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Vous voyez cette couverture ? Eh bien, elle représente l’été. Hum, oui, il faut bien reconnaître que ce n’est pas évident à première vue. Ni même après un examen prolongé… Et pourtant c’est bien ainsi qu’après l’automnal The Harvest en 2004 (avec Maker), l’hivernal Freezer Burner en 2006 (avec Meaty Ogre) et le printanier The New Wine en 2008 (avec Kip Killagain), Qwel concluait sa tétralogie symbolico-conceptuelle sous perfusion biblique. Il le faisait en renouant avec le producteur qui l’avait accompagné lors du premier volet, qui restait, et reste peut-être, le meilleur. Content de se retrouver (ils remettront le couvert ensemble quelques années plus tard avec Beautiful Raw), ils se passent ici de tout invité, à l’exception de l’apport de deux DJ jouant des platines sur trois morceaux.
Qwel reste Qwel, un peu illuminé sur les bords, et il faut faire avec. De toute façon, avec un ensemble intitulé «Four Seasons/Four Horsemen», on ne peut pas dire qu’il trompait son monde. Et ici le premier morceau, après la petite intro teintée jazz-rock, s’appelle « Gnosticism »… Conformément à la vocation de l’ensemble, donc, et pour peu qu’on pige des textes du genre contourné, on le retrouve dénonciateur et moralisateur, pourfendant le conformisme et la superficialité de ses contemporains tout en s’évertuant à réveiller les consciences endormies. Si la ferveur qui l’anime fait parfois un peu flipper, avec un discours dans lequel on trouve à boire et à manger (mais peut-être moins que sur certains morceaux de jeunesse), c’est aussi ce qui lui donne ce flow enfiévré si efficace, aussi bien quand sur un mode un peu geignard que dans un style teigneux, la langue posée sur l’accélérateur (« Fear as a Weapon »). Ce qui le rend diablement bon, même s’il n’aimerait pas cet adverbe.
Et puis il y a Maker. Pour bien faire les choses, d’ailleurs, il faudrait peut-être inverser la place de leurs noms sur la pochette. Car comme sur The Harvest le disque lui doit aussi beaucoup, à lui qui réussit à nouveau un sans faute, même en se nourrissant de sources assez variées. Qu’il y mettre un soupçon de reggae (« Paper Dolls ») ou une touche indianisante (« White Elephant »), qu’il mise sur des boucles entraînantes (« Gnosticism », les cuivres sur « Back Stage Pass »), des sirènes (le refrain de « Har Megiddo ») ou de subtils arrangements (« No Joke », très réussi), c’est toujours à bon escient et avec soin, à l’image des transitions et ponts entre certains morceaux. Le refrain orientalisant de « Friend or Foe », assez inattendu, se fond ainsi très bien dans l’ambiance lourde posée par le beat, surtout avec quelques cuts. La combinaison entre les deux hommes fonctionne dans l’ensemble à merveille, comme sur « Berzerker » où la musique comme le flow collent à un morceau dont le thème évoque un conditionnement social qui tourne à la machinerie infernale.
Si la pochette du disque est assez éloignée des images habituellement associées à l’été, le disque n’est pas si noir, si ténébreux qu’elle le laisse paraître, même s’il l’est nettement plus que The Harvest. En témoigne un morceau final, « Golden Era », nostalgique mais plutôt enjoué. Solide et prenant de bout en bout, So Be It terminait l’œuvre entamée il y a dix ans d’une très belle façon. Une œuvre sacrée sans doute pas, mais une sacrée œuvre à coup sûr.
Une pluie de dollars tombant soudain d’un ciel crépusculaire… Pour le commun des rappeurs, un rêve devenu réalité. Pour Qwel, une malédiction, le signe annonciateur de la décadence. Pour ceux qui n’auraient pas compris, l’intérieur de la pochette précise : « Dedicated to the United States of Babylon« . Voici donc The New Wine, troisième volet de la tétralogie biblique du rappeur de Chicago, avec cette fois pour comparse Kip Killagain, réputé pour faire flirter le hip-hop et la jungle.
La première écoute provoque une certaine déception. D’un côté, le flow de Qwel apparaît globalement plus lent ou en tout cas plus calme. On retrouve bien sûr le même sens de l’allitération et de l’enchaînement de rimes complexes sinon alambiquées, le même phrasé accusateur des turpitudes du monde et de la passivité des pécheurs qui l’occupent, avec une qualité d’écriture qui mériterait d’être examinée de près (on est quand même content que la distance de la langue préserve un peu d’un prêche épuisant). Reste que dans l’ensemble, il joue sur une gamme plus introvertie. De l’autre, le travail de Kip Killagain est plus qu’honnête, mais il souffre de la comparaison avec ceux de Meaty Ogre et de Maker malgré le renfort d’instruments : des boucles moins accrocheuses, une texture sonore plus terne et plus convenue. Et au total des morceaux moins entraînants, pour ne pas dire un sentiment de torpeur. On peine à croire que The New Wine annonce l’arrivée du printemps, tant Freezer Burner semble à côté revigorant. Il est vrai que comme le troisième cavalier de l’Apocalypse représente la famine, il aurait été déplacé de trop faire dans le guilleret…
Après plusieurs écoutes attentives, le constat s’impose : The New Wine est sans nul doute inférieur à ses prédécesseurs. Inégal, inabouti, le disque suscite la frustration. Trop court (41’41 tout juste, ce cinglé est capable de l’avoir fait exprès et de bourrer ça de significations cachées), il comporte aussi des ratés côté productions. Ainsi parfois quelques caisses qui semblent sorties d’une boîte à rythmes bon marché assorties de quelques samples de synthèse un peu trop artificiels (‘Can’t Fool the Blues’ sonne par exemple un peu cheap, d’autant que Qwel y donne dans son registre le plus doux), ou le choix d’une rythmique très en avant aux dépens d’une atmosphère plus enveloppante (‘Innuendo’). En ce qui concerne Qwel, on regrette qu’un ‘Internet Killed the Video Star’ (sur l’air de…) se contente d’être un a capella. Et un featuring même attendu n’aurait pas été de trop, histoire d’éviter le monopole du bavard chicagoan.
Pourtant, il serait injuste de s’en tenir à ce constat sévère. Car ce volet printanier est aussi indéniablement un bon disque. Au fur à mesure qu’on approfondit l’écoute, on se met à apprécier à leur juste valeur les essais de Kip Killagain : son goût des boucles de cordes aux accents parfois orientaux, ses jeux sur les changements de beat (‘The New Wine’, où la batterie tient en haleine une minute avant de lâcher la bride), son sens particulier du spleen à partir de discrètes petites variations (‘Heliocentric’). Sans compter quelques vrais coups de maître, à commencer par ‘Agape Rain’, duo de piano et d’un violon larmoyant à souhait – il faut avoir un cœur de pierre pour être insensible à un truc pareil. Même sans virtuosité, la combinaison d’une boucle lancinante et d’un piano discret donnent à Qwel un tapis rouge pour dérouler son phrasé (‘B.Rainwashing’).
Toujours cette vieille affaire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Moitié vide : se désoler d’une petite déception due à un opus moins homogène et moins éclatant que ses prédécesseurs. Moitié plein : une belle pièce qui contribue à faire de la tétralogie de Qwel, en attendant son achèvement, une œuvre sans pareille et fascinante.
L’hiver dernier, Freezer Burner n’était pas loin de mettre le feu aux Alpes. Trois ans plus tôt, The Harvest entamait la tétralogie mystico-saisonnière patronnée par Qwel. Cette moisson automnale constitue une très bonne mise en bouche, tout en annonçant clairement la couleur et la suite. L’air de famille entre les deux albums est en effet frappante, malgré le changement de producteur. Entre la bande sonore composée par Meaty Ogre et celle concoctée par Maker, le talentueux beatmaker de Glue, la proximité est évidente. Le projet global en est d’autant plus prometteur.
The Harvest possède une vertu indéniable. De la première à la dernière seconde, tout en développant différentes ambiances, le disque plante tout un décor, il construit un univers cohérent. Il propose trois quarts d’heure d’exode.
D’une complémentarité sans accroc, le duo arrange un automne mélancolique et hargneux, d’une grande qualité mélodique. Aucun coup d’arrêt dans cet album, et quelques transitions parfaites, insensibles, comme entre ‘The Siren of Liberty Island’ (qui s’attaque au États-Unis à travers le symbole-mirage de sa statue) et ‘Deuterium’. Ce dernier morceau donne une image assez fidèle de l’identité sonore du disque : un assemblage savant, par couches successives, entre notes de piano, voix spectrales en chœur et échos de percus souterrains.
Qwel s’illustre avec son habituel débit haletant, qui prend tout juste le temps de respirer. Parfois, ses intonations font penser à une sorte d’evil twin d’Eminem — un faux frère qui serait allé plus souvent au catéchisme qu’aux putes. Infatigable dénonciateur d’un monde vautré dans le pêché, Qwel multiplie les anathèmes et les références bibliques contre la corruption généralisée (‘Broken Wings’), à commencer par le rayon rap (‘The « IT » in « Keeping IT Real« ‘). Il faut bien admettre que le MC de Chicago prêche avec une conviction telle qu’elle a quelque chose d’entraînant, sans compter l’exigence qu’il met à peaufiner ses textes dans le fond comme dans la forme. Difficile alors de résister à son flow en cavalcade sur ‘The Network’ et en cascade sur ‘Chicago ’66’ ; un flow qu’il sait aussi aplanir, pour adopter un ton plus intimiste (‘Ruby Ragdolienne’). En tout cas, Qwel y met à chaque fois son cœur et ses tripes ; visiblement, quand il est derrière un micro, il n’a pas l’esprit ailleurs.
Avec une telle alchimie, The Harvest se déroule sans fausse note, et les moments forts sont légion. Maker fait toujours mouche avec ses boucles de piano. Ailleurs, c’est une guitare qui prend la relève (le superbe ‘Capathy’, qui dénonce l’hystérie yankee pour les armes à feu, avec quelques déflagrations scratchées au passage), ou un orgue d’arrière-plan, et les échos soul ou pop ne sont jamais loin. The Harvest ne dépareillerait pas comme bande originale, marquée d’une empreinte jazz : avec le refrain de ‘Chicago ’66’, on frôle le film noir…
Voilà donc deux premiers tomes qui sont des réussites, jusque dans le soin porté à l’artwork, superbe. Mais les saisons froides collent sans doute plus naturellement au tempérament de Qwel. Reste à voir comment, à l’avenir, le chicagoan négociera des températures plus clémentes.
Abcdr : Tu peux te présenter ?
Qwel : Salut, je viens de Chicago. Je m’appelle Qwel, de Typical Cats, et je suis sur le label Galapagos 4.
A : Comment as-tu rejoint Galapagos 4 ?
Q : En fait, il y avait un mec de Chicago, Pugslee Atomz, il était à la tête de ce groupe, Nacrobats. Ils m’ont pris sous leur aile et m’ont permis de rencontrer pas mal de monde. Il préparait un morceau pour l’album de DJ White Lightning, White on white crime. Il m’a présenté à DJ White Lightning et on a commencé à traîner ensemble, et c’était parti.
A : Quelles sont tes influences musicales ?
Q : A vrai dire, je pense avoir plus d’influences liées à l’écriture qu’à la musique. En fait, je ne suis pas un très bon rappeur, je continue toujours à apprendre. Je suis bien meilleur au niveau de l’écriture. Mais musicalement parlant, pour ce qui est du rap.(hésitant) Je dirais Saul Williams. Ce gars est un vrai tueur. En fait, j’aime la musique qui te file le cafard, façon Portishead.
A : Abordes-tu de la même façon un morceau solo et un titre avec les Typical cats (composé de Qwel, Qwazar, Denizen Kane, Natural, et Kid Knish) ?
Q : Non, l’approche est complètement différente. Avec Typical Cats, on essaie de faire briller les autres. Ce sont vraiment mes potes. A chaque fois que j’entends un truc de leur part, ça me met sur le cul. L’approche de l’écriture à trois est assez différente, on réfléchit en tant que groupe, pas en tant qu’individu. On évolue avec un esprit de compétition dans le bon sens du terme. C’est une vraie souffrance d’écrire mes morceaux solos, c’est assez différent à ce niveau.
A : Tu dévoiles dans The rubber duckie experiment une forme de cynisme qu’on ne te connaissait pas.
Q : En réalité, je ne voulais pas être simplement cynique. En fait, je vais t’expliquer ce qu’est le rubber duckie. Après les évènements 11 septembre, j’étais vraiment bouleversé. Mon grand frère est dans l’armée, et mon petit frère est en prison. C’est pour cette raison que j’avais écrit cette rime « between army barriers and prison sheets, I can’t sleep« . J’ai commencé à écrire les textes deux jours après les événements du 11 septembre, et à ce moment j’étais comme déchiré. Je ne voulais surtout pas faire un album 11 septembre, je suis sur que des millions de personnes vont le faire. Après, je ne sais pas exactement ce qui se passe, donc je ne vais pas tenter d’expliquer ce bordel. J’ai juste retranscrit ma frustration. Aux États-Unis, ils ont transformé la tragédie du 11 septembre en une vraie publicité. Partout ils te ressortaient des »God bless America ». Tu allais au Mc Do, y’avait une promotion sur les Big Mac, avec le prix et juste en dessous »God bless America ».
Les gens ont commencé à acheter des drapeaux américains à en mettre partout. Oui, c’était tragique mais ça a pris des proportions démesurées. Les citoyens américains sont des rubber duckies. Sur Terre, il y a plus de rubber duckies que de vrais canards, plus de gars qui imitent qu’autre chose. Tu sais, tout ce bordel m’a rendu cynique…et je te passe l’anniversaire du 11 Septembre. A la TV, ils annonçaient deux jours avant, des journées spéciales et tout le bordel.
A : Tu rappes a cappella sur un titre, ‘Silence’, très sombre, penses-tu que certains de tes textes se suffisent à eux-mêmes ?
Q : En fait, pour ce morceau, je voulais faire ressortir l’émotion suivante. Je marche dans une pièce pleine de rappeurs, et bien bruyante. Moi je rentre tranquillement, en sifflotant, et moi je me parle à moi-même. Je voulais rester modeste et mesuré. Parce que quand tu vois ce qu’est devenu la musique. Putain, dans un des deux albums de rap choisi pour les Grammy Awards, le refrain du single c’est « It’s getting hot in here, so take off all your clothes. » Merde, les gens sont sourds ou quoi ? Parce que c’est pas seulement de la musique de merde, tu as les gens qui sont dessus à remuer leur cul. C’est ça l’Amérique, ils veulent qu’on reste stupide mec.
A : Ouais, ben ça c’est valable pour plein de genres musicaux. Trop souvent ce sont les morceaux dénués de sens qui sont mis en avant.
Q : Oui, malheureusement.
A : Tu produis un morceau, ‘Ugly Widow’, la production c’est une autre façon de t’exprimer ?
Q : Oui, c’est un moyen d’expression bien plus relaxant. Tu exprimes tes sentiments différemment, c’est peut-être plus simple. La musique parle d’elle-même et donne le ton. Cette production était très simple, juste avec une boucle, mais j’en suis content.
« Tu peux dire ce que tu veux, mais la musique ça va plus loin que dire : je suis le meilleur. »
A : Envisages-tu de t’investir plus dans la production dans les années à venir ? Ou était-ce juste une expérience comme ça ?
Q : Je ne sais pas vraiment. En fait les DJs avec qui je travaille, je considère qu’ils sont parmi les meilleurs. Je ne travaillerais pas avec eux s’ils ne faisaient pas musicalement, ce que je fais au niveau des paroles. Si je gère la production et l’écriture des paroles, peut-être que ce serait mieux. Mais j’suis super occupé, mais je vais essayer de m’y mettre plus tard.
A : Tu es proche de pas mal de MCs, pourtant tu n’as invité aucun rappeur sur ton album, pourquoi ?
Q : En fait, je voulais exprimer une vision assez personnelle, au contraire de ce que j’ai pu faire avec Typical Cats par exemple.
A : Tu as fait beaucoup de battle rhymes, y compris à la radio, que t’apporte le contact de la scène et du public ?
Q : En fait j’ai participé à des battle rhymes quand j’étais plus jeune. Mais j’ai véritablement commencé à écrire des rimes à 19 ans, et je n’ai que 22 ans. Quand tu as des grandes battles d’organisés, tu peux sortir des trucs à quelqu’un qui vont le calmer pour le reste de sa vie. Tu peux dire ce que tu veux, mais la musique ça va plus loin que dire « je suis le meilleur. » Sage Francis m’a dit un truc un jour. Je considère que c’est le meilleur commentaire que tu peux avoir à propos des battles. Il m’a dit « regarder une battle rap, c’est comme observer un peintre sur une scène, un pinceau à la main et te décrivant ce qu’il va peindre. » En fait, je pense qu’il y a mieux à faire que d’essayer de provoquer des artistes qui sont proches de moi.
A : Quels plaisirs et besoins ressens-tu a jouer live avec des musiciens ?
Q : Jouer avec un groupe c’est spécial. C’est un peu comme la différence entre digital et analogue. La musique live c’est plus chaud, plus vrai. On a fait ce concert en Belgique il y a peu, je gueulais tellement fort dans le micro que les gars ils ont voulu m’arracher le micro des mains. C’est ça le live !
A : Quel est le plus important pour toi, découvrir le public français ou que le public français te découvre ?
Q : Ah, déjà être à Paris, observer les gens ici c’est fort. Après avec tout ce qu’il y a faire à Paris, penser que des gens ont le temps d’écouter ce que je fais, moi, c’est incroyable. Rencontrer le public français, savoir que certains écoutent notre musique, qu’ils comprennent les paroles ou pas, c’est un sentiment exceptionnel.
A : Quels sont tes projets pour les années à venir ?
Q : A court terme, on va essayer d’enregistrer un album live, on va travailler là-dessus. A coté de ça, j’écris un livre, et je prévois d’en écrire un autre.
A : Merci pour cette interview. Tu veux ajouter quelque chose ?
Q : Merci d’avoir lu cette interview, et ne prenez pas tout ça trop sérieusement, je suis dingue.
Membre des Typical cats aux côtés de Denizen Kane, Qwazaar, DJ Natural et Dan, Qwel est généralement considéré, et ce en dépit de son jeune âge, comme l’élément le plus singulier du prometteur label Galapagos4. Remarqué lors de freestyles radios à Chicago, alors qu’il était davantage porté sur le graffiti, Qwel s’est rapidement rapproché du crew des Nacrobats (comme Offwhyte) au sein duquel il a pu freestyler lors de battles pour y façonner un style très personnel mêlant subtilement lyrisme intense et flow explosif. Déjà auteur d’un album avec les Typical cats et d’un premier solo intitulé If It Ain’t Been In The Pawn Shop, Then It Cant Play The Blues, tous deux sortis en 2001 sur Galapagos4, Qwel revient fin 2002 avec The rubber duckie experiment. Auréolé d’un honorifique succès d’estime, son premier LP avait eu le mérite de mettre un peu plus en lumière la qualité de la très fertile scène hip-hop de Chicago, et en particulier celle de Galapagos4. Également présent avec deux titres sur White on White Crime de DJ White Lightning, Qwel, sans brûler les étapes, a su rapidement faire parler de lui et susciter attente et attention autour de ce nouvel album, qui fait pour ainsi dire office d’éclaireur pour Galapagos4, quelques jours seulement avant la sortie du second album d’Offwhyte, The fifth sun.
Si la somptueuse pochette est peu révélatrice du contenu, le premier morceau, ‘The Rubber Duckie Experiment’, clarifie d’emblée l’orientation donné à cet album : la production obscure de DJ White Lightning défile l’espace de quelques (longues) mesures et Qwel vient poser son premier couplet en force, délivrant ses lyrics sous des effets de reverb’ démesurés. On est rapidement scotché et on craint même que ces treize titres ne se laissent difficilement écouter… Fort heureusement, l’atmosphère s’apaise rapidement, et c’est avec un beat plus lent (ressemblant étrangement à The terrorist de Vadim) que ‘Wild Instrument’ vient véritablement débuter The rubber duckie experiment.
Bien que les paroles et le flow de Qwel soient indéniablement les points forts de cet album, les productions occupent elles aussi une part substantielle. Après plusieurs écoutes et une certaine accoutumance à la voix de Qwel, on remarquera en effet que la multiplicité des producteurs (cinq au total) donne une richesse supplémentaire à cet LP. Divers petits détails viennent se greffer sur des productions pour le moins traditionnelles, à l’image des gazouillements d’oiseaux sur ‘Fable Salt’ ou encore les voix samplées sur ‘Dan Rather ‘et surtout le très arabisant, et sans doute meilleur morceau de l’album, ‘Sundial’, sur lequel Meaty Ogre a recours au même sample que le titre ‘Métèque et mat’ d’Akhenaton. Si deux morceaux quasi instrumentaux sont présents : ‘The War Reports In, Eurasia’ et le très grave et synthétique ‘Ugly Widow’ produit par Qwel lui-même, ce n’est sans doute pas le fuit du hasard. Ils permettent en effet de laisser retomber la pression et surtout d’éviter à l’auditeur de saturer par rapport à la voix de Qwel, seul rappeur à officier sur le disque.
C’est probablement l’unique reproche que l’on peut formuler à l’égard de « The rubber duckie experiment », l’absence d’invités pour donner la réplique à un Qwel qui, même si il n’ennuie pas, semble tout de même s’essouffler par moment. Seulement, pour sa défense (si tant est qu’il en ait besoin), il a semblé vouloir livrer un album personnel, au sein duquel il a voulu partager sa vision du monde : sombre et particulièrement cynique. ‘Walking the Plankton’ l’illustre parfaitement : pessimiste à souhait et soutenu par une voix plaintive, ce titre met un peu plus en avant le parfum d’introspection planant sur cet album. Et, pour se convaincre de l’importance du travail accordé aux textes (et au flow), il suffit d’écouter ‘Silence’, titre sur lequel Qwel chante accapella avec pour seul partenaire les arrangements réalisés sur sa voix.
Au final, The rubber duckie experiment sonne comme un album très varié, et pas uniquement grâce aux différents producteurs qui y apportent leur contribution. Les thèmes et les flows pour lesquels Qwel a opté en font un des rares disques de cette année à avoir une telle densité et intensité, et en définitive il ne fait que confirmer l’émergence d’une scène à suivre de très près du côté de Chicago.