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C’est ce qu’on appelle prendre par surprise. Busta Rhymes, le rappeur qui ne veut pas vieillir, prépare son album chez Cash Money. Il aura fait tous les rayons, toutes les crèmeries, derrière les consoles de tous les plus grands comme si son style et sa personnalité étaient modulables à l’infini, indémodables pour toujours. Concrètement, ils ne sont plus beaucoup à le croire. Le flow ultra rapide du Bus-A-Bus avait réussi à toucher un nouveau public avec « Look At Me Now » il y a 2 ans, mais cela ressemblait à une ultime révérence. Le problème, c’est que Busta Rhymes est un drôle d’oiseau qui ne correspond à aucune espèce répertoriée. Au final, il n’arrivera jamais à choisir entre chant du cygne et renaissance du phénix. La surprise, c’est donc ce nouveau morceau atypique, loin des canons YMCMB, un quasi edit d’un tube funk d’Alicia Myers, accompagné du meilleur d’entre nous, le Coton Tige.

Les maîtres de cérémonie Weezy et Yeezy font forcément potiches, mais prouvent que ces deux pionniers sont parmi les mentors des grosses stars actuelles. Kanye a toujours voulu emporter Tip dans son sillage et Lil Wayne est le premier fan de Busta Rhymes, l’adoubant au sein du label toujours florissant des frères Williams. Une fois extraite cette partie people, la magie opère de nouveau. La tête bouge direct, le rythme est parfait, les deux compères entremêlent leurs phrases dans une saine compétition, la sensation d’amusement, de fun, reste présente, comme s’il s’agissait de leur toute première fois. Pourtant leur histoire a plus de 20 ans.

Busta Rhymes ft. Q-Tip – « Ill Vibe » (The Coming – 1996)

Dès leur première rencontre, l’énergie passe telle le Bifröst. L’un est déjà établi avec A Tribe Called Quest, groupe phare de la génération Native Tongues, le rap jazz cool, celui que tu peux faire écouter à tes parents, celui qui délivrera une génération entière de futurs artistes qui ne se reconnaissaient pas dans les paroles hardcore du Gangsta Rap. L’autre débarque en tête d’affiche de son groupe Leaders of the New School, défricheur timbré, joker illuminé qui veut déjà courir plus vite que la musique. La rencontre sur disque aura lieu sur le mythique « Scenario » avec l’impact hallucinant de Busta Rhymes, toutes ses syllabes faisant mouches comme si les boomers étaient de vulgaires punching-balls. A l’époque déjà, la partie de Q-Tip est entrecoupée par une première incursion de Busta, la paire s’échange le microphone dans un passe-passe gravé dans la roche. Le duo dynamique est formé.

Il faut attendre quelques années pour une véritable partition à deux sur The Coming, le premier opus de Busta Rhymes. L’aventure Leaders of the New School est terminée et le Bus-A-Bus a tout pour devenir la nouvelle star du rap US, entouré de son Flipmode Squad. De son côté, Q-Tip commence à avoir des relations plus tendues avec Phife et Ali. Son leadership est remis en cause et ses multiples collaborations avec Nas ou Mobb Deep ne sont pas aux goûts de tous. C’est surtout la période où Q-Tip découvre son futur à Detroit en la personne de Jay Dee, alors membre de Slum Village. Ce premier duo est d’ailleurs produit par The Ummah, le collectif de producteurs qui regroupe Q, Dilla et Ali. Il sonne comme une chute de Beats, Rhymes & Life, l’album de ATCQ qui sortira la même année. Il permet surtout de confirmer que l’alchimie est parfaite.

Bonus : Un remix de The Ummah, présent sur le maxi de It’s A Party, avec les filtres si particuliers de Dilla.

Q-Tip & Busta Rhymes – « Wild Hot » (Rhyme & Reason OST – 1997)

On retrouve le dynamique duo sur la bande-son du fameux documentaire Rhyme & Reason en 1997. À cette époque, Q-Tip sort quelques morceaux solo sous le nom Lone Ranger, la séparation avec A Tribe Called Quest semble consumée. Quelques pics de Phife laissent d’ailleurs penser qu’il pourrait être jaloux de la bonne entente entre Q et Busta. Son acolyte de longue date remet en cause ses choix, son évolution toujours plus proche du rap actuel. Attiré par Diddy et son label Bad Boy, Tip cherche à être en phase avec son époque et ATCQ pourrait ne plus être le bon média pour ça. De son côté, Busta est complètement dans cette énergie, accumulant les collaborations les plus mainstream possibles avec un sens de la performance toujours au top. Le dogme de la Native Tongues paraît lointain mais ce duo de pistoleros n’en est pas moins réussi, parfait western moderne qui résume bien l’époque controversée, entre surenchère guerrière, désillusion et mercantilisme. Les deux cowboys en sortent intacts avec la fraîcheur de jeunes premiers. La Bromance continue.

Q-Tip ft. Busta Rhymes – « NT » (Amplified – 1999)

La séparation est définitive, Q-Tip part avec Chris Lighty et son management Violator, laissant ses compères moribonds avec un album sans vie pourtant nommé A Love Movement. Q pense déjà à son premier solo, Amplified, ses premières escapades club, attaquant direct avec « Vivrant Thing » puis « Breathe N Stop ». Q co-produit l’album avec Jay Dee mais deux productions de DJ Scratch se frayent un passage dont ce nouveau duo avec Busta Rhymes. Le Bus-a-Bus est alors au top de son art avec Extinction Level Event et son « Gimme Some More » ainsi que les clips tous plus fous les uns que les autres. Au final, sa participation est millimétrée, gimmick entraînant qui pourrait tourner en boucle tel un refrain. Q adapte le style de Busta comme si c’était un sample à la manière de ce « Oh My God » du passé. Son apparition la plus longue est finalement l’outro où Busta s’emporte et Q est mort de rire. Le fun est toujours au rendez-vous.

Q-Tip ft. Busta Rhymes & Pharrell – « For The Nasty » (2005)

En 2001, Busta Rhymes se sert de l’aspiration de Dr Dre, alors en état de grâce. Son « Break Your Neck » fait carton plein et l’album Genesis est double platine, son plus grand succès à ce jour. C’est aussi l’époque où il rencontre les Neptunes avec qui il collaborera régulièrement jusqu’à cette année avec un « Twerk It » pas franchement inspiré. Pendant ce temps, Q-Tip galère un peu, devenu caution cool de Kanye West qui veut faire revivre l’esprit Native Tongue au sein du R.O.C. Le deuxième album est avorté car pas assez vendeur pour le label alors qu’il s’agissait d’une fusion rap-jazz-soul excellente qui aurait pu l’emmener très loin, dans le sillage de la Neo-Soul du moment et au delà. Q cherche donc un single pour relancer sa carrière et la rencontre avec les Neptunes tombe à point. Busta est de la partie, toujours enjoué quand il s’agit de foutre un peu le bordel. Q-Tip ressort ses formules à la « Vivrant Thing », Pharrell est sur le refrain comme toujours. Tout pour faire un tube mais ça fait flop. Le single ne paraitra sur aucun album et Q-Tip retournera batailler avec l’industrie du disque pour sortir son deuxième opus. Trois ans plus tard.

Busta Rhymes ft. Q-Tip – « You Can’t Hold the Torch » (The Big Bang – 2006)

On retrouve le duo en 2006 pour l’album de Busta Rhymes chez Aftermath. L’hommage est vibrant : une production de Dilla, mort quelques mois plus tôt, reprenant le sample du « Look of Love (remix) » des Slum Village ainsi que le « Lyrics to Go » des Tribe. Le morceau évoque la musique derrière le business, l’origine du vrai kiff. Les deux anciens ont beau se placer en gardiens du temple, le résultat est juste parfait. Nostalgique, mélancolique et empreint de la disparition de leur ami, mais toujours dans une énergie unique que seul les deux rappeurs savent garder. Entre la voix mélodieuse de Q et celle rocailleuse de Bus, une véritable symbiose s’opère pour donner un des meilleurs tracks de ce seul album avec Dr. Dre. Premier chant du cygne ?

Busta Rhymes & Q-Tip – Poetic Justice remix (2012)

Les années 2010 n’ont pas vraiment vu nos deux vétérans reprendre du grade. Pourtant leur aura reste intacte. Q-Tip est toujours signé chez G.O.O.D Music même s’il n’apparaît pas sur Cruel Summer et qu’aucun album n’est vraiment prévu. Il a repris la route avec A Tribe Called Quest, même si le coeur n’y est plus vraiment. De son côté, Busta atterrit chez Cash Money après son rapprochement avec Lil Wayne et son hold-up sur « Look At Me Now ». Les deux amis nous surprennent à la fin de l’année 2012 en reprenant le « Poetic Justice » de Kendrick Lamar et Drake pour en faire un hommage à Janet Jackson avec qui ils ont collaboré tous les deux il y a déjà bien longtemps. Le track respire la fraîcheur, les anciens ont l’air comme deux poissons dans l’eau, brettant tranquillement comme s’il s’agissait d’une fin de soirée arrosée, enfumée à la cool. L’énergie et la camaraderie sont toujours présentes. Plus de 20 ans après.

Q-Tip est un symbole. Un symbole du mouvement Native Tongues porté par les Jungle Brothers, De La Soul, et donc A Tribe Called Quest. Un mouvement émergeant à la fin des années quatre-vingt, connu pour son approche afro centriste et ses réflexions volontairement positives sur les réalités du quotidien. Parfois profond, parfois un peu naïf, Q-Tip reste à l’image de ce mouvement. Q-Tip est également un symbole du rap New-Yorkais que ce soit en solo ou avec ATCQ – groupe dont il reste le leader charismatique. Symbole aussi de ces rappeurs passés par la case cinéma dans des films pas toujours inoubliables (Poetic Justice, She hate me). Symbole enfin du récent retour de ces icônes passées, pour certaines d’entres elles un peu dépassées.

Pas moins de neuf années se sont écoulées depuis Amplified, le premier album solo du plus célèbre des cotons tiges. Une éternité à peine compensée par la sortie sous le manteau – ou plutôt sous le clavier – de sa suite Kamaal the Abstract. Alors forcément avec un tel historique et des apparitions assez comptées ces dernières années, la sortie annoncée de ce nouvel album laissait un sentiment mitigé. Par mitigé, comprenez un mélange entre inquiétude, scepticisme et légère excitation – tendance demie-molle pour les plus irréductibles.

Oui, mitigé… sauf qu’au final The Renaissance ne joue pas dans la cour de ces retours foireux. Il justifie même plutôt très bien son nom un peu pompeux. Porté par la voix unique – nasale et fragile – de son auteur, The Renaissance ressuscite en quelques secondes un paquet de (très bons) souvenirs liés – principalement – à ATCQ. Accompagné ponctuellement de quelques voix soulful de choix – Norah Jones, Raphael Saadiq  ou D’Angelo – il balaie rapidement les doutes pour déclencher l’enthousiasme. En 2008 Tip a définitivement dézingué son double, celui qui était à l’origine de cet affreux et incompréhensible Amplified, cette caricature du flambeur reniant dix années de cohérence. A quasiment quarante balais, il revient apaisé et libéré de ses doutes et contradictions.

« I’m not a deity, I’m far from perfect, see » (‘Johnny is dead’.)

Plus qu’aucun autre morceau ‘Life is better’ est à l’image de ce retour inattendu. A la fois empreint d’une certaine légèreté et de beaucoup de bon sens, il porte un recul salvateur sur le passé et ses compagnons de route énumérés un à un apparaissent comme autant de repères sur un parcours tardivement sinueux. Mais, franchement, retrouver ce mélange entre richesse et simplicité, c’est aussi se rappeler pourquoi on a autant aimé le rap.

Oui, pas besoin de fulminer sur des grandes théories complexes pour essayer de rationnaliser les sentiments qui nous traversent la cervelle à son écoute. Ecouter Q-Tip kicker du gros boom-bap joyeusement funk sur ‘Won’t trade’ ou ‘Manwomanboogie’, croyez-le ça fait putain de plaisir. Retrouver ce rap épuré, bâti autour de boucles toujours inspirées par le jazz et les breaks de funk, l’est tout autant. La MPC2000XL portée – symboliquement – en étendard rappelle judicieusement que Tip est à l’origine de la quasi-intégralité des productions de son album. Elle fait également écho à Head Hunters, album clef de Herbie Hancock, cité par Tip comme une référence et une vraie source d’inspiration. Seul maestro à bord, le natif de Harlem partage juste les crédits de ‘Move/Renaissance Rap’ avec le défunt J-Dilla dans un ultime clin d’œil à son ancien partenaire d’affaire (rappel conseillé Beats, Rhymes and Life.)

Achevé par un extrait de discours de Barack Obama – ‘Shaka’ en version remixée – The Renaissance s’inscrit finalement tout à fait dans l’air du temps. Vaste ironie mais aussi symbole à méditer, il s’impose même comme le meilleur album de l’année écoulée. Cette fois c’est dit.