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Depuis bien des années il s’agit pour nous d’un rendez-vous incontournable : le troisième weekend d’août se tient le Royal Arena Festival dans la tranquille (les autres jours) bourgade d’Orpund, en banlieue de Bienne. Neuf éditions de suite qu’on pointe à la abendkasse le vendredi et qu’on revient en France trente-six heures plus tard fatigués mais enchantés (à part la fois où on est rentrés fatigués mais en dépanneuse). Alors, avec un plateau encore plus alléchant que les autres années, c’était certainement pas en 2016 qu’on allait faire faux-bond.

Jour 1

D’emblée, il nous faut faire un double-point météo et mode, dans cet ordre. Il fait clairement frisquet, aussi il est nécessaire de bien remplir la citerne de mazout pour avoir suffisamment chaud. De plus, le ciel menaçant a livré pendant la journée quelques pluies éparses, transformant le site, une prairie à l’orée d’un bois, en un sympathique bourbier, que certains iront inévitablement voir de plus près à une heure avancée. C’est en tout cas l’occasion pour les locales de sortir un élément de choix de leur garde-robe : les bottes en caoutchouc. Le genre de chaussures qui rend la plus bonne de tes copines aussi sexy qu’un pot de chambre mais que les Suissesses arborent avec entrain dès que le terrain tourne à la gadoue, comme un hommage à Jane Birkin et à Mimi Cracra. Ce ne sont pas les mecs arrivant sur scène qui critiqueront le choix de la prudence au détriment du bon goût : eux, selon la légende, gardent leurs timberland en toute circonstance, même pour pioncer.


19h15-20h15 : Boot Camp Clik – Sean Price Tribute (Main stage)

19h17, effectif réduit : en fait, ce sont Smif-N-Wessun, Rock de Heltah Skeltah et Top Dog d’O.G.C. qui sont là.

19h25, ce foutu temps qui passe part 1 : à l’époque de l’indémodable Da Storm il était maigrichon, avait dix-neuf ans et des tresses. Top Dog a désormais le crâne rasé, des lunettes, un peu d’embonpoint et une excroissance inquiétante à un coude. Mais au moins on a des nouvelles de lui.

19h53, Rockness Monstah : vingt ans de carrière, une voix dingue, du flow, du charisme, et toujours pas d’album solo pour Rock.

19h54, Shell Shock : en même temps, vu la gueule de ses mixtapes c’est peut-être mieux comme ça. On espère juste qu’un jour quelqu’un aura l’idée d’écrire sa biographie, et qu’il vivra assez longtemps pour rencontrer ce quelqu’un.

20h12, un seul être vous manque : on ne rendra jamais assez hommage à Sean Price.

20h15-21h45 : R.A. The Rugged Man & A-F-R-O (Beat stage)

20h19, âge tendre et tête de chat : comme sur disque, on sent que le jeune A-F-R-O a un potentiel hors-normes mais manque encore un peu de verve. On attend de lui qu’il soit à la hauteur de ses covers.

20h25, party over here : ça commence fort, R.A. a déjà fait monter une trentaine de personnes sur scène.

21h02, true story : le couplet de R.A. sur « Uncommon Valor » a déjà dix ans, mais on n’a pas franchement entendu quelque chose d’aussi puissant depuis. Encore un gars dont il faudra écrire la bio un jour.

21h19, trop d’hommages : instru de « Shimmy Shimmy Ya » et R.A. qui nous demande de crier « Wu-Tang, Wu-Tang ». Étrange. Les hommages aussi ont leur limite.

21h33, The Rageux One : « Next time tell these motherfuckers to put me on the big stage« . C’est pas franchement le meilleur moyen pour qu’ils te réinvitent, mais OK.

22h30-23h30 : Onyx (Main stage)

22h41, ce foutu temps qui passe part 2 : cette année, Sonny Seeza est également de la partie. Le mec a dû perdre trente kilos depuis la fin des années 1990 et paraît tout fluet, là où ses collègues Sticky Fingaz et Fredro Starr sont affûtés comme des guerriers spartiates. Même si son crâne est toujours lisse comme une boule de billard, le mythe des crazy baldheads en prend un coup.

22h52, last men standing : ça pouvait paraître débile y a cinq ans, mais si Onyx était le groupe des années 1990 ayant le mieux vieilli ? Leurs concerts sont toujours fous et ils sont encore capables de sortir de bons albums, vingt-cinq ans après leurs débuts. Qui tient la comparaison ?

23h18, les refrains de rap pour les nuls part 1 : teu teuteu, teu teuteu.

23h30-00h45 : Pete Rock & CL Smooth (Beat stage)

23h28, couacdafucup : ça devait déjà exister l’an dernier, mais pour être honnêtes on n’avait pas essayé d’accéder à la Beat stage. Cette seconde scène est distante d’environ 400 mètres de la principale. Sauf qu’avec le contrôle de bracelets au milieu, la distance se parcourt en une bonne vingtaine de minutes quand l’affluence sur le site est la plus forte. Dommage.

23h46, couacdafucup pt.II : du coup on arrive à la scène alors que le concert de Pete Rock et CL Smooth est déjà bien entamé.

00h35, Tonight : on va être honnêtes, ce n’était pas le concert du siècle. Mais le moment où Pete Rock joue « Today » de Tom Scott & The California Dreamers pour enchainer avec « T.R.O.Y. » a quelque chose de magique. Malheureusement pas de vidéo sur youtube, mais ça ressemble à ça.

00h37, les refrains rap pour les nuls part 2 : teuteuteuteuteuteuteu teu teuteu teu teuteu teuteu… vous avez compris.

00h45-02h00 : EPMD & Redman (Main stage)

00h46, back in business : on l’avait appris quelques jours avant par les réseaux sociaux, mais Method Man, qui aurait dû accompagner Redman, « a été retenu aux États-Unis par un tournage » . Concrètement, Red & Meth se sont produits tellement de fois en Suisse ces dernières années que plein de gens dans le public connaissaient les enchaînements par cœur et auraient pu facilement remplacer Johnny Blaze. Mais on est quand même très contents de voir EPMD.

00h52, never give up : il y a cinq ans, PMD se produisait sur cette même scène avec Snowgoons et Sean Strange, ancien sous-fifre de Necro. Comme quoi, on peut toujours prendre des revanches sur la vie, même à un âge avancé.

01h05, the original rap criminal : on espérait une entrée surprise de K-Solo, mais « Head Banger » avec EPMD et Redman c’est déjà très bien.

01h29, « Red & Meth à la maison de retraite » : Redman déchire, rien de nouveau sous le soleil (façon de parler). Même pas ce How High part 2 qu’il nous annonce depuis dix ans.

01h30, nan mais sérieux : y a vraiment des gens qui ont vu How High et voudraient une suite ?

01h41, les refrains de rap pour les nuls part 3 : tata ta ta tata.

Jour 2

Vous avez pu le constater, la journée de vendredi fut plutôt dense. C’est un peu moins le cas du samedi : si Nas clôturera le festival, les noms qui précéderont sont un peu moins ronflants que ceux de la veille. Côté météo ce n’est toujours pas ça et les ponchos sont de sortie. Le concours de danse a même dû être transféré sous la tente de la Beat stage. L’occasion pour nous de (nous) rappeler que le Hip-Hop, ce n’est pas que le rap et le deejaying. Un principe qui semble un peu plus tenir à cœur à nos amis suisses qu’à nous et sur lequel le Royal Arena s’appuie chaque année.


15h00 – 20h00 : la vie au Royal Arena

15h00, pendant ce temps-là : on n’en parle jamais dans ces comptes-rendus, nos samedis après-midis étant généralement consacrés à décuver dans les parcs de Bienne. Mais durant l’après-midi, il se passe plein de choses remarquables au Royal Arena Festival, notamment sur la piste de danse et sur les murs réservés aux graffeurs.

20h00 – 21h15 : Looptroop Rockers (Main stage)

20h15, David chez Goliath : on s’est pas trop tenus au courant de l’actualité de Looptroop ces dix dernières années. En tout cas, malgré le discours gauchisant, les gars ont un gros succès au pays des banques.

20h27, sacré tour de force (ou alors tout le monde est déjà plein) : Promoe arrive même à dire « No alcohol, no weed » et à faire la promo(e) du mode de vie straight edge sans récolter une bronca.

21h15 – 22h15 : Swiss Rap Allstars (Main stage)

21h18, la crème du pays du chocolat : on aime toujours autant le principe de réunir plusieurs générations de rappeurs helvétiques pour un même set. Même si le Suisse allemand n’est définitivement pas la langue la plus agréable à l’oreille.

21h33, plus qu’une valeur sûre, un repère : et puis cette année il y a Steffe la Cheffe parmi les allstars, un blaze mythique pour une meuf qui l’est tout autant, programmée dans à peu près tous les festivals de Suisse et qui fait toujours le taf.

22h15 – 23h30 : Vicelow, Sir Samuel & Specta (Main stage)

22h17, « Le webzine Hip-Hop » : mais c’est DJ Nelson avec les trois du Saian Supa Crew ? Le mec présentait des émissions sur une radio strasbourgeoise il y a quinze piges de cela, ça fait plaisir de voir qu’il est toujours actif. Apparemment il est même devenu champion du monde DMC en 2011 (un rédacteur de l’abcdrduson souhaite redorer l’image du site et se démarquer de cette méconnaissance crasse du milieu des DJs en vous suggérant cette vidéo de DJ Nelson).

23h20, chien perdu : il est devenu quoi le chien du clip de « Raz-de-marée » ?

23h21, chien trouvé : « Raz-de-marée » c’était en 1999. Il est probablement en train de causer croquettes avec Mabrouk et Happy à l’heure qu’il est. On va penser à autre chose, ça rend triste ce genre de trucs.

23h25, la preuve par trois : c’était déjà très bien alors que les mecs sont en effectif réduit et doivent friser la quarantaine. Ça devait vraiment être le feu le SSC en live une quinzaine d’années en arrière.

00h45-02h00 : Nas (Main stage)

00h45, besoins primaires : on l’avoue, on a fait l’impasse sur Masta Ace qui était sur la Beat stage, et on a zappé Skepta pour aller bouffer.

00h49, restrictions budgétaires : là où il s’était pointé avec cinq ou six zikos en 2009, Nas n’est venu qu’avec un batteur et un DJ.

00h50, avis subjectif : d’ailleurs c’est pas forcément plus mal. C’est toujours un peu frustrant les « vrais instruments », ça te donne l’impression d’entendre des reprises des morceaux que tu as saignés.

01h28, whose world is this ? : et donc de ne pas pouvoir pleinement apprécier ça.

Malgré le petit problème de check point et une programmation un peu déséquilibrée entre le vendredi et le samedi, ce fut de nouveau une belle édition du Royal Arena. Le sale temps, assez inhabituel, n’a clairement pas mouché l’enthousiasme des quelque dix-sept mille participants. Rendez-vous est déjà pris pour 2017 : le festival se tiendra le 18 et le 19 août.

Nous sommes le 3 juillet 2012, il est 20h45. Nous retrouvons Nas dans sa loge – check – quelques minutes avant qu’il ne monte sur la scène du Bataclan accompagné d’un groupe de musiciens assoiffés de sang. La rencontre est chronométrée : cinq minutes. À peine le temps de respirer et de profiter pleinement du moment. Face à un tel mythe et avec aussi peu de temps, la mission était impossible. Il nous a donc fallu faire un choix, trouvé un bon angle. Nous avons décidé de nous concentrer sur les quatre premiers extraits de son nouvel album Life is good. Rencontre avec une légende vivante passée de « Life’s a bitch » à Life is good.

« The Don » produit par Salaam Remi, Heavy D et Da Internz

Premier extrait de Life is good, « The Don » fait cracher les décibels. Avec ses références récurrentes à New York et ses boucles courtes et étouffantes, il fait écho à un historique tout en partant dans une approche musicale plus actuelle.

Nas : « La prod’ de « The Don », à la base, c’est un morceau que Heavy D avait donné à Salaam Remi pour que je pose dessus. Quand Salaam me l’a donné, j’ai commencé à rapper dessus et je me suis dit que ce morceau allait être un single. Ensuite, j’ai entendu la version de Heavy D, et j’ai été soufflé. Da Internz étaient aussi là, et au final, on a tous bossé dessus pour que le morceau ait un maximum d’énergie. C’était l’approche de « The Don » mais aussi de l’ensemble de l’album : partager autant d’énergie que possible. »

« Daughters » produit par No I.D. et Salaam Remi

Deuxième extrait, « Daughters » s’inscrit dans un tout autre registre. Centré autour de sa première fille Destiny, il y a deux façons de percevoir ce morceau : une première assez légère sur l’amour paternel. Et une seconde, beaucoup plus amère, sur les erreurs et angoisses de Nasir Jones, père d’une fille de dix-sept ans.

Nas : « Ce morceau c’est ma vie, tout simplement. Ce titre, et le fait de parler ma vie, ça a été une forme de thérapie. Il y a des choses qui viennent directement du cœur. « Daughters » c’était vraiment ça. Pour ce qui est du clip, c’est le directeur artistique qui a eu cette idée de se mettre à la place de ma fille. Du coup, certains plans sont assez bas, plus proches du sol. Le clip commence par sa naissance et avance dans le temps. »

« Accident Murderers » (ft. Rick Ross) produit par No I.D. et Salaam Remi

En début d’année Nas faisait équipe avec le gros Rozay le temps de « Triple Beam Dreams ». Un morceau rassemblant deux générations autour d’un concentré de visions criminelles : entre réussite sociale éclatante, grand banditisme et code 187. « Accident Murderers » s’inscrit dans cette droite lignée, déversant au passage une giclée de Vodka sur le bitume.

Nas : «  »Accident Murderers », c’est un titre vraiment pour la rue. Et personne ne fait des albums pour la rue comme Rick Ross aujourd’hui. Il est vraiment au sommet maintenant. Tu l’entends partout : dans les clubs, les bagnoles, les radios et les maisons de disques. Il parle de la rue comme j’ai envie de l’entendre. Rick Ross, c’est vraiment l’artiste que j’apprécie le plus aujourd’hui. Pour un morceau comme ça, c’était le mec parfait. La production a été faite par No I.D. et Salaam Remi. Ce sont deux producteurs que j’aime particulièrement. Ils défonçaient dans les années quatre-vingt-dix, et ils sont toujours aussi forts aujourd’hui. Ils ne sont pas nombreux à pouvoir revendiquer une telle continuité. Je voulais absolument bosser avec eux pour cet album, je savais qu’ils me donneraient le son que je veux avoir. »

« Loco-Motive » (ft. Large Professor) produit par No I.D.

Dernier extrait dévoilé au moment de cette interview, « Loco-Motive » ressuscite avec nostalgie la tension des années quatre-vingt-dix. Et l’ascension, l’exposition, les embrouilles. Un œil sur le passé, un autre sur le quotidien, le terminus est encore loin.

Nas : « J’estime que beaucoup de rappeurs aujourd’hui ne savent plus où ils vont. Ils ont beau avoir du succès, gagné plein d’argent, ils ont perdu de vue le véritable objectif. Tu peux être d’Atlanta, de Miami, de Los Angeles, peu importe. À quel moment, tu vas prendre un peu de recul et te rendre compte que tout ça, c’est notre musique, notre culture. Ça va beaucoup plus loin que faire de ton prochain single LE morceau pop du moment. C’était très important pour moi de rappeler qui je suis et d’où je viens. Je suis plus âgé, plus empreint de sagesse, je dois donner l’exemple. »

Bonus : « Book of Rhymes » (2002) produit par The Alchemist

Il nous restait quelques instants, juste assez pour revenir sur un morceau dans la discographie pharaonique de Nasty Nas. Si l’encre a coulé, ce sont des cahiers entiers qui ont été noircis par ses rimes. Alors forcément on a choisi ce « Book of Rhymes » : vieux de dix ans mais dont le thème reste plus que jamais intemporel.

Nas : « À cette époque, je bossais sur l’album God’s son. J’étais avec Alchemist dans un studio. Il avait pas mal de beats mais ce jour-là je ne réussissais pas à écrire quoi que ce soit. Ça m’a rendu dingue, du coup j’ai demandé à l’ingénieur du son de couper mon micro. J’avais tous ces livres avec moi, des notes de morceaux jamais terminés. Du coup, je me suis plongé là-dedans et j’ai relu chacun de ces textes. Tous ces bouts de textes jamais utilisés. Et je me suis dit que c’est en faisant ça que je pouvais repartir de zéro : mettre dans un morceau tout ce que j’avais mis de côté. « Book of Rhymes », c’est vraiment du vécu, j’étais vraiment dans cette pièce avec toutes ces notes, ces livres de rimes. »

Prononcez le nom de Nas devant n’importe quel fan de rap new-yorkais, le résultat sera le même dans neuf cas sur dix. Un sourire, des yeux qui brillent, un « putain ! » prononcé dans un soupir. Faîtes écouter ‘New York State of Mind’, ‘Memory Lane’, ‘Represent’ ou encore ‘It ain’t hard to tell’ à n’importe quelle personne dont les oreilles fonctionnent à peu près correctement et à nouveau vous aurez droit à la même réaction, suivie de hochements de tête approbateurs. « I rap for listeners, blunt heads, fly ladies and prisoners, Hennessey holders and old school niggas… ».

En dix titres le jeune Nasir Jones, âgé de seulement vingt ans, marquait l’histoire du hip-hop. C’était en 1994. Deux années plus tard sortait It was written, son deuxième album.

Le petit garçon joufflu de la pochette de Illmatic a laissé la place à un jeune homme impassible. Mais le fond reste le même : toujours les bâtiments en briques rouges des projects de Queensbridge (New York) et leur lot de galères, de petits gangsters et de gros dealers, de mômes paumés et de jeunes pousses avides de connaissance et de sagesse. Et toujours autant d’histoires, contées avec brio par un Nas adepte des fresques urbaines.

Parler de It was written, c’est inévitablement parler de la déception qu’il déclencha chez tous les amoureux de Illmatic. Nas avait changé. Il n’était plus ce gamin attachant, ce Nasty Nas, petite frappe assumée ne cherchant pas à jouer au gros trafiquant et se revendiquant même « young city bandit ». Il semblait sur le point d’accomplir sa mue pour devenir le Nas Escobar qui éclaterait au grand jour sur le projet The Firm. Non seulement au niveau de certains textes mais aussi musicalement. Le son brut et rugueux de Illmatic s’adoucissait sur It was written, parfois trop léché, trop sophistiqué, comme sur ‘Watch dem niggas’, ‘Nas is coming’ ou ‘Black Girl Lost’, également détruit par un refrain catastrophique. Sur l’équipe de producteurs responsables du premier album, seul DJ Premier était rappelé, pour un titre. Plus de Pete Rock, ni de Q-Tip. Encore moins de Large Professor. Mais un nom présent en tant que producteurs exécutifs : les Trackmasters, se chargeant presque de la moitié des productions du disque et alternant le meilleur (‘The Message’, ‘Affirmative Action’, ‘Shootouts’) comme le pire (‘Street Dreams’, clin d’œil aussi énorme qu’inutile au ‘Sweet Dreams’ de Eurythmics, ‘Watch dem niggas’).

Havoc de Mobb Deep dont les instrus minimalistes et froides avaient le vent en poupe depuis le magnifique The Infamous de 1995 signait deux beats rugueux, le craquement du vinyl en toile de fond. Le groupe se retrouvait au complet pour un ‘Live Nigga Rap’ sombre à souhait avec son beat sec et son petit sample de piano en retrait. Enfin, toujours au rayon des têtes d’affiches, Dr Dre y allait aussi de sa petite contribution musicale, ne convenant malheureusement pas au style d’un Nas décidément plus à l’aise sur les instrus simples que sur les morceaux mièvres et surchargés.

Mais parler de It was written c’est aussi parler de véritables chef-d’œuvres rapologiques qui mériteraient presque qu’on leur réserve une chronique à chacun. C’est d’abord un ‘Affirmative Action’ tout simplement magique. Quatre rappeurs dans une forme olympique se passent le relai pendant environ quatre minutes. Et quels rappeurs ! AZ, Cormega, Nas et Foxy Brown. Rien que ça. Difficile pourtant de ne pas être amer à l’écoute de ce titre, qui laissait augurer du meilleur quant au projet The Firm. Mais le remplacement de Cormega par Nature (un remplacement d’autant plus douloureux que Cormega enterre la carrière entière de Nature rien qu’en lâchant un « Yo ! » ou un « Real Shit !« ) et des productions inégales eurent raison de la réussite musicale de ce super-groupe.

It was written, c’est encore ‘The Message’ et le rap impeccable de Nas sur quelques accords de guitare, rap auquel Akhenaton fera un clin d’œil dans ce qui restera sans doute son meilleur morceau, ‘Pousse au milieu des cactus ma rancœur’ (le « et tes propres frères deviennent étrangers, c’est comme ça » rappelant étrangement le « and best friends become strangers, word up » de Nas). Autre excellent titre, ‘I gave you power’, produit par DJ Premier, dans lequel Nas se met dans la peau d’un flingue et raconte ce que pense et voit celui-ci (« I’ve seen some cold nights and bloody days… »). Un morceau tout simplement magistral. Enfin, impossible de ne pas mentionner le terrible ‘Take it in blood’, produit par le Live Squad, et qui apporte une fois de plus la preuve que Nas n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait simple.

D’autres très bons titres parsèment cet album, comme ‘Shootouts’ ou le tubesque ‘If I ruled the world’ en compagnie de Lauryn Hill, qui portera cet album haut dans les charts, mais aucun n’atteint la qualité de ceux précédemment cités. Les grandes déceptions proviennent donc essentiellement des titres orientés dancefloor ou low-tempo mièvre et sans relief.

Force est de constater que dix ans plus tard cet album s’écoute encore sans mal, et même avec un réel plaisir. Une certaine nostalgie n’est bien sûr pas étrangère à ce sentiment mais, malgré les maladresses et incompréhensions qui poursuivront Nas sur toute sa carrière (le tiraillement entre le succès commercial et la volonté de satisfaire la rue et les hip-hop headz attendant un nouveau Illmatic à chaque sortie) et que l’on trouve déjà en germe sur It was written, ce disque tient indéniablement la route. On lui reprochera d’être trop hétérogène et inégal, mais les quelques excellents titres qui le composent justifient à eux seuls que l’on se penche à nouveau sur cet album et qu’il ne se contente pas de prendre la poussière aux côtés d’un Illmatic sans cesse réécouté.

C’est imprimé sur un dollar, là où se trouve habituellement la figure d’un président américain, que nous revient Cormega. La casquette des New-Yorkers visée sur son crâne pourrait laisser entrevoir une alternative à la monarchie (et aux conflits sans fin pour l’accès au trône) qui règne depuis des années sur le rap new-yorkais. Un président. Cormega candidat.

Point de grand cérémonial royal effectivement lorsque Cormega revient (fréquemment) en studio. La sortie de ce nouvel album Legal Hustle se fait, comme pour les précédents (The Realness puis The True Meaning), assez discrète. C’est que ce président-là préfère avant tout mettre rigueur et force dans sa musique en toute discrétion plutôt que de trop parader. Cormega est dans la place et sa présence a toujours de quoi rassurer. Un rappeur qui, à l’instar de son flow sagement tempéré, sait prendre son temps dans sa carrière, poser un à un les jalons de sa réussite. Contrairement à bien des rappeurs qui l’entourent à New York, il semble toujours moins se soucier des chiffres de vente de ses albums que de la qualité des productions qui l’accompagne. Celles-ci sont toujours bien peu conquérantes d’un autre marché que celui du simple public friand de son new-yorkais au sens le plus classique du terme.

Pas de présence du jeune génie Alchemist ou du vieux briscard Large Professor (il apparaît toutefois en temps qu’MC dans le trop court ‘Sugar Ray and Hearns’) dans Legal Hustle. Cormega nous propose en échange de revenir au poste de producteur qu’il avait un peu abandonné pour The True Meaning. Tel est le deal honnête dont personne ne sort perdant. Celui-ci nous gratifie de quelques clin d’œils à d’anciens morceaux new yorkais d’anthologie (sur ‘Beautiful Mind’ et ‘Hoody’) que l’auditeur prend plaisir à redécouvrir. Il signe en tout trois morceaux pour lesquels il a su bien s’entourer. Pour ‘Beautiful Mind’ et ‘Stay Up’ Cormega fait appel à des musiciens : pianiste, guitariste, bassiste, etc qui jouent de petites compositions efficaces sans trop s’emballer. Sur ‘Hoody’ c’est le célèbre DJ Tony Touch que Cormega invite judicieusement pour une poignée de scratchs.

L’autre très belle surprise c’est l’imposant travail fourni par Ax [Tha Bull] qui n’est en fait qu’une demi surprise après le premier album de l’Infamous Mobb dans lequel il signait déjà deux productions parfaites. En voilà un qui porte bien son surnom ! Des beats massifs qui chargent, ruent comme de furieux taureaux et des instrus hachant menu-menu. Quatre morceaux pour Ax qui ne lésine pas sur les effets afin de susciter son lot d’émotions fortes à l’auditeur. ‘The Bond’, ‘Monster’s Ball’ et ‘The Machine’ sont des morceaux énormes qui vont selon toute évidence faire définitivement de ce producteur un vrai gage d’excellence dans les années à venir. ‘Respect Me’ est aussi bien bâti mais peut-être un cran en dessous, peu importe compte tenu du niveau des autres instrus du Bull. Sa production s’articule sur la boucle obsédante d’une note qui dérape rappelant un peu ‘The Grain’ de RZA en moins minimaliste. Au moment où je désespère un peu de trouver des morceaux vraiment percutants sur quelques albums récents tels que sur le premier du Wu-Banga Masta Killa, Legal Hustle gagne immédiatement mes faveurs.

Emile, sans être un serial killer, propose pour la plupart des instrumentaux classiques et particulièrement efficaces. Quant à Will Fulton, il injecte des vibes jamaïcaines à l’album en samplant ‘Tempo’, le hit ragga d’Anthony Red Rose sur ‘Dangerous’. Hit que Daddy Nuttea, un de nos toaster national (si si à l’époque !), reprenait lui aussi en 94 pour ‘La Compétition’. Il y a bien sûr, sur les dix-sept titres, quelques morceaux un ton en dessous des sommets évoqués précédemment mais l’ensemble reste très cohérent et fidèle à un certain (bel) état d’esprit. ‘Deep Blue Seas’ et ‘More Crime’ sont sans doute dans le creux de la vague.

Côté Mcing Cormega ne s’offre que très peu de morceaux en solo (‘Beautiful Mind’, ‘Bring It Back’) préférant s’entourer entre autre de quelques héros du rap new-yorkais. Il faut ajouter, pour les mauvaises langues qui pourraient vouloir avancer que la masse d’invités reflète un essoufflement du rappeur, que Cormega a volontairement envisagé ce Legal Hustle comme un album de collaborations (éventuelle rampe de lancement de ses protégé(e)s) plutôt que comme un véritable nouvel album solo. Celui-ci sortira prochainement sous le nom d’Urban Legend. Font donc partie des invités les toujours exubérants membres de M.O.P. (‘Let It Go’) et un Ghostface Killah plein de jus sur ‘Tony/Montana’. Sur un instru réussi des Feil Brothers alliant soul music et beat épais, Ghostface envoie un couplet survitaminé à cent à l’heure, oubliant quelques unes de ses intonations traînantes forcées dont il a le secret et finalement pas si éloignées du flow naturel de Cormega. AZ, qui comme Cormega est resté dans l’ombre de Nas mais qui semble avoir plus de difficulté que lui à choisir ses prods (le très moyen Aziatic), est là aussi pour un duo des plus sympathique.

Et il faut avouer que l’on va de découvertes en découvertes en écoutant Legal Hustle car il n’y a pas que la production qui révèle de nouveaux talents ! La rappeuse Doña présente sur plusieurs morceaux (‘The Bond’, ‘Hoody’, ‘Personified’, ‘Respect Me’, etc) explose de par sa voix rentre dedans et assurée en total contraste avec le timide flow de Cormega (‘Intro’). C’est seule qu’elle brille sur ‘Respect Me’. On en reste vraiment sous le charme, heureux d’apprendre qu’elle prépare un album solo intitulé My Brother’s Keeper, impatients qu’il sorte enfin pour la retrouver, plus tard. Le rendez-vous est pris.

Les bons albums sont aussi ceux qui savent proposer aux auditeurs la perpective d’un futur plaisant pour la musique qu’ils apprécient et à ce titre encore Legal Hustle est plus qu’une réussite.

A voté.

Fidèle compagnon de route de Nas, AZ n’est jamais véritablement sorti de l’ombre de son mentor. On se rappelle du titre ‘Sugar Hill’, de sa participation au projet The Firm, mais sa voix juvénile et chantante n’a jamais bénéficié d’un écho plus retentissant que celui qui suivit l’inoubliable ‘Life’s a bitch’ dans Illmatic. Pourtant, le natif de Brooklyn en est déjà à son quatrième album, le deuxième chez Motown Records après 9 Lives en 2001.

Sa présence sur le plus prestigieux des labels soul n’est pas due au hasard. Sans surprise mais avec brio, la majeure partie des atmosphères de l’album est puisée dans des samples chaleureux et férocement accrocheurs. Et même si les producteurs ne se retrouveront pas forcément en caractère gras sur les stickers promo, les sons fournis par Portiay, Chop D.E.S.E.L., Miller Time ou les expérimentés DR Period et Buckwild sont tous d’une cohérence et d’une solidité exemplaire. L’ouverture de l’album est des plus réussies : une intro jouissive (‘Once again’, dont le fameux sample sera repris plus tard par Onyx dans ‘Slam harder’), un égotrip bien ficelé (‘A-1 Perfomance’) et le premier temps fort, ‘Wanna be there’. Entre nostalgie et bonheur d’être en vie, AZ se distingue de ses pairs en jouant sur les sonorités dans des rimes courtes et concises, portées par l’harmonie d’une basse, un piano et des choeurs :

East New York, Eighty-two, First pumas navy blue
First wife Kiesha Wilson with love, she was my baby boo
Crazy crew, paying dues, few of us made it thru
Front window, Ms. Glady’s, that was my favorite view

Les nombreux refrains chantés en agaceront sans doute quelques uns, mais ils sont parfaitement dans le ton des morceaux, et s’accordent élégamment avec les voix qui constituent souvent les samples. On peut reprocher à AZ de trop se reposer sur une formule surexploitée actuellement, mais l’écoute n’en est pas moins agréable et sans heurt.

Malheureusement, « The Visualiza » connaît les rouages de l’industrie, et le soufflet retombe vite quand il se met en mode « dancefloor ». A quatre reprises, on subit des morceaux dansants destinés aux rotations lourdes. Trop grillées pour être honnêtes, les influences de ‘Take it off’, ‘Hands in the air’, ‘Take care of me’ et le bonus track ‘Doing me’ plagient allégrement les tics des Neptunes, mais la copie n’a pas la saveur de l’original. OK, l’album est sorti en période estivale, on a déjà entendu bien pire, et après tout y a pas de mal à bouger ses fesses, mais ces quatre party joints tombent à plat… et n’ont pas franchement laissé de trace indélébile sur la FM et les clubs. Alors à quoi bon ?

Pour se faire pardonner, AZ appelle Nas en renfort pour un passe-passe complice dans ‘The essence’. Puis, il élève le niveau dans ‘Paradise (Life)’ (aaaah, ces voix samplées…) et l’excellent ‘Fan mail’, dans lequel il se met dans la peau d’un prisonnier et d’une mère célibataire lui écrivant. Très à l’aise dans cet exercice de style, évitant l’égotrip mal placé et les clichés épistolaires, AZ n’usurpe pas son statut de bon lyriciste :

You touched souls to a lost population of men
And no doubt, if ever out they’ll never lock me again
Faced wit 10 on state time, wit life on the back
It’s fucked up when your own folks ain’t writing you back
Learn to relax, spoke wit certain cats that helped adapt
You know the streets to the pen it’s kinda hard to transact

Entre les morceaux dansants dispensables et des ballades rap un peu trop calmes, on ressent comme un goût d’inachevé aux deux tiers de Aziatic. On commence à attendre des couplets un peu plus énergiques et des beats rentre-dedans. Par chance, AZ a réussi son dosage, et l’album se conclue sur trois titres plus puissants. Les cuivres triomphants d’un ‘I’m back’ digne de Kanye West donnent un coup de fouet à l’album, tout comme le street-banger ‘Hustler’ et ‘Rebirth’, dans lequel AZ fait une démonstration ébouriffante de la maîtrise de son souffle et sa technique. On croit saisir la tuerie au début de la plage 13, mais en voyant sa courte durée, on déchante vite. Dans la série « Les mystères insondables du rap » : pourquoi AZ n’a pas utilisé l’énorme beat Premier-esque de l’outro sur un morceau entier ? ? Dommage, car Buckwild lui donnait là l’occasion de se réconcilier avec les anti-chœurs féminins…

Les accrocs aux originaux de samples se feront un plaisir de partir à la recherche des titres de Wilbert Longmire, George Duke, Eddie Kendricks, ou des Mary Jane Girls échantillonnés tout au long de Aziatic. Un album de bonne facture, mais on peut s’interroger sur sa résistance à l’épreuve du temps. Les titres dancefloors tendance sont condamnées à tomber en désuétude rapidement, et il n’est pas exclu que la densité des boucles puisse à terme écœurer l’auditeur. Cela dit, il n’est pas donné à tout le monde de sortir un quatrième album de la teneur de Aziatic, et AZ tient la distance, sans pour autant connaître la gloire de celui qui l’a placé sur orbite.

La barre était très haute. Trop. En 1994, avec Illmatic, un jeune MC du Queens arrive dans le rap comme le Messie. Accompagné par une dream team de production (Pete Rock, Large Professor, DJ Premier), Nasir Jones, dit Nas, révolutionne l’Histoire du rap en dix titres. Incarnant la vie du ghetto en mêlant de façon limpide technique et sens, il influencera par la même toute une génération de rappeurs. Sept ans après, ce premier opus symbolise pour beaucoup d’auditeurs un temps révolu. Deux ans plus tard, It was written sortait en grande pompe. Un album réussi, succès mondial, et déjà, les premières grimaces sur le visage des apôtres d’Illmatic. Puis vinrent I am… et Nastradamus, sortis coup sur coup. Deux albums que le public adore haïr, la faute à plusieurs collaborations hasardeuses, des thématiques limites, et des choix de productions déroutants, qu’une bombe comme ‘Nas is like’ ne suffirait pas à faire pardonner. Renié par ses fans de la première heure, attaqué par ses pairs, Nas s’approche alors dangereusement du cimetière des talents gâchés. Bref, on a tout reproché à Nasty Nas, on a point du doigt ses contradictions, ses dérives, ses fantasmes d’une vie de rue dont il n’aurait été que le témoin. On s’offusque de le voir collaborer avec Puff Daddy et d’endosser le costume de Nas Escobar, en oubliant qu’il avait pourtant annoncé la couleur dès New York State of Mind : « Be havin dreams that I’ma gangster -drinkin Moets, holdin Tecs Makin sure the cash came correct« .

Dans un contexte pareil, comment juger son nouvel album, « Stillmatic » ? Les intentions du titre sont bien trop surlignées pour faire longtemps illusion chez les nostalgiques de son premier effort solo. D’une part, Nas ne peut plus humainement faire un album du calibre de Illmatic. Il le dit lui-même : « Toute ma vie de 0 à 20 ans était dans Illmatic« . Il prévient donc dès l’intro, sur les violons enjoués des Hangmen 3 : « They thought I’d make another « Illmatic », but it’s always forward I’m movin’, never backwards stupid here’s another classic« . D’autre part, le rap a bien changé en sept ans : Nas est aujourd’hui un rappeur plein aux as comme tant d’autres, et les poids lourds de la production préfèrent souvent le keyboard aux samples. Rien que pour ça, une bonne partie des fans de Illmatic enterreront cet album après une écoute. D’autres y prêteront attention seulement pour connaître le résultat du troisième match de la série de playoffs qui oppose Nas à Jay-Z. Tant pis pour eux, car Stillmatic s’impose finalement comme une très bonne surprise.

Concernant la suite de son beef avec Sean Carter, la réponse est donnée très vite, et rassure en partie sur l’état de forme de Nasty Nas. Comme dans The Blueprint, c’est dès la plage 2 qu’arrive THE answer. Jay-Z avait fait très mal avec ‘Takeover’, et rares étaient ceux qui croyaient Nas capable de se relever d’une telle claque. Et pourtant… Dans ‘Ether’, Nas a la force de Rocky Balboa qui démonte Apollo Creed. Surpuissant : « My child, I’ve watched you grow up to be famous, and now I smile like a proud dad, watchin his only son that made it, you seem to be only concerned with dissin women, were you abused as a child, scared to smile, they called you ugly ?« . Aïe. Utilisant l’ironie, la critique lucide ou le trash-talking pur et simple (« Foxy got you hot ’cause you kept your face in her puss, what you think, you gettin girls now ’cause of your looks?« ), Nas prend une revanche éclatante sur son « adversaire ». On peut penser ce que l’on veut sur la finalité de ce beef, toujours est-t-il qu’il agit comme un catalyseur pour les deux artistes. Car comme dans l’album de Jay-Z, on trouve dans Stillmatic des morceaux particulièrement enthousiasmants.

Conscient que sa crédibilité de MC était salement compromise, Nas se livre à quelques exercices de style brillants, histoire de remettre les pendules à l’heure. Dans ‘Rewind’, il raconte une histoire en commençant par la fin. Le morceau, inspiré par le film « Memento », mériterait d’avoir une version « forward » pour mieux en saisir les subtilités : « The smoke goes back in the blunt, the blunt gets bigger in growth,  Jungle unrolls it, put his weed back in the jar, the blunt turns back into a cigar. We listen to Stevie, it sounded like heavy metal fans, spinnin records backwards of AC/DC« . Il met également son flow à l’épreuve dans ‘One Mic’, en le faisant monter en intensité suivant l’évolution du beat. L’instru, tour à tour planante et nerveuse, est une réussite, produite par Chucky Thompson, qui y reprend les percussions de ‘In the air tonight’ (Phil Collins). Sans doute le meilleur track de l’album. Il est également à la console pour ‘Smokin’’, mais propose cette fois un son de clavecin en plastique plutôt dispensable.

L’élaboration de cet album a dû se faire dans la douleur, Nas faisant souvent référence à son passé, à la gloire et ses désillusions, ainsi qu’à ceux qui ont voulu sa chute. Noyé sous les critiques, il décide de faire le ménage. Dans ‘Got ur self a…’, il balance un égotrip ultra-efficace sur une instru entêtante de Megahertz, qui réussit à mêler synthétiseur, boucle de piano et guitares. Après Jay-Z, il continue son opération « fermeture de gueules » dans ‘Destroy and Rebuild’, où il taille à l’affilée Cormega, Prodigy et Nature. L’instru brille par sa simplicité et la puissance du beat, et on regrette presque qu’elle n’ait pas été utilisée pour ‘Ether’. Mais Nas ne se contente pas de répondre aux attaques, il se remet également en question, notamment dans You’re da man : « it’s funny I once said… If I, ever make a record, I take a check and put something away for a rainy day to make my exit, but look at me now, ten years deep, since the project bench with crack in my sock sleep, I never asked to be top of rap’s elite, just a ghetto child tryna’ learn the traps of the streets« .

Seul problème de Nasir Jones : il ose encore les grands écarts les plus improbables. On le sent tiraillé entre ses personnages de Nasty Nas et Nas Escobar : d’un côté, il murmure « fuck the cars, fuck the jewelry » dans ‘One Mic’, et de l’autre il ne peut s’empêcher de s’auto-niveller vers le bas avec ‘The Flyest’ ou ‘Braveheart Party’. C’est le principal bémol de cet album, Nas est une contradiction ambulante, à la fois prêcheur moraliste et super-thug écervelé. Par ailleurs, il n’est pas encore tout à fait guéri de ses vieux démons : faisant parfois preuve d’humilité, il peut par la suite multiplier les images bibliques et les références à Tupac (« Me and pac were soldiers on the same struggle« ). On doute alors de la spontanéité de sa démarche, et à l’écoute de ‘Rule’ (une sympathique-mais-facile reprise de Tears for Fears), on constate que l’album devrait plutôt se nommer…Nastramatic.

Les productions de Megahertz et Swizz Beats font figure d’exception sur l’album. Pour la majorité des instrus, le sample prédomine, en partie grâce aux old timers déjà présents dans Illmatic : égal à lui-même, DJ Premier fait du DJ Premier dans ‘2nd Chilhood’, très bon titre low-tempo dans lequel Nas évoque l’irresponsabilité des habitants du ghetto. Large Professor produit quant à lui le beat old schoolesque de ‘Rewind’ et l’excellent ‘You’re da man’, avec son sample de violons séquencé. Les cordes de ‘The flyest’, ‘My country’, ‘What goes around’, et ‘Every Ghetto’, s’accordent parfaitement avec la voix du MC, qui retrouve sa plume acerbe envers l’Amérique : « The China-men built the railroad, the Indians saved the Pilgrim, and in return the Pilgrim killed ’em, they call it it Thanksgiving, I call your holiday hell-day, cause I’m from poverty, neglected by the wealthy » (‘What goes around’).

En faisant abstraction de la charge historique de son premier album, Nas fait un come back réjouissant avec Stillmatic. En évitant presque tous les écueils inhérents à ses précédents albums (featurings forcés, instrus transgéniques), il réussit enfin à livrer un album varié et plutôt cohérent, prouvant ainsi que le MC légendaire qui sommeillait en lui depuis sept ans n’a pas encore disparu. Stillmatic compte suffisamment de réussites pour plaire à la fois au nostalgique le plus borné et au fan de rap New-Yorkais le plus hype. Cependant, Nas doit encore élever le niveau pour retrouver son aura d’antan, et on espère que ce retour gagnant n’est pas qu’un simple feu de paille destiné à impressionner ses détracteurs.