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« It’s on forever, calm down, never. »

Rien ni personne ne semble pouvoir freiner durablement Mobb Deep. Ponctuellement raillé par une critique assassine, fatigué par l’usure du temps et les modes changeantes, annoncé parfois au bord de l’implosion, le duo Prodigy-Havoc a toujours survécu. Et avancé. Il a aussi fait face à l’incarcération prolongée de Prodigy et à un dernier album inégal – Blood Money – marqué par le sceau de G-Unit, 50 Cent et ses seconds couteaux. Mais le temps de la rédemption est venu. Et Black Cocaine sonne comme un coup de semonce.

Cinq titres. Cinq cartouches dans le barillet pour mettre un terme à cinq années d’un silence discographique pesant. Si une éternité s’est écoulée depuis les derniers faits d’armes de Mobb Deep, Black Cocaine offre finalement peu de surprises. Au centre du viseur, on retrouve cette volonté inchangée d’écraser toute concurrence à l’aide de canons sciés et d’égos démesurés. Intimidateurs éternels, les frères de sang Havoc et Pee prolongent une filiation estampillée Queensbridge, où le phrasé est posé et l’atmosphère éternellement plombée.

« A hundred bitches on line at my hotel send them in one at a time like a dope sale. »

Après un peu plus de trois années passées à l’ombre, Prodigy retrouve la lumière. Après un EP en solo en guise de glaviot post-sortie de mitard – The Ellsworth Bumpy Johnson EP – le « Head Nigga in Charge » traîne de nouveau sa nonchalance, aussi glaçante que violente. À l’image de « Get it forever », Black Cocaine prend des allures de profession de foi, de confrontation face à l’au-delà, où la faucheuse fait allégeance à l’éternel. « Survival of the fittest » : jusqu’au dernier souffle. Au-delà des époques, soutenu par l’ex-frère ennemi Nas, ils ressuscitent l’éclat de « Eye for an eye » (The Infamous) sur une courte boucle psychédélique d’une autre figure symbolique de Mobb Deep : The Alchemist.

Marqué par la présence du revenant Bounty Killer et une intonation générale lourde et ralentie – proche de celle d’un Rick Ross – « Dead man shoes » détonne. Chacune de ses phases résonne avec la récurrence d’épaisses frappes chirurgicales. Et une intensité suffocante.

Courte parenthèse discographique, Black Cocaine annonce que le mythe Mobb Deep est encore loin d’être enterré. Sans atteindre des sommets, il s’inscrit dans une lignée. Et prolonge un peu plus l’addiction. Cocaïne rap.

Qu’on l’idolâtre ou qu’on l’exècre, Kanye West continue d’être au centre de l’attention du monde du rap (et de la musique) à chacune de ses nouvelles sorties – artistiques ou autres. Sur son travail en tant que producteur, tout aura été écrit : de son talent à donner un nouveau souffle à la soul du passé à son audace dans ses directions musicales, Kanye a prouvé que ses ambitions étaient aussi grandes que l’estime qu’il tient de lui-même.

Dans sa volonté de « mêler ses fondamentaux de producteur rap aux recettes de la pop music » (©JB, 2004), West est parvenu à un petit tour de force. A une époque où la majorité des producteurs se font leurs propres banques de kits de batterie travaillés et retravaillés, les deux premiers singles (« Power » et « Runaway ») du prochain album du chicagoan, My Beautiful Dark Twisted Fantasy, sont portés par de bons vieux breakbeats poussiéreux. Même si la posture peut surprendre à l’époque des beats synthétiques et électroniques, cela n’a en fait rien de nouveau chez Ye : depuis des années, il passe de la composition pure à la simple reprise de séquences de batterie.

Dans la longue liste des breaks réutilisés par le chicagoan, on peut citer l’illustre « Ode to Billy Joe » de Lou Donaldson devenu marche martiale sur « Jesus Walks » ; celui de « What It Is » des Temptations et de « 50 Ways to Leave Your Lover » de Paul Simon pour « The Corner » et « Forever Begins » de Common ; le massif « Action » d’Orange Krush ralenti pour « We Major » ; ou encore celui du « Candy Maker » de Tommy James and The Shondells et son étrange effet d’écho pour « Heard’ Em Say ». Mais certains breaks tiennent une place un peu à part dans la discographie du producteur, par leur récurrence ou leur provenance. Les voici.

Love – « Doggone » (Out There, 1969)

Love « Doggone »

Le Bomb Squad a eu son « Funky Drummer ». Kanye West a son « Doggone ». Appuyé par un groove incroyable, ce break, joué par le batteur du groupe de prog-rock Love, a donné son squelette rythmique et son énergie à de nombreuses productions de West : « Get By » pour Kweli, « Used to Love U » pour John Legend, « Throw Your Hands » pour Mobb Deep ou, plus discrètement, « Last Call » pour lui-même. Cette boucle de batterie, chérie dans les années 90 par des artistes abstract comme DJ Krush ou Greyboy, a eu la côte cette dernière décennie : elle a également été reprise par les CunninLynguists, C.H.I. pour un inédit de Naledge, ou encore récemment par Joe Budden et Nottz.

Talib Kweli - « Get By » (2002)

Kanye West - « Last Call » (2004)

John Legend - « Used to Love U » (2004)

Mobb Deep - « Throw Your Hands (In The Air) » (2004)

Cold Grits – « It’s Your Thing » (It’s Your Thing (12″), 1969)

Cold Grits « It’s Your Thing »

Lancer « Power » comme premier single de My Beautiful Dark Twisted Fantasy est un parfait contre-pied de ce qu’on pouvait imaginer de la part de Kanye après 808’s et Blueprint 3. D’abord parce que l’alliage des samples de Continent Number 6 et de King Crimson fonctionne impeccablement bien. Mais aussi parce que le beat repose sur un bon vieux break de funk, « It’s Your Thing » de Cold Grits (repris des Isley Brothers). Kanye avait déjà été le piocher à deux reprises : en 2005 sur son puissant « Crack Music », et en 2006 pour le survolté « Everything I Love » de Diddy.

Kanye West ft. The Game - « Crack Music » (2005)

Diddy ft. Cee-Lo & Nas - « Everything I Love » (2006)

Kanye West ft. Dwele - « Power » (2010)

Clarence Reid – « Living Together Is Keeping Us Apart » (Running Water, 1973)

Clarence Reid « Living Together Is Keeping Us Apart »

Immortalisé en 1992 par Dre avec « Deeez Nutz », la batterie du « Living Together Is Keeping Us Apart » de Blowfly a.k.a. Clarence Reid est un bonheur de précision rythmique. Déjà repris par Kanye en 2005 pour son laidback « Drive Slow », il lui refait appel sur le classieux « Christian Dior Denim Flow », en seconde partie du morceau.

Kanye West ft. Paul Wall & GLC - « Drive Slow » (2005)

Kanye West ft. guests - « Christian Dior Denim Flow » (2010)

Joe Farrell – « Upon This Rock » (Upon This Rock, 1974)

Joe Farrell « Upon This Rock »

Oeuvre du jazzman Joe Farrell, « Upon This Rock » est un breakbeat méconnu (si on le compare à l’aura d’un « Impeach The President » ou d’un « It’s a New Day »). Sa rythmique hachée a pourtant été reprise de nombreuses fois, comme chez Black Sheep, Method Man & Redman, Erykah Badu ou encore même le Saïan Supa Crew. Kanye, lui l’a samplé deux fois : sur « Gone », excellente conclusion de Late Registration, et sur le « Chi-City » de Common. Pas de chance pour Ye et les autres : la fille du jazzman réclame depuis 2008 des royalties.

Common - « Chi-City » (2005)

Kanye West ft. Cam’ron & Consequence - « Gone » (2005)

Pete Rock & CL Smooth – « The Basement » (Mecca and The Soul Brother, 1992)

Pete Rock & CL Smooth « The Basement »

Sampler des vieux breaks de funk ou de rock ? Trop prévisible. En revanche, faire un morceau à l’attention clairement pop avec un vieux beat crasseux du début des nineties, c’est un peu plus couillu. Sur son mélo « Runaway », Ye mêle des notes de piano larmoyantes à la boucle composée par Pete Rock au tout début de « The Basement » avec son comparse CL Smooth.

Kanye West ft. Pusha T - « Runaway » (2010)

Les citations via les platines du classique de Mobb Deep sont innombrables et concernent toutes les franges de la musique hip-hop. Quinze ans après la sortie de « Shook Ones pt. II », nous saluons ce monument en compilant les principaux morceaux de rap US ayant scratché ses phrases.

Tracklisting :

01. Mobb Deep – Shook Ones Pt. II
02. Masta Ace & Guru – Conflict
03. Marco Polo & Torae – Lifetime
04. Frankenstein – Sparkin’ Intellect
05. Da Youngsta’s Illy Funkstas – Everyman 4 Theyself
06. X-ecutionners ft. MOP – Let It Bang
07. INI ft. Pete Rock & Meccalicious – Fakin’ Jax (Bop Ya Head Remix)
08. East Coast Avengers – Dear Michelle
09. Frankenstein – Agony And Ecstasy
10. Pete Rock ft. Raekwon, Ghostface Killah & Prodigy – The Game
11. Krumb Snatcha – Closer To God
12. Vooodu ft. Meen Green – Two Deadly Sins
13. Fat Joe – The Crack Attack
14. Krumb Snatcha ft. Lord Harrison & Timbo King – To All the Killas
15. Da Vinci – Do What It Do
16. Edo.G & Da Bulldogs – Dedicated
17. Group Home – Tha Realness
18. Krumb Snatcha    Simple Words
19. Non Phixion – Four W’s
20. Lil’ Eazy E – Coming From Compton
21. Frankenstein – Rain Is Gone
22. Infamous Mobb ft. Prodigy – Mobb Niggaz
23. 7L & Esoteric – Jealous over Nothing
24. All Natural – You know my Name
25. The Odd Couple – Simple Words
26. The Madd Rapper ft. Picasso Black – You’re All Alone
27. Godfather Don – Stuck off the Realness
28. Marley Marl ft. Larry 0, Seven Shawn, J-Weels & Miss Man – Foundation Symphony
29. ArchNME – Mood 2 Bust
30. Hi Tech – 4 Degrees For The Streets
31. Brother Ali – Think It Through
32. Mos Def & Medina Green – Crosstown Beef
33. Xzibit, Juvenile, Nature, Ja Rule – 25 to life
34. Binary Star – One Man Army
35. DJ Design ft. B.Lloyd – Major
36. Scram Jones – Liquid Heat

C’est une première mondiale, du jamais vu. L’idée, brillante, est née après des heures de brainstorming, de soirées à manger des sandwiches à l’omelette dans notre salle de rédaction, le front en sueur, les yeux hagards, les méninges tournant à plein régime. Nous avons souffert pour parvenir à ce nouveau projet audacieux, mais nous y sommes parvenus : une nouvelle rubrique naît. Toute la presse nous l’enviera – tant pis pour eux, ils n’avaient qu’à y songer avant. L’Abcdr est fier de vous présenter son nouveau concept 100% inédit : chaque mercredi (normalement), les membres de la rédaction présenteront chacun un morceau qu’ils écoutent en ce moment, qu’il s’agisse de rap ou d’autre chose. Fou, non ?

Cormega – « The Saga (remix) »

‘The Saga’ est un peu le ‘Demain c’est loin’ de Cormega. Sauf qu’au lieu de regarder le paysage par la vitre arrière de la voiture, ‘Mega est au milieu du bourbier, les pieds dans la merde. Sans doute son plus beau texte et l’un des meilleurs morceaux de rap US, ‘The Saga (remix)’ fait dans le minimalisme : une petite poignée de notes de piano, rejointes par un beat et une ligne de basse à partir du second couplet. La voix plaintive et pleine d’émotion comme à l’accoutumée, le rappeur de QueensBridge trouve là l’écrin parfait pour livrer ses flashes tristes. — Julien

Jean Ferrat – « Je ne chante pas pour passer le temps »

‘Je ne chante pas pour passer le temps’ : hypothétique épitaphe caduc, déjà. Credo toutefois de celui qui restera l’Unique. Fugitif de la première note jusqu’au dernier souffle des médias et récupérateurs en tous genres. Ferrat, l’aimé qui apaisait la mauvaise conscience de son auditoire. Racismes, dogmes, politiques, injustices, sexisme, classe ouvrière laborieuse, Révoltes et révoltés. Mais aussi mère Nature, mère Poésie et mère Amour. Cette Vie sans apparat, il l’aura chantée toute entière. Celle d’un XXè siècle empli d’espoirs et de misères. Qu’on ne s’y trompe pas, le bitume avec une plume : c’est lui. — Shadok

Sade – « The Moon and the Sky » (Soldier of Love, 2010)

Ça arrive rarement : ces chansons qui, dès leurs premières notes, vous assurent que vous allez entendre exactement ce dont vous rêviez. C’est ce qui se passe au moment où commence ‘The moon and the sky’, titre 1 du nouvel album de Sade, revenue indemne d’une décennie d’absence. L’industrie du disque peut s’écrouler, les genres se fondre les uns dans les autres, l’impériale vocaliste, elle, chante toujours sa soul triste et langoureuse, recluse dans un idéal romantique qui n’appartient qu’à elle. Grâce à ‘The moon and the sky’, le temps s’arrête pendant 4 minutes et 27 secondes. C’est toujours ça de gagné. — JB

Mobb Deep – « The Learning (Burn) » (Infamy, 2001)

Si vous ne le saviez pas Havoc et Big Noyd étaient à La Bellevilloise dimanche soir. A la base un concert était programmé. Ce fut finalement un raz-de-marée, tendance émeute urbaine deux micros-deux platines. Deux artificiers au centre, cinquante degrés dans la fosse et quelques – gentilles – tentatives d’envahissements de scènes pleines d’enthousiasmes. Le traumatisme s’annonce profond, l’addiction réelle. Les « Free P » résonnent encore dans mon crâne, comme l’enchainement des coups de semonces. En attendant la chirurgie ressortons ‘The Learning (Burn)’, un gros banger qui arrache bien les chicots sur disque. Mais encore plus sur scène. Havoc à la prod’ et le trio Prodigy-Big Noyd-Havoc au micro: une leçon de simplicité et d’efficacité. — Nicobbl

Drapht ft. Porsah Laine – « Lose control » (Brothers Grimm, 2008)

Il y a les morceaux larmoyants, dont le rap se fait parfois une spécialité bien trop dégoulinante pour qu’ils aient une quelconque saveur. Et puis il y a les morceaux prenants, intenses, qui retournent les tripes au lieu d’arracher une larme. Vous pouvez ranger ‘Lose control’ dans la seconde catégorie. Nouvelle figure de proue d’Obese Records (le label ayant lancé les Hilltop Hoods) ce qui revient à dire du rap australien tout court, Drapht se fait son ‘Lose yourself’ à lui. Au premier abord, l’analogie est évidente, puis plus les écoutes passent, plus elle s’efface, tant le rappeur de Perth propulse sa performance au rang de chant tragique et expiatoire. Au point d’en faire trop ? Possible. En tout cas sûrement assez pour tracer la limite entre le génie d’un Slim Shady et un bon titre de rap australien. — zo.

Andre Nickatina ft. Husalah & The Jacka – « Zestways (Coke Remix) » (Booty Star: Glock Tawk, 2007)

Personne ne parle de cocaïne comme Andre Nickatina. Il est un des seuls à vraiment en faire l’apologie et décrire l’impact de cette drogue sur son style de vie et sa musique. Tiré de son dernier album, ‘Zestways’ est un condensé d’énergie pure, coupée à 90%, un véritable ‘Coke Remix’. Un rythme saccadé explosif, une basse à te soulever le torse, une vague minimaliste lo-fi et surtout ce refrain d’Husalah, entrainant et entêtant. Une entrée parfaite qui pousse à appuyer sur la touche repeat rapidement. Mais c’est sans compter sur la très bonne prestation de Nickatina, percutant comme à son habitude et le flow lancinant de Jacka pour terminer la marche. Un All Star de toute beauté pour un banger peu connu. Un vrai anthem de la Bay. — Lecaptainnemo

Brotha Lynch Hung ft. MC Eiht – « Sticky Sheets » (The New Season, 2006)

Malgré l’arrivée prochaine du mois d’avril, il faudrait être débile pour se découvrir d’un fil. Histoire d’échapper un instant aux températures polaires, rien de mieux que de s’injecter un peu de l’état du soleil dans les conduits auditifs. Alors certes, Brotha Lynch Hung et MC Eiht, ce n’est pas le versant le plus ensoleillé du rap californien. Mais pour ‘Sticky Sheets’, les deux vétérans laissent de côté leur nonchalance habituelle pour un gros banger qui tâche et fait vraiment mal aux cervicales. — Kiko

Sorti en août 1999 et entré directement à la troisième place du Billboard, Murda Muzik est l’album de Mobb Deep qui s’est le mieux vendu aux États-Unis. Dans le cœur des fans, pourtant, le quatrième opus du duo de Queensbridge (New York) occupe une position particulière, régulièrement éclipsé par les deux autres chefs-d’œuvre du groupe, The Infamous (1995) et Hell on Earth (1996). Survival of the fittest ? 

Constants dans leur qualité, sortis avec seulement un an d’intervalle, The Infamous et Hell on Earth n’étaient pas foncièrement différents. Havoc s’illustrait en produisant des beats d’une simplicité redoutable : boucles sobres, sombres et mélodieuses comme fil rouge musical ; rythmiques sèches et marquées – le fameux effet de reverb appliqué sur la caisse claire – à l’appui. Avec Prodigy, ils égrainaient leurs chroniques crépusculaires, entre vie de rue et fantasmes mafieux, débordant de rancune, les textes emplis de menaces fantômes. L’ensemble brillait d’un éclat glacial, à la fois terne, dans l’atmosphère quasi-nihiliste des titres, et éblouissant de talent, tant dans l’écriture que dans la création musicale. Peu de temps après leur sortie, les deux disques s’imposaient comme les standards du « rap made in QB », engendrant de multiples clones sur les deux rives de l’Atlantique.

Murda Muzik conserve ces bases fondatrices mais pour la première fois – on oublie volontairement l’album de jeunesse Juvenile Hell, sorti en 1993 alors que Prodigy et Havoc n’ont que seize ans – d’importantes évolutions sont perceptibles dans la formule. Si le fond lyrical reste toujours aussi brut de décoffrage avec un Prodigy délivrant une nouvelle fois des couplets magnifiques de noirceur crasseuse et déprimée, la forme musicale se fait plus abordable. P et Havoc n’en sont pas encore à chercher le gros hit commercial comme sur leurs albums suivants, mais ils adoucissent déjà leur son. En cela, Murda Muzik marque un tournant pour le groupe.

Cet adoucissement et ce début d’ouverture passent par des détails. Comme la présence de la chanteuse Chinky sur ‘Streets raised me’ et ‘Thug Muzik’. Parfaitement intégrées, ses prestations aèrent les morceaux et rendent leur atmosphère, déjà allégée par des choix de samples plus entraînants (par exemple sur ‘It’s mine’ avec Nas, quasi reprise de ‘The boy is mine’ de Brandy & Monica, sur un nouvel échantillon extrait de Scarface), moins oppressante. Outre les proches du Queens (Nas, The Infamous Mobb, Kool G Rap, Cormega) et d’ailleurs (Raekwon, présent pour la troisième fois consécutive sur un album de Mobb Deep), le groupe fait également appel à deux anciens membres du groupe autrefois chapeauté par Biggie et Puff Daddy, Junior M.A.F.I.A. : Lil’ Cease et surtout Lil’ Kim, irréprochable sur le remix de ‘Quiet Storm’.

Sans atteindre le sublime de The Infamous et Hell on Earth, et malgré quelques longueurs, Murda Muzik est un excellent album. Porté par quelques morceaux puissants, et notamment le génial titre-pivot et single ‘Quiet Storm’, ce quatrième opus est le dernier classique de Mobb Deep. Le groupe continuera à sortir de bons albums, mais aucun qui ne soit réellement à la hauteur de la première partie de leur carrière. Accessoirement, Murda Muzik marque également le début de la collaboration entre Mobb Deep et le beatmaker Alchemist, fraîchement débarqué de son Beverly Hills natal et entré en contact avec le groupe via DJ Muggs. Il produit ici deux titres parfaitement intégrés dans la tonalité de l’album, ‘The realest’ et surtout le terrible ‘Thug Muzik’.

« Ya know how we did on The Infamous album, right? Aight, we gonna do it again son »

Dès les premières secondes de Hell on Earth, Havoc donne le ton. Malgré un titre qui pourrait évoquer un semblant de conscience politique, il n’est en aucun cas question de révolution ici, mais de continuité. Prendre les éléments qui ont fait le succès du précédent album et les exploiter jusqu’à plus soif. Créer une sorte de The Infamous 2.0 en épurant la première version de ses petits défauts, en particulier un certain manque d’homogénéité sonore.

L’intégralité de la production fût donc judicieusement confiée à Havoc : celui-ci avait déjà été l’auteur des beats les plus marquants de The Infamous. Le collègue du sinistre Prodigy va en profiter pour définitivement installer la fameuse recette « piano-violon ». Des instrus lents, sombres et mélancoliques, basés essentiellement sur des boucles des instruments susnommés. Une formule qui marquera fortement la musique Hip-Hop au tournant des siècles, tant appliquée qu’elle en finira par devenir indigeste.

Ici toutefois, on ne pouvait imaginer un genre musical plus adapté aux prestations des MCs. Les histoires sordides, diatribes menaçantes et egotrips sanglants sont parfaitement mis en valeur par la noirceur du grain de son. On ne sort de l’obscurité que pour les deux dernières plages, ‘Still Shinin’’ et ‘Apostle’s Warning’, aux atmosphères moins ténébreuses que celles des pistes précédentes. Force est toutefois de constater que cette fin d’album marque une légère baisse de régime : Mobb Deep n’apparaît jamais aussi efficace que dans un univers sombre, puant la rue, la détresse et la paranoïa. ‘Animal Instinct’, ‘Drop a Gem on ’em’, diss de Tupac et ‘Get Dealt with’ font figure de sommets dans ce domaine.

Un cran en dessous du morceau « Hell on Earth », cependant. Celui-ci figure assurément parmi les titres les plus marquants de la discographie pléthorique du duo. Quelques notes de clavecin, une ligne de basse, un break de batterie : le minimalisme de l’instru mérite d’être souligné à l’heure des empilages déraisonnés de boucles. Il n’en fallait en tous cas pas plus à P pour lâcher un troisième couplet interminable, crasseux et violent au possible, débité avec une énergie qui ressemble fort à celle du désespoir :

« I was born to take power leave my mark on this planet
The phantom of crime rap, niggas is left stranded
Shut down your operation, closed for business
Leave a foul taste in your mouth like Guinness
P.O.W. niggas is found M.I.A.
We move like the Special Forces, Green Beret
Heavily around my throat, I don’t claim
Shit brand new, back in eighty-nine, the same way
The God P walk with a limp see, but simply
To simplify shit, no man can go against me
Test me you must be bent G, don’t tempt me
I had this full clip for so long, it needs to empty
The reason why it full for so long, cause I don’t waste shit
You properly hit, blood in your mouth, so you could taste it
Quiet is kept, I lay back and watch the world spin
I hear thugs, claimin’ that they gonna rob the Mobb
When they see us, I tell you what black, here’s the issue
It’s a package deal, you rob me – you take these missiles
Along with that, I ain’t your average cat
Fuck rap, I’m tryin ‘to make CREAM and that’s that »

Au niveau des invités, on retrouve les collègues Twin Gambino, Ty Knitty et Big Noyd, le voisin Nas et deux autres experts en rap ténébreux, Method Man et Raekwon. Inutile de préciser qu’avec un casting pareil on évite les hors-sujet et les fautes de goût. En dehors de la légère baisse d’intensité finale évoquée plus haut, il n’y a donc pas de temps mort dans Hell on Earth. L’album constitue l’opus de référence du rap version Queensbridge, définissant de façon plus précise que The Infamous les contours d’un style musical et lyrical qui aura fait tant d’adeptes à travers le monde, de Marseille à Los Angeles.

Le vingt-et-unième siècle n’a pas été tendre pour Mobb Deep. A travers la paranoïa de l’an 2000, l’orage silencieux de Murda Muzik et la puissance autodestructrice de H.N.I.C avaient marqué un virage important, une évolution moderne qui ne ternit pas leur solide réputation. Mais le groupe traverse une période difficile avec son label Loud Records, terre sacrée et prolifique de Steve Rifkind qui n’allait pourtant pas tarder à fermer boutique. A ce moment précis, Jay-Z est tout puissant et impose son empreinte, le premier classique de la décennie alors que deux tours disparaissent et que le monde entier reste sans voix. New York demeure encore pour quelques années la place forte d’un Hip Hop en pleine mutation mais les têtes commencent à tomber. L’empire Shaolin est sur le déclin, les motards cramés du chien fou DMX sont en perte de vitesse et les combinaisons brillantes de Puff & Ma$e font carrément partie de l’histoire ancienne. Les héros de la fin des années 90 explosent en plein vol ou disparaissent à jamais et Prodigy voit son image de gangster à travers un tutu rose sur écran géant. Le mythe s’effondre. Affaibli par la maladie, dépassé par l’ampleur du désastre et accablé par un album plutôt sucré (Infamy), le modèle du rap hardcore from Queensbridge dérive doucement vers le chaos.

Pourtant Havoc et Prodigy ont encore plusieurs atouts dans leurs manches. Leur contrat avec Loud Records est déchiré en 2003, un nouvel horizon se profile. Après leur mixtape « Free Agents » prônant un retour aux sources salvateur, leur label Infamous Records obtient une signature chez Jive. C’est le bout du tunnel, un budget, un disque, des clips. Pas encore de voitures de luxe mais le cauchemar Ballerina P s’efface peu à peu, le Hip Hop s’est déplacé vers le Sud, les clubs sont dévastés par la folie Crunk. Le moment est plus propice pour revenir sur le devant de la scène maintenant que New York est en retrait, que les yeux sont fixés sur une nouvelle direction.

Le retour de Mobb Deep sonne donc en 2004 avec un album au titre alléchant, Amerikaz Nightmare. Le premier single provoque l’électrochoc, Alchemist réalisant là sa propre renaissance en inventant un son sombre mais explosif pour les clubs basé sur un gros tube synthépop de Thomas Dolby. Les basses sont tonitruantes, le mouvement lancinant,  ‘Got it Twisted’ est puissant mais ne trouvera pas réellement son public. C’est pourtant dans cet esprit crossover entre club et rue qu’Amerikaz Nightmare se définit et parvient à trouver un équilibre vraiment intéressant. Il s’agit déjà du premier album laissant autant de place à des producteurs ‘étrangers’. Havoc produit toujours la plus grosse partie mais d’autres têtes d’affiche se profilent et surtout Alchemist prend plus de place avec trois éclats qui font briller le reste de l’album. La suite ‘Got It Twisted’/’When U Hear The’ est un modèle du genre. Avec les autres producteurs, le groupe cherche avant tout à assurer des singles. Il adapte son style à celui de Kanye West, Red Spyda et teste même le grand écart avec Lil Jon. Descendues en flèche par les aficionados, ces collaborations sont pourtant loin d’être ratées et apportent quelque chose de nouveau au duo de Queensbridge. L’ambiance reste la même, lourde et intense mais la musique qui sert leur univers se fait plus diversifiée. Les interventions de Nate Dogg, Twista ou le toujours excellent Jadakiss assurent un panorama assez large pour un retour en grâce dépassant la niche habituelle.

L’album est pourtant un four commercial et un échec critique. Le retournement de veste est pointé du doigt, le public hardcore new-yorkais et européen étant alors engagé dans une guerre sacrosainte contre le rap bling-bling sudiste. Le retour de Mobb Deep était attendu et le résultat déçoit. Pourtant, certains morceaux comme ‘Amerikaz Nightmare’, ‘We up’ ou ‘On the run’ sont dignes du catalogue sombre et dépouillé du duo. Le discours reste intact même si on sent qu’Havoc et Prodigy fatiguent un peu et assurent quelques fois le strict minimum. L’album souffre au final d’une cohérence générale, les titres s’enchainant comme dans une vulgaire compilation. La suite de clips réalisés pour l’occasion a pourtant essayé de créer un lien, une histoire, mais la recette ne prend pas. Le gros point positif reste bien sûr Alchemist qui continue d’imposer un nouveau son Mobb Deep en réalisant la plupart des singles forts et forge ainsi ce qui deviendra le son QB des années 2000.

A la suite des résultats catastrophiques d’Amerikaz Nightmare, Jive n’accepte pas de poursuivre sur un second opus. Le duo le plus célèbre du Queensbridge se retrouve à la rue avec une renommée alors au plus bas. Plus personne n’y croit. Plus personne sauf un. En 2005, 50 Cent signe Mobb Deep sur G-Unit/Interscope. Curtis se fait tatouer Mobb Deep sur le poignet, Prodigy appose un G-Unit dans le creux de sa main. Faust version Rap. La descente aux enfers continue.

Aux États-Unis, on appelle ça le momentum. La force d’une tendance, le laps de temps propice à la réussite. En signant avec G-Unit fin 2005, Mobb Deep espérait sans doute être au diapason de ce momentum. Après tout, 50 Cent et ses sbires sortaient d’une série de succès insolents – c’était cette époque lointaine où un Lloyd Banks pouvait vendre 433 000 albums en une semaine. Le dernier coup d’échec de Curtis Jackson avait alors été de recruter trois entités symboliques du rap new-yorkais : les mastodontes de MOP, l’ex-méga-star Ma$e et donc, Prodigy et Havoc, incarnations estampillées Queensbridge d’un rap armé jusqu’aux dents. Sortira quelques mois plus tard Blood Money, septième album du groupe et première césure officielle sur la courbe, alors pointée vers le sommet, de l’empire G-Unit.

On pourrait penser que le relatif insuccès de Blood Money est d’abord du à un problème d’image – grosso modo, le reality rap de Mobb Deep transformé par 50 Cent en fantasme grand public. Après tout, sur le disque, l’arrogance agressive qui a fait la marque de Mobb Deep paraît intacte (‘Put’em in their place’), Havoc a toujours le sens des instrumentaux livides (‘Stole Something’) et Prodigy livre même l’un de ses couplets les plus outrageants : dans ‘Pearly Gates’, c’est Dieu Lui-Même qui en prend pour son grade, Prodigy promettant d’aller mettre une raclée à son Fils dès qu’il franchira les portes du paradis – de quoi faire bondir Jimmy Iovine, big boss d’Interscope, qui censura le passage pour s’éviter les foudres des puritains.

Mais chaque tentative du groupe d’affirmer son force de frappe est désamorcée par l’impression persistante que Blood Money est avant tout sa journée d’intégration dans le camp G-Unit. A lui seul, 50 Cent n’occupe pas un, mais sept titres tandis que les seconds couteaux Tony Yayo, Lloyd Banks et Young Buck ont tous droit à leur invitation personnelle. Le genre de tutelle envisageable pour un rappeur débutant – d’ailleurs, des nouvelles de Hot Rod ? – mais un peu embarrassante pour un duo d’expérience qui figure parmi les images d’Épinal du rap new-yorkais.

La direction du projet n’arrange rien. Si Prodigy et Havoc ont prouvé par le passé qu’ils pouvaient faire dans la séduction je-m’en-foutiste sans maquiller leur violence froide, Blood Money baigne dans une aura de certitude mal placée, comme si on avait déjà remis au duo un disque de platine avant même qu’un seul titre soit enregistré. Résultat : avec une chaîne G-Unit autour du cou, Prodigy et Havoc semblent condamner à revivre éternellement la même soirée en club (‘Give it to me’), dans le même coin VIP (‘Have a party’) avec les mêmes groupies (‘Backstage pass’). Étonnants de nonchalance, ils livrent de vraies curiosités (‘Creep’, digne d’un numéro de cirque) et quand, deux titres avant la fin, Havoc se décide à dégainer le sample qui mettra tout le monde d’accord, il faut qu’il choisisse une boucle déjà exploitée – en mieux – par Alchemist deux ans plus tôt.

Trop sporadique dans ses temps forts, Blood Money ressemble au pari de trop pour un groupe vieillissant, encore convaincu de pouvoir décrocher les meilleures places du billboard alors que le rap est entrain de changer autour de lui. Reste que sans l’accueil tiédasse réservé à l’unique sortie G-Unit de Mobb Deep, Prodigy n’aurait peut-être jamais connu sa renaissance impressionnante – et nihiliste au possible – lors de ses échappées solo en 2007 et 2008. Et pour le groupe, immortalisé sur la pochette devant des liasses de billets, tout ne fut pas perdu pour autant : Blood Money s’est écoulé à plus de 500 000 exemplaires, le remix d »Outta Control’ avec 50 Cent est à ce jour leur plus gros succès commercial et au moins, ils peuvent se targuer que leur album G-Unit est bel et bien sorti. Là où ils sont, MOP et Ma$e ne peuvent pas en dire autant.

A l’exception de ses apparitions sur toutes les sorties de Mobb Deep depuis Hell on earth, Big Noyd (aka Terance Perry) est resté silencieux et demeure encore peu connu du grand public en cette année 1996. Loin d’être uniquement un rappeur que l’on appelle pour des collaborations épisodiques, un certain flou semble toutefois régner autour de ce rappeur qui ne manque pourtant pas de talent. Bien que comptant bon nombre de featurings, cette première sortie solo était avant tout l’occasion de mesurer le réel potentiel d’un rappeur discret, et pour l’heure limité au seul registre ‘Queens Bridge’.

A première vue, Episodes of a hustla possédait tous les ingrédients pour ne pas passer inaperçu : le rap ‘Queens’ est en pleine effervescence, Big Noyd est très proche de Mobb Deep, il est apparu honorablement sur leurs albums, et cet EP sort quelques mois avant le classique Hell on hearth. C’est donc une rampe de lancement idéale qui se profilait pour un premier essai. C’est cependant cette trop forte similitude avec Mobb Deep qui a joué en défaveur de Noyd : même maison de disque, même producteur, un Prodigy omniprésent, un titre comme ‘Infamous mobb’, une pochette rappelant celle de The Infamous : de quoi laisser sceptique et faire davantage penser à un clone qu’à un rappeur pouvant apporter sa propre touche.

Une chose demeure néanmoins certaine : Episodes of a hustla s’inscrit totalement dans la lignée de Hell on earth. Havoc nous sert en effet des clones du dernier Mobb, à l’image de la boucle minimaliste de ‘Recognise & realize (part 1)’ qui n’est pas sans rappeler l’entêtant ‘Drop a gem on ’em’. Qui plus est, Prodigy et Noyd lâchent dès le premier couplet ce que tout bon auditeur de Mobb Deep est en droit d’attendre :  »I got tons of guns my niggas on the run pack the nickel plated ones ».

Le fait que les lyrics soient profondément ancrés ‘streetlife’ est également une similitude évidente. On a même droit à un condensé sur ‘All pro’, freestyle sur lequel sont conviés Ty Nitty, Twin, Prodigy et Havoc (deux rimes) pour poser des lyrics frisants parfois la caricature ( »bodies bloody on the ground’‘). Seul Big Noyd s’en sort et conclue le morceau en parvenant même à nous faire oublier la pauvreté de tout ce qui a été dit. L’egotrip reste malgré tout un thème de prédilection, notamment sur l’inquiétant ‘Infamous Mobb’ où le rappeur s’associe à Prodigy pour devenir le maître du rap :  »Rappin’ Noyd takin’ the world over, universal the Mobb soldiers we explode like super nova ». Il en va de même pour le brutal ‘Usual suspect’ et sa grosse basse, dédié tout entier au Queens, et qui en fait un des plus aboutis du EP. ‘Episodes of a hustla’ est un autre morceau qui se distingue de part son écriture et où Noyd rappe seul, laissant par la même entrevoir ce qu’il cache derrière ses rimes. Mais le meilleur titre reste sans nul doute ‘Recognise & realize (part 2)’ avec Mobb Deep. Les trois rappers s’en donnent à cœur joie pour parler de leur quartier :  »The trife life of living famous bustin’ shots live it’s dangerous, in midnight we do it right in broad light ». En fait, tout est résumé dans les dernières rimes du morceau :  »Got my click ready ready to murda mad shit, mad shit, you pop mad shit whats the verdict ».

Après un rapide tour d’horizon, on se demande réellement d’où peut venir la particularité de cet EP par rapport à une sortie de Mobb Deep. Et bien d’une part grâce à ‘I Don’t Wanna Love Again’, où la très soul Se’kou montre la voix(e) à un Big Noyd qui pose un texte venant rompre avec le reste de l’album. Qui plus est, ce titre est placé à la fin, comme si il fallait y voir une touche d’espoir à tout le chaos décrit auparavant.

Les jugements hâtifs diront que tous les titres de Episodes of a hustla se ressemblent (et qu’ils ressemblent eux-mêmes à ceux de Hell on earth) et que c’est un EP de plus à placer dans les bacs du gangsta rap New-Yorkais. Sur la forme, il est clair que les sons et les thèmes proposés ne sont en rien novateurs, mais est-ce ici le but recherché ? Certes Big Noyd emploie continuellement des images dures, violentes, inquiétantes même (collants parfaitement aux sons d’Havoc), mais il propose aussi un angle différent quant à la vision des quartiers américains, en se conformant davantage à un style de reporter que de provocateur morbide usant de violence gratuite, comme peut le faire Mobb Deep par exemple. C’est peut-être cela qui fait toute l’originalité de cet album.

Il fut un temps, pas si lointain, où la touche Mobb Deep était un standard dans le rap. Prodigy et Havoc crachaient leurs flow rugueux sur les productions sombres et poussiéreuses de ce dernier. C’était l’époque des classiques : The Infamous… et Hell on earth. En 2000, Prodigy s’en était très bien sorti avec son solide album solo, « HNIC », qui brillait notamment par la présence de producteurs en grande forme du calibre d’Alchemist, Just Blaze ou EZ Elpee. Mais depuis, rien ne va plus : en délicatesse avec Loud Records, et avec une street credibility sérieusement compromise depuis ce fameux Summer Jam où Jay-Z montra la photo d’un juvénile Prodigy en tenue de ballerine, le groupe semble peiner à renouveler une formule qui a inspiré nombre de rappeurs des deux côtés de l’Atlantique.

Infamy n’est que la confirmation de leur essoufflement, et vu que le duo semble plus à la recherche d’un hit facile que d’un classique, l’album s’empêtre dans la médiocrité. C’est en partie la faute à Havoc, qui se charge de la majorité des productions de l’album. Méconnaissable, il réalise des instrus d’une rare indigence : ses tentatives dancefloor (‘Bounce’, ‘Clap’) tombent à plat, tout comme le reste de ses prods, dont on se demande si elles relèvent de l’expérimentation ou correspondent au concept de l’album : l’infâmie. Les beats affichent souvent un électrocardiogramme plat (‘Kill that nigga’, ‘Handcuffs’), et on cherche en vain la présence d’un sample famélique entre deux notes de basse et une nappe de synthé. Havoc -peut-être dans une quête de renouvellement- a oublié la formule qui faisait la réussite du duo : simplicité du beat et de la boucle. Sans la puissance de ses instrus, les voix des deux MC semblent condamnées à errer dans un désert musical. Pour preuve, ‘Hey Luv’ (avec 112), crossover RnB impensable sur un album de Mobb Deep, apparaît comme la prod la plus consistante de Havoc, après 8 titres… Heureusement, à mi-album, le producteur-rappeur a quand même l’orgueil de se réveiller pour lâcher quelques instrus explosives pour l’entêtant ‘The learning (burn)’ et ‘Hurt Niggas’. Dépouillé, sombre, froid et efficace.

Les autres concepteurs de l’album le surclassent facilement. Ce sont donc Scott Storch, EZ Elpee et l’incontournable Alchemist qui endossent le rôle de sauveurs d’album. Seul ce dernier trouve l’alchimie sonore qui convient pour les deux MC’s, avec les trompettes épiques de ‘Get at me’. Ironiquement, le son d’Havoc ressemble à s’y méprendre à du Alchemist quand il lâche enfin la bombe de l’album, ‘Nothing like home’ : avec un beat simple qui accompagne une boucle de soul redoutable (Lenny Williams, ‘Cause i love you’), on retrouve enfin la formule secrète du producteur. Mention spéciale à EZ Elpee, déjà auteur du morceau ‘HNIC’, qui réalise le très bon ‘Get away’ et son sample envoûtant. Quant au sous-estimé Scott Storch, homme de l’ombre de Dr Dre, il s’en sort bien avec ‘Live foul’ ainsi que le seul bon crossover de l’album : ‘There I go again’ avec Ron Isley (quoique 6mn50, c’est un peu longuet quand même).

Au micro, les deux MC restent égaux à eux-mêmes : Havoc est à peine plus énergique que ses beats, et Prodigy semble plus dépressif que jamais, peinant à convaincre entre cabotinage gangsta et romantisme de circonstance. Infamy est donc un album largement dispensable. A moins d’être un fan acharné du Queensbridge, on ne peut que être désolé devant un tel naufrage, empêché tant bien que mal par cinq/six morceaux objectivement bons. Le duo doit encore un album à Loud Records, espérons qu’ils quittent le label en sauvant l’honneur…