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Melanin 9 était apparu sur nos radars avec sa toute première mixtape, High Fidelity, sortie en 2007. Une époque où, selon ses propres dires, le garçon commençait tout juste à considérer le rap comme autre chose qu’un hobby. Depuis, entre ses projets solos et ceux de ses différents collectifs (Triple Darkness, Orphans of Cush), l’attente autour de M9 n’a fait que grandir. Le Londonien a même savamment joué avec nos nerfs, retardant la sortie de son premier album à plusieurs reprises. À bon escient, peut-on dire rétrospectivement : difficile en effet d’imaginer des grands débuts plus convaincants que Magna Carta, et sa pochette faisant référence à celle de Phrenology (The Roots).
Ce qui a caractérisé les projets de M9 jusqu’à maintenant, c’est une capacité évidente à choisir ses productions, que celles-ci soient originales ou issues de faces B. Cette compétence se retrouve sur Magna Carta. Le Londonien a fait appel à des noms peu connus pour la plupart (7th Dan, Anatomy, Hey!Zeus) mais ayant fait leurs preuves sur les sorties de Triple Darkness. La sélection de beats est diversifiée mais cohérente, privilégiant les instrumentaux cotonneux et mélancoliques, et gardant le côté lo-fi du boom-bap des années 1990 sans pour autant tomber dans la désuétude. De ce fait, se dégage de Magna Carta une ambiance particulière, chaleureuse et vaporeuse, renforcée par la relative concision de l’album.
Côté rap, M9 se singularise par un accent assez peu marqué pour un rappeur anglais, mais aussi par un flow fluide et assuré. Pas de roulements ou d’accélérations, la sobriété est de mise. Celle-ci est au service d’un discours qui se veut réfléchi et mature. Le Docteur Malachi Z. York et d’autres écrivains afrocentristes sont ainsi convoqués, pour des va-et-vient entre les rues d’Hackney et la spiritualité. Rap conscient oblige, quelques longueurs sont à regretter, notamment sur des sujets traités avec sincérité mais si souvent abordés par le passé, comme les brutalités policières (« Organised Democracy ») ou la douleur des parents dont les enfants ont été assassinés dans la rue (« The 7 Blues »).
Si ces titres sont loin d’être désagréables, on préférera des morceaux aux thèmes moins clairement définis, comme « Magna Carta », « Cosmos » ou l’excellent « White Russian ». Ce dernier voit intervenir Roc Marciano, seul rappeur ne faisant pas partie de Triple Darkness à avoir été invité. La collaboration entre le New-Yorkais et le Londonien apparaît d’ailleurs comme une évidence, tant leurs univers musicaux ont en commun. Pour le reste, la chanteuse Madame Pepper assure trois refrains. M9 évite ici un écueil qui aurait pu nuire à l’impression globale laissée par l’album : Madame Pepper n’a rien d’une choriste r’n’b à la plastique bien plus agréable que la voix. Ses prestations ne servent pas uniquement à faire baisser le niveau de testostérone de l’ensemble, mais plutôt à donner une autre dimension aux titres sur lesquelles elle pose, ce qu’elle parvient assez bien à faire.
Avant d’être un bon MC, Melanin 9 est avant tout un grand fan de rap. Le choix des faces B sur ses mixtapes en témoigne, tout comme la série de mixes livrés il y a quelques années sur son blog. L’Anglais a dû s’enfiler des heures de maxis et d’albums, obscurs ou non, et en a visiblement tiré quelques précieux enseignements quant à la façon de faire de bons disques. Magna Carta ne possède pas de moment de folie, où M9 aurait choisi de donner une direction inattendue à sa musique. Mais tout dans le projet respire l’intelligence, et un savoir-faire assez impressionnant pour un garçon sortant son premier album et n’ayant pas encore atteint la trentaine. La saga continue donc : une étape de plus est franchie avec succès pour M9 et, si l’on saura apprécier à sa juste valeur Magna Carta, on attendra la suite avec encore plus d’impatience que précédemment. Au moins pour savoir jusqu’où le garçon peut aller.
Jusqu’ici, la carrière de Cyrus Malachi s’est apparentée à un quasi-sans faute. Un premier opus prometteur avec son groupe Triple Darkness, des apparitions remarquables sur les projets de ses accolytes (Melanin 9, Jon Phonics, Endemic, etc.) et deux mixtapes, The Isis Papers Pt.I et Pt.II, qui ont achevé de nous convaincre que le garçon avait beaucoup à offrir. Malgré un buzz moindre que celui de son collègue M9, Cyrus est le premier membre de TD à sortir un album solo avec Ancient Future. Et fait donc entrer le crew londonien dans une nouvelle ère.
Cyrus Malachi, c’est en premier lieu une voix rocailleuse, facilement reconnaissable, et parfaitement en adéquation avec l’univers sonore du rappeur de Hackney. C’est également une plume en aller-retour constant entre rue et spiritualité, rappelant inévitablement certains illustres satellites du Wu (Sunz Of Man, Killah Priest) ou Jedi Mind Tricks époque The Psycho-Social LP. L’attention portée aux textes donne une intensité et une profondeur devenues rares à certains morceaux, tels que « Black Maria », relatant l’incarcération du MC, l’oppressant « Brave New World » ou le titre final, « Solomon’s Temple ». L’espoir a droit de cité dans l’œuvre, par le biais de la découverte de l’âme sœur (« Duality »), la famille (« Kemetic Love ») ou les souvenirs d’enfance (« Concrete Flowers »), mais la tendance générale est au pessimisme. Ce qui est parfaitement relayé par la teneur musicale de l’opus.
Les mixtapes de Cyrus Malachi ou de son compère Melanin 9 ont utilisé majoritairement des instrus excellents et obscurs, piochés sur des faces B de maxis US. Il paraissait donc légitime de se demander si sur album, avec uniquement des beats originaux, la qualité de la production serait maintenue. Les craintes sont rapidement levées, et l’efficacité des supports dépasse même les attentes. La veine d’ensemble reste la même, et les inspirations sont clairement à chercher du côté de QB ou de Staten Island, époque mid-nineties. Mais tout en demeurant fidèle à ces influences, Cyrus Malachi a su sortir de sa zone de confort. Il fallait en effet de l’audace pour poser sur les beats de « Streets of Sodom », « Elemental » et surtout de l’étrange « Brave New World », au break de batterie qui va et vient et à l’atmosphère pesante au possible. Au final, sur la vingtaine de prods d’Ancient Future, seules une ou deux manquent d’épaisseur, sans pour autant être mauvaises. Pour le reste, de l’atmosphérique « Dark Skies » à la mélodie triste et entêtante du lo-fi « Animal Circus », l’album constitue une démonstration en matière de choix d’instrus. Qui confirme, si besoin en était, le savoir-faire des beatmakers anglais, Beat Butcha et Chemo en tête, capables en 2011 de faire un boom-bap ni trop propre ni désuet.
Il convient d’apporter quelques petits bémols à ce bilan, qui laisserait imaginer un album exempt de défaut. Tout d’abord, si Cyrus Malachi s’impose comme un excellent lyrciste, il peut très largement progresser en tant que rappeur. Certains problèmes dans le contrôle de sa respiration et un flow parfois trop linéaire le confirment. Par ailleurs, le passage soulful en milieu d’album aurait pu être précieux. Mais l’univers d’un MC comme Ruste Juxx est trop éloigné de celui de Cyrus pour ne pas que les titres en question (« King Cobras » et « Bulldozers ») ne détonnent pas dans un ensemble très homogène. Sans que ces morceaux ne soient désagréables, la rupture avec l’atmosphère générale est un peu trop radicale.
Un disque que l’on peut écouter en boucle sans sauter de piste, malgré sa durée, quelques titres très marquants (« Dark Skies », « Slang Blades », « Animal Circus », « Black Maria »), voilà assurément la marque des grands albums. En conclusion, à travers Ancient Future, c’est tout le bien qu’on pensait de Cyrus Malachi et des siens qui est confirmé. Triple Darkness et tous ses affiliés s’imposent définitivement comme l’un des collectifs les plus prometteurs du moment. On attend la suite avec impatience, et notamment le premier opus solo de Melanin 9.