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« I am the one and only Method Man, the master of the plan. »
Quand débute en 1993 l’épopée Shaolin et que le clan Wu–Tang débarque tout droit de la 36ème chambre, ses membres sont au nombre de neuf. De ce formidable essaim, une figure se démarque. Non pas qu’elle soit la seule car toutes, au détour d’une rime, d’un couplet ou d’un refrain passés à la postérité, auront déjà l’occasion de s’affirmer en tant qu’entité à part entière. Mais sur l’échiquier du Wu que déploie le roi RZA, Method Man est le seul fou à se voir offrir de poser sur un morceau avec son propre nom affiché sur l’étendard. Pièce de choix parmi les douze grands moments qui composent Enter the Wu, « Method Man » est autant un hymne à la débauche enfumée qu’une déclaration de guerre. Et le premier mouvement tactique de Prince Rakeem dans son plan de conquête du monde.
Le deuxième s’amorce dès l’année suivante. Poursuite logique des évènements, Method Man est le premier membre du groupe à sortir son album. En bonne tête pensante, RZA s’est alors débrouillé pour obtenir de Loud/RCA Records – label du groupe à l’époque – la possibilité de sortir chaque projet solo à venir librement chez d’autres maisons de disques, et garder la mainmise sur chacun d’eux. C’est ainsi que Tical, entièrement produit par RZA et paru chez Def Jam, ouvre en novembre 1994 la marche d’une première série de solos que fermera Ghostface avec la sortie d’Ironman en 1996.
Dans ce premier trauma post-36e chambre, il ne sera jamais question de dévier du chemin déjà tracé, mais plutôt de s’y enfoncer encapuché jusqu’aux yeux, les godasses pleines de boue sous la pleine lune et une pluie battante. Dans la crasse ambiante, les tâches de propre sont difficilement décelables. C’est à peine si l’on distinguera le sincère hommage à la gente féminine qu’est « All I Need » ou le chant entrainant de Blue Raspberry sur le tubesque « Release Yo’ Delf », seuls éléments qui tranchent avec la rudesse globale et la tradition killa bees dans laquelle s’inscrit Tical. Car si les préoccupations de Method Man – en premier plan la fumette et dérouiller du MC – sont omniprésentes, si sa voix rauque et son charisme éclaboussent l’album, l’univers du Wu-Tang y est aussi largement approfondi. Références multiples au premier opus du groupe, extraits cinématographiques kung-fuesques à foison et invités de marque se croisent pour frapper Tical du sceau de la chauve-souris. Exemple parfait avec « Meth vs Chef », sur lequel Raekwon vient donner la réplique à Johnny Blaze pour une joute verbale en forme de match de boxe particulièrement jouissive.
D’egotrips parfumés aux vapeurs d’herbes en chroniques urbaines d’un quotidien violent au pied des projects de Staten Island, les sommets s’enchainent sans possibilité de respirer autre chose qu’un air à la couleur verdâtre, pollué par toutes sortes de substances toxiques naturelles et industrielles. À tel point que la démence pointera à plusieurs reprises le bout de son nez, notamment le temps du supra-classique « Bring the Pain » et de son refrain imparable, d’un « Sub Crazy » aveuglément brutal ou du terrifiant « Mr. Sandman ». Posse-cut dans le pur style de l’école Wu-Tang, c’est un autre des points culminants de l’album, qui évoque volontiers une ruche d’abeilles tueuses malencontreusement bousculée d’où sortent, entre autres affiliés au clan, un Inspectah Deck à la verve affolante et un RZA littéralement possédé. Dans ces moments hallucinés, Tical fait immanquablement penser à Candyman, film horrifique paru en 1992, dont on est alors en droit de se demander s’il n’a pas eu une influence directe. Le métrage, qui en appelle aux légendes urbaines des ghettos et baigne dans un climat glauque proprement irréel, met en scène un boogeyman mystique des cités, armé d’un crochet de boucher et dont le corps est (dé)composé…d’abeilles !
« Dès le titre éponyme au beat ronflant et aux nappes stridentes, RZA plonge l’album dans une noirceur qui ne le quittera jamais. »
On disait le Rzarector possédé lors de son couplet sur « Mr. Sandman », il l’était tout autant au moment de produire l’intégralité de la mixture sonore de Tical. Dès le titre éponyme au beat ronflant et aux nappes stridentes sorties tout droit des enfers, il plonge l’album dans une noirceur qui ne le quittera jamais. Méconnaissables, les samples soul dont il est tant friand sont transformés en autant de ballades funèbres et brumeuses. Parfois terriblement oppressantes (« What the Blood Clot »), parfois empruntes d’un surréalisme éthéré (« Stimulation »), les ambiances s’entremêlent pour donner naissance à une atmosphère délétère unique, parsemée de cris d’outre-tombe et d’inspirations de fumées illicites, à pleins poumons forcément. Depuis l’inquiétante composition de « Bring the Pain » jusqu’au déchainement martial de « P.L.O. Style » en passant par le son crade et distordu de « Sub Crazy », RZA livre sans doute là l’œuvre la plus sale et lugubre de sa discographie.
Premier jet en solitaire – on l’a dit – de la maison de Shaolin, l’album n’aura cependant pas la résonance et la pérennité de projets aussi définitifs que Liquid Swords ou Only Built 4 Cuban Linx… Certes, Method Man est l’une des personnalités les plus en vue du groupe, comme le montrent rapidement ses excellentes collaborations extérieures (notamment avec la dualité sacrée Tupac et Biggie Small). C’est un monstre de charisme, une voix éraillée qui hypnotise comme peu et un beau bordel en prévision chaque fois qu’il attrape un micro. Mais il n’a pas l’habileté de Raekwon pour raconter des histoires, ni la densité d’écriture de GZA. Il n’a pas non plus la folie furieuse d’Ol’ Dirty Bastard, ni la versatilité de Ghostface Killah. Ainsi Tical se réclame d’une substance différente, plus vaporeuse même si bel et bien consistante. Un disque à part dans la mythologie dont il fait partie, au pouvoir de fascination aussi puissant que celui qu’aurait une plantation de 36 hectares de weed en face de son auteur. Pour beaucoup pourtant, il restera le plus faible de cette première fournée solo. C’est dire comme l’armée du Wu allait fumer la planète les deux années suivantes.
« Wu-Tang Clan forever, no we don’t die, we just multiply forever, and ever, and ever… »
« Et comment que je suis chaud ! Je crois que je vais m’autofellationner direct » : avec ce sens de la mesure qui le caractérise en toutes circonstances, c’est en ces termes que réagit l’ami Guy Georges à l’annonce de la venue de Method Man au Transbordeur de Villeurbanne… Guy Georges ? Un surnom, bien entendu. Avec Jack Facial, Pisse-Partout l’Insortable, Urbain Bonaventure, MC Côtes-du-Rhône ou Le Fractureur de Poneys, c’est l’un des nombreux A.K.A. d’un Franco-serbe bien connu des stripteaseuses de la Costa Blanca ou des videurs de boîtes de nuits de Serre-Chevalier. Entre autres exploits, Guy fut jadis capable de réveillonner dix heures d’affilée avec une couche Pampers sur la tête ou de mettre fin à un chat coquin d’un définitif « Va frapper ta mère à coups de chaînes de vélo« , d’autant plus traumatisant pour la destinataire que rien dans la conversation ne laissait présager une telle réponse.
20h45, ce samedi 7 avril 2007. Guy s’est garé à l’angle du boulevard du 11-novembre et du boulevard Stalingrad. Une capuche sur la tête, il sirote un fond de Coca light « qui fait rire » – de près, la bouteille dégage une forte odeur de whisky. Ce soir, c’est soirée « good ol’days » : les compagnes sont à la maison et Guy semble rajeuni de dix ans. C’est juste dommage que Papa-au-Rhum , a.k.a. Procreator, autre compagnon de veillées d’armes, n’ait pu être de la fête. Lui comme Guy se méfient de ces artistes américains en tournée en Europe : Guy n’était-il pas du piteux concert parisien du Wu-Tang Clan en juillet 2004 ou de celui pour le moins hautain de Lauryn Hill à Bercy en juillet 2005 ? Un homme averti en valant deux, Papa-au-Rhum restera donc pouponner à la maison. Guy, lui, tente tout de même le coup : « Method Man, putain ! Ca me rappelle trop de bons moments ! » Ceux qui étaient avec lui à la fac se souviennent surtout d’inénarrables exposés en survet’, bourrés de vidéoclips « Wesh-wesh-y’all!« , devant des amphithéâtres prout-prout donc médusés.
21h00.
Le Transbo affiche complet. Sur scène, les premières parties s’époumonent. Pour information, le concert de Method Man se tient à la veille de la clôture de la 4ème édition du festival L’Original, organisé depuis 2004 par un collectif de structures hip-hop de la région Rhône-Alpes. Graff, danse, DJing et MCing s’entremêlent ainsi, dix jours durant, avec une programmation exigeante et un succès croissant d’année en année. Côté pointures, Raekwon, Guru, De La Soul, Grandmaster Flash ou La Caution étaient entre autres à l’affiche des éditions précédentes. Public Enemy, Oxmo, Casey ou Mac Tyer leur ont succédé en 2007. Et Method Man, donc.
22h00.
Informé de la venue d’EPMD dès le lendemain pour un concert dans la région, Guy appelle Papa-au-Rhum pour en savoir plus sur le lieu et l’heure. Probablement affalé sur son canapé en attendant Jour de foot, celui-ci répond par texto : le concert aura bien lieu dimanche à Villefranche-sur-Saône. Guy se tâte. En bon old-schooler noyé à présent dans le tourbillon de la vie active et des responsabilités familiales, il s’aperçoit que deux piqûres de jouvence ont lieu à 24 heures d’intervalles, et le souvenir des délires d’antan le titille fortement.
22h50.
Fin des premières parties. Le flyer annonçait la présence de Okrika, Zéro Pointé, Libre Penseur, W-A, Teddy, Youssoupha et Sang Pleur. La palme de l’originalité revient sans conteste à ces derniers, apparus sur scène en scandant « Bloc opératoire, appelle les urgences !« , vêtus de blouses et de masques et précédés d’une civière… De son côté, Youssoupha dégage sous ses faux airs de Donovan Bailey quelque chose de particulièrement positif, tout comme le trio violons-beat box qui le précède, et leurs reprises d’Xzibit, de Mary J. Blige, de ‘Boulbi’ ou de ‘Wu Tang Clan ain’t nuthing ta f’ wit’… Seul bémol à cette succession de premières parties, peut-être : le désormais traditionnel majeur levé à l’attention de « Le Pen & Sarko », prêche pavlovien pour auditoire archi-convaincu, dont il faudra un jour s’interroger sur la réelle utilité… « cela aide-t-il fondamentalement l’herbe à pousser et le soleil à briller ? » questionnerait un poète métaphysique…
23h00.
A l’heure où est sensée commencer l’after de la soirée, Mathematics prend place derrière les platines, un énorme blunt aux lèvres. Le geste a valeur de manifeste : jetant un oeil tout autour de lui, Guy observe les imposantes volutes bleutées et autres odeurs de résine qui baignent la salle. Jamais avare de références érudites, Guy le non-fumeur cite Cocoricocoboy, célèbre émission culturelle d’access-prime-time dans les années 80 : « Mais quelle est cette secte ? »
Les yeux à l’ombre d’une capuche et d’une casquette en diagonale, Method Man fait son apparition, vêtu de kaki et d’un pendentif en diamant en forme de « M » – ou de chauve-souris retournée, c’est selon. A ses côtés, un type s’avance aussi, le visage caché par l’ombre d’une capuche rouge, large, haute et pointue. « Présente tes potes du Ku Klux » est le premier commentaire de Guy. « Mais quelle est cette secte ? » est le deuxième. Il y en aura d’autres.
Le type aux côtés de Method n’est autre que Streetlife, invité de nombreux albums solos ou collectifs du Wu. Dès le 3ème morceau, l’homme connu de l’état civil sous le nom de Clifford Smith égrène le fameux compte à rebours qui annonça son règne, il y a déjà près de trois quinquennats : « From the slums of Shaolin, Wu-Tang Clan strikes again. The RZA, the GZA, Ol’ Dirty Bastard, Inspectah Deck, Raekwon the Chef, U-God, Ghost Face Killer and… » Et toute la salle de reprendre en choeur le refrain mythique et l’amorce du premier couplet : « M-E-T, H-O-D, Man, M-E-T, H-O-D, Man, M-E-T, H-O-D, Man… Hey, you, get off my cloud, you don’t know me and you don’t know my style… » Guy commence à beugler et à croasser comme à ses plus belles heures, et toute la fosse avec lui. Sur la scène, Streetlife a le mérite de ne pas en faire des tonnes, et Method Man tape toutes les mains qu’il peut, un grand sourire aux lèvres.
Soudain, c’est la stupeur : alors qu’il tournait momentanément le dos à la fosse et semblait repartir vers le centre de la scène, Meth se jette soudain en arrière, direction les bras tendus des quatre premières rangées de spectateurs, qui n’ont rien vu venir et le réceptionnent de justesse. Guy entre alors en mode groupie style concert de Patrick Bruel saison 1990-91 : « Il aurait pu leur péter la nuque ! Ce type est un malaaade ! C’est un malaaade ! » Il faut pas moins de trois videurs et d’interminables secondes où l’instru tourne à vide pour récupérer l’engin et le rapatrier sur scène… Et que fait l’homme de Staten Island, une fois debout face au public ? Il lève les bras, serre les poings et se marre comme s’il venait de dunker sur la tête de Frédéric Weis. Incrédule devant tant d’insouciance, la fosse n’a d’autre réaction que de l’ovationner. Résultat : Method repart de plus belle, comme gonflé de testostérone, d’adrénaline et de hierba. Il resaute dans le tas, la tête la première cette fois, dans les bras des spectateurs des premiers rangs… Les videurs transpirent mais semblent bien connaître le bonhomme. Celui-ci jette au public sa casquette et son pull kaki, sautille de tous les côtés de la scène, checke Streetlife à chaque fois qu’ils se croisent et semble prendre un pied immense. « Mais quelle est cette secte ? » Le concert est lancé.
‘Bring the pain’, ‘All I need’ ou ‘What the blood clot’ se succèdent à un rythme fou, entrecoupés de clins d’oeil bien sentis à ‘Ice cream’, ‘Visionz’ ou ‘Duck season’. Qu’il s’agisse de rythmiques classiques, électroniques ou R’n’Bisantes, Meth se balade au micro et la complicité avec Streetlife est au poil. Dans la fosse, les plus chétifs des spectateurs parviennent à grappiller quelques mètres pour se rapprocher de la scène. Tous les autres ont reculé de près de cinq mètres en l’espace de trois chansons, sans même s’en rendre compte. Au fond, dans les gradins, le public est lui aussi debout, les mains en forme de « W ». L’épisode du crowd bashing a fait oublier à tout le monde l’heure tardive. Même Guy en oublie son anti-américanisme de Serbe bombardé. Pour info, celui-ci remonte aux fameuses « frappes chirurgicales » de l’OTAN sur la région de Belgrade en 1999. Principale conséquence de ces nuits blanches suspendues au téléphone familial ? Chaque 11 septembre depuis 2001, Guy et sa famille sortent le gâteau, les bougies et trinquent au Dom Pérignon… Il y a longtemps que l’Homme qui valait trois milliards de dossiers n’avait pas crié autant de fois « BIATCH ! » dans un concert.
« Can I get a « suuue« … » Une bouteille d’eau qui traîne ? Meth s’en vide une moitié sur la tête, l’autre part en gouttelettes au ras des premières rangées. C’est toujours moins déglingué que son comparse Redman qui, lors d’un concert à Washington D.C. en juin 2001, s’était saisi d’un jerrican d’eau de 8 litres, avait multiplié les moulinets en direction de la foule, avant de finalement lâcher l’obus contre un ampli, les yeux rougis sans doute par un excès de natation… Lorsque Meth a envie de se dégourdir les jambes, il saute dans le public. A chaque fois qu’il remonte, il lève les bras au ciel tel Willem Dafoe dans « Platoon », un grand éclat de rire en sus. « Présente ton pote Karl-Heinz La Turbulence » s’exclame Guy, rapport à un autre ami commun, responsable du bris de nombreux sommiers d’hôtels à force de sauter à pieds joints dessus jusqu’à ce que le jour se lève… Bref.
Les morceaux s’enchaînent en rafale, tirés de chacun des solos de l’homme aux cigarillos : Tical (1994), Tical 2000 : The judgement day (1998), Tical O : The prequel (2004), 4:21 The day after (2006). Meth pioche également du côté de ses nombreuses collaborations, notamment avec Redman, ainsi que, forcément, dans le répertoire du Wu. « When I say Wu-Tang, you say Clan » exhorte Meth en retournant son médaillon sur son coeur. Quelques couplets extraits de ‘Shame on a nigga’, ‘Protect ya neck’, ‘Wu-Tang Clan ain’t nuthing ta f’ wit’, ‘Triumph’, ‘Do you really (Thang Thang)’ ou ‘C.R.E.A.M.’ font autant de trous dans les oreilles de l’auditoire. « Ma parole, je vais aller le sucer » complimente sobrement Guy. Dans la fosse, un type trouve des clefs par terre. Il demande autour de lui à qui elles appartiennent. Personne. Il est sur le point de renoncer lorsque un gars en nage le choppe par la manche. A voir ses cernes et son visage reconnaissant, celui-ci a bien dégusté lors des précédents mouvements de foule, et cela fait un moment qu’il cherche ses clefs… Autour, ça braille et ça saute de tous les côtés. « Putain, c’est comme un match de l’OL à Gerland » s’exclame Guy, dont les vociférations et autres célébrations toutes en pudeur et en retenue sont, là aussi, bien connues des services de sécurité du stade en question.
Quelques jours avant ce concert, Method Man a soufflé ses 36 bougies. Un âge symbolique pour l’un des piliers de la dizaine de colocataires de la 36ème chambre de Shaolin. C’est en effet à deux jours de ce même anniversaire que son vieux complice Ol’ Dirty Bastard avait cassé sa pipe, par une triste journée de novembre 2004. Aussi Meth décide-t-il de lui rendre hommage. Au sortir d’un freestyle a capella de sumotori, il demande à la salle de faire péter les portables et les briquets dans l’obscurité. Le résultat lui arrache une main sur le coeur et un « Respect, c’est cool » sincère, en français dans le texte. Guy : « Et humble avec ça ! Je surkiffe ce mec. » D’autant que Meth enchaîne avec une tirade qui a tout pour plaire au fou des Balkans : « ODB used to love his family, his clan, his friends, his fans and music. And he used to love pussy, too. Let’s celebrate him ! » Et voici Meth parti dans une reprise de ‘Shimmy shimmy ya’, ‘Brooklyn zoo’ et ‘Baby I got your money’, chorégraphies déjantées à l’appui avec l’ami Streetlife… Si des élections présidentielles avaient lieu à cet instant dans la salle, Meth serait élu au 1er tour avec pas loin de 100% des voix. A la fin de ‘Judgement day’ – qu’il a amorcé avec la même voix inquiétante que dans l’album -, il ponctue le compte à rebours final par une course d’élan d’enfant terrible des piscines et… un salto avant dans la foule, avant de remonter triomphalement et de dire en français au public à genoux : « Je vous aime« .Putain mais pourquoi il était pas là au Zénith en 2004 ? » s’interroge Guy. Il est vrai que la prestation du Wu-Tang avait alors paru si décevante que beaucoup en avaient oublié qu’une constellation amputée d’une ou deux étoiles – ODB n’était pas présent non plus ce soir-là, pour raison judiciaires – n’est plus une constellation. Ce jour-là, Meth avait été retenu par un tournage. Rétrospectivement, l’absence de son charisme fut un sérieux handicap pour le crew. D’origine burundo-pakistanaise, l’homme aussi connu sous le nom de Iron Lung ou Johnny Blaze semble avoir ce petit quelque chose qui distingue l’as de studio de la bête de scène. Et si ses derniers albums n’ont pas toujours été bien reçus par le public, c’est peut-être avant tout parce qu’ils sont taillés d’abord pour la scène. Or il se trouve que, depuis une bonne génération, nous autres auditeurs-consommateurs de rap avons de plus en plus – que nous le voulions ou non – un fauteuil greffé au cul lorsqu’il s’agit d’écouter une nouveauté. Etrange génération que celle qui distribue des bons points à un monde qu’elle n’a découvert qu’assis…
00h30.
Le concert s’achève. Method Man dégouline d’eau et de sueur. Le public l’applaudit longuement. Guy est heureux au point de devenir tactile – il est comme ça, Guy. Il n’y aura pas de rappel. Ce n’est pas nécessaire : Meth s’est arrêté au bon moment. Ni trop tôt, ni trop tard : au bon moment. Il a encore marché sur quelques têtes, joué avec son dentier, demandé à tout le monde de jumper puis de lever deux doigts et de crier après lui « Peace« . Puis il s’en est allé.
Debout à l’arrière-scène, Jean-Marc Mougeot, l’instigateur du festival, a le sourire du travail bien fait. La lumière se rallume. Une partie de la foule s’en va. L’autre scrute encore un peu la scène, dans l’espoir que peut-être… Bonne pioche : Method Man revient. Il a troqué son T-shirt noir ruisselant contre un T-shirt blanc floqué à son nom. Une façon discrète de rappeler qu’il y a un stand à l’entrée et un peu de marchandises à écouler, hé hé. Il lance le T-shirt trempé dans la foule, dit encore merci et s’en va pour de bon.
Dehors, Guy est sur un nuage. La soirée se poursuivra au Quick Drive du coin, pour le plaisir de prolonger ce bon moment. Des regrets ? Il manquait peut-être ‘Torture’ ou ‘Relerase Yo’ Delf’ pour que la fête soit totale, mais qu’importe ? Il y aura tant à raconter à Papa-au-Rhum et, peut-être, dans quelques années, à notre propre descendance… N’en déplaise à Nas, tant qu’il y aura des Method Man, le hip-hop sera bien vivant. Il peut même croire en de meilleurs lendemains.
« As we dwell through this concrete hell, calling it home
Mama say, take your time young man and build your own
Don’t wind up like your old dad
Still searching for them glory days he never had
So many bad want to scheme for American dream, no more kings
The cash rule everything now, we going down
These babies looking up to us, it’s up to us
The Million Man March MC’s, get on the bus
But envy, greed, lust, and hate, separate
Though the devil mind state blood kin cannot relate
No longer, brothers, we unstable
Like Kane when he slew Abel, killing each other. »
(Method Man, extrait de ‘A better tomorrow’ du Wu-Tang Clan, 1997)