés épileptiques, l’instrumental du single le plus efficace de Word of Mouf repose sur un échantillon de « Yay Boy », salsa endiablée du combo afro-cubain Africando. La boucle, simplement ralentie, passe en un clin d’œil du sourire caribéen au froncement de sourcils atlante.
Brandy – « I Tried » (Afrodisiac, 2004)

Brandy « I Tried »
Iron Maiden - « The Clansman »
A priori, difficile de trouver des points communs à Brandy et Iron Maiden. Et pourtant… Produit en majorité par le duo Timbaland / Larry Gold (mythique arrangeur soul de Philadelphie), Afrodisiac est surement le meilleur album de la diva R’n’B. L’un des sommets de ce disque est « I Tried », mid-tempo langoureux et mélancolique où Timbo mêle les accords de guitare (plutôt doux pour le coup) du « The Clansman » des métalleux anglais aux cordes de l’orchestre de Gold. Un essai pour le moins réussi.
Timbaland & Magoo feat. Sebastian – « Indian Flute » (Under Construction, Part II, 2003)

Timbaland & Magoo feat. Sebastian « Indian Flute »
Toto la Momposina - “Curura”
C’est ce qui s’appelle une belle entourloupe. Celui qui nous avait habitué depuis « Big Pimpin' » aux mélodies orientales (façon ambiances de harem plutôt que lieux saints) sort en deuxième single du Under Construction II un « Indian Flute » jouant à fond sur les clichés bollywoodiens. Pourtant, difficile de résister à cette boucle de flûte minimaliste et envoûtante. Vous pensez au Taj Mahal ? Vous avez tout faux: la flûte indienne n’est pas à chercher en Asie mais en Amérique du Sud, chez la chanteuse colombienne Toto la Mamposina. Erreur façon Christophe Colomb ou détournement volontaire ? Vu le flair du type, on l’imagine mal confondre Toto avec Tata.