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Côté pile : un sens certain de la musique, du charisme à revendre, une grande capacité à fédérer. Côté face : l’incapacité à gérer sa colère, sa frustration et ses penchants autodestructeurs. Marc Gillas alias Rud Lion a été, entre autres, musicien pour Tonton David et Alain Bashung, figure des sound systems parisiens, manager d’Expression Direkt. Et il aurait bien pu devenir quelqu’un qui compte dans la musique française pendant plusieurs décennies, mais ses démons ne lui en ont jamais vraiment laissé la chance. C’est cette vie intense, chaotique et courte que raconte Raphaël Malkin dans son livre Le Rugissant, paru en septembre dernier aux éditions Marchialy. Un récit impressionnant de détails, fruit d’un travail de longue haleine, pour éclairer la trajectoire brinquebalante d’un personnage méconnu qui continue, vingt ans après sa mort, de hanter ceux qui l’ont côtoyé.
Abcdr : Peux-tu nous raconter ton parcours et nous parler de l’environnement dans lequel tu as grandi ?
Raphaël Malkin : Je suis parisien pure souche. J’ai grandi dans le dix-huitième arrondissement, mais je suis incapable de dire si le fait d’avoir vécu dans une terre de rap comme celle-ci m’a influencé dès le départ. Je suis tombé dans le rap quand j’avais une dizaine d’années comme beaucoup de monde de ma génération, mais davantage dans le côté US que français. Ma porte d’entrée, ç’a été l’album posthume de Notorious B.I.G., Born Again. Je l’ai acheté à onze ans à la FNAC de la Gare Saint-Lazare… Je te passe les détails de l’épiphanie, comme des milliers de gens peuvent en avoir dans ces cas-là. Pendant toute mon adolescence je me suis construit une culture et une mythologie américaine. J’ai grandi avec Biggie, avec Mobb Deep, avec Boot Camp Clik. J’ai rattrapé mes classiques du rap français vraiment très tard, aux alentours de la vingtaine. Par exemple, je découvre Ideal J à cette période-là.
A : Comment te lances-tu dans le journalisme ?
M : J’ai fait Sciences Po à Paris puis une école de journalisme. J’ai vécu une année à New York quand j’avais vingt ans, à Bombay aussi. En 2009, j’ai co-créé un magazine culturel qui s’appelait Snatch, qui est devenu mensuel au bout d’un certain temps et qui a existé jusqu’en 2015. Pour mes collègues et moi c’était à l’époque le moyen de satisfaire des envies de grands reportages. Parallèlement à mon intérêt pour le rap, j’ai une passion pour le journalisme au long cours et les récits d’aventure. Pour des types comme Gay Talese, Joseph Mitchell, David Grann, Tom Wolfe aussi, dans une moindre mesure… Ce sont eux qui ont forgé ma façon de voir le journalisme. Snatch m’a permis de faire des papiers sur la musique, des papiers sur des bandits et de voyager partout dans le monde. Depuis 2015, je travaille pour le magazine Society. Je suis un peu devenu le spécialiste des États-Unis dans la rédaction. Je fais des allers-retours presque tous les mois et j’écris sur plein de sujets différents, qui peuvent aller des inégalités raciales aux grands récits politiques, en passant par les créateurs de mode par exemple. J’ai vécu un an aux États-Unis en tant que correspondant, je suis rentré en novembre dernier. Je vivais dans la baie de San Francisco. J’ai donc fini d’éditer le bouquin sur Rud Lion depuis la Californie.
A : Tu es né en 1987, donc tu es au début de la trentaine. Pourtant, tu t’es un peu spécialisé dans une période que tu es trop jeune pour avoir vécu pleinement : les années 1990. Ton premier livre, Music Sounds Better With You, parlait ainsi de la French Touch, le second est une biographie de Rud Lion, mort en 1999. Est-ce que tu as une fascination particulière pour cette période ?
M : Je ne sais pas si on peut parler de fascination, mais j’ai un grand intérêt pour le passé et notamment pour la seconde moitié du 20e siècle. Pour moi, les années 1990, c’était la dernière époque où le champ des possibles était immense, où la spontanéité érigée en règle de fonctionnement pouvait mener à quelque-chose. J’ai l’impression que le rap de cette période et l’histoire de Rud Lion en sont les parfaites illustrations. Bien sûr avec Internet on peut faire plein de choses, mais à l’époque il y avait un esprit très débrouillard et défricheur qui selon moi est mort à la fin des années 1990. Peut-être qu’aujourd’hui ça renaît en quelque sorte avec l’utralibéralisation des réseaux sociaux et notamment avec l’usage qu’en font les artistes. Mais ce côté très artisanal de l’époque me fascine. Je trouve ça impressionnant ce que des mecs comme Rud Lion ont pu faire avec leur seule passion en bandoulière.
A : Maintenant que ton second livre est sorti, quel regard jettes-tu sur ton premier bouquin, Music Sounds Better With You ?
M : C’était un exercice un peu particulier. Je n’ai jamais été un grand fan de musique électronique. Dans ma vie il y a toujours eu le rap, américain surtout, et très loin derrière les autres gens musicaux. Je prends beaucoup plus de plaisir à bouger la tête chez moi sur « Shook Ones » qu’à aller en club. Mais pour Music Sounds Better With You , l’occasion a fait le larron. J’avais écrit un très long papier pour la sortie du film Eden en 2014 [NDLR : Eden, de Mia Hansen-Løve, s’inspire du parcours de Sven Løve, frère de la réalisatrice et figure des débuts de la French Touch]. J’avais vraiment réuni beaucoup de matière restée inexploitée pour l’article et je me suis dit qu’il était dommage d’en rester là. J’ai décidé d’en faire un livre, j’ai proposé l’idée à une maison d’édition, Le Mot et le reste, qui a immédiatement été partante. J’étais plus intéressé par l’histoire qui pouvait être racontée que par le sujet de base. Ce livre m’a servi de modèle pour la suite. La méthode est la même que pour Le Rugissant : j’ai mené de très longues interviews pour le réaliser, l’écriture est nerveuse, les événements sont traités de manière chronologique. Mais je le trouve bardé de défauts dans l’écriture, j’aurais pu aller plus loin dans l’enquête et je n’ai pas trouvé satisfaisant le travail d’édition fourni par Le Mot et le reste. J’avais fait le choix de m’éloigner de la musique pour raconter la vie des protagonistes et eux ont décidé de recentrer sur la musique. Au final, le bouquin se tient quand même et la réception a été plutôt bonne, mais si ça n’avait tenu qu’à moi j’aurais essayé d’élargir le sujet.

A : Pour en venir au Rugissant, comment as-tu découvert le personnage de Rud Lion ?
M : Ça date de l’époque de Snatch. J’ai rencontré plusieurs personnes du rap et de la musique électronique et le nom de Rud Lion revenait souvent. Tout le monde avait une anecdote à raconter sur lui. Je me souviens notamment que Philippe Zdar m’a parlé quelques fois de lui. Il avait l’air d’être haut en couleur, un peu bigger than life. Par déformation professionnelle, j’ai commencé à m’intéresser à lui. C’est le genre de personnages qui me passionne depuis toujours, dans la musique ou ailleurs : les éminences grises, les auras fortes. Je me suis rendu compte qu’il y avait peu d’informations sur Internet, à part de brefs articles de forums, quelques vidéos un peu foireuses. Et aussi la vidéo simili-biographique postée par son frère Yannis sur YouTube. Tout ça m’intriguait beaucoup. J’ai grandi près des puces de Clignancourt, je suis un habitué de ce coin : près de là-bas, il y a une fresque représentant Rud Lion avec un singe sur l’épaule. Quand j’ai réalisé ça, j’ai été encore plus interpellé. J’ai gardé tout ça dans un coin de ma tête pendant très longtemps, en me disant qu’il y avait forcément quelque chose à écrire sur ce type-là. Jusque là, je n’en avais parlé à personne. Et puis il s’est passé deux choses : un jour où je n’avais pas grand-chose à faire au bureau j’ai écrit un message à Weedy d’Expression Direkt, un peu comme on lance une bouteille à la mer. Je lui ai dit que je voudrais écrire sur Rud Lion, mais que je n’avais pas de matière et que j’aimerais lui en parler. Entre le moment où j’ai écrit ce mail et le jour où on s’est rencontrés, il s’est écoulé un an. Je suis allé le voir à la sortie d’une école de piano où il prenait des cours et il m’a sorti quelques anecdotes qui m’ont définitivement convaincu qu’il fallait faire quelque chose. Le deuxième élément déclencheur, c’est Papalu : on s’est parfois croisés, on a des amis en commun, on a bossé sur des projets éditoriaux à l’époque de Snatch. Je ne sais plus exactement comment, mais j’ai fini par comprendre que Lucien avait grandi avec Rud Lion. Je lui ai envoyé un mail et il m’a répondu dans la minute : « Putain c’est ouf, j’en parlais avec ma meuf hier. » En quelques lignes, il m’a dit qu’il fallait à tout prix faire quelque chose. Mais je l’ai eu au téléphone peu après et il m’a dit : « Fais-le, mais moi je ne parle pas des morts et je ne te parlerai donc pas de lui. » Je me suis donc lancé à partir de là. J’ai commencé à recenser un maximum de personnes qui auraient pu croiser Rud Lion en me basant sur ce que j’avais trouvé sur Internet et sur les quelques prénoms que m’avait donnés Lucien. J’ai aussi fait une interview plus formelle de Weedy puis des autres membres d’Expression Direkt, en me disant que ça allait me donner un premier éventail de pistes à explorer : recueillir leur histoire, leurs souvenirs, leurs points de vue sur Marc mais aussi récolter d’autres noms pour aller plus loin. Tout ça, c’était au début de l’été 2017.
« Rud Lion, c’est le genre de personnages qui me passionne depuis toujours, dans la musique ou ailleurs : les éminences grises, les auras fortes »
A : C’est donc ce fil que tu as commencé à tirer pour aboutir aux quatre-vingt-dix entretiens que tu as menés pour réaliser le bouquin.
M : C’est ça. Quelqu’un me parlait de quelqu’un d’autre qui me parlait d’une troisième personne, et ainsi de suite. À chaque fois que je finissais un entretien, je savais que j’avais deux autres personnes à contacter derrière. Il y a eu deux moments assez forts dans cette série d’entretiens : le premier, c’est quand j’ai interviewé les mecs d’Expression Direkt tous ensemble. C’était à la fin de la tournée L’Âge d’or du rap français. Je suis allé à Brest pour les retrouver et je les ai interviewés à la terrasse de mon hôtel. Ça a duré une heure et demi, ils se sont retrouvés en retard pour leur concert, ils ont dû prendre des douches en catastrophe dans ma chambre. [Rires] Ils m’ont indiqué plein de personnes à contacter, des gens dont je n’avais pour la plupart jamais entendu parler. La deuxième rencontre très forte, c’est celle avec Doudou Masta. Il pensait depuis assez longtemps à faire quelque chose sur Rud Lion, mais il ne savait pas quoi. Il a accepté de m’aider de bon cœur et m’a ouvert des portes que je n’aurais jamais pu ouvrir sans lui. J’ai ainsi pu parler à de vieux amis d’enfance et à des compagnons de cellule de Marc, des personnes qui n’auraient jamais voulu parler si Doudou n’avait pas fait l’intermédiaire.
A : Dans d’autres interviews tu as parlé de Rud Lion comme d’un personnage « solaire ». Qu’entends-tu par ce terme ?
M : Je m’attarde dans le livre sur sa part d’ombre, sur le fait qu’il était très redouté et qu’il n’hésitait pas à dépasser les bornes – très souvent pour de mauvaises raisons. Mais c’est aussi quelqu’un qui a un sens de l’inspiration extraordinaire et du génie créatif. Il savait également attirer les gens autour de lui et donner envie de se mettre dans sa roue. Il avait quelque chose de puissant dans sa personnalité, de fascinant. On avait envie de participer à ses aventures. C’est en cela que je dis de lui qu’il est solaire : il ramenait les gens, il les charriait derrière lui. Ce côté fédérateur, il ne faut pas l’oublier ou le faire passer après toute sa noirceur. Ce sont deux côtés qui fonctionnent ensemble et qui, quand on regarde sa vie, se valent. Ce n’est pas que mon avis, c’est aussi celui de tous ceux qui l’ont aimé et qui ne se voilent pas la face à son propos. Ces gens, quand on ne parle que de son côté solaire diront « attention, c’est aussi quelqu’un à qui il arrivait de ne pas être bon. » Et quand on mettra en avant sa noirceur ils diront « mais c’était aussi quelqu’un qui a réussi à mener des projets à bien car il savait rassembler. » Et là, on parle autant de la compilation Ghetto Youth Progress en 1994 que des balbutiements de la Mafia K’1 Fry. Je me suis d’ailleurs retrouvé par hasard en interview avec Kery James et la première chose qu’il m’a dite quand j’ai évoqué Rud Lion c’est : « Quand on bossait avec lui, c’était extraordinaire. Ça a lancé quelque chose.«
A : En parlant de noirceur, différents épisodes assez sordides ont émaillé la vie de Rud Lion. Il y a notamment une condamnation pour viols collectifs avec les Requins Vicieux à la fin des années 1980. Comment fait-on pour dépasser ce genre de faits d’armes scabreux ? À aucun moment tu ne t’es dit que ce n’était pas justifié de raconter la vie d’un gars qui avait de telles casseroles ?
M : Il y a une trajectoire romanesque dans sa vie : artistiquement, Rud Lion a vraiment compté à un moment, il a créé des choses. Ça se superpose au fait que c’est quelqu’un qui voulait aller tellement vite qu’il a fini par exploser. Si ce n’avait été qu’un bandit qui s’était fait plomber parce que mêlé à des embrouilles, ça n’aurait pas été justifié d’écrire un bouquin sur lui. Là, la légitimité du livre est due au fait qu’il y a d’un côté une puissante créativité et de l’autre une personnalité borderline. Des mecs qui sont de simples bandits, il y en a plein. Mais Marc a participé au développement d’une musique. Il a, à un moment, incarné ce qui est devenu un phénomène culturel majeur en France. À partir de là, pour moi ça rendait légitime d’écrire sur lui. C’est également ce qui a convaincu l’éditeur. L’histoire avec les Requins est effectivement compliquée. Mais c’est aussi quelqu’un qui est capable de donner énormément d’amour, de se montrer assez vulnérable sur le plan sentimental, de s’ouvrir. C’est notamment le cas à la toute fin de sa vie, quand il est avec Juliette. Il a des relations assez ambivalentes avec les filles, ça dépend de sa situation dans la vie. Comme tout en fait : il ricoche systématiquement entre le très bon et le très mauvais.
A : Est-ce qu’il y a des informations que tu as récoltées dont tu ne t’es pas servi, que tu as préféré censurer ?
M : Je n’ai rien censuré à proprement parler. Mais je n’ai pas utilisé certaines histoires d’algarades, d’échanges de coups, de coups de feu parce qu’il y en avait vraiment à la pelle. Tout le monde en avait une à raconter. Et il ne s’agissait pas de faire un catalogue de bastons et de ne montrer qu’une facette du personnage. Il a donc fallu faire du tri et je considère qu’en racontant ces embrouilles avec parcimonie, on comprend très bien qui il est. Ce n’était pas nécessaire d’en faire des pages et des pages. C’était une question d’équilibre, pour avoir un propos nuancé mais aussi pour ne pas alourdir le texte. Il y a d’autres choses qui n’ont pas été utilisées, plus graves, car on en dit déjà assez dans le livre et ça ne me paraissait pas utile de remuer la merde pour rien.
A : Étant données certaines anecdotes et certaines allusions, ton enquête a dû inquiéter certaines personnes j’imagine.
M : Inquiéter, non… La démarche en a fait tiquer certains. Des personnes ont essayé de m’avertir, en me disant qu’il pouvait m’arriver deux ou trois bricoles sur le chemin.
A : Quand tu dis qu’on t’a averti, c’est pour te mettre un coup de pression ou juste pour te dire de te méfier ?
M : Non, vraiment pour me dire de faire attention à moi, d’être prudent. Ce que je comprends très bien, ça reste un sujet sensible. J’ai peut-être eu de la chance, mais en tout cas je n’ai pas eu de menaces.
A : Tu parles très en détail de sa dernière soirée et de son meurtre. La description est très précise. Quelle est la place de l’extrapolation dans ce chapitre ?
M : Il y a peut-être une part d’extrapolation sur les sentiments qui pouvaient animer Marc à ce moment. Là j’ai fait un effort d’imagination. Mais sur les faits, j’ai une très gros source, un mec qui aurait dû être là mais finalement ne l’a pas été et à qui on a tout raconté en détail. J’ai essayé de tout vérifier derrière et je pense que dans l’ensemble c’est très fidèle à la réalité. Je n’ai pas eu accès au dossier pour la simple et bonne raison que la version que possédait la famille a été perdue dans un déménagement. Idem pour la version de l’avocat de la famille, elle a été perdue dans le déménagement de son cabinet. L’avocat des personnes qui ont été accusées et blanchies pour le meurtre a arrêté de me répondre au bout de plusieurs appels. Le parquet a refusé de me communiquer le dossier pour une raison simple : comme il n’y a pas eu de condamnation, les accusés bénéficient de la protection de la vie privée.
A : Y a-t’il des choses qui t’ont surpris dans son parcours ?
M : Je trouve ça étonnant que Marc se soit trouvé dans les parages à chaque moment important que vit le rap à une certaine époque. Il est là à l’époque du Bataclan, à l’époque des sound systems, quand La Haine sort, quand NTM commence à se faire un nom, quand « Mon esprit part en c… » arrive… Il est tout le temps dans le coin ! En plus à une période décisive dans l’histoire du rap français. Et en même temps, il rate le train à chaque fois, plein de gens réussissent mais pas lui. Il est incapable de concrétiser parce qu’il a une personnalité qui fait que d’autres choses l’attirent. Et ses coups de sang ne sont pas ceux de tout le monde : il décide de tirer sur la porte du Bataclan parce qu’on ne le laisse pas rentrer, de fracasser la gueule de gens qui ne lui reviennent pas en studio.
A : Tu parles de lui comme d’un homme de l’ombre, comme d’une éminence grise.
M : Oui, il me fait penser à un creative director à l’américaine, un mec qui donne de grandes directions artistiques. Ça s’ajoute à un sens très aigu de la musique : il sait jouer du piano, il a appris tout seul, en total autodidacte. Il sait où la musique doit aller et il arrive à transmettre ses idées aux gens qui sont avec lui en studio.
A : Il y a clairement une contradiction entre ce rôle d’éminence grise, qui a priori nécessité beaucoup d’abnégation, et l’égoïsme qu’il affiche très régulièrement.
M : Complètement ! Mais Rud Lion n’est que contradictions. Ça marche pour plein de choses, comme par exemple pour son ambition à devenir quelqu’un dans la musique et son incapacité à y parvenir du fait de coups de sang. Ça marche pour le fait de déclarer sa flamme à des femmes mais d’être très dur avec elles. D’être un homme de confiance pour certaines personnes et d’en trahir d’autres, ou quand il décide d’adhérer à la philosophie rasta et que derrière il fait n’importe quoi. C’est ça en permanence, il ricoche. C’est ce qui fait son intérêt, son humanité. Les anecdotes se succèdent et le lecteur finit par comprendre qui est Rud Lion. Et quand il ferme le bouquin, il n’est certainement pas surpris de comment les choses se sont terminées. L’idée ce n’était pas d’empiler les détails mais de donner les clés pour comprendre le destin de Marc.
« Quand il lance Ghetto Youth Progress il a l’impression que le monde est à lui »
A : Tu parles d’un monde que je connaissais peu et qui est assez fascinant, celui des sound systems parisiens. Ça ne t’a pas donné envie d’écrire un bouquin sur cette scène-là ?
M : Franchement j’ai envie d’arrêter d’écrire sur la musique, mais ça aurait pu. C’est un monde à part entière qui recèle de mille et un personnages fantastiques. C’est aussi ce qui fait le sel de Paris ce genre de scène, on gagnerait à la mettre en exergue. Tout y est encore à défricher.
A : Pour toi, c’est quoi sa période la plus heureuse ?
M : Quand il lance Ghetto Youth Progress il a l’impression que le monde est à lui. Il pense certainement avoir réalisé un tour de force, parce qu’il fait ça en indépendant. Rassembler autant d’artistes, cela n’avait jamais été fait à cette époque-là en France. Il signale très clairement qu’à partir de ce moment tout est possible : dans le communiqué de presse qui accompagne l’album, il est question de conquête de Paris et de conquête de la France. S’il s’était tenu à carreau, s’il avait eu plus de rigueur et de discipline dans le pan musical de sa carrière, tout était effectivement possible. Jusqu’aujourd’hui. C’est vraiment l’histoire d’un énorme gâchis.
A : Je vois deux grands absents dans cette histoire : le premier c’est Doudou Masta. Tu le remercies pour son aide à la fin du livre mais il n’est pas mentionné dans le récit. Pourquoi ?
M : Ce sont les aléas de ce genre de travail, quelqu’un peut te donner une masse d’informations énorme mais les moments qui le concernent ne sont pas si importants et ne méritent pas forcément qu’on s’y attarde.
A : Deuxième personne absente, Melaaz. J’avais lu qu’à l’époque où elle travaillait avec Philippe Zdar sur son album elle était en couple avec Rud Lion.
M : Je l’ai eue au téléphone, elle est même venue à une séance de dédicaces à Vitry. Elle a lu le livre, il lui a beaucoup plu. Je n’en ai pas parlé parce que j’avais déjà suffisamment d’éléments sur ses relations avec les femmes, sur sa situation à l’époque où il la rencontre. À un moment, j’ai regardé la liste des personnes que j’avais à rencontrer et j’ai mis en face mon calendrier de rendu… Il fallait faire des choix, le bouquin ne pouvait pas faire cinq-cent pages.
A : Elle devient quoi Melaaz ?
M : Elle vivote. Elle a complètement arrêté la musique, elle est mère de famille. C’est une belle carrière gâchée, elle avait énormément de talent et était très précurseure dans ce que pouvait être une forme de groove à la française. C’était une personne assez fragile, pas forcément bien entourée, et sa place dans le monde de la musique était alors compliquée. Peut-être qu’à certains endroits sa relation avec Marc a également joué en sa défaveur.
A : Durant sa jeunesse, Marc a vécu quelques temps en Côte d’Ivoire avec son père et son demi-frère. Par la suite, lors d’un passage en prison, il a écrit ses mémoires sur cet épisode. Tu as eu accès à ces écrits ?
M : Non, pas du tout. Ce sont des bribes de papier que la vie a éparpillées. Il en a envoyé des morceaux à différentes personnes qui les ont perdus avec le temps.
A : Donc ce que tu dis dans le livre de son séjour en Côte d’Ivoire c’est son demi-frère que te l’a raconté ?
M : Oui, ses deux frères m’en ont parlé ainsi que des amis de la famille. Je me suis aussi basé sur des souvenirs que j’ai de l’Afrique, où je vais souvent : les couleurs, les odeurs, l’atmosphère, etc.
A : Une figure est particulièrement marquante dans le livre : celle de la mère de Marc, Annick. Sa vie ressemble à un long chemin de croix : enfant de la DDASS, un mari volage, un fils ingérable, la maladie…
M : On a l’impression qu’elle est frappée par une malédiction. Galère sur galère, larmes après larmes. Pourtant, Annick est toujours présente pour ses enfants. C’est aussi de ça dont je voulais parler, de ces gens qui en bavent en permanence dans la vie.
A : Tu as pu la rencontrer ? Elle est toujours en vie ?
M : Non, elle est décédée en 2004.
A : Pour rester dans la famille, en faisant des recherches je suis tombé sur la vidéo de prêche de son demi-frère, Yannis Gautier, où il évoque Marc. C’est la mort violente de Rud Lion qui l’a fait se tourner vers la religion ?
M : Je pense que ça l’a énormément marqué, mais c’est plusieurs choses qui l’ont conduit à changer de vie. Sa trajectoire est aussi extrêmement dure. Il s’est fait incarcéré un peu avant la mort de son frère, pour une sale histoire. Puis à sa sortie il a rencontré quelqu’un. La personnalité de Marc le hante encore énormément, comme Jérôme, son autre frère.
A : Parmi tous les gens que tu as rencontrés, est-ce que certains avaient encore du ressentiment envers Marc, près de vingt ans plus tard ?
M : Oui. Des gens n’ont pas voulu parler parce que ça remuait trop de choses en eux. Plus par peur que par ressentiment d’ailleurs… Ceux qui ont peur ont du ressentiment aussi, sauf que ça passe derrière la peur. Quand il est mort, il y a vraiment énormément de gens qui auraient pu le fêter, qui étaient soulagés. Et des personnes de tout bord : de la musique, de son environnement proche, impliquées dans des trafics…
A : Quand il arrive aux Sables d’Olonnes pour y passer une partie de son été, Marc n’a pas d’argent. Son premier réflexe est d’aller fracasser le dealer local, surnommé Satan, pour prendre sa place et faire savoir que dorénavant toute transaction passera par lui. Est-ce que tu as poussé le vice jusqu’à interviewer Satan ?
M : J’aurais pu essayer mais non. En revanche j’ai interviewé la personne à qui Marc a coupé les dreadlocks dans un accès de colère. Pour tout te dire, il y a encore une fascination certaine de sa part pour Rud Lion, il s’est laissé embarquer dans un hommage assez extraordinaire.
A : Tu disais avoir découvert Rud Lion à travers des anecdotes, que tout le monde semblait avoir quelque chose à raconter sur lui… Maintenant que tu as fait ce livre, est-ce que tu penses que la légende est à la hauteur de toutes ces histoires ?
M : Oui, clairement. C’est l’un des derniers pirates de France. Il a traversé une époque en étant le cul entre deux chaises et avec malgré tout un certain brio, à la fois dans son génie et dans ses échecs. C’est ce qui fait la puissance de l’histoire à la fin. Par plein d’endroits, Marc me fait énormément de peine et je ne rêve absolument pas d’avoir eu sa vie. Mais son parcours méritait d’être raconté, ne serait-ce que pour ce qu’il dit d’une époque et d’une ville, Paris. Il y avait ces trajectoires folles, où tout tanguait entre différents univers, différentes humeurs, différentes lumières. Aujourd’hui, le contexte décrit dans le livre s’est perdu. Tout a changé, je ne sais pas si c’est en bien ou en mal. Même si Marc n’est pas fascinant, il est digne d’intérêt. Des gens comme lui il y en a peu.
Abcdr Du Son : On te voit souvent comme le grand frère de plusieurs artistes du rap français. Est-ce qu’il y a des gens qui t’ont tendu la main à tes débuts comme tu as pu le faire pour d’autres par la suite ?
Manu Key : J’ai commencé au début des années quatre-vingt-dix à écouter du rap à la maison, notamment sur Radio Nova. A l’époque, j’étais très inspiré par Renaud Séchan qui écrivait des textes fabuleux sur la société, en mêlant dénonciation et vannes. C’est ce qui m’a donné envie d’écrire et j’essayais de recopier ses textes. J’avais un cahier dans lequel je recopiais ses paroles quand ses morceaux passaient à la radio [Sourire].
Vers 91-92, j’ai vraiment commencé à écouter du hip-hop à la maison avec EPMD, Public Enemy… C’est la rencontre avec DJ Mehdi en 1992 qui m’a vraiment lancé. Ensuite, il y a eu la découverte de Illmatic, le premier album de Nas. C’est vraiment un disque qui nous a mis dans l’écriture, dans la construction de thématiques autour des morceaux, dans le son… On avait déjà créé Different Teep mais c’est Illmatic qui nous a donné l’impulsion pour nous organiser plus sérieusement. On était beaucoup plus brouillon avant la sortie de cet album. Ce disque nous a poussé à nous structurer.
A : Comment s’est faite la rencontre avec Mehdi ?
M : Cut Killer m’a dit qu’il connaissait un jeune compositeur qui lui avait envoyé une maquette. On s’est rencontré via son intermédiaire. Mehdi faisait déjà du son chez lui avec son 4 pistes et c’est ce qui nous a permis d’enregistrer nos toutes premières maquettes. C’était nos tout premiers pas dans le rap parce qu’à l’époque on n’avait pas moyen d’aller dans des studios. C’était trop cher et, de toute façon, on ne savait même pas où c’était, comment enregistrer… On n’avait aucune notion de tout ça.
« La sortie d’Illmatic nous a poussé à nous structurer. »
A : Même s’il n’y en avait pas beaucoup, est-ce que les albums de rap français qui sortaient à l’époque pouvaient vous motiver ?
M : A l’époque, il y avait NTM mais c’était déjà beaucoup trop gros pour nous. « Ils enregistrent dans des studios immenses, ils font la première partie de Madonna« … Il n’était pas question que l’on se compare à eux même si on les écoutait. On essayait plutôt de savoir comment ils en étaient arrivé à sortir des disques. En faisant des maquettes, des scènes… On voulait emprunter ce chemin pour se faire connaître.
A : C’est à cette époque là que tu rencontres Mista Flo et Lil Jahson ?
M : C’est en 91. Mista Flo habitait à Orly où il y avait des après-midi dansantes tous les samedi à la MJC. Tout le monde se rencontrait et on savait qui rappait, qui venait de quel quartier… Ça a duré pendant deux ans. A l’époque, je touchais un peu à tout : danse, graffiti, rap…
A : A quel moment se forme le groupe Posse Ideal ?
M : Le Posse Ideal se forme quand on créé Different Teep et qu’on découvre Kery James en 92 qui habitait juste à côté de la MJC. On y était un mercredi en train de répéter et d’écrire nos textes. La salle était fermée quand j’entends frapper. Là, je vois un petit black d’1 mètre 25 avec un calepin dans les mains [Rires]. « Bonjour, j’écris des textes de rap« . On est tous un peu surpris et on lui demande de nous montrer un texte. « Nan, mettez un son et je vais le rapper ». On a mis un instru et il a commencé à débiter ses textes. On lui a dit de venir tous les mercredi et il a répondu présent. Ensuite, on a vu un deuxième jeune, un troisième et on s’est dit que ça serait bien de les mettre ensemble et de former un groupe de petits. A partir de là, ils se sont appelés Ideal et on était tout le temps ensemble.
A : On entend souvent que Kery avait quelque chose de plus que les autres dès le début. Tu l’as senti ?
M : Oui parce que Kery était quelqu’un de super fort à l’école quand il était jeune et il lisait beaucoup de bouquins. Son père était instruit et l’a poussé à s’intéresser à ça. Kery était déjà en avance par rapport à ça et tous ses textes étaient déjà très engagés. Ça nous étonnait et on se demandait si c’était vraiment lui qui écrivait ses textes ! [Sourire] On se disait qu’il était vraiment au-dessus.
Pour le tester et être sûr qu’il était bien l’auteur de ses textes, on lui disait de revenir la semaine d’après avec un texte fini sur un thème précis… Et il revenait avec son texte ! Il était trop fort, il ne fallait pas le lâcher.

A : A l’époque, il y avait un côté très « rap parisien » et vous étiez du Val-de-Marne. Comment avez-vous réussi à faire parler de vous à l’extérieur de votre département ?
M : La radio, les concerts… On a fait les festivals qui se tenaient à Porte de la Villette et Ideal J avait également fait la première partie de NTM au Palais des Sports. A partir de là, le public a commencé à s’élargir et on a eu de la demande à Paris mais également en province.
A : Est-ce que tu peux nous refaire l’histoire de la structure Alariana ?
M : C’est une structure qui est apparue en 1995. Tout ce qui a été fait de 1992 à 1995 se faisait via une association que l’on avait montée avec Mehdi. C’était le moyen de recevoir des subventions pour enregistrer des maquettes et aller en studio et c’est grâce à ça qu’on a pu faire La route est longue, le premier maxi de Rohff « Appelle-moi Rohff », le premier maxi de Karlito, le premier EP de 113 Ni barreaux ni frontières en collaboration avec Alariana. Ca s’est fait via l’oncle de Mehdi à l’époque qui avait une plus grosse structure. A partir du moment où on a décidé de sortir des disques à l’échelle nationale, il fallait que l’on passe par une plus grosse structure et l’association ne suffisait plus. On leur a fait confiance et on entretient une relation familiale depuis une quinzaine d’années.
A : Tu fais un peu figure de doyen au sein de la Mafia k’1 Fry. Quel est le rappeur qui t’a le plus impressionné ?
M : Un peu tout le monde. La progression de Dry a été fulgurante, Kery a toujours sorti des textes de malade, Karlito est arrivé en 94 avec une nouvelle façon d’écrire et de parler… Chacun avait son style et l’a peaufiné au fil des années. On découvrait au fur et à mesure des qualités nouvelles chez tous les rappeurs.
La progression de Dry a été assez impressionnante. Le premier truc qu’il a posé c’était sur mon album Manu Key en 1998. Il faisait seulement un refrain et les gens ont vraiment aimé. « Qui c’est le mec qui fait le refrain ? J’aime bien sa voix« . Ensuite, il a fait Intouchables et, à force de beaucoup écrire, il a perfectionné son style. Il a trouvé une identité et, aujourd’hui, c’est un rappeur aussi côté que Kery qui découpe quand il fait un featuring, qui a une voix reconnaissable, un vrai flow, des thèmes diversifiés… Il a même réussi à faire des morceaux avec Gims et à passer à la radio. Il est vraiment reconnu comme un rappeur de premier plan.
A : Il y a un documentaire sorti récemment sur Kery dans lequel on te voit comme le mentor d’Ideal J. Quel regard portes-tu sur ces années-là ?
M : Ce sont des souvenirs fous parce qu’on a commencé par faire des maquettes dans une chambre avec Mehdi, on est allé à Tikaret pour avoir des enregistrements plus propres pour démarcher les maisons de disques alors que tout le monde nous fermait la porte au bout de cinq minutes de rendez-vous… Alors, faire la tournée Ideal J avec tous les potes et remplir des salles de concert, c’était incroyable. On arrivait à mettre de l’argent de côté pour louer un car, investir dans le décor de la scène… C’était magique et sans prise de tête. On avait réussi à organiser une bonne quinzaine de concerts de quartier dans l’année en téléphonant aux MJC. Généralement, les MJC acceptaient parce qu’on avait déjà sorti un disque.
On s’en foutait qu’il y ait 200 personnes dans la salle. On voulait juste rapper et on a vraiment monté cette tournée nous-même.
A : Par la suite, tu as assuré la direction artistique de certains des plus gros succès du rap français. C’est à ce moment que tu t’es découvert cette fibre ?
M : Ça m’a toujours plu d’assister à la naissance d’un morceau. Par exemple, quand Mehdi a fait l’instru des « Princes de la Ville », j’ai voulu le proposer à 113 et voir s’ils allaient rapper dessus. Au départ, l’instru n’était pas aussi rapide et c’est moi qui lui ai demandé de l’accélérer : « Accélère, accélère, on va voir s’ils vont réussir à rapper dessus » [Sourire]. Ils ont réussi et on connaît l’histoire du morceau.
A chaque fois que je me retrouvais avec Mehdi, on proposait pas mal d’idées et quand les membres de la Mafia nous suivaient, ça donnait une vraie richesse aux morceaux. Je me suis rendu compte que j’étais à l’aise dans ce rôle et j’ai voulu apporter ma patte à certains albums.
A : Comment tu t’es retrouvé à le faire sur Le cactus de Sibérie ?
M : Je connais Oxmo depuis ses débuts dans le rap. Il était venu me voir en me disant qu’il écrivait et qu’il avait un style décalé. J’avais trouvé ça mortel. Ensuite, il a fait son chemin et sorti son premier album qui reste un super classique. A partir du moment où je connais bien la personne, je suis capable d’analyser ses limites et de lui proposer certaines idées : « tu devrais parler de ça, ce couplet doit rester basique, ici tu devrais faire un refrain un peu chanté… » On essaye de créer l’atmosphère autour du morceau.
« Parfois, ma vision ne se portera pas sur l’ensemble de l’album parce que les artistes peuvent avoir des idées bien arrêtées sur certains titres. »
A : « Pour ceux » est l’un des clips les plus marquants du rap français et a souvent été copié. Est-ce que tu peux revenir sur l’approche que vous avez adoptée ?
M : C’est venu complètement par hasard et ça s’est fait en 24 heures. En fait, on cherchait à clipper un morceau mais on ne savait pas encore lequel. On décortiquait tous les morceaux en se demandant lequel nous représenterait le mieux, celui sur lequel on était assez nombreux… On s’est dit que, finalement, on s’en foutait de Skyrock et des radios et qu’il ne fallait pas faire un choix en fonction d’eux. Comme tout le monde posait dessus, on décide de prendre « Pour ceux ». Ensuite, on s’est posé une question : qui était capable de clipper ça et qu’est-ce qu’on pourrait faire avec cette vidéo ?
Un jour, je me ballade sur Internet et, à cette époque, Kourtrajmé avait un petit buzz. Ils faisaient des trucs un peu fous et, en cherchant qui se cachait derrière tout ça, je tombe sur Romain Gavras. J’aimais bien le côté décalé et Oxmo avait son numéro parce qu’il trainait souvent avec ces mecs. On l’appelle et on va le voir chez lui à Montreuil. On lui explique qu’on aimerait faire quelque chose dans l’esprit Kourtrajmé, garder le côté décalé. Il écoute le morceau et nous dit immédiatement qu’il y a un truc dingue à faire. Il nous dit qu’il veut en discuter avec son collègue. C’était le mercredi.
« Romain voulait presque que les gens poussent le cameraman mais on lui a dit de ne pas dire ça sinon ça aurait pu mal se finir. »
On y retourne le jeudi et il a trouvé une idée : « Voilà, j’ai un truc mais il va falloir assumer grave ». Il veut nous faire rapper tout nu dans la rue ou quoi ? [Rires] Finalement, il nous explique qu’il veut filmer la vie du quartier à l’état pur. C’est à dire montrer le bordel, les motos, les keufs, les pitbulls… « Ok, mais tu vas faire ça comment ? » « C’est à vous de rassembler tout le monde et nous on vient filmer. On peut tourner dès que vous êtes prêts » « Ok, c’est faisable. On est jeudi, on tourne samedi. » On a passé des coups de fil pour que Orly-Choisy-Vitry se rassemble. Kourtajmé est venu le samedi midi et le clip a démarré comme ça. Il n’y avait pratiquement pas de synopsis mais ils avaient des idées précises sur 2-3 mecs. Ils voyaient OGB dans un grec, ils avaient imaginé une scène de fou avec Demon One… Romain avait un pote dresseur de chiens et on est allé à soixante bornes pour tourner la scène de Demon One avec les chiens. Pour le reste, l’idée était d’être super naturel. Romain voulait presque que les gens poussent le cameraman mais on lui a dit de ne pas dire ça sinon ça aurait pu mal se finir [Sourire]. En tout cas, ils voulaient vraiment faire quelque chose de dingue.
A l’époque, on n’avait pas encore signé chez Sony mais on était en pourparlers. On avait convoqué Nicolas Nardone en studio pour l’écoute de l’album et la vision du clip. Il écoute l’album pendant une heure et à la fin nous fait une tête du style « wow, il est dur le truc quand même » [Sourire]. On l’amène dans la salle de projection pour lui diffuser le clip. A la fin, il applaudit et dit « je signe ». Il était convaincu que ça allait tout péter.
D’ailleurs, c’est lui qui a eu l’idée de faire des milliers de copies de ce clip sur VHS et de les envoyer à toutes les MJC de France. De notre côté, on avait pris pas mal d’exemplaires pour nous qu’on avait distribués dans nos quartiers. Deux semaines après, tout le monde parlait du clip et de la sortie de l’album.
« Romain voulait presque que les gens poussent le cameraman mais on lui a dit de ne pas dire ça sinon ça aurait pu mal se finir. »
A : Vous avez conscience d’avoir crée une mode avec ce clip ?
M : Oui dont « 93 Hardcore » qui était plus ou moins réussi… En tout cas, on a toujours considéré que « Pour ceux » était le clip le plus fort. Après, certains sont partis dans la surenchère en tirant sur les gens mais on savait qu’on avait fait le truc en premier. Je suis très fier de ça parce que ça a servi de buzz à Romain Gavras. Je suis fier de pouvoir dire que ce clip a propulsé la personne qui tourne des clips pour Jay-z et Kanye West aujourd’hui.
A : A une époque, il y avait une alchimie particulière avec Dany Dan et cette folle rumeur d’un album en commun…
M : [Sourire] Elle existe toujours cette rumeur d’ailleurs ! On s’est revu il y a un petit mois dans le cadre de l’album Magic que je suis en train de faire et on en a reparlé. C’est quelque chose qui peut se faire très vite et il faut juste trouver le temps. A l’époque de « Gravé sur tes shoes », c’était nouveau de voir des mecs de deux groupes différents collaborer pour un titre. On en était vraiment à nos débuts et on n’a jamais trouvé le temps pour se poser dessus. J’étais un peu dégouté qu’il l’ait fait avec Ol’Kainry 5-6 ans après mais on s’en reparle dès fois et on sait qu’on peut le faire en trois semaines de temps. Aujourd’hui, ils ont retrouvé un second souffle avec les Sages Po donc il sera assez pris… Mais l’idée n’est pas enterrée [Sourire].
A : Au rang de tes grandes collaborations, il y avait aussi le morceau « Quai 54 » qui réunissait du beau monde.
M : Je suis fan de basket depuis vingt-cinq ans et j’avais envie de regrouper des gens que j’aimais bien pour parler du sport qu’on aimait et non pas de rue. L’idée était de parler de ce sport qui nous fait vibrer. Tout le monde est venu et a posé des couplets terribles.
Aujourd’hui, je suis énormément la NBA et je suis également coach de basket donc je suis encore à fond dedans. C’est ma passion.
A : Tu parlais de l’album Magic en hommage à DJ Mehdi. Est-ce que tu peux nous en dire quelques mots ?
M : C’est un projet qu’on a commencé depuis deux mois et c’est quelque chose qui me tient à coeur parce que je sais que Mehdi l’aurait fait pour moi. C’est un projet qu’on se doit de bien réaliser et qui doit d’être à la hauteur de Mehdi. C’était quelqu’un que tout le monde respectait musicalement et on se doit de faire un bel album… Parce que c’était quelqu’un qui aimait vraiment la musique. Si on sort quelque chose de moyen, ça va le desservir et on n’en parlera même pas comme d’un hommage. Les invités seront des gens que Mehdi connaissait, qui ont eu l’occasion de travailler avec lui et qui veulent lui rendre hommage.
On a commencé à enregistrer avec des gens comme Rocé, les Sages Poètes, IAM, le Rat Luciano… Ils ont tous répondu présents et on avance doucement sur la suite. Il y aura Rocca, Wallen, des gens du monde de l’électro avec Justice, A-Trak, Chroméo… Sans compter la Mafia et Kery bien évidemment. Il s’agit vraiment de rendre hommage à quelqu’un qu’on a perdu trop vite, qui a apporté beaucoup de choses à la musique et qui était la raison du succès de certains albums.
A : Comment est-ce que sa redirection vers le monde de l’électro avait été vécue au sein de la Mafia k’1 fry ?
M : Au départ, certains ne comprenaient pas mais, en ce qui me concerne, j’avais immédiatement compris ce choix. Mehdi a commencé à faire des sons en 92 et, à l’époque où il a quitté le hip-hop, il y avait déjà fait tout ce qu’il avait à y faire. Il a été à l’origine du gros succès de 113, il a fait des sons pour Ideal J, pour Intouchables, pour IAM, pour Passi, pour la FF, il a fait des remixs… En 2000, il avait fait le tour de la question et c’était aussi le moment pour lui de rencontrer d’autres personnes qui allaient l’influencer. Il est toujours resté dans le rythme du hip-hop mais il cherchait seulement à trouver d’autres sonorités.
Il m’avait dit qu’il voulait se retirer du hip-hop et faire autre chose. Il commençait à apprendre à jouer de la guitare, il commençait à changer de machines… Il y a aussi eu un tournant au début des années 2000 dans le rap qui lui a fait perdre de l’intérêt pour ce mouvement. Il voulait juste faire de la bonne musique sans se soucier du passage radio. Il était en recherche de naturel : monter sur scène, jouer des sons, prendre son pied, partir en tournée. C’est ce qu’il a retrouvé dans l’électro. Il adorait les voyages, il a pu partir aux États-Unis, au Japon, en Australie… Il s’est éclaté via la musique. Dans l’électro, il a retrouvé le côté naturel et sans prise de tête de nos débuts dans le rap. Les gens l’appelaient pour le booker en lui disant “il y a tel budget sur ton compte et vous vous en arrangez comme vous voulez”. Avec ce budget, ils réservaient les avions, les chambres d’hôtel sans que ça ne crée jamais d’embrouille.
« Dans l’électro, Mehdi avait retrouvé le côté naturel et sans prise de tête de nos débuts dans le rap. »
Il a toujours été très ouvert musicalement et il a insufflé sa culture hip-hop et ses influences dans l’électro qu’il a proposé. Il a fait son chemin jusqu’à en devenir reconnu internationalement. Sur la fin, on ne s’était même pas rendu compte que Mehdi était devenu mondialement connu !
A : Récemment, Gaspard de Justice nous disait que c’était très compliqué de faire découvrir un morceau à Mehdi tant c’était un boulimique de sons. Il a toujours été comme ça ?
M : Déjà, son père était un grand collectionneur de disques de soul et de funk et a inculqué ça à Mehdi. Très jeune, Mehdi s’est intéressé aux samples et à la rythmique. En plus, il est devenu rapidement bilingue et a eu l’occasion de voyager ce qui lui a permis d’accroître sa connaissance musicale. C’est vrai que ça a toujours été compliqué de lui faire découvrir un morceau [Sourire]. Il était calé en hip-hop, il était calé en soul et il s’est demandé comment ça se faisait que les gens aimaient autant l’électro… C’est comme ça qu’il est rentré dedans.
A : Tu avais écrit certains couplets sur Le combat continue, Zoxea t’avais déjà écrit certains textes également… C’est quelque chose que l’on voit rarement dans le rap où les rappeurs sont souvent assez protecteurs vis-à-vis de leurs textes. Comment est-ce ça se passait ?
M : Ça se faisait assez naturellement. Parfois, tu vas arriver aux limites de tes capacités sur un morceau : tu n’as pas de refrain, tu ne sais pas comment construire ton morceau… C’est à ce moment-là que tu dois collaborer. Comme je te le disais, j’avais déjà cette fibre de DA donc j’ai toujours aimé donner mon avis. Parfois Kery invitait Corona sur un morceau et, à l’époque, l’écriture n’était pas son fort. Du coup, je l’invitais à l’appart et je lui écrivais son texte. C’était aussi le cas pour Rocco, Mokobé ou Mista Flo. Je savais quel flow devait sortir sur quel morceau et comment faire en sorte que le morceau leur convienne en fonction de leurs possibilités.
De la même manière, j’arrive à me rendre compte quand j’arrive à une certaine limite. C’est pour ça que je faisais appel à Zox ou à Rocé aujourd’hui sur certains morceaux. Je sais qu’il y a des gens que je côtoie depuis des années qui écrivent très bien et je n’ai pas de problème à les appeler pour qu’ils me donnent un coup de main.
A : Rocé est également quelqu’un que tu avais chaperonné puisqu’il avait un solo sur l’album La rime urbaine de Different Teep.
M : C’est quelqu’un qui bougeait avec nous lorsqu’il était très jeune et j’ai toujours aimé son écriture qui se rapprochait parfois de la poésie. J’avais dit aux autres qu’il y avait un mec super fort avec un morceau intitulé « Respect » et qu’il fallait le faire découvrir aux gens. Mehdi a proposé de le mettre dans l’album et on l’a invité au studio un jour. Il connaissait son texte par coeur et on avait bouclé le titre en une heure.
Depuis, il a fait du chemin et a gagné un vrai public. Je suis allé le voir à son concert à la Bellevilloise et j’étais choqué parce que tout le monde connaissait ses paroles par coeur et passait un super moment… Il fait ses albums dans son coin avec son équipe et réussit proprement à vivre de sa passion.
« Le succès ne nous a jamais affecté parce que c’est quelque chose qui vient avec le travail. »
A : Quel regard portes-tu sur la génération actuelle et notamment sur les jeunes rappeurs du 94 ?
M : J’écoute de tout, que ça vienne du 94 ou d’ailleurs. Que ça passe en radio ou que ça reste underground, je vais écouter les morceaux. De la même manière que ces jeunes nous écoutaient à l’époque, je les écoute avec intérêt aujourd’hui. Il y a des trucs que j’aime et d’autres que j’aime moins… J’essaye de garder dans un coin de ma tête les personnes que j’apprécie.
Globalement, je trouve que ça met un peu moins de temps à se mettre en place qu’avant et que c’est un peu moins riche dans la forme. Je pense qu’il y avait plus de recherche avant dans les textes et dans le fond.
A : Tu es de ceux qui pensent que le rap c’était mieux avant ?
M : Non, pas du tout parce que c’est un cycle. Il y a une jeunesse qui nous a écouté et qui prend la relève mais elle n’est pas forcément moins talentueuse. Et puis la question de savoir si c’était mieux avant ne se pose pas puisque nous, les rappeurs d’avant, sommes toujours là. Si c’était mieux avant, tu arrêtes une bonne fois pour toutes et part avec tes souvenirs.
A : Est-ce qu’il y a des jeunes rappeurs avec qui tu aimerais collaborer ou qui t’ont particulièrement plu ?
M : [Il hésite] Dans les nouveaux rappeurs, je n’ai encore rien trouvé qui m’ait réellement frappé. C’est pour ça que je dis que ça met un peu plus de temps à se mettre en place. A l’époque, quand les X-Men sortaient un morceau, on prenait immédiatement une gifle.
A : On a souvent vu la Mafia comme un collectif un peu à part qui ne voulait pas se mélanger. Comment est-ce que vous regardiez les mecs de Time Bomb à l’époque ?
M : On les écoutait et on appréciait parce que c’était complètement différent de ce qu’on pouvait faire. Tant que ça ne se ressemble pas, c’est cool. On n’allait pas apprécier des mecs qui rappaient comme nous mais, là, il y avait des flows et des textes novateurs.
Aujourd’hui, on a du mal à se prendre des gifles dès la première écoute…[Il hésite] La dernière gifle doit remonter à la première fois que j’avais écouté Youssoupha avec « Éternel recommencement ». En remontant un peu plus loin, il y avait le Rat Luciano. Récemment, j’ai vu de bonnes choses mais rien ne m’a impressionné.
A : Il y a plusieurs carrières au sein de la Mafia k’1 Fry avec des trajectoires différentes. Est-ce que le succès de certains a pu affecter les relations entre vous ?
M : Le succès ne nous a jamais affecté parce que c’est quelque chose qui vient avec le travail. 113 avait travaillé et avait sa bonne étoile donc ça a fonctionné, Kery a toujours persévéré et on savait que son talent finirait par payer… Ça n’a jamais gêné qui que ce soit et, aujourd’hui, les gens sont encore là.
Après, il y a parfois eu des problèmes d’égo à gérer mais c’est logique dans les relations humaines. Je ne pense pas que ça vienne d’une forme de jalousie de certains membres. Sinon, on se serait tiré une balle dans le pied.
A : Concernant ton actualité, est-ce qu’il y aura autre chose hormis Magic ?
M : Il y aura la réédition de Manuscrit à la rentrée avec deux inédits dessus qui ont été faits il y a un moment mais qui me plaisent encore aujourd’hui. Ensuite, il y aura vraiment Magic qui va prendre du temps et qui se peaufinera petit à petit. On prévoit une sortie début 2013.
Dans le rap français, on aime critiquer Rohff. Des fois c’est à raison pour « Animal » ou « Dans Ma Werss », des fois, c’est pour chercher la petite bête (vous vous rappelez des critiques sur la pochette du Code de L’Honneur ?). Ça n’empêche sûrement pas Rohff de dormir ni de manger (après tout, « c’est pas les jaloux qui font [ses] courses« ). Mais s’il y a un rappeur qui mérite une vraie réhabilitation critique en France, c’est bien lui. Et pour aller plus loin, son disque le plus intéressant est également celui que beaucoup considèrent comme le moins abouti. Je parle bien sûr du très auto-centré Au-delà de mes limites.
Après tout, ça tient à une foule de petits riens, la réussite d’un album. Au-delà de mes limites est un moins bon album que La Fierté des Nôtres, pourtant Rohff y rappe bien mieux. En plus, c’est un disque plus honnête : Rohff ne s’offre même plus de respectabilité avec des conseils de vie sur fond de refrain latino. Non, le propos se limite à un sujet : Rohff lui-même, puisque même les morceaux à thèmes sont prétextes à des égotrips à n’en plus finir ou à des morceaux d’introspection. Long, répétitif, parfois fastidieux, Au-delà de mes limites offre néanmoins Rohff à son meilleur de niveau de rappeur depuis longtemps. Longue montée d’adrénaline, entre sentiment d’invincibilité et parano insubmersible, Au-delà de mes limites, c’est comme la chronique d’un bref moment au sommet du rap français. Pour aller dans le sens de Rohff, ça fait penser à Tony Montana dans sa résidence avant que les Colombiens viennent le finir : un mec arrivé à un niveau fragile de succès et qui sait que la chute le guette. Entre ivresse des sommets et angoisse vertigineuse, Rohff assène de l’égotrip comme un mantra destiné à le rassurer (« Trop Dangereux », « Premier Sur le Ghetto », « La Puissance » …) plus qu’à vraiment effrayer la concurrence.
Rohff – « La Puissance »
Heureusement, il est aussi capable de caser une confession dans un morceau à gimmick (« se remarier en mode divorcé, c’est corsé/mes parents m’ont eu en mode mariage forcé » dans « En Mode »), de transformer une ode aux disparus en autoportrait en creux (« Regretté »), de s’en prendre à son crew originel jusqu’au malaise (« Seul contre tous », « Relation de merde »), de pondre un cousin européen à « Moment Of Clarity » (« J’ai pleuré la mer en retrouvant le paternel« ), Rohff reste seul tout au long de l’album : le feat de Jam s’oublie vite, les apparitions d’Ikbal sonnent comme un écho de sa propre conscience et quand il invite les deux plus gros vendeurs de l’époque (Diam’s et Kool Shen) c’est pour leur faire rapper un refrain à sa gloire (« Roh2f, tu nous bombardes à la tête/Dis-nous comment tu aif/qu’on arrête de se prendre la tête« ). Ce qui sauve l’ensemble de ces deux heures de mcing orgueilleux, c’est une démonstration de technique qui ne dit pas son nom et qui fait de Rohff un rappeur hors pair qui n’a pas besoin de dire des choses renversantes pour faire son effet (la preuve, récemment dans « Rap Game », quand il dit « Si to the mother fucking si, si si/Ouais ouais to the mother fucking ouais/Ouais Ouais Ouais !« , on a l’impression que c’est une punchline) et dont la spontanéité de l’écriture dissimule un vrai sens de la formule (« Le rap va crever le même jour que moi/le rap, il lui manque une dent et il a des grosses joues, comme moi« ).
Rohff – « Regretté »
Exigu et oppressant, Au-delà de mes limites n’a pas la force fédératrice de La Fierté des Nôtres, c’est sûr. Les singles programmés visent à côté (« Bonne Journée », « Mon nom », « Bol d’Air » …), comme si Rohff faisait exprès de rater le format radio (c’est quoi cette idée de mettre deux chanteuses différentes sur un même morceau ?), comme si, l’espace d’un instant, il avait cessé de vouloir faire le grand écart permanent entre « Qui Est L’Exemple » et « Ce Son C’est La Guerre », « Le Mot d’Ordre » et « Zone Internationale ». Du coup, on comprend mieux la volonté de Hostile d’avoir voulu cette réédition, sortie quelques jours après le retour de Rohff dans la Mafia K’1 Fry (il est reparti depuis) et quelques mois avant ses problèmes judiciaires et familiaux (vous devez être au courant). Dans ce disque, Rohff a ajouté un inédit « Dirty Hous », mais c’est surtout le texte des dédicaces qui a de l’intérêt si vous voulez mon avis. Entre égotrip, introspection, ébauche de remise en question et création du futur refrain de « Frais », il fait presque office de bonus track fantôme. C’est long mais ça vaut le coup alors c’est parti pour la retranscription in extenso : « Je remercie le Tout-Puissant pour les bienfaits et les épreuves, à chaque mal un bien, que Dieu nous guide. Ma famille pour le soutien moral et affectueux, la rue pour sa fidélité et mes fans parce que quelque part, c’est grâce à eux que je n’ai plus à faire de conneries pour manger. Je reste vrai jusqu’à la dernière note de mon son, la dernière goutte de mon sang. Ma perception du rap n’est certainement pas celle d’un programmateur de grande radio, ni celle d’un D.A. Je les entends rapper, ils n’ont pas fait mieux. Je chante avec mes tripes, sans artifices sans me prostituer dans les émissions de Olé Olé, c’est mon combat, je ne suis pas prêt à tout pour vendre des disques ou à être célèbre. Je reste digne de mon histoire, partagé entre les Comores et la France, la rue et le Showbiz, ce qui explique peut-être ce sentiment de trouble caractériel provoquant parfois de la contradiction dans mes écrits, mais continuons à travailler sur nous-mêmes« . Un code de l’honneur, assurément.