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Abcdr du Son : Peux-tu te présenter en quelques mots ?

8TM : Bonjour, je m’appelle Théo, j’ai 22 ans. je vis dans la banlieue sud de Paris. Je produis des sons et je joue du rap dans des soirées.

A : Quels sont tes premiers souvenirs rap ?

8 : Vers 8/9 ans je pense, quand mon père revenait de la Fnac avec des EPs de De La Soul, sans trop savoir ce que c’était. Sinon ma grande soeur me faisait écouter Cypress Hill et Ice Cube.

A : Peux-tu nous raconter tes premières expériences de production ?

8 : J’ai commencé à faire du son dans ma chambre sur Fruity Loops vers 2006/2007 quand j’étais encore au collège. A cette époque, je voyais mon pote Manaré faire des sons et je trouvais ça vraiment bien de pouvoir faire de la musique sans jouer réellement des instruments. J’ai toujours adoré la musique et après avoir perdu pas mal de temps, je me suis finalement lancé. Mais ça n’a pas été sérieux avant fin 2012, presque 5 ans après ! Au début, ça ressemblait même pas à du rap ce que je produisais, plutôt à des trucs de grime anglais. Pourtant mon pote Thiago m’avait introduit au rap du sud et j’écoutais presque que ça à l’époque. Après je me suis vraiment plongé dans un autre délire avec J-Dilla et Madlib, puis New York. Finalement je suis revenu sur le sud et vogue désormais plus vers la Californie.

A : Tu préfères bosser des samples ou sur tes propres compositions ?

8 : Ça dépend. Au final, ça m’arrive de tellement modifier/couper un sample que ça devient ma « propre » composition. J’aime de plus en plus bosser avec des synthés, mais bien souvent je ne suis pas assez doué pour me permettre de ne faire que ça. Sauf exception comme “Hoes Bucket Love” [Rires]. Ce que je préfère, c’est mélanger les deux et qu’au bout du compte, tu ne puisses même plus savoir ce que j’ai samplé et ce que j’ai composé.

A : Tu sors surtout des morceaux / projets instrumentaux pour le moment alors que les producteurs français commencent en général par produire des rappeurs de leur entourage. C’est un choix, une façon de mieux mettre en valeur ta musique ?

8 : Ce n’était pas vraiment un choix. Le truc, c’est que je n’avais pas vraiment d' »entourage musical » au début, j’étais vraiment seul, et aussi incroyable que ça puisse paraître, j’avais même pas un pote qui rappait. Je mettais mes sons sur Myspace et je les faisais écouter à mes amis. Ils me disaient que c’était cool donc j’ai continué dans mon coin, sans trop chercher à démarcher les gens. Juste faire mon truc quoi.

A : Tu aurais envie de produire pour des rappeurs français par la suite ?

8 : Non, pas du tout, sauf des amis proches éventuellement. J’ai jamais écouté de rap français vraiment, c’est limite même pas ma culture en fait. Aussi débile que ça soit. Par contre je commence à travailler avec des américains depuis quelque mois. Les sons sortent bientôt. Mais je t’avoue que je n’ai pas vraiment encore trouvé un artiste avec qui une bonne communication/entente s’opère.

A : En décembre dernier, tu as sorti un projet de remixs de UGK avec Fusils à Pompe. Qu’est-ce que représente Pimp C et Bun B pour toi ?

8 : Ils représentent beaucoup pour moi, c’était eux mon introduction réelle au rap et à ce mode de vie américain bien particulier du Texas : celui des grand espaces, de la lenteur, des mélodies de guitares chargées mais aussi des deals de cocaïne, des beaux habits et des voitures lustrées. Rien que visuellement quand je voyais Pimp C mettre du sel sur une vache et parler de son volant en bois la minute d’après, ça me faisait vraiment voyager. Et ça, c’est sans parler de leur musique, c’était hors du commun. Il y avait plein de samples et en même temps des jolies lignes de basses enregistrées. Justement, tu ne distinguais pas toujours ce qui était de la composition pure et ce qui était samplé. Et puis leur façon de rapper, tant dans la forme que dans les lyrics, c’était vraiment le top à mes yeux. Énormément de groove, avec des syllabes à rallonges. Ça m’a beaucoup inspiré. Quand je passais ensuite sur du Wu Tang ou du Nas, ça me paraissait vraiment gris et fade en comparaison. Je n’y arrivais pas.

« Quand je voyais Pimp C mettre du sel sur une vache et parler de son volant en bois, ça me faisait vraiment voyager. »

A : Ta production est assez éclectique sur ce projet, quelle était ta démarche ?

8 : L’idée est venue au sein du collectif Fusils à Pompe mais j’avais toujours un peu voulu faire ce projet sans jamais oser. Je n’avais pas de démarche particulière, je voulais surtout leur rendre hommage. Et au fur et à mesure, c’était marrant de voir si je pouvais faire un lien entre ma musique et celle de UGK. Essayer de fusionner les deux et que ça rende bien sans sonner trop « remix ». Essayer de donner une nouvelle vie à UGK sans dénaturer, renier leur origines.

A : Tu travailles pas mal autour du Screwed-N-Chopped. Qu’est qui t’intéresse dans ce style ?

8 : En vrai ce que j’adore dans le Chopped N Screwed, c’est la dimension complètement différente et parfois vraiment meilleure que ça peut donner en ralentissant un son… Ça influence énormément mes productions depuis un bout de temps maintenant et ça m’a permis de faire ressortir une certaine couleur, une émotion particulière dans ma musique qui me correspondait bien.

A : Tu es proche d’autres producteurs comme Myth Syzer ou Dave Luxe. Tu penses faire partie d’une nouvelle génération avec de nouveaux codes, de nouvelles façons de travailler ?

8 : Oui je pense qu’il y a vraiment un délire en commun entre nous. Déjà le fait qu’on a tous un amour certain pour le rap du sud qui se ressent dans nos productions. Mais aussi le fait qu’on produit dans les mêmes conditions, un peu isolés, chez nous. Maintenant plus personne ne va en studio, sauf si c’est pour enregistrer et mixer un album sérieux. On est chacun chez soi avec notre laptop et on fait notre truc. Il y a peut-être un certain côté autiste, mais au final on sort nos projets, on se connecte avec d’autres gens, on a des retours. Il y a une ouverture sur le monde derrière tout ça.

« On a ridé avec ses potes en BMW et on a mangé des gaufres. »

A : En 2013, tu as mixé à Atlanta avec Dj Quik et Sango, deux écoles et générations différentes de producteurs. Peux-tu nous parler de ces rencontres ?

8 : J’ai surtout bien sympathisé avec Sango là-bas, on a ridé avec ses potes en BMW et on a mangé des gaufres, c’est un gars vraiment bien. On fait partie de la même génération de producteurs pour le coup, même si notre musique est vraiment différente. On est allé voir Quik à la fin de son concert, c’était cool mais bon, le gars a déjà sa carrière derrière lui et la différence d’âge, de statut n’est pas forcément facile à gérer. Il ne nous portait pas un intérêt débordant et malgré le fait que ce soit l’un de mes producteurs préférés, je n’ai pas cherché à lui communiquer mon enthousiasme. C’était une rencontre cordiale sans plus, c’est un peu dommage mais je comprends tout à fait.

A : Si tu devais choisir trois producteurs qui t’ont marqué et influencé, quels seraient-ils ?

8 : En choisir juste trois risque d’être vraiment compliqué. Je dirais dans le désordre : Erick Sermon, Pimp C et J Dilla. Il y en a beaucoup d’autres, dont certains m’ont autant influencé que ces trois-là, mais c’est un peu les bases de mon inspiration de producteur, je pense.

A : Si tu devais choisir une production qui t’a choqué ?

8 : Il y a beaucoup de productions qui m’ont marqué mais en ce moment, une que je réécoute souvent c’est “Lets Get Away” de T.I. J’aurais pu citer Jazze Pha dans les producteurs qui m’ont beaucoup influencé, il y a vraiment un truc qui glisse dans ses drums, dans toute la composition. Il m’a montré la voie. Quand je commençais à produire, c’était une vraie référence. Je ne sais pas ce qu’il devient d’ailleurs mon pote Jazzy Phizzle.

A : Quel serait ton rêve de producteur ?

8 : Je pense que ça serait de pouvoir vivre de ma musique tout en travaillant avec des artistes que j’admire. C’est sûrement présomptueux de ma part mais j’aimerais vraiment arriver à un niveau où je puisse travailler, avec disons, Rihanna par exemple. Un peu à la manière d’un Mike Will. Même si sa musique n’a pas du tout la même approche et la même finalité que la mienne, j’aime beaucoup sa démarche. En gros, ça m’inspire et ça me motive. Même si je sais bien que je ne vais pas produire un album pour Miley Cyrus et gagner des Grammys avec.

Abcdr : Qui se cache derrière l’entité Hits Alive ?

Mayer : Hits Alive, à la base, ça vient de ça. C’est un état d’esprit, un cri du cœur, un leitmotiv qui s’est transformé en gimmick sonore. Ça veut dire notamment : le rap n’est pas mort, il est mort-vivant. C’est l’art de ressusciter et de remettre au goût du jour toutes les mélodies, les sonorités sur lesquelles nous nous butons depuis les années 80.
Sur le plan formel, on est deux compositeurs parisiens : Manny Way A.K.A Martinezz et Math Mayer A.K.A Dr. Nazi.

A : Comment ça se passe le travail de production à deux ? Vous bossez chacun de votre côté ? Où vous avez vos spécialités, voire préférences ?

Mayer : À l’origine, je suis le genre de gars qui aime écouter pendant des heures de vieilles bandes originales de films et décortiquer la manière avec laquelle sont agencées les mélodies. Je dirais que ma spécialité est la composition pure. J’essaie de reproduire au maximum les textures musicales d’antan. Je mixe également toutes nos productions et cherche constamment la précision. Je ne laisse rien au hasard. Je suis un vrai chirurgien musical. On me surnomme Dr. Nazi. Au niveau du groupe, on bosse pas mal de prods chacun de notre côté, on se fait écouter nos travaux mutuellement et on retouche ensuite si besoin. Pour l’album Bad Cowboy et les quelques projets qu’on a sorti, on a eu un vrai travail d’équipe et d’échange. On se connait depuis dix ans maintenant… Et dans tous les cas, on essaie de respecter au maximum « notre ligne de conduite ». Un zombie ne doit jamais baisser son froc sinon il risque de s’arracher les jambes !

Martinezz : À la base, Mayer fait des instrumentaux depuis le début des années 2000. Moi je rappais un peu de mon côté avec mon groupe local et j’ai toujours voulu être dans la production. Je traînais beaucoup chez lui et on discutait musique le plus souvent, on s’échangeait des disques…
Puis ça s’est fait tout seul : il m’a montré les techniques de découpage de samples et c’est devenu ma spécialité. Sinon pour l’aventure Hits Alive, le délire est parti d’une vieille B.O qui trainait chez Mayer et on en a fait « Émile LV » de Seth Gueko. Je trouve que ce beat est à la base de tout, on peut bien sentir le mélange de nos délires respectifs : lui c’est la vibe new-yorkaise et moi plus la vibe californienne. Après ça a évolué au fil du temps.

A : Vous bossez avec quoi comme machines ?

Mayer : On produit sur ordinateur, avec le logiciel Reason en particulier. Parfois, on rajoute de vieux synthétiseurs externes, de la guitare électrique. En particulier, pour la section cordes, quand on est vraiment en galères, on sous-traite le travail au Transylvania Zombie Orchestra, des enculés de morts-vivants qui font la manche à côté de chez nous.

A : Vous avez huit productions sur Bad Cowboy, le dernier album de Seth Gueko. Comment est-ce que vous avez bossé avec lui ?

Martinezz : La rencontre avec Seth s’est faite bien loin d’ici, en Thaïlande pendant une bataille d’eau géante qui dure trois jours tous les ans [NDLR : Songkran, grand moment et grands souvenirs pour une partie de notre rédaction]. On a sympathisé, puis on est devenus amis. Moi, j’avais quitté la France depuis un moment pour vivre là-bas et je continuais à produire des beats de mon côté. Je produisais notamment un rappeur Suédois du nom de Franchize et un groupe Thaïlandais les Nepthaiz. Il y avait un studio à deux rues de chez moi.
Un jour, j’ai gravé un CD avec des prods de Hits Alive (anciennement appelé 2#) que j’ai donné à Seth au moment de son retour en France. Au final, il en a retenu deux qui sont devenues « Émile LV » et « Bad Cowboy » dans l’album Michto sorti en 2011. Par la suite, il a décidé que nous produirions la majeure partie de son nouvel album Bad Cowboy en nous impliquant dans son équipe de producteurs, sur son label Zdedededex Music.

A : Quels retours avez-vous eu sur Bad Cowboy ?

Mayer : En général, de très bons retours. J’ai lu et entendu pas mal de trucs qui parlaient de symbiose entre Gueko et notre univers. J’ai également croisé pas mal de personnes qui m’ont félicité pour le travail sur « Paranoïak ». Je pense que ce single a eu un bel accueil notamment grâce à la qualité de sa vidéo.

Martinezz : Les retours sont très bons, surtout de la part des professionnels de la musique. Je trouve qu’on a franchi un palier avec cet album, on a pu montrer qu’on savait produire des gros titres mainstream comme « Paranoïak » tout en restant dans notre univers musical. On est vraiment fiers de ce projet car on a participé à toutes les étapes de conception (composition, enregistrement, mix) et il y a une palette d’ambiances très variée. On n’est pas simplement des horribles zombies assoiffés de chair humaine. On sait être également sensibles comme sur le titre « Sale Temps Pour Un Cabot ».

Mayer : C’est aussi de belles rencontres, comme avec Orelsan qui reste un artiste super humble malgré son succès.

« On n’est pas simplement des horribles zombies assoiffés de chair humaine. »

A : La production dont vous êtes les plus fiers ? 

Mayer : Sur l’album Bad Cowboy, je dirais « Paranoïak ». Il me semble que le beat est bien ancré dans son époque tout en faisant appel à de vieilles sonorités. Je ne le sens pas « has-been » quand je le réécoute. J’aime particulièrement le mix qui a été fait conjointement avec l’ingénieur du son. Il y a eu un gros taf’. Si je devais en rajouter une, je dirai « Farang Seth » car j’adore cette mélodie. Je suis très satisfait du résultat final et je pense que ce morceau est très important dans l’album.

Martinezz : « Bad Cowboy » sur Michto sans hésiter ! Les découpes sont parfaites et on sent bien cette basse électro / G-Funk qu’on utilise très souvent maintenant. Je ne m’en lasse pas et ne m’en lasserai jamais de ce beat ! Faudrait le foutre à mon enterrement ! [Rires] Avec Seth, on l’a même tatoué sur notre poignet alors que l’album Michto n’était pas encore sorti. C’est donc une fierté que ce morceau ait donné naissance au titre de son nouvel opus.

A : Quels sont les trois disques qui vous ont le plus marqué ?

Mayer : Question très difficile. Là comme ça, sans aucune réflexion, je dirai : Mobb Deep – Hell On Earth ; Ennio Morricone – Once Upon A Time In The West ; Giorgio Moroder – Midnight Express.

Martinezz : Les disques que j’écoute encore en 2013 sans zapper un seul titre sont : 2Pac – All Eyez On Me ; Daft Punk – Discovery ; D’Angelo – Brown Sugar.

A : Vous avez sorti en mai dernier EP – disponible en téléchargement gratuit – intitulé Triple 6. Vol.1 – en téléchargement ici ? Quel était l’objectif de ce disque ?

Mayer : À l’origine, Martinezz avait comme idée de sortir trois projets de six titres chacun. On tenait absolument à faire découvrir notre univers musical indépendamment des morceaux que nous avions produits à côté (notamment pour Seth Gueko et Al-K Pote). On peut considérer que le premier volet est une carte de visite. C’était également pour amener un projet de plus grande envergure, un plus long format – le Bloody Halloween, en téléchargement ici – dont on est extrêmement fiers. Peu de gens l’ont écouté au final (peu d’exposition donc peu de téléchargements) mais tous les retours qu’on a eus étaient excellents et encourageants. Le projet a parlé à des personnes hors rap, ce qui est une très bonne chose.

A : Vous avez toujours en tête de sortir une suite ? Quel sera le ton de ce volume deux ?

Mayer : Ouais, le Triple 6 volume 2 est terminé. Il vient tout juste de sortir [NDLR : téléchargement ici]. Il est dans la même veine que le premier. C’est comme un bon vieux Halloween 2, la même recette, les mêmes sursauts. Par contre, Jamie Lee Curtis sera absente. Elle a refusé l’invitation. Salope. On s’est rabattu sur un barbu à lunettes du coup. On a construit cet EP comme un guide du savoir vivre d’outre-tombe. On a utilisé quelques citations autour des thèmes du diable, de la mort et de l’enfer.

A : Dans un monde idéal, vous êtes financés par les Qataris, vous pouvez faire l’album de vos rêves avec un budget illimité. Vous invitez qui ?

Mayer : On ne fait aucun album, on prend les avances et on se casse bien loin ! Enculés de Qataris [rires]. Plus sérieusement, on ferait une vraie bande originale de malade. On coproduirait avec Claudio Simonetti des Goblin, Giorgio Moroder. Le tout serait orchestré par John Williams et Ennio Morricone. Pour les quelques morceaux chantés de la BO, on ferait des featurings improbables style Thom Yorke / Prodigy of Mobb Deep. Et évidemment, on demanderait à John Carpenter de tout mettre en images.

A : Quelle est la prochaine étape, le prochain projet sur lequel vous êtes ?

Mayer : On bosse actuellement sur un projet Hits Alive long format qui contiendra des collaborations rap et autres. On vient d’enregistrer un track de folie avec DFHDGB intitulé « White Trash » [DFHDGB : Des Faux Hipsters et Des Grosses Bites, collectif composé des deux rappeurs Hyacinthe et L.O.A.S et du producteur Krampf]. Il sera réalisé à la manière d’une Bande originale de film. On se donne comme objectif de le sortir en 2014 et dans de vraies bonnes conditions. On aimerait aussi sortir la suite de Bloody Halloween à savoir Bloody Valentine pour février 2014.
À côté de ça, on continue de produire pour les artistes avec lesquels on s’entend bien : Seth Gueko évidemment, Zekwé Ramos qui a un talent monstre. De même, notre manager Vincent Portois essaie de proposer nos productions à bon nombre d’artistes. On est supers ouverts sur les collaborations Rap / Hors-Rap.

De mon côté, j’ai également un beau projet en préparation. Je travaille avec un rappeur de ma ville qui s’appelle The End. Il a un talent fou dans l’écriture, un univers assez décalé. Ce n’est pas facile d’accès et c’est exactement le genre de challenge qu’il me fallait relever. J’espère vous le faire découvrir très bientôt.

Martinezz : Pour ma part, je réalise une compilation intitulée Brainstorm. C’est un collectif de producteurs qui gravitent autour de Hits Alive dont « YoroGlyphe » et « D.N. » avec qui on avait déjà bossé,  là-dessus se rajoutent d’autres beatmakers que j’affectionne comme le jeune Krampf. Pas de date de sortie prévue pour le moment, on a déjà enregistré quelques titres dont « Weed Parade » avec The End, Eko du 9.4., Zekwé Ramos & Zii, le chanteur Daaf. Autrement, on pourra retrouver Hits Alive sur le projet Résolution de Take-A-Mic et normalement sur le nouveau projet de Kennedy.

En 2012, Apollo Brown sort principalement deux albums qui, à eux deux, marquent un tournant dans sa carrière de producteur. Deux albums fonctionnant en miroir, sur une formule commune : un producteur, un MC, 16 titres. Il y a d’abord Trophies, premier album solo d’O.C. depuis 2005 et le plutôt dispensable Smoke and Mirrors. Puis Dice Game, collaboration avec Guillty Simpson, dont le dernier opus – parenthèse Random Axe mise à part – date de 2008. Sur le papier, ce n’est pas forcément très engageant. C’est pourtant là que réside toute la force d’Apollo Brown, dans sa capacité à sortir des projets intelligents, cohérents, aux sonorités clairement orientées 90’s, sans pour autant paraitre datés. Profitant de son passage à Paris, nous l’avons interrogé sur ses influences, ses projets, et ses méthodes de travail.


Abcdr du Son : Pourquoi devenir producteur ?

Apollo Brown : Je me suis toujours intéressé à la musique. Bien avant de commencer à m’y mettre sérieusement. Je n’écoutais jamais un morceau dans son ensemble, j’essayais forcément d’en déconstruire la composition plutôt que de simplement l’apprécier pour ce qu’il était. J’isolais la caisse-claire, ou un détail du beat, une parcelle d’une ligne de basse. J’écoutais beaucoup de disques à l’époque, mais je pense que c’est Breaking Atoms de Main Source qui m’a donné envie de m’essayer à la production. Oui, quand j’y pense, c’est vraiment cet album là qui m’a donné envie de faire partie de ce monde. Et j’aimais l’idée de rester en arrière plan. Je n’ai jamais voulu rapper. Je voulais faire de la musique, créer des beats, travailler la matière sonore, tout simplement.

A : Comment travailles-tu ?

AB : Il n’y a pas vraiment de recette. Je me lève le matin, je m’assieds devant mon bureau et je commence à écouter des samples. Je crée d’abord un beat, puis je passe en revue plein de samples et j’essaye différentes combinaisons. J’y vais à tâtons. Ça ne me plait pas, je jette, je recommence, jusqu’à ce que je sois satisfait. Je dirais que j’ai une routine, plus qu’une méthode ou un système de travail.

A : Quel équipement utilises-tu ?

AB : Mon équipement est plutôt minimal, mon installation, absolument horrible, surtout composée d’outils bas de gamme ou en mauvais état. Je pourrais déménager demain et tout laisser sur place sans verser une larme. J’utilise principalement un vieux logiciel qui s’appelle Cool Edit et qui est sorti en 1997. Ce n’est même pas un logiciel destiné à la production musicale. A la base, c’était utilisé en radio pour monter des dédicaces ou des publicités, des choses du genre. C’est juste un logiciel de manipulation sonore basique, mais j’ai compris comment l’utiliser et n’ai juste jamais changé. J’ai un Roland XB50 que j’utilisais beaucoup pour mes lignes de basse, mais je ne m’en sers plus trop parce qu’il n’y a plus que 16 touches qui fonctionnent et ça devient un peu compliqué. Mes enceintes saturent constamment. L’ordinateur que j’emploie date de 2000 et me lâche tout le temps. Il est si vieux que je dois effacer des fichiers à chaque fois que je veux faire un nouvel arrangement, sinon il plante ou refuse de sauvegarder. Tout ce que j’utilise est de ce niveau. C’est la honte, mais j’ai appris à faire avec ce dispositif, je sais comment faire que tel son sorte bien en vinyle ou tel autre passe bien en live. J’ai appris à aimer travailler comme ça. J’ai depuis investi dans quelques machines plus sophistiquées, mais je ne les utilise pas vraiment. Elles restent dans un coin et je joue avec de temps en temps, mais je n’ai encore rien produit avec.

A : Comment définirais-tu ton style ?

AB : Boom-bap, tout simplement. Je ne me considère pas du tout comme expérimental. Je n’expérimente pas trop. J’ai grandi pendant l’âge d’or du hip-hop. J’ai 32 ans. J’étais adolescent au début et au milieu des années 90. C’est les couleurs sonores que j’aime et que je recherche. J’ai encore le souvenir d’avoir acheté Illmatic à sa sortie. En cassette. C’est ce qui continue de m’influencer. Du boom-bap pur et dur. Les productions expérimentales, c’est intéressant, mais je trouve que c’est encore le boom bap qui transmet le plus de sensations et qui fait le plus vibrer, et c’est ce que je recherche par dessus tout.

A : Quel album considères-tu comme une référence absolue en matière de production ?

AB : Probablement, celui qui reste également mon album préféré toutes époques confondues: Enta da Stage, de Black Moon. Les Beatminerz ont vraiment tout donné sur cet album. Ce disque est incroyable du début à la fin, en matière de production, de rap et de paroles. Ce disque me rend encore fou.

A : Ta structure se nomme 24 Carat Brown Music. En référence à Dale Warren, je suppose ?

AB : Exactement. C’était une référence importante, à mes débuts en tant que producteur. Ses disques m’ont construit et m’ont beaucoup fait réfléchir. J’ai même fait un morceau sur Skilled Trade, « Poverty’s Pair Of Dice » pour me frotter moi aussi à ce sample légendaire. 24 Carat Black c’est un concentré de titres incroyables, d’une grande densité sonore. Malheureusement, ils n’ont que très peu produit, et étonnamment, je me suis rendu compte qu’encore beaucoup de gens qui connaissent pourtant des dizaines de déclinaisons de ces morceaux ignorent complètement leur provenance originelle.

A : Quel concept sonore avais-tu en tête en préparant Dice Game ?

AB : Je voulais que les gens ressentent presque physiquement la musique. Je voulais beaucoup de grain. Je voulais que ça colle à la voix et au flow de Guilty. Je voulais que son rap et mes beats soient parfaitement complémentaires. Bon, je savais que cette partie du travail serait facile, nous avons des univers très proches. Mais je voulais vraiment travailler le grain, une texture rugueuse, brute, mais accompagnée de beaucoup de douceur et d’âme. Je voulais qu’en fermant les yeux, les titres vous emmènent quelque part. Certaines personnes pensent que j’ai utilisé de grosses boucles de soul pour cet album. C’est vrai qu’on pourrait le croire à l’écoute. Mais je n’utilise que peu de gros tronçons de samples. Je coupe des petits bouts de plein de morceaux et les recolle pour recréer des boucles conçues sur-mesure. Je trouve que beaucoup de musique de nos jours consiste à coller côte à côte un son et une voix. Ça n’a pas d’âme et c’est plat, ça ne provoque rien en moi. Si je travaille tellement mes productions et l’imbrication de la voix et du son, c’est parce que je cherche à insuffler de l’âme à ce que je fais. Donc ce disque, je le voulais avec un grain, brut et rugueux, mais avec de l’âme. Je voulais, quelque part, qu’il me rappelle Détroit.

« J’ai encore le souvenir d’avoir acheté Illmatic à sa sortie. En cassette. C’est ce qui continue de m’influencer. »

A : Parlons de Détroit, justement…

AB : Artistiquement Détroit est au top. Le hip-hop de Détroit est au top, la scène électro est toujours au sommet, et nous avons produit certains des meilleurs chanteurs soul de ces dernières années. Où que j’aille, en Australie, en Asie, ou en Europe, tout le monde veut savoir ce qui se passe musicalement à Détroit. C’est incroyable de voyager et de découvrir cet engouement. Surtout qu’en parallèle notre ville s’est beaucoup appauvrie durant les dernières décennies. Nous avons toujours beaucoup de problèmes à gérer, de mentalités à changer, nos rapports avec nos autorités locales restent compliqués. Puis le ciel… Il fait constamment gris à Détroit. C’est une ville sans soleil. Il est facile de voir pourquoi la créativité y est si exacerbée. Beaucoup de choses s’y passent, il y a beaucoup de sujets à aborder. Sors juste marcher un peu, regarde autour de toi et tu trouveras mille sources d’inspirations. Quand O.C. est venu enregistrer Trophies, je lui ai fait faire un long tour en ville et il m’a dit « Mec, je n’ai jamais rien vu de pareil dans ma vie. » Ça craint vraiment. Mais les choses s’arrangent, doucement.

A : Tu cites en références le Wu-Tang, Mobb Deep, Black Moon ou Smiff-N-Wessun, mais jamais de groupes locaux…

AB : C’est parce que je n’ai pas grandi avec la musique de Détroit. Je n’écoutais pas de hip-hop d’ici. J’ai grandi avec Gang Starr, Mobb Deep, le Wu-Tang. J’ai grandi immergé dans le hip-hop de la côte est. C’est ce à quoi j’ai été exposé, ce que tous mes cousins et mes amis écoutaient. Je connais peu la scène hip-hop locale de l’époque.
Je ne suis pas un grand fan de la Motown non plus, d’ailleurs. Bien sûr, je respecte la Motown et son histoire. Mais en matière de samples, honnêtement, j’essaye d’en rester aussi loin que possible. Bien sûr, en cherchant bien, on en trouve un peu dans mes productions, mais ce sont surtout des extraits d’albums qui restent loin des clichés Motown. Je n’y touche pas trop parce qu’il est facile d’avoir des ennuis en samplant de la Motown. Puis surtout, la Motown, c’est la musique commerciale de l’époque. Je ne vois aucun intérêt à sampler la musique commerciale d’hier

A : Tu fais parti de plusieurs groupes à Détroit : Daily Bread, The Left, Ugly Heroes, Brown Study… Qu’est ce que ça t’apporte en tant que producteur ?

AB : Je ne dirais pas vraiment que ce sont des groupes. À part Ugly Heroes, peut-être. Les autres projets que tu sites sont plus des choses assez ponctuelles que je fais en parallèle, avec des potes. Un peu comme quand Madlib et J Dilla ont commencé Jaylib. Ce n’est rien de régulier. Ugly Heroes, par contre, ça, oui, je le vois comme un vrai groupe. Nous sommes trois, il y a moi et deux MCs. L’un est de Detroit et s’appelle Red Pill, l’autre est de Chicago et s’appelle Verbal Kent. Je voulais en faire un concept à la Little Brother ou Slum Village, un truc à trois, avec deux MCs et un producteur. Je voulais aussi vraiment qu’on le construise à partir de zéro, avec des MCs sans grosse exposition médiatique. Nous verrons comment ça évoluera avec le temps. Tout ce que je peux dire c’est que la musique est, à mon sens, très belle, et que nous avons déjà un album enregistré et prêt. Nous devrions le sortir en Mai.

A : Quels autres projets as-tu en ce moment ?

AB : Le seul que je puisse vraiment nommer, c’est Ugly Heroes. J’ai un autre album qui est prêt. Une collaboration. Quelque chose d’assez gros. Mais je ne peux pas en parler pour le moment. Je suis justement allé à New York il y a quelques semaines pour le mixer. L’album est fait. Maintenant, la sortie dépend de choses que je ne maitrise pas, surtout que ce n’est pas un projet Mellow Music Group.

A : Et si tu pouvais choisir ton prochain projet ?

AB : Facile : Nas. Nas est probablement mon MC préféré de tous les temps. J’adorerais le ramener sur un terrain plus proche de ses origines, mais avec son flow et son expérience de maintenant. J’aimerais aussi faire un album avec Jay Electronica, Je suis un grand fan du travail de Jay Electronica.

A : Qu’écoutes-tu en ce moment ?

AB : C’est un peu nul mais ce que j’écoute principalement ces derniers temps, ce sont mes propres productions. Parce que j’ai travaillé sur plusieurs projets que j’ai dû finaliser. Qu’est ce que j’écoute ? [NDLR : Killer Mike passe et le salue] Killer Mike, bien sûr ! Kendrick Lamar et Danny Brown, sinon. Ce que beaucoup de gens écoutent en définitive. Puis dans ma voiture j’écoute encore ce qui me plaisait adolescent. Beaucoup de trucs des années 90, toujours. Mais pour être tout à fait honnête, ces temps-ci, j’ai vraiment surtout écouté mes propres sons. J’ai été plutôt dans mon coin et hors du coup.

L’année 2012 aura été fructueuse pour l’exportation des producteurs français aux États-Unis. Au hasard : Soufien3000 a participé à l’album d’A$AP Rocky, le « Platinum Producer » SLAM a collaboré avec Jim Jones, et le duo SoFLY & Nius a fait sabrer le champagne à ses éditeurs en se plaçant sur l’album d’un jeune Canadien appelé Justin Bieber. En fin d’année, c’est le Franco-Camerounais Jo A qui a marqué les esprits avec « Let It Go », quasi-single du deuxième album de Wiz Khalifa. Après un rendez-vous manqué à Paris fin décembre, le jeune producteur a répondu à nos questions par mail, quelque part entre Yaoundé et Los Angeles, où il habite depuis deux ans.


Abcdr du Son : Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de la musique ?

Jo A : La musique a toujours été une deuxième langue maternelle pour moi, un moyen d’expression et de partage. Quand j’avais sept ans, ma mère m’a offert un petit piano à touches colorées et lumineuses. Je me suis rapidement rendu compte que je pouvais rejouer toutes les mélodies que j’entendais à la télé et à la radio. C’est devenu une « drogue ». Ensuite, à l’âge de dix ans, je me suis mis à jouer sur un vrai piano et esquisser mes premières compositions. Le déclic est vraiment arrivé lorsque j’ai découvert la MAO [Musique Assistée par Ordinateur, NDLR]. Un ami m’a installé Fruity Loops et ça a été la révélation. Je restais nuit et jour devant mon ordinateur pour être meilleur et matérialiser parfaitement ce que j’avais dans la tête. J’étudiais Quincy Jones, Mozart, The Neptunes, Beethoven, Timbaland, Scott Storch ou Femi Kuti. J’ai réalisé mes premières prods pour le groupe du collège, dont Mr Ice [l’autre moitié de son groupe, The Ets, NDLR] faisait partie. En arrivant en France à 18 ans, j’ai posté mes premières prods sur Myspace et des vidéos de beatmaking via YouTube ou Worldstarhiphop. L’engouement  du public et des professionnels m’a encouragé dans ma voie.

A : As-tu une méthode de travail particulière ?

J : Je travaille en général à l’instinct, mais je sais aussi planifier et construire un projet à partir de zéro ou d’une ligne directrice. Je n’ai pas de méthode particulière pour composer mais j’ai une philosophie. Je pense comme MacGyver : il y a une idée à réaliser avec une problématique. Je regarde les outils et les paramètres à ma disposition et je m’adapte pour matérialiser mon idée le mieux possible avec ce que j’ai. J’essaie de maîtriser le maximum d’outils – composition pure, samples, jeu instrumental, synthèse sonore, mixage et mastering, séquenceurs – pour ne jamais être limité par mon environnement. Je mise sur la polyvalence et j’affectionne toutes les configurations. L’important est d’obtenir un rendu final équilibré et fidèle à l’idée que tu voulais réaliser. J’ai juste quelques habitudes : travailler dans l’obscurité et la nuit, téléphone éteint pour me couper du monde, travailler dans le silence et seul. Rien de bien méchant.

A : Tu joues de plusieurs instruments. Es-tu entièrement autodidacte ?

J : Oui, je joue du piano-synthétiseur, de la guitare, de la basse, de l’ukulélé, de la batterie (je suis nul), de la flûte. Je dis depuis trois ans que je veux essayer le violon, il va falloir que je m’y mette. Je suis entièrement autodidacte. J’ai appris au fil des années qu’il vaut mieux faire les choses soi-même pour ne pas dépendre de la disponibilité d’autrui et ne pas bloquer son flux créatif. Tu gagnes en liberté et ça t’ouvre de nouvelles perspectives artistiques. J’ai toujours été impressionné par les musiciens qui pouvaient jouer de plusieurs instruments, notamment Prince qui peut créer seul et modéliser son propre univers. Je duplique ce raisonnement aux autres domaines que j’affectionne : la vidéo, l’editing, la peinture, la photo…

A : The Et’s, le duo que tu formes avec Mr Ice, a sorti un premier album il y a deux ans. Quel regard portes-tu sur ce disque et cette expérience aujourd’hui ?

J : L’album de The Et’s a été une formidable expérience artistique et humaine. Mr Ice est un frère pour moi. On a commencé à faire de la musique ensemble au Cameroun, quand on avait 14, 15 ans et on continue. The Et’s est un projet familial. La découverte était d’ailleurs la thématique de l’album. On essayait d’avoir un regard « neutre » sur des faits de sociétés, des situations ou des émotions, à la manière de deux extraterrestres qui découvrent la planète Terre. J’ai énormément appris sur moi-même et sur la nature humaine. Ça a été une des meilleures formations artistiques que j’ai reçues. Nous avons d’ailleurs sorti l’EP de Mr Ice, TOYBOY, que j’ai entièrement produit. Nous travaillons actuellement sur plusieurs autres projets.

A : L’album s’appelait Nous venons en Paix, en référence notamment à votre statut de Camerounais à Paris. Maintenant que tu es émigré aux États-Unis, te sens-tu aussi comme un extraterrestre là-bas ?

J : L’album était davantage en référence à notre statut de nouveaux venus dans la planète Musique en France, avec de nouvelles idées et une vision particulière de la société qu’on pouvait retrouver dans notre approche, autant la musique que l’image. Le titre voulait rassurer en portant le message « N’ayez pas peur de l’inconnu« . Je ne me sens pas comme un extraterrestre aux États-Unis. J’ai l’impression d’être rentré à la maison et je m’y sens vraiment bien.

A : Tu as produit et écrit le refrain de « Let it go ». Comment s’est passé la collaboration avec Akon et Wiz Khalifa ?

J : Je travaillais dans un studio à Los Angeles, je composais et écrivais plusieurs chansons, dont « Let It Go ». J’avais eu l’idée et le concept de la chanson après un débat musclé avec mon manager et ami Malik Koyate qui ne comprenait pas mon point de vue sur un sujet. J’ai écrit et enregistré le refrain pour lui lancer une pique [rires]. Wiz était dans un studio juste à côté et il a adoré le morceau. Le lendemain, il nous a invités en studio. Super rencontre, Wiz est vraiment quelqu’un d’humble et positif. Il a enregistré un premier couplet et m’a dit juste après qu’il voulait garder la chanson pour son album O.N.I.F.C.. Il a ensuite envoyé le morceau à Akon qui a réenregistré mon refrain et le gimmick vocal des couplets que j’avais fait sur ma démo. On entend toujours les ad-libs que j’avais enregistrés sur la version finale. [NDLR : voir la même histoire, racontée par Wiz Khalifa]

A : Quelles différences vois-tu entre le monde de la musique en France et aux États-Unis ?

J : Les différences sont nombreuses. Pour résumer, il y a plus d’opportunités de travail aux États-Unis, plus de chances de vivre de la musique car il y a plus d’artistes à succès avec leur propre public. Les artistes sont plus accessibles, plus ouverts et plus humbles. Le public est plus « large » tant démographiquement qu’au niveau des goûts musicaux. Ça crée davantage de concurrence et de compétition entre les compositeurs et auteurs, donc il faut travailler plus, quantitativement et qualitativement. Il faut être prêt à payer le prix de ses rêves avec beaucoup de travail.

A : Sur ta page Facebook, on te voit en studio avec des musiciens comme Scott Storch ou Ryan Leslie. Qu’as-tu appris ou observé de particulier à leur contact ?

J : J’ai beaucoup appris sur la simplicité et l’humilité, tant humaine qu’artistique. Dans les détails, j’ai appris chez Ryan Leslie la maîtrise de l’image et la force du marketing. Chez Scott Storch et Chad Hugo, la simplicité et la singularité artistique. Chez Jerry Wonda, la passion et l’énergie dans le travail. Il déborde d’énergie ! DJ Toomp m’a donné des conseils sur l’industrie du disque et on échange en permanence des conseils sur l’utilisation du logiciel Reason. Tous m’ont donné des secrets de productions que je continue d’utiliser et je leur en suis vraiment reconnaissant.

A : Quel est le disque qui t’a le plus marqué au cours des trois dernières années ?

J : Sans hésiter l’album d’Adele, 21.

A : Tu viens de placer une première production marquante sur un disque très médiatisé. Quels sont tes projets pour les mois à venir ?

J : En France, je travaille avec Mr Ice sur un version 2.0 de son EP TOYBOY pour le mois de mars. Vous pourrez aussi écouter une de mes productions sur le prochain EP de Joke, Tokyo, en mars-avril. D’un point de vue personnel, je travaille sur un EP instrumental pour mi-2013 et un EP « artiste » pour fin 2013. Pour les États-Unis, je ne veux pas trop m’avancer. Je préfère vous réserver des surprises pour le reste de l’année.

Il y a trois ans, lors d’une conversation anodine, le rappeur Lil B a montré au journaliste Andrew Noz une image d’un château dans les nuages et lui a dit « Je veux que ma musique ressemble à ça. » De cet échange est né le terme « cloud rap », sous-genre aérien et halluciné qui a consumé Lil B mais infuse aujourd’hui le rap américain, de Soulja Boy jusqu’à Drake. Par un double sens judicieux, le terme reflète aussi les transformations d’un monde online bientôt indissociable du monde offline : plus de support matériel, plus de régions, plus de limites.
Soufien3000 est à l’image de ce phénomène : installé entre Lille et Twitter, ce beatmaker de 24 ans a livré l’année dernière deux instrumentaux à A$AP Rocky, lui-même symbole d’une génération aux références éclatées entre Harlem, Houston et le nuage. Joli tour de force : les beats minimaux et écrasants de Soufien se sont ainsi retrouvés au centre de LIVELOVEA$AP, carte de visite d’un des rappeurs le plus observés de l’année 2011. Présentations.


Abcdr Du Son : A quel moment as-tu commencé à faire du son ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ?

Soufien3000 : J’ai commencé à pouvoir faire des beats il y a deux, trois ans en acquérant un ordinateur. Bien avant ça, je cherchais sur Internet comment faire mais je me suis vite emmêlé les pinceaux, entre les gens qui font vraiment de la musique et les collectionneurs d’instrument c’était impossible de s’y retrouver. Je me suis retrouvé avec un Atari que j’avais acheté pour rien et une espèce de sampler. En branchant le tout, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas dans cette direction que je voulais aller…
Un peu plus tard, un animateur branché rap a débarqué à la MJC de ma ville. Au début on s’échangeait des sons, puis ensuite il s’est mis à nous installer Fruity Loops sur les ordinateurs. Il m’avait filé un CD avec une très vieille version du logiciel, avec une interface moche et des packs de drums de producteurs connus de l’époque. J’ai réussi à bricoler deux trois trucs avec, le meilleur beat que j’ai réussi à cette époque était avec un sample de Cindy Lauper que j’avais foutu sur un rythme de TR-808. J’étais assez fier de ça, mais ça m’a juste donné envie de m’y mettre encore plus sérieusement. Quand j’ai pu m’acheter un ordinateur portable perso quelques années plus tard, ça m’a permis de vraiment m’y plonger.

A : Tu es un gros fan des Neptunes. Est-ce que l’écoute de leurs sons t’a appris des « trucs » de production ?

S : Je ne sais pas. Quand j’ai commencé à faire de la musique, je trouvais impossible de reproduire leur musique, et encore aujourd’hui d’ailleurs. Je n’ai aucune formation musicale donc j’essayais juste de faire la musique que j’arrivais à faire. Mais inconsciemment, ils m’ont peut-être poussé à faire une musique accessible et complexe à la fois. Les Neptunes sont vraiment les gens qui m’ont le plus traumatisé. Pendants de longues années, j’ai été dans une quête afin de pouvoir écouter tous leurs travaux. Je les écoute depuis très petit et j’ai grandi sous l’ère de leur domination de la musique mainstream. Je pense que ce sont les premiers artistes qui ont réussi à exploser les barrières entre les différents style de musique : je trippais sur le clip de « Rockstar » sans jamais avoir écouté un seul disque de rock. Je ne me posais pas la question pourquoi j’aimais leur musique, je voulais juste en entendre toujours plus, et il se trouve qu’ils m’ont régalé pendant de très longues années. C’est bien plus tard que j’ai compris leur génie : faire de la musique simple mais complexe, décontractée et rigoureuse.

A : Quelles sont tes autres influences ?

S : Timbaland. Si les Neptunes était le recto de la musique mainstream de la dernière décénie, Timbaland était son verso, et vice-versa. À part les hits radio, j’écoutais énormément les Dipset. En plus d’avoir été les plus grands super héros du rap et de la mode, ils ont permis l’émergence des Heatmakerz, qui derrière leur beats à sample ont pour moi plus un côté musique électronique que « rap soulful », dans leur manière de hacher et rejouer les samples pitchés à l’extrême.
J’ai ensuite découvert la Trap Music via Gucci Mane, qui est définitivement mon deuxième traumatisme musical. En plus d’être un rappeur extraordinaire en tout point, ce type est le rappeur qui a facilement les meilleurs goûts musicaux. Son écoute m’a initié à toute une nouvelle vague de producteurs qui font déjà partie de mes préférés, tous styles confondus : Zaytoven, Shawty Redd, Drumma Boy, Lex Luger, Southside…. Aujourd’hui, la grande majorité de musique que j’écoute est la trap : Gucci Mane, Jeezy, tout le Brick Squad, la musique d’Atlanta de toute époque est en général très importante pour moi. Sinon, plus petit, j’ai principalement écouté du rap west coast et du g-funk via mes grands frères. Parfois j’y reviens. Daz Dillinger est un producteur très important pour moi.

A : Tu as placé deux productions sur la mixtape d’A$AP Rocky. Qu’est-ce qui t’a plu chez lui quand tu l’as découvert ?

S : Son originalité, son univers. Et puis surtout, la première fois que j’ai entendu « Purple Swag », j’étais persuadé qu’il était de Houston. Le fait qu’il vienne de New-York rendait la chose à la fois troublante et fascinante.

A : Comment t’es-tu retrouvé à placer deux sons sur la mixtape ?

S : Je cherchais des informations sur lui sur Facebook, voir s’il avait une fan page afin de pouvoir suivre son actualité. Je suis tombé sur son profil perso, et je l’ai ajouté. Ensuite je l’ai vu en ligne, j’ai commencé à lui parler de sa musique et lui poser des questions sur son actualité. De fil en aiguille je lui ai fait écouter ce que je faisais sur ma page Soundcloud et il se trouve qu’il a aimé mes prods. Il m’a demandé s’il pouvait en utiliser, chose à laquelle j’ai immédiatement répondu oui.

A : Travailler via Internet avec des artistes, c’est frustrant ?

S : Pas vraiment, je pense qu’avoir eu la chance de travailler avec A$AP Rocky via le chat Facebook a été beaucoup plus enrichissant pour moi que si j’avais pu travailler avec n’importe quel artiste dans le meilleur studio du monde. Je n’ai jamais ressenti une once de frustration.

A : Sur ta page Soundcloud, tu as mis le tag « spaced out » sur tes instrus. Ce terme, c’est le dénominateur commun du rap d’aujourd’hui (et de demain) ?

S : Je ne pense pas que le rap d’aujourd’hui, d’hier, ou de demain puisse être englober sous un seul dénominateur, c’est ce qui fait d’ailleurs le charme de cette musique. Le grand écart musical que l’on peut-entendre selon les régions et labels sans avoir à se poser la question de savoir si c’est du rap ou autre chose en est une preuve, cette musique est fondamentalement impossible à réduire dans son ensemble sous un seul et même dénominateur. J’ai presque envie de dire que le terme « rap » est un terme galvaudé et obsolète, de par le nombre infini de sous-genre qu’on essaie de lui faire englober. La grande majorité des artistes que j’écoute ne se revendiquent même pas « rappeurs ». Pour répondre précisément à la question il ne me semble pas que le terme « Spaced Out » music définisse un mouvement ou autre, c’est juste le nom que j’ai donné à la musique que j’aime écouter et que j’aime faire : spatiale et vrillée.

A : Quels sons tes prochains projets ?

S : Mes projets les plus proches sont des tracks sur l’album de Issue, Wave of Italy [NDLR: le morceau « Ferrari (Italian Love) » a depuis été diffusé], et des prods sur la tape de A$AP ANT et Young Shaka. Pour la suite, on verra et de toute façon, depuis Internet il est très dur de prévoir quelque chose. Les choses peuvent prendre une éternité à sortir où sortir de nulle part sans que personne ne l’attende. L’important est de rester connecté pour avoir les informations en direct.

A : Ta collaboration idéale, ce serait avec qui ?

S : Britney Spears. Cette meuf défonce les charts à chaque album depuis que je suis en CM1. Je pense qu’en terme d’adaptation musicale à son époque elle est juste imbattable.

Abcdr Du Son : Tes débuts dans la production ?

R : J’ai commencé vers 2006, sans que ça soit vraiment sérieux. J’étais DJ à l’époque, un ami m’a installé le logiciel Reason sur mon PC, puis j’ai fait quelques petites prods. J’ai commencé a lâché le DJing pour me mettre à fond dans les instrus, et de fil en aiguille, j’ai pris le temps de vraiment faire des choses sérieuses.

A : Tes influences ?

R : Pharrell, Just Blaze, Timbo. Ces trois là étaient mes grosses influences quand j’ai commencé, surtout Pharrell. Notamment le premier single de Kelis, « Caught Out There », et le « Shake Ya Ass » de Mystikal. Il gardait toujours les mêmes sonorités mais il faisait des tubes, et c’était simple. C’est un peu ma personnalité, simple et efficace.

A : Ton album de référence en terme de production ?

R : Le premier album de Justin Timberlake, Justified. Les deux plus gros producteurs du moment étaient réunis, Pharrell et Timbo. Pharrell a produit « Like I Love You », un tube de cinglé, « Rock Ya Body », qui est fou, et Timbo a fait « Cry Me A River »… Encore aujourd’hui, si tu joues « Cry Me A River », tu as l’impression qu’il vient de sortir, ça n’a pas vieilli.

A : Ton style ?

R : Je suis très minimaliste, je n’aime pas trop charger les instrus. En France, c’est difficile d’être minimaliste. Aux US, pour faire un feu, ils ont juste besoin d’une allumette. En France, il faut donner la gazinière et tout le reste. Il faut que la production ait déjà tout. Aux États-Unis, tu donnes à Busta un kick, une snare, avec un petit gimmick à deux francs, et il te fait un tube. Personnellement, je préfère juste avoir un beat qui fait mal avec un gimmick, même si ça peut être redondant. C’est pour ça que je kiffe Pharrell. « Grindin » des Clipse, il n’y a rien dans l’instru, mais le beat est fou.

A : La prod dont tu es le plus fier ?

R : Récemment, c’est « Champagnons ». Ça a été un de mes premiers sons médiatisés, clippés, et c’est une prod que j’ai kiffé faire. La plupart de celles que j’ai du créer pour Soyons Fous ont été faites assez rapidement, à l’instinct. « Champagnons » est clairement parti de cet état d’esprit. J’ai du passer moins d’une heure dessus, et boom, du premier jet Freddy m’a dit « C’est ça ! », et on est parti dessus. Je travaille beaucoup comme ça aussi, sans calcul, au défi. Freddy m’a dit « Dans deux heures, il me faut une prod », « Ok je te fais ça et je te l’envoie ».
J’ai capté Ol’ Kainry sur MySpace, à l’époque, au culot. Je lui ai laissé un message lui demandant s’il cherchait des prods. Et la première que je lui ai envoyé c’était « Stop », sur Iron Mic. J’avais déjà ma couleur et mon identité. Après ça, on s’était perdu de vue, parce que je travaillais avec Sefyu. A la fin de l’enregistrement d’Iron Mic, je lui ai envoyé une prod, comme ça, à tout hasard, qui s’est avérée être « Au Max 2.0 ». Il a tellement aimé qu’il m’en a redemandé une autre, et ça a été « Madison Square ». De là, on a vraiment accroché, c’est quelqu’un de super gentil, et j’ai très vite adhéré à son délire, il voulait faire quelque chose de différent. On a fait « Champagnons » en premier, puis « Jango Jack A Dit », ça s’est fait très de-spee.

A : Ton CV avant Soyons Fous ?

R : J’ai commencé par la dancehall. La première prod que j’ai placé, c’était pour un artiste antillais, qui s’appelle Saïk, un artiste proche d’Admiral T. Il avait fait un feat avec Dontcha sur cette production. En rap, j’ai commencé par Black Kent, sur Yes I Kent. A cette époque, j’ai bossé pendant un ou deux ans avec Cutee B, qui a été en quelque sorte mon mentor, il m’a appris quelques trucs, on s’est mutuellement apporté des choses. Suite à ça j’ai travaillé avec Sefyu pour son dernier album, Oui, Je Le Suis. Les prods que j’ai dessus datent de 2009. De là, j’ai signé chez Golden Eye, ce qui m’a permis de travailler sur Iron Mic et Soyons Fous. De nouvelles choses arrivent, j’ai notamment travaillé avec Youssoupha pour son nouvel album, mais aussi Sadek, un petit qui monte et est très fort, Fababy, Salif, James Izmad, …

A : Golden Eye Music Group, c’est quoi exactement ?

R : C’est un label et une équipe de beatmakers. On veut conquérir le monde ! [sourire]. L’équipe est composée de Blastar, qui a produit « Sachez-Le », et de Cannibal Smith, qui est un personnage en retrait mais a beaucoup tourné en radio, avec « Papa » de La Fouine notamment, et de moi. Ça va bientôt faire un an que je suis signé sur G.E.M.G.. C’est Blastar qui m’a « recruté », il a parlé de moi à Oumar [Patron de Golden Eye, ndlr] et que j’ai rencontré par la suite. S’il y a bien une chose dont je suis content aujourd’hui, c’est d’avoir signé chez Golden Eye. Souvent quand tu signes sur un label, tu te poses des questions. Je me suis beaucoup interrogé sur la place que je pourrais avoir dans cette équipe aux côtés de Smith et Blastar, qui sont quand même de gros beatmakers. Mais Oumar m’a beaucoup mis en confiance.

A : Ton équipement ?

R : Je bosse sur Logic, avec des softs. J’ai commencé avec du hardware, j’ai toujours mon moog branché en rack, qui est posé mais que je n’utilise même plus, parce que ce qu’ils font aujourd’hui en soft, c’est révolutionnaire ! Ça ne sert plus à rien de se prendre la tête avec du hardware quand tu peux tout faire avec de l’interne. Aujourd’hui tu peux te déplacer avec ton ordi avec tout dedans, t’as pas besoin de ci, de ton Korg, tout ça. Tout est dans l’ordi ! Donc autant faire comme ça ! 

A : Samples ou composition ?

R : Je suis plus un mec qui aime composer. Quand tu utilises un sample, pour moi, tu as déjà une idée directrice. Alors que quand tu composes, tu peux vraiment faire ce que tu veux. Le sample te donne une ligne directrice, même si c’est vrai que ça dépend de comment tu le travailles. Et dès que j’ai commencé à produire d’ailleurs, c’était en composant. Même si aujourd’hui je kiffe sampler de ouf, comme sur « Aux Portes de l’Espoir » pour Ol’ et Jango.

A : Budget illimité, invités de ton choix : ton projet de rêve, ce serait quoi ?

R : [rires] Alors là… La première chose que je fais direct : j’appelle Daft Punk, je fais la moitié de l’album avec eux ! J’inviterais aussi Breakbot, ils sont très très forts. Je dis ça en vrac : j’aimerais bien travailler avec Rihanna, Booba, Lil Wayne pour le kiff, parce qu’il a giflé tout le monde quand il a sorti Tha Carter II, Drake, et… Maroon 5. J’ai pas envie de rester dans le hip-hop. Si on me donne quelque chose de big, autant faire quelque chose que j’aime vraiment, des choses entre la pop, le rap et l’électro.

A : Ton futur projet ?

R : Since 1985 / I @m… Mr Beats. Je vais peut-être lâcher un morceau d’ici février. Un premier teaser est disponible sur le YouTube de Golden Eye Music, « H@y Baby ». J’ai déjà quatre titres d’enregistrés, sur lesquels j’ai eu de bons retours. Je n’ai pas envie de donner trop de détails pour le moment, parce que j’ai envie d’arriver avec l’effet de surprise, de prendre les gens à contre-pied. Ce sera juste du pur Richie ! 

A : Ta playlist du moment ?

R : Mike Posner – « Wonderwall »
Jay-Z & Kanye West – « Murder To Excellence »
OrelSan – « Mauvaise Idée »
T-Pain feat. Lily Allen & Wiz Khalifa – « 5 O’Clock »
Tabi Bonney – « Parachute »
Wale – « Bait »
Wale feat. Miguel – « Lotus Flower Bomb »
Calvin Harris – « Feel So Close »
Skream – « Anticipation »
Drake – « Camera »

CV

  • 2006 : intègre la structure UGOP (Une Goutte d’Organisation Prod) à Paris en tant qu’ingénieur du son
  • 2007 : produit ‘Citoyens de Seconde Zone’ pour Enigmatik (street-album « Un Nouveau Souffle »)
  • 2008 : produit ‘Cabochard’ pour Seth Gueko (street-album « Drive-By en Caravane »)
  • 2009 : produit ‘Dans un mouchoir de poche’ pour Mil (« La Mil-Tape »)
  • 2009 : produit ‘Zone autonome temporaire’ pour L’Artiviste (« Reubeux des Bois »)
  • 2009 : produit ‘L’épingle du jeu’ pour la Scred Connexion (album « Ni vu ni connu »)

Style

« Je ne pense pas avoir de style particulier. Je fais ce que j’aime bien écouter. Historiquement, mon son est plutôt new-yorkais, avec des influences comme DJ Mehdi ou Just Blaze. Je ne suis pas un puriste, pro-boom bap tout ça, je fais surtout du sample parce que je n’ai eu pendant longtemps qu’un sampleur et je ne suis pas encore très à l’aise au clavier. Je prête attention aux mêmes détails que tous les beatmakers, seul le niveau d’exigence change. Personnellement, j’essaie de soigner la batterie et faire en sorte que mon instru’ sonne large, aussi bien en terme de dynamique que de fréquence. »

Équipement

« J’ai commencé par Cubase mais j’ai très vite lâché le software tellement je n’y arrivais pas. J’ai investi dans un ASR-10, machine que j’ai achetée car j’ai lu que tous les gros producteurs US l’avaient. C’est un très bon sampleur avec de bons effets, mais le séquenceur est assez naze, alors je me suis acheté une MPC 1000 sous les conseils, entre autres, de Jee2Tuluz sur le forum de l’Abcdr. Ça a changé ma vie : avec son O.S trafiqué, la MPC 1000 est une super machine, très agréable à utiliser. A un moment, j’ai du me trouver limité par le sample et pour sonner actuel, on est obligé de passer par les sons synthétiques. Avec mon équipe d’UGOP, on a investi dans un Motif ES et récemment, je me suis acheté un Fantom XR. Je commence à avoir pas mal de machines et finalement, je réfléchis de plus en plus à passer au software. Quand je vois comment je galère pour vider les pistes séparés… Quand t’es sur du hard, il faut penser à plein de paramètres : les bons câbles, l’impédance de sortie de tes bécanes, la synchro midi, bidouiller les terminaisons SCSI quand ton ZIP répond plus, etc. Quand je vois des mecs faire du gros son avec leur petit PC portable bourré de VST crackés, je me dis que parfois, je suis un peu ringard. »

Inspiration

« La dernière fois, ça remonte à une ou deux semaines. Auparavant, j’avais taffé un beat à partir d’un morceau de Curtis mayfield. Le résultat sonnait pas mal mais je trouvais que je ne m’étais pas assez pris la tête sur la découpe du sample – d’autant qu’il était bien grillé. J’ai donc repris le même sample et j’ai suis parti sur un délire plus patate en m’inspirant de ‘La grande classe’ de rohff et ‘Big dreams’ des Clipse. Le résultat est sur mon Myspace, ça s’appelle ‘Good for nothing’. »

Fierté

« Niveau buzz, je suis fier de ‘Cabochard’. C’était une de mes premières instrus non new-yorkaises, j’avais envie de faire un truc crunk mais je n’avais pas encore d’expandeur, j’ai donc samplé chez un pote 2, 3 sons de synthés et j’ai samplé plein de petits échantillons de disques a moi. Il y a du Wailers, du Jimmy Hendrix, du Nirvana, des chants traditionnels vietnamiens… Je venais de récupérer un CD de bruitages d’armes militaires, j’ai donc bidouillé un truc qui sonne sudiste mais pas vraiment. Tu sens le coté gitan dans la production. »

Album-référence

« Je n’ai pas UN album de référence, mais dans mon top, il y a Temples of Boom de Cypress Hill. DJ Muggs est allé super loin dans le délire. Quand tu l’écoute a jeun, tu as l’impression d’être défoncé. Et quand t’es défoncé, tu rentres dans une autre dimension. Sinon en ce moment, j’écoute en boucle l’album de Zaho, Dima. Le producteur est français, il s’appelle Phil Greiss, ça sonne ricain comme du Timbaland mais il a quand même apporté son truc. J’hallucine sur sa qualité sonore, sa compo et son travail d’arrangement. T’as plein d’instruments et des percus un peu partout, tout s’agence à merveille avec le flow de Zaho, c’est impressionnant. Sinon dans les albums de rap avec plein de producteurs super chers, j’aime bien les albums de The Game. C’est varié mais ça reste cohérent dans son délire west coast. »

Musicien fétiche

« Nina Simone parce que sa voix me fout vraiment la frousse. C’est abusé le nombre de fois où j’ai utilisé sa voix pour un prod’ – faut que j’arrête d’ailleurs. Je pense que pour réussir un morceau de rap, il suffit juste de sampler du Nina Simone et la prod’ prend une autre ampleur. Prend ‘Misunderstood’ : Movez Lang, Bishop Lamont, Lil Wayne, Common… A chaque fois, le morceau pète. »

Projets

« Appelle moi MC : c’est la compile qu’on prépare pour cet été avec Oswald, Florent et DJ Blaiz. J’ai lâché pas mal de sons et il y aura beaucoup de monde dessus. En vrac : Aki, Twin Gambino, Stamina, Zakariens, Flynt, Nasme, Rocé, JP Mapaula, Mysa, Enigmatik, Hi Fi, Octobre Rouge, Grodash, Tepa et j’en oublie pleins d’autres. C’est prêt pour très bientôt et on espère que les gens apprécieront. En juin devrait aussi sortir une compile avec des titres de Sefyu, Mac Tyer et Despo Rutti. Il y aura un titre que j’avais fait avec Despo et Lalcko, déjà sorti sur une mixtape du magazine Groove. Sinon, je bosse désormais les sons avec un pote qui s’appelle Omar. Il fait des sons mortels, on signe tout à deux sous Omar & Nodey. On espère être les David et Jonathan du hip-hop francais : on bosse avec une chanteuse de Rn’B qui s’appelle Laomée, on bosse sur le prochain disque de Stamina et peut-être ceux de JP mapaula et d’AKI. On aimerait bosser sur plein de projets mais on se rend compte qu’être bloqué plus de 35 heures par semaine au taf, c’est pas évident pour faire de la musique. »

Le disque rêvé

« Dur dur de faire un truc cohérent : je mettrais mes potes en featuring avec des gros cainris genre Busta Rhymes, MOP et Jay-Z. Je mettrais Erykah Badu, Gwen Mcrae et Leela James en choristes. Je composerais mes instrus dans le studio A d’un gros studio américain où chaque sortie séparée de ma MPC irait dans une tranche de SSL. Pour sampler, j’aurais accès aux bandes avec pistes séparées des maisons de disques genre Stax ou Atlantic. J’aurais un arrangeur à qui je fredonnerais ma mélodie comme un connard et il s’occuperait de la retranscrire et la faire jouer à un orchestre philharmonique. Et bon, mes instrus, ce serait des gros street bangers qui partirait en jazz rock puis en drum-n-bass. Du gros son quoi… »

Le rap, c’était mieux avant ?

« Difficile de répondre. Dans mon iTunes et sur ma platine – j’ai pas de ipod – c’est surtout du rap récent que j’écoute. Après, j’ai peut-être un sentiment de nostalgie mais ça vient du fait aussi que je vieillis. Aujourd’hui, je n’écoute davantage avec une oreille critique de beatmaker alors qu’il y a 10 ans, je n’étais qu’un ado boutonneux, naïf et passionné. Le deuxième truc, c’est qu’autour de moi, les gens ont ce sentiment de nostalgie, pas seulement sur le rap mais sur la musique et même la vie en général. Le bon son existe toujours mais il est noyé par cette abondance de Myspace, de net tapes et autres street-CD’s. Le monde d’aujourd’hui, c’est technique et bizness, à nous de nous adapter et d’en tirer les avantages. Dans tous les cas, je me dis qu’il ne faut pas penser en vieux con et se plaindre. Si le rap, c’était mieux avant, à nous de faire le rap de demain qui déboîte. »