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Qu’on l’idolâtre ou qu’on l’exècre, Kanye West continue d’être au centre de l’attention du monde du rap (et de la musique) à chacune de ses nouvelles sorties – artistiques ou autres. Sur son travail en tant que producteur, tout aura été écrit : de son talent à donner un nouveau souffle à la soul du passé à son audace dans ses directions musicales, Kanye a prouvé que ses ambitions étaient aussi grandes que l’estime qu’il tient de lui-même.

Dans sa volonté de « mêler ses fondamentaux de producteur rap aux recettes de la pop music » (©JB, 2004), West est parvenu à un petit tour de force. A une époque où la majorité des producteurs se font leurs propres banques de kits de batterie travaillés et retravaillés, les deux premiers singles (« Power » et « Runaway ») du prochain album du chicagoan, My Beautiful Dark Twisted Fantasy, sont portés par de bons vieux breakbeats poussiéreux. Même si la posture peut surprendre à l’époque des beats synthétiques et électroniques, cela n’a en fait rien de nouveau chez Ye : depuis des années, il passe de la composition pure à la simple reprise de séquences de batterie.

Dans la longue liste des breaks réutilisés par le chicagoan, on peut citer l’illustre « Ode to Billy Joe » de Lou Donaldson devenu marche martiale sur « Jesus Walks » ; celui de « What It Is » des Temptations et de « 50 Ways to Leave Your Lover » de Paul Simon pour « The Corner » et « Forever Begins » de Common ; le massif « Action » d’Orange Krush ralenti pour « We Major » ; ou encore celui du « Candy Maker » de Tommy James and The Shondells et son étrange effet d’écho pour « Heard’ Em Say ». Mais certains breaks tiennent une place un peu à part dans la discographie du producteur, par leur récurrence ou leur provenance. Les voici.

Love – « Doggone » (Out There, 1969)

Love « Doggone »

Le Bomb Squad a eu son « Funky Drummer ». Kanye West a son « Doggone ». Appuyé par un groove incroyable, ce break, joué par le batteur du groupe de prog-rock Love, a donné son squelette rythmique et son énergie à de nombreuses productions de West : « Get By » pour Kweli, « Used to Love U » pour John Legend, « Throw Your Hands » pour Mobb Deep ou, plus discrètement, « Last Call » pour lui-même. Cette boucle de batterie, chérie dans les années 90 par des artistes abstract comme DJ Krush ou Greyboy, a eu la côte cette dernière décennie : elle a également été reprise par les CunninLynguists, C.H.I. pour un inédit de Naledge, ou encore récemment par Joe Budden et Nottz.

Talib Kweli - « Get By » (2002)

Kanye West - « Last Call » (2004)

John Legend - « Used to Love U » (2004)

Mobb Deep - « Throw Your Hands (In The Air) » (2004)

Cold Grits – « It’s Your Thing » (It’s Your Thing (12″), 1969)

Cold Grits « It’s Your Thing »

Lancer « Power » comme premier single de My Beautiful Dark Twisted Fantasy est un parfait contre-pied de ce qu’on pouvait imaginer de la part de Kanye après 808’s et Blueprint 3. D’abord parce que l’alliage des samples de Continent Number 6 et de King Crimson fonctionne impeccablement bien. Mais aussi parce que le beat repose sur un bon vieux break de funk, « It’s Your Thing » de Cold Grits (repris des Isley Brothers). Kanye avait déjà été le piocher à deux reprises : en 2005 sur son puissant « Crack Music », et en 2006 pour le survolté « Everything I Love » de Diddy.

Kanye West ft. The Game - « Crack Music » (2005)

Diddy ft. Cee-Lo & Nas - « Everything I Love » (2006)

Kanye West ft. Dwele - « Power » (2010)

Clarence Reid – « Living Together Is Keeping Us Apart » (Running Water, 1973)

Clarence Reid « Living Together Is Keeping Us Apart »

Immortalisé en 1992 par Dre avec « Deeez Nutz », la batterie du « Living Together Is Keeping Us Apart » de Blowfly a.k.a. Clarence Reid est un bonheur de précision rythmique. Déjà repris par Kanye en 2005 pour son laidback « Drive Slow », il lui refait appel sur le classieux « Christian Dior Denim Flow », en seconde partie du morceau.

Kanye West ft. Paul Wall & GLC - « Drive Slow » (2005)

Kanye West ft. guests - « Christian Dior Denim Flow » (2010)

Joe Farrell – « Upon This Rock » (Upon This Rock, 1974)

Joe Farrell « Upon This Rock »

Oeuvre du jazzman Joe Farrell, « Upon This Rock » est un breakbeat méconnu (si on le compare à l’aura d’un « Impeach The President » ou d’un « It’s a New Day »). Sa rythmique hachée a pourtant été reprise de nombreuses fois, comme chez Black Sheep, Method Man & Redman, Erykah Badu ou encore même le Saïan Supa Crew. Kanye, lui l’a samplé deux fois : sur « Gone », excellente conclusion de Late Registration, et sur le « Chi-City » de Common. Pas de chance pour Ye et les autres : la fille du jazzman réclame depuis 2008 des royalties.

Common - « Chi-City » (2005)

Kanye West ft. Cam’ron & Consequence - « Gone » (2005)

Pete Rock & CL Smooth – « The Basement » (Mecca and The Soul Brother, 1992)

Pete Rock & CL Smooth « The Basement »

Sampler des vieux breaks de funk ou de rock ? Trop prévisible. En revanche, faire un morceau à l’attention clairement pop avec un vieux beat crasseux du début des nineties, c’est un peu plus couillu. Sur son mélo « Runaway », Ye mêle des notes de piano larmoyantes à la boucle composée par Pete Rock au tout début de « The Basement » avec son comparse CL Smooth.

Kanye West ft. Pusha T - « Runaway » (2010)

Déjà auteur avec DJ Skandal de cinq mixtapes mettant virtuellement en opposition une sélection de choix des producteurs d’outre-Atlantique (avec notamment Pete Rock, Erick Sermon, Large Professor, Jay Dee ou Madlib), une autre compilation menée avec Lefto et consacrée à la prolifique scène d’Oxnard (Lootpack, Medaphoar, Madlib,…) et une dernière au groupe autoproclamé légendaire The Roots, l’abeille Ameldabee continue à multiplier les projets. Cette nouvelle sortie intitulée Original samples vs. Hip-Hop beats vol.1 s’inscrit, une nouvelle fois, dans une perspective historique, mêlant une sélection de morceaux produits par le DITC, Pete Rock et Jay Dee avec les morceaux d’origines passés par les samplers de ce trio inspiré et historique.

Ce beau travail de cratedigger (et de collectionneur puisque chacun des morceaux figurant sur cet album provient de disques vinyles) s’avère très proprement mixé, sans séries de passe-passe inutiles, mais au contraire particulièrement fluide. Les morceaux originaux, pour la plupart restés dans l’anonymat le plus complet et extraits de bacs à disques poussiéreux, se mêlent avec harmonie aux productions de Lord Finesse et consorts, s’enchaînant ainsi sans discontinuer. On passe ainsi des classiques ‘Fuck what you heard’ (Diamond), ‘Catchin’ Wreck’ (Showbiz & AG) à ‘Time’s up’ (OC) ou encore le ‘Put it on’ de Big L, hymne (avec ‘MVP’) de son excellent premier album solo Lifestylez Ov Da Poor and Dangerous pour le DITC.

Après une indispensable série de classiques signés par le duo Pete Rock & C.L. Smooth (à l’époque où ils ne réglaient pas encore leurs comptes par interviews interposées) avec notamment ‘They Reminisce Over You’ (et son sample de ‘When she made me promise’ de Funky Nassau en introduction, puis sa boucle de ‘Today’ (Tom Scott)), ‘Carmel city’ (reprenant ‘Dizzy’ de Hugo Montenegro dont les sonorités électroniques atypiques ont comblé plus d’un producteur), on se délecte de ‘Fakin Jax’ et ‘What you say’. Le Soul Brother Number One y œuvre avec son petit frère Grap Luva, Rob-O, Ras G et Marco Polo, au sein du collectif INI, dont l’album « Center of attention », finalisé en 1995 mais sorti sept ans plus tard s’avère une incontestable réussite artistique (à défaut d’avoir connu un véritable succès commercial.) Après cette sélection de choix, complétée par une version studio inédite de ‘The game’ prouvant si nécessaire que le « one drop » est un concept au moins aussi désuet que la maturité dans le rap, on se (re)plonge dans la discographie de Jay Dee, au travers de son travail en solo (le récent ‘Fuck the police’) ou avec Slum Village (‘Get dis money’, ‘Hold tight’) et Madlib (l’excellent ‘Official’).

Au final, Original samples vs Hip-Hop beats vol.1 constitue un bon album propre à satisfaire non seulement les collectionneurs et autres back-packers agaillardis par les années passées, mais aussi les curieux avides de découvertes musicales et autres Hip-Hop headz.