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Qu’il est loin le temps où Lupe Fiasco fédérait les foules autour de « Kick Push » et de « Superstar ». Lancé par Jay Z qui le fait signer chez Atlantic, mis en orbite par Kanye West qui lui offre une visibilité inédite en l’invitant sur « Touch the Sky », le natif de Chicago avait tout pour devenir l’une des plus importantes têtes d’affiche du rap outre-Atlantique. Il sort alors deux grands albums avec Food & Liquor en 2006 et The Cool en 2007, qui le révèlent définitivement comme un lyriciste hors pair, amateur de métaphores fournies et de concepts au long cours (la trinité The Cool, The Streets et The Game, trois personnages récurrents dans la mythologie de l’artiste). Mais par la suite, une fâcheuse tendance à annoncer puis annuler des albums et plusieurs mésententes avec Atlantic, décidément peu à l’aise avec ses artistes les plus « pointus » (Saigon ou Little Brother en ont aussi fait les frais), vont petit à petit avoir raison de la pertinence artistique de Lupe Fiasco.
Fâchés de ne pas déceler de singles potentiellement exploitables sur la première version (bouclée fin 2009) de Lasers, son troisième album, les pontes du label l’obligeront à revoir sa copie du tout au tout. À moitié renié par l’artiste, l’album sortira finalement en 2011, très bien accueilli par le public (plus de 200 000 ventes la première semaine, son meilleur score), beaucoup moins par la critique (pour donner un ordre d’idée, il récolte un petit 57% sur Metacritic quand son prédécesseur faisait 77%). Lupe Fiasco relèvera bien la barre avec un correct Food & Liquor II : The Great American Rap Album pt. 1, mais le mal est fait. Le cœur n’y est plus, et le public est ailleurs : preuve en est, ses ventes en première semaine chutent de plus de moitié. La seconde partie ne verra finalement pas le jour, et l’on sent Lupe, fatigué de jouer les équilibristes, s’embourber dans un combat sans fin entre ses désirs de liberté et son statut d’artiste mainstream qu’il doit maintenir face à un label toujours plus tyrannique.
Cinquième et dernier album de Lupe Fiasco pour Atlantic, Tetsuo & Youth est sorti en début d’année dans une indifférence polie : des ventes qui diminuent drastiquement (42 000 unités la première semaine) et une couverture médiatique réduite, même de la part du milieu rap. Et pourtant, disons-le dès maintenant : il s’agit sans problème de son disque le plus réussi depuis The Cool. Peut-être parce que, pour d’obscures raisons (et une intervention providentielle ?), c’est aussi son disque le moins édulcoré. Las de la bataille, fatigué des pressions du public et de divers lobbies, Atlantic aurait-il décidé de lâcher prise pour ce dernier projet avec le rappeur de Chicago ? Toujours est-il que les mains déliées, Lupe livre un album sans vrai single évident, hors format, à la pochette (une peinture sur canevas réalisée par ses soins) peu avenante et plutôt anti-commerciale. Sur disque, cela va se traduire entre autres par une flopée de morceaux fleuves. Si l’on passera sur un « Chopper » bien exécuté mais un peu plombé par un instrumental pesant qui tient difficilement sur la longueur (en plus de détonner avec le reste de l’album), « Prisoners 1 & 2 » et « Mural » sont de vraies réussites. La première rappelle à quel point Lupe Fiasco est un artiste aux textes riches de multiples niveaux de lecture : piste unique divisée en deux parties distinctes, elle est à la fois un hommage à un ami emprisonné et une métaphore de sa propre situation dans l’industrie musicale. Gigantesque fresque de neuf minutes, la seconde voit Lupe Fiasco s’amuser de jeux de mots et autres homophones, multipliant les sens et les occurrences avec une rythmique exemplaire. Un exercice qu’il affectionne particulièrement et dans lequel, une fois de plus, il excelle au-delà de tout éloge.
« Lupe Fiasco n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait de la musique pour lui-même. »
L’autre manière pour Lupe Fiasco de casser les canons commerciaux est d’insérer ça et là des moments purement instrumentaux. Qu’ils aient vocation à encadrer un morceau (grand moment que l’ouverture au banjo de « Dots & Line ») ou à découper l’album en parties distinctes (« Summer », « Fall », « Winter » et « Spring »), ils permettent l’aération bienvenue d’un album plutôt long, en plus de souligner son côté organique. Loin des expérimentations froides et électriques de Lasers, Tetsuo & Youth est en effet un disque souvent chatoyant, aux colorations multiples, nanti de chœurs et de grandes orchestrations. Lupe Fiasco retrouve même parfois un vrai sens du refrain (« Deliver » et « Dots & Line », imparables), sans jamais tomber dans les travers « pop sucrée » qui ont pu un temps être siens. Si tout n’est pas encore parfait (« Blur My Hands » avec Guy Sebastien ou encore « Little Death » et « No Scratches » avec Nikki Jean manquent cruellement de corps) et que certains titres demeurent trop en retrait, l’édifice sonore est globalement cohérent, sachant montrer suffisamment de richesse sans jamais desservir celle que l’on retrouve chez le parolier.
Car Lupe Fiasco est l’un des lyricistes les plus doués de sa génération, et il est impressionnant de constater que son cinquième album est peut-être aussi son plus engagé et richement écrit. Qu’il entonne une ode à la liberté et à l’indépendance dans « Dots & Line » ou « Prisoners 1 & 2 », qu’il se fasse chantre des ghettos laissés pour compte dans « Deliver », qu’il chante les louanges de la figure maternelle en parent unique dans « Madonna », la plume de Lupe n’en finit plus de développer images et autres analogies. Là, elle invoque les écrits du météorologue Lewis Fry Richardson (« See big whirls have little whirls that feed on their velocity, and little whirls have lesser worlds and so on to viscosity ») pour représenter la relation bancale et tumultueuse de l’artiste avec la maison Atlantic. Ici, elle prend l’exemple d’un livreur de pizzas refusant de s’aventurer dans un ghetto insalubre pour imager l’impossibilité de délivrer ces zones de non-droit. Là encore, elle joue avec les lettres et les symboles bibliques pour symboliser le fardeau quotidien porté par les jeunes des quartiers difficiles (« White T on they shoulders »). Bardée de références, de métaphores en tout genre, de jeux de mots à sens multiples, elle est une plaie à suivre mais aussi un véritable plaisir à démêler.
Parfois maladroit dans sa propension à trop en faire, par endroits boursouflé jusque dans son cadre surdéfini (les quatre saisons, les quatre côtés de son artwork) trop étriqué pour coller à son désir d’émancipation, Tetsuo & Youth n’est pas exempt de défauts mais reste moins imparfait qu’il est réjouissant. Et surtout il rassure à propos de ce point essentiel : Lupe Fiasco n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait de la musique pour lui-même. Le chemin que prendra la suite de sa carrière – et l’on ne pense pas se tromper en supposant qu’elle sera indépendante – va définir une fois pour toutes le statut de cet artiste coincé entre deux mondes. Si on peut craindre un virage qui s’annonce difficile à négocier, on ne peut que se réjouir à l’idée de voir ce Kunta Kinte des temps modernes, défait de ses chaînes et de ses contradictions, œuvrer dans son intérêt plutôt que dans celui de ses patrons. Grand album de Lupe Fiasco, qui manque sûrement de coffre pour être un grand album tout court, Tetsuo & Youth a la beauté et la réserve d’une promesse encore à tenir. Réserve car comme disait Alphonse Daudet dans La Doulou : « Le prisonnier voit la liberté plus belle qu’elle n’est. »
Yelawolf – « Shake N Bake » (The Ballad of Slick Rick E. Bobby, 2008)
Oh oui, le refrain de ce morceau n’a pas plus de sens que la devise de Ricky Bobby et son pote Cal, « Shake and bake ! », dans le film d’Adam McKay, mais il sonne terriblement bien et c’est tout ce qui compte. Pas le temps de se poser de questions existentielles, on enfile son casque avec des sponsors stupides et on tourne en rond sur un circuit. Avec un accent pas possible, Yelawolf reprend sur ce morceau (et sur cette mixtape) l’histoire du pilote de Nascar joué par Will Ferrell. C’est drôle, jouissif, entraînant, et c’est surtout le signe d’un talent certain pour réussir à nous faire ricaner sur un concept aussi foireux. — David
Médine – « Alger pleure » (Made In, 2012)
Si l’on devait schématiser grossièrement le répertoire de Médine, on pourrait le diviser en trois catégories : l’introspection (« je »), la fiction (« je » ou « il/elle ») et la revendication (« nous »). Peut-être pour la première fois, le barbu du Havre réussit sur « Alger pleure » à mélanger ces trois dimensions avec équilibre. Il y mêle regard subjectif et critique, narration, et surtout mise à nue de ses doutes sur son identité de métis franco-algérien, accompagné par une production au diapason (nappes augustes, guitare électrique troublée, mandole orientale). « Le plus grand combat est contre soi-même », rappelait-il en 2005 ; voilà sa part de lutte intestine. — Raphaël
Bangladesh – « Buy » (Ponzi Scheme, 2013)
Mais qui est Charles Ponzi ? Un financier véreux, escroc notoire, parti de rien et devenu multimillionnaire grâce à un système pyramidal d’investissement : le Ponzi Scheme qui aurait pu inspirer Bernard Madoff. Ponzi Scheme c’est aussi un instantané de l’univers de Bangladesh : un recueil de ses dernières productions chargées d’absinthe et servies à un casting de fins soiffards (2 Chainz, A$AP Rocky, Pusha T, Future), un mélange d’interludes sur ces impitoyables chercheuses d’or et une (lettre de) recommandation d’un de ses pères : Ludacris. En d’autres termes, un apéritif offert par la maison, avant le plat de résistance Flowers & Candy, premier album de l’insaisissable faiseur de sons, toujours proche de Cash Money. Un premier long format qu’on imagine truffé de surprises, comme ce « Buy » avec son sample hautement improbable du gros hit « My Sharona ». — Nicobbl
Lupe Fiasco – « ITAL (Roses) » (Food & Liquor II : The Great American Rap Album pt.1, 2012)
Après la douche froide mâtinée d’électricité que fut Lasers, il est rassurant de savoir que Lupe Fiasco est toujours capable de franches réussites. Alors certes, Food & Liquor II : The Great American Rap Album pt. 1 peine à porter son titre, autant qu’à se montrer digne de l’excellent premier disque du natif de Chicago. Mais derrière une bonne demi-douzaine de beats peu inspirés et autres refrains aseptisés destinés à satisfaire les pontes d’Atlantic, il distille l’air de rien quelques-uns des meilleurs morceaux de son auteur. « ITAL (Roses) », par exemple, parvient à renouer brillamment avec la force et l’universalité qui faisaient la magie de titres tels que l’envoûtant « Hurt Me Soul ». Sur une armée de cornes éclatantes, Lupe y évoque la superficialité du rap, la con-sommation et en profite au passage pour clarifier ses déclarations à l’encontre d’Obama. Et surtout prouver qu’il n’a rien perdu de sa superbe. « Aiight nigga we know« . — David²
ZA – « Putain d’Prédateur » (Brutal Muzik, 2008)
Rares sont les MC chez qui l’on décèle à la fois la violence et l’intelligence de la rue. ZA est un funambule pressé, maintenant l’équilibre malgré le poids des maux. Il n’y a qu’à observer sa gestuelle pour comprendre. Tout est en lui. Pas d’habillage ou d’artifice, juste l’instinct de l’homme et du rappeur, du « vrai ». Et une question, une seule : et si le meilleur rappeur français était Belge ? — Diamantaire
Abcdr du Son : Comment tu te présentes à ceux qui ne te connaissent pas ?
Marvo : Je suis un artiste universel. Je suis un mélange de tout ce qu’est le hip-hop mais mes influences principales sont des gens comme Biggie et Jay-Z. J’ai envie de ramener cet état d’esprit dans le game et dans la musique. Beaucoup de gens cherchent à faire des disques qui vont marcher commercialement et sur lesquels les gens vont danser mais personne ne cherche à faire de la très bonne musique. Moi, c’est exactement ce que je veux : faire de la très bonne musique, riche en émotions et à laquelle les gens peuvent s’identifier.
A : Tu viens de Chicago c’est ça ? Dans quel contexte as-tu grandi ?
M : Chicago est l’une des pires villes américaines. Pas mal d’artistes célèbres viennent ici et se font voler. La misère est présente partout et le taux de criminalité est très élevé. Grandir d’où je viens est compliqué. C’est le genre de ville qui peut te permettre de te réaliser mais aussi de te casser en deux. Si tu réussis ici, tu peux n’importe où parce qu’ici c’est une jungle ! Tu marches dehors et tu ne sais pas si tes amis vont te tuer ou ce qui est susceptible d’arriver. Tu fais un pari quand tu franchis la porte de chez toi. Vivre dans cette ville, spécialement pour un jeune Noir n’est pas une chose facile. La première chose à laquelle on est en contact, ce sont les gangs. Tu cherches les gens qui ont les plus grosses jantes ; ceux qui font figure d’exemple dans le ghetto. Le schéma ne fait que se reproduire encore et encore.
A : Chicago est l’une des villes les plus en vue actuellement. Avec notamment Kanye, Lupe, Consequence, Rhymefest…
M : [il interrompt] Ouais, tu as des artistes qui sont des backpackers mais le truc c’est que la partie ghetto de Chicago ne va pas faire naître des gens comme Kanye West ou Lupe Fiasco. Le ghetto va faire naître des gens qui sont en symbiose avec les rues, des mecs comme moi. Kanye vient du ghetto mais il n’a pas vraiment vécu la vie du ghetto. Kanye a été à la fac. J’ai été à l’école avec Lupe et on se connaît. Lupe n’était pas vraiment un mec de la rue et c’est pour ça qu’il ne parle pas de ce qui s’y passe. Il est plus le genre de personnes qui va te montrer comment t’en sortir, en partant loin du ghetto.
Des artistes comme Lupe, Kanye et Common ne reflètent pas la partie la plus importante de la population de Chicago. Ils reflètent seulement une partie des gens de Chicago qui les apprécient parce qu’ils portent l’étiquette « rappeurs conscients ». Il n’y a pas beaucoup de gens avec cet état d’esprit en ville parce qu’il y a beaucoup de crimes. Ces gars là ne prennent pas un flingue pour tuer quelqu’un qui vit dans le même quartier qu’eux. Je pense que l’industrie de la musique veut donner une belle image de Chicago en mettant en avant des artistes comme Kanye West et Lupe mais ça ne ressemble pas à la réalité de Chicago. Je ne sais pas si tu connais Bump J…C’est à ça que ça ressemble dans le Chi ! Ce genre de musique reflète ce qui se passe réellement à Chicago : cambriolage, vol, meurtre, prostitution et macs. Cette ville est parfaite pour l’éducation. Mon fils sera élevé dans le ghetto parce que ça te rend plus fort. Si tu t’en sors ici, tu peux réussir n’importe où.
A : Je voulais te demander si tu penses que le succès de ces artistes t’a aidé à attirer l’attention sur toi ?
M : Ouais clairement ! A Chicago, tout le monde aime Kanye mais c’est juste qu’il ne représente pas la réalité de Chicago. Il te raconte une partie de l’histoire seulement. Quelqu’un comme moi va te raconter l’histoire dans son ensemble. Kanye West sait qui je suis, Lupe Fiasco aussi, Common pareil. Tous ces gens me connaissent personnellement. Tous les rappeurs savent ce que je peux apporter. Ca fait dix ans que je rappe. J’avais décroché un contrat dans une maison de disques par le passé et ça ne m’a amené nulle part. Je sais que la question n’est pas là. Je ne suis pas le genre de mec qui une fois qu’il a un contrat va dire ensuite « la promotion c’est le boulot du label« . Non ! Je vais aller sur le terrain avec le label. Je vais au front avec eux pour m’assurer qu’ils font leur boulot. Voilà ma vision des choses.
A : Dirais tu que l’expérience que tu as eu lors de ta précédente signature t’a aidé ?
M : Le deal que j’ai eu, ça m’a appris des trucs sur le côté business… et en même temps j’ai développé mes qualités. Cette situation a contribué à faire de moi un meilleur artiste que beaucoup d’autres qui arrivent dans le game juste comme ça. Je suis là dedans depuis des années. J’ai passé du temps avec les meilleurs.
« Mon album ne sera pas un album rempli de chansons pour les clubs. J’aurai 4 ou 5 singles dedans mais le reste de ma musique sera éducative. »
A : Tu es jeune, qu’est ce qui te donne envie de consacrer ta vie à la musique ?
M : J’aime la musique ! Je ne suis pas seulement un rappeur, je joue du piano, je lis la musique, j’écris la musique et je fais des beats. Je suis tombé amoureux de la musique tout petit et j’ai été signé à 15 ans, quand j’étais au lycée. Tout est arrivé si vite que je savais ce que je voulais faire.
A : Comment comptes tu t’imposer dans le milieu ?
M : Ça commence en faisant de la musique de qualité. Si tu fais de la bonne musique ensuite tu vas attirer des vrais gars du milieu. Un gros producteur comme Buckwild, qui a fait des morceaux pour B.I.G, Jay Z, Nas, m’a contacté après avoir entendu un de mes morceaux appelé ‘Dreams of kidnapping an Industry Exec.’ Il prend normalement 30 000 à 40 000 $ pour un morceau et là il m’a donné 4 beats gratuitement parce qu’il était genre : « Ce mec va devenir le prochain Jay Z ! Alors laissez moi lui donner quelques beats comme ça je pourrai dire qu’il a rappé sur mes beats et que je suis l’une des personnes qui l’a découvert. » C’est en faisant de la très bonne musique que tu atteints les sommets. Tous les sommets. C’est le point de départ de tout, et ce qui fait que les gens vont te rejoindre. Quand les gens entendent ma musique, ils entendent la qualité, l’effort et le temps que j’ai mis dedans.
A : Quel était ton état d’esprit quand tu as écris des morceaux comme ‘Dreams of kidnapping an Industry Exec’ ?
M : Quand j’étais en train d’écrire ce morceau, j’étais frustré parce que beaucoup de gens venaient me voir et me disaient qu’ils avaient de l’argent et qu’ils voulaient investir dans ma carrière, qu’ils allaient faire ceci et cela pour moi. Ils jurent qu’ils vont faire toutes ces choses pour moi mais ne font rien du tout. Ces gens de l’industrie à Chicago ne me donnent pas la reconnaissance que je mérite, les rotations en radio etc. Toutes ces choses ont joué un rôle et m’ont poussé à écrire ce morceau. Alors j’étais genre « qu’est ce que je dois faire pour que quelqu’un reconnaisse mon talent ? » Et je sentais que ce qui devait être fait était ce que mon co-manager m’a dit « Mec, tu dois kidnapper un boss de l’industrie ! » A cause de ça, on savait déjà que Jay-Z était la cible parfaite parce qu’il est devenu président de Def Jam à cette époque. Beaucoup de personnes sont venues vers moi pour me dire « Oh t’es en train de t’attaquer à Jay-Z !« .
Mais si tu écoutes attentivement, je ne m’attaque pas à lui. Le morceau dit simplement que si tu recherches la prochaine bombe dans le hip-hop, alors tu dois me signer parce que beaucoup de ces nouveaux artistes ne vont avoir aucune longévité dans la musique. Ils suivent juste la tendance ! Je ne fais pas ce genre de musique. Je fais de la musique pour l’âme. La musique est la bande son de ma vie. Je vais te dire quelque chose : 95 % des gens vont en soirée pendant 10% de leur vie. Pourquoi 95% de la musique est de la musique de soirées ? Les gens peuvent se reconnaître dans des morceaux qui parlent d’être en retard sur le paiement de leurs factures, de travailler dur pour payer leurs factures, de vendre de la drogue contre leur propre volonté seulement pour survivre parce qu’ils ne peuvent pas trouver de boulot vu que l’économie est complètement foutue. Il ne s’agit que de ça. C’est le genre de musique que je fais. De la musique à laquelle les gens peuvent s’identifier.
Je crois qu’une grande partie de la musique est faite pour la destruction de la communauté noire parce que la musique qu’on entend est la musique qui nous encourage à tirer sur nos frères et à appeler nos sœurs des putes. La musique qu’ils diffusent nous fait clairement du mal culturellement parlant parce que les mecs écoutent ça. A la fin de la journée, tu dois éduquer les gens. Ma musique parle d’éducation. C’est ça le hip-hop. Le hip-hop a toujours éduqué les gens à travers des morceaux et des rimes dont tu peux te souvenir facilement. J’ai un titre qui s’appelle ‘Just breathe’ ; il est censé inspirer les gens. Beaucoup de gens critiquent parce que je fais de la musique pour la rue mais je dois faire de la musique pour mes gens avant toute chose.
A : Est ce que tu penses que tous ces éléments te distinguent des nouveaux talents qui débarquent ?
M : Oui et non. Un artiste comme Lupe Fiasco parle également d’éducation mais moi, je suis jeune, et la jeunesse se reconnaît en moi. Lupe porte son attitude de Nerd, c’est son image mais la majorité de la population pense qu’être un Nerd c’est ringard et pas cool du tout. Personne ne pense que le type qui porte des lunettes c’est LE mec cool ! Malheureusement, tu dois parler au plus grand nombre. Je dois faire des compromis et faire de la musique pour les clubs. Kanye est un génie mais des gens comme Lupe…ne suivent pas les tendances. Je sais comment l’industrie fonctionne et je dois faire des choses qui plaisent aux personnes qui vont dans les clubs. Tu dois leur donner le CD simplement pour qu’ils comprennent le vrai message derrière ta musique. C’est une façon détourner de contribuer à éduquer le public. Mon album ne sera pas un album rempli de chansons pour les clubs, J’aurai 4 ou 5 singles dedans mais le reste de ma musique sera éducative, elle emmènera les gens dans Chicago, permettra aux gens de savoir quel type de vie on a et pourquoi on fait les choses comme ça.
A : Tu as mentionné la frustration comme une de tes inspirations pour l’écriture. Quelles sont tes autres sources d’inspiration ?
M : J’écris à propos de ce que j’ai vécu mais ma plus grande inspiration est mon fils. Il m’incite à en faire davantage pour être plus fort. Il ne s’agit plus seulement de moi maintenant, il s’agit de ma succession et de sécuriser son futur pour qu’il n’ait pas à rester dans la rue comme j’ai dû le faire. On m’a déjà tiré dessus, poignardé et j’ai fait un certain nombre de choses dans ma vie dont je ne suis pas fier. Je ne m’en vante pas. Je ne veux pas que mon fils vive la même chose.
A : Tu penses que les rappeurs sont les nouveaux leaders de la communauté noire ?
M : Clairement ! Traditionnellement, les leaders étaient les dealers de drogue ou les leaders de gang mais maintenant les rappeurs sont les nouveaux leaders de la communauté noire et je crois que le message véhiculé par notre musique y contribuera. Il faut qu’on prenne conscience de la responsabilité qu’on peut avoir quand on dit certains trucs. Beaucoup des rappeurs qui sont sur le devant de la scène ramènent un délire gangster alors qu’ils n’y connaissent rien. C’est juste du paraître. Mais ils encouragent tous les gamins qui écoutent leur musique à devenir un gangster. Les vrais gangsters ne rappent pas !
A : Comment réagirais tu si ton fils te disait qu’il voulait rester dans le ghetto ?
M : Je ne serai pas surpris. Je ne ferai que l’éduquer. La vie est une question de choix et je veux que tu comprennes les conséquences de chacun des choix que tu fais. Les conséquences de ce choix là seraient la prison et la mort et je le laisserai suivre ce chemin.
Mais je ne pense pas que mon fils va mener cette vie là parce que j’ai bien l’intention de réussir, et ce avant même qu’il ait à faire des choix. Son choix sera le suivant : est-ce que je veux gérer l’entreprise de mon père ou ma propre entreprise?
A : Est ce que tu penses que l’avenir de la communauté noire sera meilleur si Obama est élu ?
M : Je pense que le futur de la communauté noire ne peut être meilleur si Georges Bush est réélu. Ça commence avec nous. Nous n’éduquons pas nos enfants, nous laissons la radio et la télévision le faire et ça explique l’état actuel du monde. Parce que les gens sont tellement occupés à essayer d’avoir 2 jobs en même temps pour survivre qu’ils n’élèvent pas leurs familles. C’était le plan ! Le plan est de diviser nos foyers. Quand ton père passe son temps à bosser dur, qui est là pour enseigner la discipline ? Quand une mère et un père ont un fils, la mère est là pour apporter de l’amour et le père est là pour t’enseigner la discipline. Quand tu brises des foyers, tu fragilises l’avenir des enfants. C’est pour ça qu’ils appellent un enfant qui n’a pas de père un bâtard. Si tu regardes les statistiques en Amérique, la plupart des enfants qui finissent en prison n’ont pas eu de père durant leur vie. Ils n’ont pas reçu la discipline qui leur aurait fait réaliser les conséquences de leurs actes. Il y a une conséquence pour tout ce que tu fais. Quand tu récompenses un enfant, tu participes aussi à son éducation.
A : Tu as récemment sorti « Respect and Live volume 2 ». Comment ça se passe pour ce projet ?
M : Ça se passe plutôt bien mais nous n’avons pas encore fait de promo. On l’a mis en ligne mais il n’y a pas beaucoup de promotion derrière.
A : Qu’est ce que tu en attends ?
M : Un deal avec une major !
A : Quel genre de deal ?
M : Je ne peux pas vraiment en parler parce qu’il y a beaucoup de paperasse derrière mais je ne me précipite pas pour obtenir un deal parce que beaucoup d’artistes sont bloqués en major et ne sortent rien.
A : C’est sorti sous le label Supreme Money Maker. Qu’est ce que tu peux nous en dire ?
M : Supreme Money Makers est un label indépendant et un mouvement qui va encourager chaque jeune homme et chaque jeune femme, peu importe ta race ou ton sexe, à devenir le meilleur dans ce que tu fais. C’est pour ça que le Supreme vient avant Money Makers. Il s’agit de faire comprendre aux gens qu’ils ont le choix entre être quelqu’un d’important ou un anonyme. Le choix est entre tes mains. Nous sommes simplement en train d’essayer d’influencer la jeunesse à devenir des gens importants.
A : Quels sont tes projets pour les prochains mois ?
M : Nous sommes en train de rechercher un deal et je pense signer très bientôt.
« Don’t believe the hype ».
A la fois musulman pratiquant, collectionneur de sneakers, passionné par le skate et la culture japonaise, bloggeur assidu avec une paire de lunettes rondes collée sur le nez, Lupe Fiasco est loin d’être un personnage unidimensionnel. Il multiplie plutôt les (grands) écarts avec une étonnante versatilité. Rapidement et injustement catalogué comme une simple victime de la mode, Lupe s’avère en réalité bien plus complexe. Hâtivement comparé à Pharrell (The Neptunes) pour son image de nerd un peu branchouille, Common ou Kanye West pour des questions géographiques (Chicago) et musicales, il mérite autre chose que ce jeu de comparaisons un peu foireuses. Et ce au moins parce qu’il a indéniablement plus de bon sens que la moyenne.
Connu pour son couplet sur ‘Touch the Sky’ (Late Registration), il est également celui qui a eu la bonne idée de rappeler à Mr. West qu’avant d’être éternels les diamants de la Sierra Leone sont avant tout sanglants. Et c’est après cette explication de texte que Kanye a revu sa copie (‘Diamonds from Sierra Leone remix’). Deux bons points pour lui.
Signé sur Atlantic au grand dam du président Carter qui aurait voulu l’intégrer au sein du roster Def Jam, Lupe boucle Food & Liquor début 2006… avec le soutien et les conseils de Jay-Z, producteur exécutif sur cet album. Téléchargé massivement avant sa sortie officielle, ce premier long format voit finalement le jour six mois plus tard dans une version en partie revue.
Élaboré par les deux producteurs maison (1st and 15th Productions) Prolyfic et Soundtrakk, soutenus avec plus ou moins de succès par quelques invités prestigieux (Kanye West, The Neptunes, Mike Shinoda) Food & Liquor offre avant tout un édifice sonore à la fois solide et cohérent. Rythmé régulièrement par de grosses boucles de soul charmeuses et chatoyantes, l’ensemble prend des allures grandiloquentes. Porté par quelques réussites évidentes, il rappelle par instants The college dropout (Kanye West) ou Chain letters (Supastition). Au firmament de ces succès, on retrouve ‘Hurt me soul’, envolée soul d’un Needlz décidément très affûté et ‘Daydreamin’’, composition délicieusement sucrée revisitant joyeusement le ‘Daydreamin’ in blue’ de I Monster et appuyée par la voix fleurie de Jill Scott.
A l’heure de l’omniprésence des règlements de comptes médiatiques, défilés de bagnoles rutilantes et multiples récits autour de la drogue avec l’explosion des scènes de Houston, Atlanta ou Miami, Lupe insuffle un vent d’(apparente) innocence, apportant un peu de fraîcheur dans ce climat parfois un rien étouffant. Sur ‘Daydreamin’’ il raille les réalités matérialistes actuelles avec un humour certain n’allant pas sans rappeler ‘What they do ?!’ (The Roots), tout en dressant un portait décapant de la société américaine sur l’excellent ‘American Terrorist’. Critique et plutôt lucide, il sait aussi se montrer plus léger à l’image de ‘Kick, push’, gentille amourette d’un jeune skateur traversant les rues de la ville.
Alors, bien entendu, Lupe n’est ni un monstre de charisme ni une bête de scène, mais ses inspirations flirtant entre froide lucidité et envolées un rien candides coulent à merveille sur ces chaudes productions. Et c’est avec un certain recul que Lupe désosse ses propres contradictions sur ‘Hurt me soul’, se rappelant avoir été partagé entre ses principes et les inspirations très imagées du sexologue d’Oakland Too $hort. Il y a enfin ces détails qui n’en sont pas vraiment et qui contribuent à rendre le bonhomme sympathique : cette idée de ressusciter l’imagerie des années 85-95 sur ‘I gotcha’ ou cette volonté de dédier cet opus à sa grand-mère, rappelant au passage One day it will all make sense (Common).
Passons une ‘Outro’ un rien interminable et tout à fait dispensable pour affirmer l’évidence. Lupe Fiasco mérite d’être reconnu à sa juste valeur : à savoir comme l’auteur d’un des albums les plus rafraîchissants d’une année 2006 décidément bien riche.