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A l’âge où nous partagions nos mercredis après-midi entre Tekken II, Crash Bandicoot et autres parties de foot improvisées sur le bitume, le petit Bryan Winchester rencontra Dieu. Sa vie en fut bouleversée : il avait trouvé la Voie – sans perdre la tête.
Depuis, les années ont passé. L’enfant de chœur est devenu MC sous le nom de Braille ; il fait partie d’un groupe « éclairé », Lightheaded, a créé son propre label, Hiphop is Music, et sort aujourd’hui son troisième album solo, Box of Rhymes.
Celui-ci ressemble plutôt à une compilation : une dizaine de producteurs pour quinze titres, un remix, une absence manifeste de liant entre les morceaux. Sortie initialement au Japon dans une version quelque peu différente, cette « boîte de rimes » présente pourtant les deux principales facettes du personnage. D’une part, le jeune marié simple et croyant ; de l’autre le showman survolté dévoué corps et âme à son art, les deux s’entremêlant parfois.
Par moments excessif dans ses démonstrations de foi (‘End of the World’, ‘Together not Alone’), Braille dégage cependant une sérénité tranquille et positive, seulement lézardée par quelques moments de doute (‘Pour it out’). On finit presque par l’envier, à le voir tirer force et humilité de sa croyance, chaque jour incité à devenir un meilleur homme tout en conservant un émerveillement naïf et enfantin face à la vie, la nature et ses proches (« I’m so glad to wake up and see the sunrise. I see the natural beauty outside, I see the beauty staring in my wife’s eyes« , ‘Leave Behind’). Dès lors, si vous êtes sensible à ce type de discours, la dimension humaine et universelle de ces textes saura vous toucher. Dans le cas contraire l’ensemble vous paraîtra vite lourd et niais ; rabattez-vous alors sur les morceaux où s’exprime le Braille-showman.
Ecrit entre sa base arrière de Portland (Oregon) et le continent européen au cours de la tournée où le MC accompagna notamment James Brown, Box of Rhymes comporte une bonne part de titres dont l’orientation scénique est évidente. Testés lors de concerts, ces morceaux sont, d’un point de vue musical et technique, les plus enthousiasmants du lot. Ainsi, l’enchaînement de ‘Evacuate’ et ‘Box of Rhymes’, tous deux scratchés par DJ Idull, est quasiment parfait. ‘Fresh Coast’ et ‘Survival Movement’, produits par Ohmega Watts, rappellent l’ambiance du Wrong Way de Lightheaded mais lassent rapidement, même si Braille y démontre une nouvelle fois ses qualités de MC (débit rapide et saccadé, voix nasillarde accentuée).
Plutôt bons dans l’ensemble, les instrus ne parviennent pourtant pas à recréer la magie de « Shades of Grey ». C’est le défaut majeur de ce nouvel opus : là où son prédécesseur était brillant et inspiré, celui-ci se révèle plus terne, car « seulement » bon. Par conséquent, quand vous prend l’envie d’écouter du Braille, vous vous tournerez plus volontiers vers Shades of Grey que vers ce Box of Rhymes. Tony Stone est en deçà de ce que l’on pouvait espérer de lui. En dehors d’un beat énergique et cuivré (‘Box of Rhymes’), il livre un ‘Antenna’ assez fade et un ‘Pour it out’ ressemblant à ce qu’il a pu faire par le passé, en moins bon. A l’exception de ‘Leave Behind’ basé sur une guitare sèche, du travail autour du sample vocal sur ‘I wouldn’t do it’ et du sec et nerveux ‘Enter-Gritty’ enregistré au Danemark, la production de l’album, sans être mauvaise, ne marque pas vraiment les esprits.
Décevant pour ceux qui ont succombé aux charmes de Shades of Grey, ce troisième album compte certes quelques très bons titres, mais surtout beaucoup trop de morceaux moyens et sans réelle envergure. Équilibré mais inégal et manquant globalement de cohésion, Box of Rhymes est ce que laisse entendre son titre : une boîte pleine de rimes, un peu bordélique, dans laquelle l’auditeur piochera, selon son humeur, morceaux introspectifs ou explosifs, réfléchis ou instinctifs. Un disque de rap agréable, donc, à défaut d’être un grand album.
Déjà auteur en 2003 d’un vivifiant premier album (Pure Thoughts), le trio Lightheaded – Muneshine ayant, depuis, quitté le navire – revient en 2006 avec Wrong Way. Entre ces deux disques, Braille (MC), Othello (MC) et Ohmega Watts (MC, producteur et graphiste) auront pris le temps de peaufiner et de mener à terme leurs projets solos.
Si vous avez eu l’occasion de jeter une oreille à l’excellent Pure Thoughts, Wrong Way ne vous surprendra pas : le groupe signe là un nouvel opus de qualité ; quinze titres de boom-bap enjoué dans la veine de People Under The Stairs, d’Ugly Duckling ou des Procussions. Ignorant totalement les tendances actuelles, le trio originaire de Portland (Oregon) reste ancré dans le hip-hop du siècle dernier, multipliant hommages et clins d’œil à leurs aînés sous forme de scratches et de citations (en vrac : les Fat Boys, Biz Markie, Nas, Big Daddy Kane, KRS One, Rakim…). Plaisant d’un bout à l’autre, Wrong Way flirte même par instants avec l’anachronisme : plaisir de rapper perceptible dans chaque couplet, flows aiguisés et rapides tout en conservant des textes parfaitement intelligibles, récurrence des scratches, ensemble très rythmé ; ce classicisme réjouissant semble d’un autre temps, d’un autre monde.
Tout au long de l’album les trois MC’s restent parfaitement complémentaires et complices, qu’ils rappent chacun leurs couplets ou se partagent ceux-ci en « pass-pass« , dialoguant sur le beat. Si Othello et Braille évoluent sensiblement dans le même registre – flow rapide, voix parfois nasillarde (bien qu’un brin plus aigue chez Braille) – Ohmega Watts paraît plus posé, calmant le jeu de sa voix grave, modérant l’allure avec un flow plus lent que celui de ses collègues. Cette diversité est appréciable : au rythme où ils rappent la plupart du temps, Braille et Othello auraient pu assez rapidement lasser l’auditeur. La présence d’Ohmega Watts fait qu’il n’en est rien ; et les deux MC’s eux-mêmes profitent d’instrus moins énergiques pour s’accorder un peu de répit (‘Short Stories’, ‘Eye to Eye’) entre deux couplets virtuoses (‘UHH !’, ‘Orientation’, ‘In the Building’, ‘Showcase’). Les textes restent dans la lignée du précédent opus : spiritualité du quotidien, petites histoires, amour du hip-hop, le tout saupoudré de quelques doses d’egotrip. Toujours empreints de religiosité, ils évitent habilement le prosélytisme lourdaud.
Le départ de Muneshine, qui produisait l’intégralité de Pure Thoughts laisse la porte ouverte à de nouveaux beatmakers. Le MC/producteur Ohmega Watts, auteur en 2005 du prometteur The Find, prend en charge la majorité des instrus (9 sur 15) et se distingue par le soin apporté aux rythmiques, toujours claires et marquées, tandis que ses samples variés (cuivres, claviers, guitares…) parfois retravaillés à l’aide d’effets les rendant mouvants, flottants et lointains créent des atmosphères étranges, à la fois vaporeuses et nettes (‘Short Stories’ et ‘Individually Wrapped’ notamment). Tony Stone, révélé par son travail remarquable sur le Shades of Grey de Braille, produit deux titres de qualité ; mais c’est le travail de Stro the 89th Key, du groupe The Procussions, qui émerge le plus de ce projet : ‘Afraid of the dark’, alliance efficace de cuivres et de guitares électriques, s’impose comme le meilleur titre de « Wrong Way », suivi de près par ‘Eye to Eye’ et son envoûtant sample vocal.
Un cran au-dessus de Pure Thoughts, la cuvée 2006 de Lightheaded séduira à coup sûr les amateurs de boom-bap ensoleillé. Sans rien réinventer, le trio de Portland applique une formule maintes fois éprouvée : raps de qualité, textes fins, bons beats et scratches (dont ceux de Rob Swift sur deux titres). Difficile d’y résister.
Membre avec Ohmega Watts et Othello du groupe Lightheaded auteur de l’excellent Pure Thoughts en 2002, Braille est un jeune rappeur originaire de Portland (Oregon). En 1999, alors qu’il était seulement âgé de dix-sept ans, sortit son premier album solo, Lifefirst: half the battle. Cinq ans, quelques featurings et plusieurs maxis plus tard, il passe la barre du deuxième LP solo avec Shades Of Grey.
La première écoute est une claque. Tout commence par un sample d’opéra. Puis arrive le emcee, qui se contente pour l’instant de parler (« Right this moment, it’s all about right now (…). You are listening to Braille. It’s been a long time coming. No doubt… »). Rien de bien extraordinaire jusque là. C’est son entrée sur le beat qui déclenche le premier sourire satisfait, qui sera suivi de bien d’autres au fil des morceaux. Le flow est vif, sec et nerveux ; la voix légèrement nasillarde ; l’adéquation entre les deux parfaite. L’ensemble s’avère immédiatement efficace.
Chaque titre de ce disque, à sa manière, fait mouche. Rien de révolutionnaire certes, mais on retrouve tout au long de cet album une constance qui fait réellement plaisir. Aucun point faible, aucun temps mort.
Les instrus brillent par leur diversité. En dehors des rythmiques sèches, il est difficile de définir la couleur musicale de Shades Of Grey. La qualité est le seul point commun. Braille sait choisir les sons qui lui permettront de s’illustrer : la guitare sèche de ‘It won’t last’, les riffs violents de ‘Microphone Rush’ et ‘Goliath’, les cuivres sur le refrain de ‘The Find’, la voix pitchée, les cordes et les quelques notes de guitare électrique sur ‘Keep On’, le piano de ‘Let Go’ et ‘Nobody’ ou encore l’orgue et le piano de ‘Soul Rock’ le démontrent et forment la base impeccable pour le rap dynamique du jeune MC.
Trois titres sortent du lot. Il s’agit tout d’abord de ‘Hiphop Music’, ode au rap appuyée par les scratches de Rob Swift sur des samples conquérants de violons et de cuivres. Braille y développe sa vision du rap, partagée entre amour et rejet (« I got a love/hate relationship with hiphop, it frustrates me. It can break these rusty chains or drive me crazy. (…) The truth is, hiphop is diverse as earth is. What a man speaks reflects the world he’s immersed in and the condition of his heart, it’s hard to judge it »). ‘Poetry in motion part 2’ est sans aucun doute le meilleur morceau du disque. Le flow nerveux, la voix, l’instru (beat sec, sample vocal, orgue, métallophone, guitare), les scratches sur le refrain et un texte de qualité parsemé de références aux « grands » du hiphop (« I’m a Microphone Fiend, grip it tight till my palms hurt and Move the Crowd like I relocated my concert. Calm your nerves (catch your breath) Relax with Pep. I flow six days a week, on the seventh I rest. (…) I’m down for the cause, keep it moving like a nomad, never leave home with out the pen and the pad. Poetry in motion like graffiti on trains, I tag my name on your heart and things will never be the same after this ») : tout y est. Enfin, ‘Shades Of Grey’ s’impose en toute fin de disque dans un style magistral et cinématographique. Les instrus de ces trois morceaux sont l’œuvre de Tony Stone, la grosse découverte de ce disque en termes de production.
Braille est le plus souvent catalogué comme « rappeur chrétien ». S’il semble en effet imprégné de religiosité, cela ne vient que très rarement alourdir ses textes. Il reste toujours une sorte de morale chrétienne en toile de fond mais Braille évite d’asséner des leçons à grands coups de Bible. Il s’affirme seulement comme jeune homme croyant en Dieu, marqué par la foi mais de façon bien moins lourde que LMNO par exemple, même s’il dit avoir choisi le pseudonyme de Braille parce qu’il « fait découvrir aux gens ce qu’ils ne peuvent voir par eux-mêmes ». Ce qui ressort le plus des textes de Bryan Winchester, c’est une humilité et une remise en question permanentes.
Au final, vous l’aurez compris, cet album est excellent. Des choix d’instrumentaux irréprochables, un flow nerveux, des qualités lyricales et un garçon humble, sympathique et attachant : voilà à quoi s’attendre avec ce Shades Of Grey. Du rap conscient mais pas chiant. La qualité de l’album d’Ohmega Watts The Find, sorti en 2005, associée à celle de cet album de Braille laisse donc présager du meilleur quant à l’album de Lightheaded sorti en janvier. « Need I say more? I let the music speak… »