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Réaliser un mix pour explorer l’année 1997 ou 1998 du rap français est finalement chose plutôt aisée : les nombreux grands disques sortis au cours de cette période donnent une trame large et assez évidente autour de laquelle il suffit de broder en évitant (autant que faire se peut) les fautes de goût. Pour 1999, la tâche se corse : il y a bien quelques incontournables, à commencer par Les Princes de la Ville, KLR ou Le Code de l’honneur. Mais le socle que constituent ces quelques passages obligés est plutôt restreint. Il faut donc, afin d’étoffer, revisiter en profondeur ces derniers mois du vingtième siècle. Et constater que 1999 fut une année foisonnante, loin d’être avare en grands moments. Fin de millénaire et de cycle obligent, le rap hexagonal a semblé se chercher, faisant feu de tout bois pour le meilleur et pour le pire. Sur les blockbusters bastonnés par Skyrock comme sur les maxis obscurs d’artistes jeunes et ambitieux, les bons morceaux étaient partout, souvent mis bout à bout avec des tentatives assez peu inspirées. En résulte une sélection forcément moins convenue que pour les millésimes précédents. Voici donc une plongée de plus de deux heures dans le rap français de 1999 à la subjectivité assumée.
Tracklist :
- Saïan Supa Crew – Raz de marée
- Puzzle – Reste sport
- Svinkels – A coups de santiags
- Diam’s – Diam’s c’est qui ?
- The 5th Dimension – Dimension 5ive
- Octobre Rouge – 1918
- Mafia Trece – Champion
- Lady Laistee – Les Keufs me matent ft. Fdy Phenomen
- Schyzomaniac – Les Survivants
- Intouchable – Intouchable Clique
- Faf Larage – Putain d’bouffon
- Zoxea – Vengeance ft. Beat 2 Boul, Don Choa, IMS & Nisay
- La Brigade – Libérez
- La Cliqua – Rap Contact 3
- Pino Donaggio – No Tresspassing
- D.Abuz System – La Concurrence ft. Doudou Masta
- Oxmo Puccino & Bauza – Premier Suicide
- Rocé – Ricochets
- Dontcha – Le Schizophrène
- Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity – Light My Fire
- Cut Killer, 113, Doudou Masta et Fabe – Ambiance Assurée
- Scred Connexion – Bouteille de gaz
- Koma – Avec S’Qu’On Vit
- Zoxea et Salif – Rap et drogue
- Kamnouze – La Légende du manoir ft. Prince d’Arabee
- Lunatic – Civilisé
- Rohff – Génération sacrifiée
- Mo’Vez Lang – C’est ça gars ft. Mala
- Freeman – L’Palais de Justice ft. K.Rhyme Le Roi
- IAM – Un Jour comme un lion
- X-Men – Blablabla
- Ben-J, Jacky, Mystik, Pit Baccardi & Rohff – On fait les choses
- Afro Jazz – Lutèce
- La Clinique – Playa
- La Rumeur – Champs de canne à Panam
- La Bande des 4 – Tout s’perd ici ft. Pyroman, Kalash et Aro
- Electric Light Orchestra – Sweet Talkin’ Woman
- Fonky Family – Si je les avais écoutés
- Curtis Mayfield – Make Me Believe in You
- 113 – Les Princes de la ville
Tous les deux ans, c’est quasiment la même rengaine. Les deux poids lourds du rap français sortent leurs albums à quelques semaines d’intervalle (quelques mois à l’époque de Panthéon et La Fierté des nôtres) et c’est tout l’auditoire hexagonal qui retient son souffle. Rohff et Booba, Booba et Rohff, peu importe qui tire le premier, la bataille a des chances d’être corsée. En plus d’avoir en commun une jolie collection de disques d’or, ils font aujourd’hui figure d’anciens, ayant commencé à rapper il y a plus de quinze ans au sein de différents collectifs. S’ils prennent un certain plaisir à préciser qu’ils n’ont que faire des agissements de l’autre, il y a fort à parier que ces deux-là se regardent en chien de faïence, conscients de l’attente que chacun de leur nouveau titre suscitera. Quoi qu’on pense de leurs évolutions respectives, difficile de ne pas être respectueux devant une telle longévité. « On vient d’une autre époque et on a peut-être plus de bagage que d’autres explique Rohff. On a su imposer nos univers et nos personnalités. En 15 ans, combien ont survécu ? »
Les places sont en effet assez chères dans un rap français étroit qui a toujours autant de difficultés à se renouveler en même temps qu’il ringardise rapidement ceux qui peinent à passer le cap du troisième album. Rohff, quant à lui, a su s’imposer comme une valeur sûre et, même si une partie du public regrette ses envolées meurtrières du début de carrière, force est de reconnaître qu’une impressionnante base de fans s’est construite autour du MC. Déclarant se trouver entre « l’apaisement et la pression » avant la sortie de La Cuenta , son sixième album solo, Rohff ne se soucie pas des années qui passent et n’est pas prêt de penser à la retraite.
« Comme je le dis dans l’album, “mon son rajeunit”. Pour moi, c’est un nouveau départ. Quand tu vois que Jay-Z a fait douze albums, tu te dis qu’il y a encore des choses à faire. On est des passionnés et je n’ai pas encore dit mon dernier mot. » Et lorsqu’on lui demande de résumer son dernier opus, il répond du tac au tac en citant deux des morceaux phares du disque « Rien à prouver et Next Level ». Il faut bien le reconnaître, Rohff a sans cesse cherché à faire évoluer sa musique, en en profitant pour influencer bon nombre de ses compères au passage. Après un premier album underground qui lui a servi de parfaite carte de visite, son premier album en major, La vie avant la mort, a été un incroyable carton porté par le tubesque « Qui est l’exemple ? ». A partir de ce moment là, Rohff a sauté à pieds joints dans le rôle du rappeur mainstream sans jamais perdre de vue pour autant son appartenance à la rue.
Depuis, Rohff n’a eu de cesse de gravir des échelons et, si son dernier opus est probablement le disque qui a le plus divisé son public, nous avions envie de tailler le bout de gras avec l’auteur de « Sensation brave ». Si notre rencontre fut brève et ponctuait une éreintante journée promo pour l’artiste, on a quand même eu le temps d’aborder deux, trois sujets qui nous tenaient à cœur.
La Mafia k’1 fry, le 9.4 et la nostalgie
« J’avais encore une forme de nostalgie par rapport au groupe il y a cinq ans. Je repensais souvent à cette époque où tout le monde était là, y compris ceux qui ne sont plus de ce monde aujourd’hui. Ça appartient à une certaine période et de l’eau a coulé sous les ponts depuis. Chacun a fait sa route et on ne se fréquente plus vraiment. Tout le monde s’est trouvé à sa manière et c’est le destin qui a voulu ça. Chacun est resté égal à lui-même et fait la musique qui lui ressemble. Je n’ai pas de jugement à apporter sur les carrières des uns et des autres.
Le terme K-sos sonne péjoratif alors que je ne le vois pas comme ça. Pour moi, c’est quelqu’un qui ne mène pas un chemin ordinaire. Combien de personnes dans la société sont hyper équilibrées et structurées dans leurs vies ? On les compte et ces personnes ne sont pas forcément des exemples. On n’a pas vraiment envie de leur ressembler. On assume notre vécu et on ne crache pas sur notre histoire. Je vis toujours dans le 9.4. J’aime bien avoir de l’espace autour de moi et je ne peux pas concevoir de vivre dans Paris. »
Soucis familiaux qui ont éclaté au grand jour
« C’est quelque chose que je n’ai pas voulu. Lorsque j’étais en cellule, j’étais remonté de voir ça à la une des journaux. C’est même passé dans 50 minutes inside. Je pensais à la famille, aux amis de la famille… C’est gênant et impudique. Je suis Comorien et on fait partie d’une communauté assez discrète. Ca m’a mis mal à l’aise de me faire remarquer de cette manière.
C’était déjà dur sur le plan personnel parce qu’il s’agissait d’une histoire entre frères, il y avait de la diffamation, du mensonge… Je savais que cette histoire allait être du pain béni pour les médias et que les gens seraient mal informés. »
Absence de véritable single
« Dans ma werrs » est un single risqué. Je lance un mot que personne ne connaît et qui part d’un délire.
C’est une manière de dire qu’on fait ce qu’on est et qu’on impose notre musique. C’est ça le pouvoir. Quand l’artiste a un pouvoir, il s’en sert jusqu’au bout et ne cherche pas à se restreindre pour un format particulier. R.O.H.2.F fait sa propre musique et sa marque de fabrique a toujours été l’originalité.
Quand j’ai fini « Dans ma werrs », j’ai voulu le proposer aux radios et tout le monde m’a dit que c’était risqué. Je l’ai fait quand même. J’aurais pu commencé par des morceaux plus virulents pour la street mais ce sont les morceaux les plus simples à faire pour moi. J’ai fait plusieurs classiques comme ça mais je ne voulais pas rester dans ce que je connais déjà. J’ai préféré faire des titres qui étaient beaucoup plus difficiles à réaliser auparavant. J’ai envie de changer les choses et de faire sonner le rap autrement.
Les relations hommes/femmes et le pessimisme qui habite La Cuenta
« C’est toujours inspiré de la réalité et, même quand il y a des phrases crues, c’est toujours subtil. « Thug Mariage » va parler à beaucoup de gens. J’ai évoqué la naissance, la mort mais je n’avais jamais parlé de mariage.
C’est une chose à laquelle tout le monde pense. Entre ceux qui ont divorcé, ceux qui vont se marier… Quand tu regardes la société actuelle, tu as le sentiment que les relations amoureuses se ponctuent toujours par une déception. Je ne vois pas les gens rester dix piges ensemble. Les gens se goûtent et se dégoûtent. Je vois que les couples se font et se défont et que plusieurs personnes se demandent où elles vont. C’est aussi mon quotidien.
Avant, le rap français avait un complexe par rapport à ça. On ne parlait pas de meufs et on n’en mettait pas dans nos vidéos. Soit elles étaient en string, soit elles étaient absentes. On m’avait même reproché de mettre des meufs dans le clip de “La grande classe” ! Les gens voulaient voir R.O.H.2.F avec des pittbulls et des bécanes. Mais même les caille-ra envoient des SMS aux meufs, ont des copines etc. Pourquoi en faire un sujet tabou ? »
Miami et les collaborations avec des américains
« Je vais à Miami pour mixer mes albums. J’apprécie la ville, j’y ai des amis et je vais bientôt y avoir un pied à terre. Ceci dit, je ne reste pas toute l’année là-bas.
Au niveau des collaborations avec des cainris, j’ai fait un feat avec Fat Joe mais le morceau n’a pas été terminé. Je devais aussi faire un feat avec Rick Ross mais il aurait fallu que j’attende cinq jours de plus parce qu’il était sur sa tournée de lancement. Ça faisait 1 mois que j’étais à Miami et, le ramadan étant sur le point de commencer, il fallait que je rentre au bled. Ça se fera une autre fois.
Mon plus grand souvenir de studio restera probablement mon travail avec Pharrell Williams parce que je l’avais trouvé aussi fou et passionné que moi. Le mec se regardait dans le miroir, rappait en même temps, cherchait son téléphone, faisait des pompes, tapotait sur le clavier… Il était bouillant. »
Dans le rap français, on aime critiquer Rohff. Des fois c’est à raison pour « Animal » ou « Dans Ma Werss », des fois, c’est pour chercher la petite bête (vous vous rappelez des critiques sur la pochette du Code de L’Honneur ?). Ça n’empêche sûrement pas Rohff de dormir ni de manger (après tout, « c’est pas les jaloux qui font [ses] courses« ). Mais s’il y a un rappeur qui mérite une vraie réhabilitation critique en France, c’est bien lui. Et pour aller plus loin, son disque le plus intéressant est également celui que beaucoup considèrent comme le moins abouti. Je parle bien sûr du très auto-centré Au-delà de mes limites.
Après tout, ça tient à une foule de petits riens, la réussite d’un album. Au-delà de mes limites est un moins bon album que La Fierté des Nôtres, pourtant Rohff y rappe bien mieux. En plus, c’est un disque plus honnête : Rohff ne s’offre même plus de respectabilité avec des conseils de vie sur fond de refrain latino. Non, le propos se limite à un sujet : Rohff lui-même, puisque même les morceaux à thèmes sont prétextes à des égotrips à n’en plus finir ou à des morceaux d’introspection. Long, répétitif, parfois fastidieux, Au-delà de mes limites offre néanmoins Rohff à son meilleur de niveau de rappeur depuis longtemps. Longue montée d’adrénaline, entre sentiment d’invincibilité et parano insubmersible, Au-delà de mes limites, c’est comme la chronique d’un bref moment au sommet du rap français. Pour aller dans le sens de Rohff, ça fait penser à Tony Montana dans sa résidence avant que les Colombiens viennent le finir : un mec arrivé à un niveau fragile de succès et qui sait que la chute le guette. Entre ivresse des sommets et angoisse vertigineuse, Rohff assène de l’égotrip comme un mantra destiné à le rassurer (« Trop Dangereux », « Premier Sur le Ghetto », « La Puissance » …) plus qu’à vraiment effrayer la concurrence.
Rohff – « La Puissance »
Heureusement, il est aussi capable de caser une confession dans un morceau à gimmick (« se remarier en mode divorcé, c’est corsé/mes parents m’ont eu en mode mariage forcé » dans « En Mode »), de transformer une ode aux disparus en autoportrait en creux (« Regretté »), de s’en prendre à son crew originel jusqu’au malaise (« Seul contre tous », « Relation de merde »), de pondre un cousin européen à « Moment Of Clarity » (« J’ai pleuré la mer en retrouvant le paternel« ), Rohff reste seul tout au long de l’album : le feat de Jam s’oublie vite, les apparitions d’Ikbal sonnent comme un écho de sa propre conscience et quand il invite les deux plus gros vendeurs de l’époque (Diam’s et Kool Shen) c’est pour leur faire rapper un refrain à sa gloire (« Roh2f, tu nous bombardes à la tête/Dis-nous comment tu aif/qu’on arrête de se prendre la tête« ). Ce qui sauve l’ensemble de ces deux heures de mcing orgueilleux, c’est une démonstration de technique qui ne dit pas son nom et qui fait de Rohff un rappeur hors pair qui n’a pas besoin de dire des choses renversantes pour faire son effet (la preuve, récemment dans « Rap Game », quand il dit « Si to the mother fucking si, si si/Ouais ouais to the mother fucking ouais/Ouais Ouais Ouais !« , on a l’impression que c’est une punchline) et dont la spontanéité de l’écriture dissimule un vrai sens de la formule (« Le rap va crever le même jour que moi/le rap, il lui manque une dent et il a des grosses joues, comme moi« ).
Rohff – « Regretté »
Exigu et oppressant, Au-delà de mes limites n’a pas la force fédératrice de La Fierté des Nôtres, c’est sûr. Les singles programmés visent à côté (« Bonne Journée », « Mon nom », « Bol d’Air » …), comme si Rohff faisait exprès de rater le format radio (c’est quoi cette idée de mettre deux chanteuses différentes sur un même morceau ?), comme si, l’espace d’un instant, il avait cessé de vouloir faire le grand écart permanent entre « Qui Est L’Exemple » et « Ce Son C’est La Guerre », « Le Mot d’Ordre » et « Zone Internationale ». Du coup, on comprend mieux la volonté de Hostile d’avoir voulu cette réédition, sortie quelques jours après le retour de Rohff dans la Mafia K’1 Fry (il est reparti depuis) et quelques mois avant ses problèmes judiciaires et familiaux (vous devez être au courant). Dans ce disque, Rohff a ajouté un inédit « Dirty Hous », mais c’est surtout le texte des dédicaces qui a de l’intérêt si vous voulez mon avis. Entre égotrip, introspection, ébauche de remise en question et création du futur refrain de « Frais », il fait presque office de bonus track fantôme. C’est long mais ça vaut le coup alors c’est parti pour la retranscription in extenso : « Je remercie le Tout-Puissant pour les bienfaits et les épreuves, à chaque mal un bien, que Dieu nous guide. Ma famille pour le soutien moral et affectueux, la rue pour sa fidélité et mes fans parce que quelque part, c’est grâce à eux que je n’ai plus à faire de conneries pour manger. Je reste vrai jusqu’à la dernière note de mon son, la dernière goutte de mon sang. Ma perception du rap n’est certainement pas celle d’un programmateur de grande radio, ni celle d’un D.A. Je les entends rapper, ils n’ont pas fait mieux. Je chante avec mes tripes, sans artifices sans me prostituer dans les émissions de Olé Olé, c’est mon combat, je ne suis pas prêt à tout pour vendre des disques ou à être célèbre. Je reste digne de mon histoire, partagé entre les Comores et la France, la rue et le Showbiz, ce qui explique peut-être ce sentiment de trouble caractériel provoquant parfois de la contradiction dans mes écrits, mais continuons à travailler sur nous-mêmes« . Un code de l’honneur, assurément.
« Nique la musique de France » clamait la FF comme un cri de guerre. Un credo souvent partagé par le microcosme du rap français, pressé de tuer les figures consacrées de la variété hexagonale pour prendre leur place au panthéon de la musique française. Et pourtant, on l’oublie souvent, mais les rappeurs (enfin surtout les beatmakers) français ont souvent invoqué l’esprit des « légendes » (appellation certifiée par Nostalgie) de la musique française des 30 glorieuses pour créer la bande son des 20 et plus piteuses. En ces temps de débat sur l’identité nationale et la culture d’analphabète des M.C.’s gaulois, on peut penser qu’il est de bon ton de créer des ponts plutôt que de les bombarder.
MC Solaar et Serge Gainsbourg
MC Solaar - « Nouveau Western »
Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot - « Bonnie and Clyde »
Inévitable. Parce que sample archi-grillé, reprenant la pesanteur noire du « Bonnie & Clyde » de Gainsbourg et Bardot. Mais aussi parce que Solaar, en pleine force créative, a la bonne idée de retourner dans la chute finale le mythe de la violence américanisée et hollywoodisée, sur laquelle jouait allègrement l’homme à la tête de chou dans l’originale. Tout en circonspection face au mimétisme récurrent sur les cainris, il sort avec Boom Bass un des premiers samples de variété française sur un beat so early 90’s.
Première Classe et Léo Ferré
Mystik, Pit Baccardi, Rohff et les Neg’Marrons - « On Fait Les Choses »
Léo Ferré - « Les Étrangers »
Djimi Finger n’a jamais rien laissé au hasard. Sampler les premières notes d’une chanson au doux nom de « Les Étrangers » n’a rien d’anodin. Surtout quand se combinent deux congolais, un cap-verdien, un comorien et un camerounais. Sauf que la mélancolie caressée d’embruns de la chanson de Ferré est assez loin de la nonchalance arrogante du morceau d’ouverture du premier volume de Première Classe, qui ne volait pas son nom. Une époque où Djimi Finger, depuis retourné dans l’ombre, était la valeur montante du beatmaking en France.
Khéops et Joe Dassin
Kheops feat. Ol’Kainry - « On ne triche pas »
Joe Dassin - « Et si tu n’existais pas »
Joe Dassin était sans nul doute le plus ricain des crooners hexagonaux (et pas seulement parce qu’il est natif de la grosse pomme et qu’il a loué « L’Amérique »). Quoi de plus normal que le DJ d’IAM l’aie samplé pour un beat sur lequel viendrait poser… Ol’Kainry. Sans doute l’un des meilleurs morceaux du mitigé Sad Street, « On Ne Triche Pas » reprend le thème du destin et du hasard sur le même ton dramatique que la chanson de Dassin, avec son lot de « si » et de phrases au conditionnel.

Casey et Mike Brant
Casey - « Tragédie d’une trajectoire »
Mike Brant - « Parce que je t’aime plus que moi »
« I don’t love me, how the fuck I’mma love you ? ». Cette apostrophe de Scarface aurait très bien pu jaillir de la plume de Casey, et encore davantage sur ce morceau tendu comme un claustrophobe dans un ascenseur. Casey rumine ses douleurs d’adolescence pour expliquer pourquoi elle hait tant le monde qui l’entoure, et peut-être surtout elle même. Une magnifique ironie quand on pense à l’intitulé du sample de Mike Brant : « Parce que je t’aime plus que moi ». Le rapport entre le morceau de la martiniquaise et celui de l’israélien est aussi distordu que les cuivres originaux sous les mains de Hery.
Koma, Ol’Kainry et Jacques Brel
Koma feat. Rocé et Kohndo - « Un parmi des millions »
Ol’Kainry feat. Buckshot - « Smatch Ca »
Jacques Brel - Les marquises
La force des orchestrations de certains morceaux de Brel est un bonheur pour beatmakers, appréciée même outre–atlantique. Prenez « Les Marquises ». Tableau impressionniste de ces iles du Pacifique, les quelques cordes graves jouées en pizzicato en ouverture suffise de base mélodique à la suite du morceau. Une vingtaine d’années plus tard, passées par la magie d’une MPC, elles deviendraient forcément matière à quelques bons instrus : tendance force tranquille pour le kata de Koma, Rocé et Kohndo, plutot fatality pour le croisement de fer entre Ol’Kainry et Buckshot.

Flynt et Alain Souchon
Flynt feat. Sidi Omar - « La Gueule de l’Emploi »
Alain Souchon - « Qu’est-ce qu’ils ont les hommes ? »
La connerie humaine, du macro au micro. La filiation entre « Qu’Est-Ce Qu’Ils Ont Les Hommes ? » et « La Gueule de l’Emploi » est évidente. D’autant que les Soulchildren ont su bien mettre en avant la gravité psychédélique des premières mesures de la chanson de Souchon pour souligner l’absurdité de la situation dénoncée par les deux rappeurs de Paris Nord. Une bonne pioche du duo de producteurs alto-séquanais, qui ont été trouvé cette face B méconnue du pote de Voulzy.
Youssoupha et Michel Sardou
Youssoupha - « Éternel Recommencement »
Michel Sardou - Tuez moi
Nul besoin de s’étaler : tout a été dit sur le morceau-étendard du lyriciste bantou, classé 85e au top 100 de l’Abcdr. Et c’est d’ailleurs lui-même qui en parle le mieux. Si le résultat tue toujours autant (des lyrics à la boucle de piano hypnotisante de Sardou), on se dit que le concept original de mise en cloque de la conseillère municipale d’Hénin-Beaumont aurait pu avoir l’effet d’une petite bombe. Et retourner le concept du « Tuez-Moi » de Sardou en « Huez-Moi » au Congrès du FN.

Tandem et Véronique Sanson
Tandem - « Un jour comme un autre »
Véronique Sanson - « Je serai là »
Au coeur d’un album monolithique, le triptyque « Un Jour Comme Un Autre »/ »Frères Ennemis »/ »Le Jugement » a donné toute son âme au deuxième opus du duo d’Aubervilliers. Et a prouvé que malgré quelques égarements faciles, l’autre duo, celui de Kilomaitre Prod, savait faire preuve de flair et de finesse. Comme fouiller dans le répertoire de Véronique Sanson pour souligner toute la détresse d’une personne perdue, et le cisailler avec talent.
Rohff et Gérard Lenorman
Rohff - « Pleure pas »
Gérard Lenorman - Un ami
Le rappeur de Vitry n’est jamais aussi bon que lorsqu’il combine bombage de torse et espièglerie. Deux preuves :
- Lancer des lyrics cinglants et sanglants pendant plus de 5 minutes, pour finir, hilare, sur un « on s’en bat les couilles, c’est qu’du rap, haha !« .
- Tancer les autres rappeurs, avec l’aide du producteur muriautin, d’un « pleure pas… j’ai pas d’mouchoir sur moi » chanté par Gérard Lenorman, avec pour résultat de changer l’intention amicale du chanteur-rêveur en moquerie cynique.
Salif et Claude François
Salif - « A La Muerte »
Claude François - « C’est de l’eau, c’est du vent »
Test flash : essayez d’associer dans votre esprit « Claude François » et « rap ». Vous penserez forcément à Yannick. Les soirées de Salif, elles, sont bien différentes : « On reste jusqu’à 4 du mat à s’raconter de la merde, on rêve d’une baraque à coté de la mer« . DJ Demo a repris les quelques notes de cette chanson peu connue de Cloclo pour en faire avec Salif un hymne d’une vie décousue, départ du renouveau du M.C. de Boulogne.
Explicit Samouraï et Pascal Danel
Explicit Samouraï - « 3 Minutes »
Pascal Danel - « Les trois dernières minutes »
Passé relativement inaperçu, le premier et unique album d’un tiers de feu le Saïan Supa Crew contenait d’excellents passages, notamment ce « 3 Minutes » étouffant de paranoïa. Pour cette plongée hallucinée dans l’esprit d’un homme au bord de la sociopathie, Leeroy et Specta ont finement retravaillé « Les Trois Dernières Minutes » de Pascal Danel, narrant les derniers instants d’un condamné. Et ont, du coup, un peu ressorti de l’oubli ce chanteur, qui a connu ses heures de gloire avec le « Kilimandjaro ».

Rocca et Michel Berger
Rocca - « Les jeunes de l’univers »
Michel Berger - « Chanter Pour Ceux Qui Sont Loin De Chez Eux »
Lancer pour premier single un morceau soutenu par un échantillon de variet’, alors que l’on vient d’un groupe qui a fait ses marques dans un hip-hop authentique et sans concession : plus d’un rappeur se serait casser les dents dans un tel exercice. Surtout en plein milieu des 90′s, âge du “real”, “hardcore”, et autre adjectif certifiant l’origine contrôlée. Mais le M.C. franco-colombien fut assez intelligent pour réussir un équilibre parfait entre rêves de lascar, faim d’espérance et posture tiers-mondiste un poil naïve mais sincère, se positionnant parfaitement dans la thématique de l’original de Berger. Et Lumumba de produire un titre boom-bap radio friendly, un peu facile, mais irrésistible.
Lino et Jacques Higelin
Lino & Janik - « Chant libre »
Jacques Higelin - « Pars »
Au cœur d’un album plutôt sombre et tendu (en somme, fidèle à son auteur), “Chant Libre” était une petite bouffée d’oxygène. Les lyrics pleins d’espoir de Lino et le chant volontaire et optimiste de Janik y jouaient beaucoup, mais la prod de Mad.Izm donnait le souffle à cette envolée de positivité. Plus prompt d’ordinaire à fouiner dans les vinyles U.S., il a été déniché une chanson de Jacques Higelin aux sonorités 100% hexagonale dans ce “Pars” léger et aérien.
Sheryo et Daniel Balavoine
Sheryo & Ekoué - « Je reste underground »
Daniel Balavoine - « La porte est close »
Rappeur talentueux et authentique pour certains, opportuniste cachant sa linéarité par la recherche frontale debeef pour d’autres, Sheryo a créé un petit séisme en 2002 avec “Je Reste Underground”, diss-track à l’attention du pharaon marseillais. Un morceau à double tranchant : si le temps de la polémique, la lumière s’est un peu plus braqué sur le MC du 93, il est retourné peu d’années plus tard dans l’ombre après son départ du collectif Anfalsh. Ironie du sort, Hery fut prémonitoire dans son digging : la porte fut bien close pour Sheryo après ce morceau. Reste un bon instrumental grâce au travail de découpe de Hery, une nouvelle fois inspiré, sur l’original de Daniel Balavoine.
La Cliqua et Georges Brassens
La Cliqua - « Les quartiers chauffent »
Georges Brassens - « Le petit joueur de flûteau »
Le style musical de Brassens est à l’antipode des différents artistes samplés présentés jusque là : épuré, classique, plus chansonnier que variété. Il fallait tout le talent de Gallegos pour faire de cette ritournelle simili-médiévale de guitare un sample de tueur, poussiéreux et addictif. L’écoute des paroles de la chanson de Brassens offre même une nouvelle perspective : le petit joueur de flûte est l’archétype de l’artiste qui reste vrai. Du pain bénit pour les rappeurs.
Lunatic et Serge Lama
Lunatic - « B.O. (Banlieue Ouest) »
Serge Lama - « La serveuse de bar »
Portée par une ambiance tango romancée à l’européenne, “La Serveuse” de Serge Lama est une chanson peu connue du répertoire du bordelais. Samplée par le metteur en son du 45 Scientific, la lascive ballade devient danse avec la mort dans ce morceau rare de Lunatic sorti en maxi, et présent sur la réédition du sanctifié Mauvais Œil. Une ambiance oppressante et minimaliste, pour des lyrics qui feraient frémir n’importe quel élu de droite (et peut-être même de gauche).
La Fonky Family et Martin Circus
Fonky Family - « Verset V »
Martin Circus - « Tout tremblant de fièvre »
Le premier album de la FF est un patchwork de samples hétéroclites. Pone y a aussi bien pioché de la soul, de la chanson française, de la musique de film. Pour le “Verset V”, interprété par le Rat, il a même déniché le premier succès du groupe de rock français Martin Circus (mais si, vous savez, “Marylène”), “Tout Tremblant De Fièvre”. Véritable morceau prog-rock, ses cuivres hallucinés deviennent sous la main de Pone presque menaçants, avec ce ralentissement lancinant collant au style de Luciano.
Les X-Men et Maxime Le Forestier
X-Men - « Bla Bla Bla »
Maxime Le Forestier - « Si tu étais né en mai »
“Si Tu Étais Né en Mai” de Maxime Le Forestier a quelques ressemblances dans le thème avec l’une de ses plus grandes chansons, “Mon Frère”. Musicalement, par contre, c’est autre chose : plus intimiste, moins dramatique, et plus jazzy. C’est d’ailleurs les premières mesures remarquables de ce morceau que Geraldo, époque pré-45 Scientific, a samplé pour le “Bla Bla Bla” des X, à la saveur proche des productions du DITC de l’époque.
OFX et Jean-Claude Annoux
OFX - « Jeunes loups »
Jean-Claude Annoux - « Les jeunes loups »
Dans un album aux sonorités plutôt inspirées par l’Afrique, trouver un sample de variété aurait de quoi surprendre. Pourtant, tout le talent de producteur de Feniski explose sur l’utilisation de l’échantillon de Jean-Claude Annoux : passé par son sampler, la guitare, le clavier et la voix de soie du chanteur (disparu l’année de la sortie de Roots) prend une dimension quasi-tribale, retranscrivant toute l’impulsivité de cette jeunesse, chantée aussi bien par le beauvaisien que par “Féfé” et Vicelow.
Ideal J et Charles Aznavour
Ideal J & Daddy Mory - « Evitez »
Charles Aznavour - « Les deux pigeons »
De toutes les figures de la chanson française, Charly est l’intouchable aux yeux des M.C.’s français. Il n’y a qu’à se baisser pour trouver des chansons d’Aznavour samplées, de “Qui ?” à “Désormais” en passant par“Comme Ils Disent”. En fait, le vrai défi est de trouver une de ses chansons samplées qu’à une seule reprise. C’est le cas de “Les Deux Pigeons”, repris par Le Gand du Lyonnais pour le “Evitez” d’Ideal J, message aux puissants dans lequel Kery leur affirme, sans sourciller, que lui et les siens ne veulent pas être pris pour … des pigeons.
Pejmaxx et Dalida
Pejmaxx - « Les jaloux savent qu’on avance »
Dalida - « Pour qui, Pour quoi »
Deuxième apparition des Soulchildren dans ce diptyque de billet. S’ils avaient repris la boucle de Souchon telle quelle pour le coup de gueule de Flynt contre la discrimination, leur découpage de la complainte amoureuse de Dalida est un travail d’orfèvre. Utilisant sa voix chaude et mystérieuse comme des séquences mélodiques saccadées, le résultat cartonne, et crée une alchimie avec le flow haché du rappeur de Créteil, auteur avec les deux beatmakers du 92 d’un premier album sous-estimé.
Rocca et Daniel Balavoine
Rocca & Lino - « Jour de paie »
Daniel Balavoine - « Le pied par terre »
Petit plaisir final en bonus de ces vingt titres : la rencontre sur track de Rocca et Lino pour ce “Jour de Paie” imparable, grâce à la prod de Traffic samplant Daniel Balavoine. Une boucle hypnotisante magnifiée par ces voix plaintives au refrain et ce beat massif, parfait pour l’échange de rimes entre deux des rappeurs les plus charismatiques de France.