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Monté par Christian Poveda, journaliste-photographe-réalisateur indépendant, La Vida Loca dresse un portrait dépouillé et froid de la réalité de San Salvador. La capitale du Salvador se retrouve depuis des années déchirée entre deux gangs locaux, la Mara 18 et La Mara Salvatrucha. Le documentaire choc, sobre, mais surtout réaliste, colle au plus près d’une réalité faite de fusillades, de cérémonies d’enterrements entrecoupés de joies et bonheurs toujours éphémères. A moins que ça ne soit l’inverse. Sollicité par Christian Poveda, Rocca a fortement contribué à bâtir l’univers musical de ce documentaire à la fois brut et brutal. Il nous a semblé intéressant de l’interroger sur son travail autour de La Vida Loca, sur la situation au Salvador mais aussi sur son auteur, Christian Poveda, tué par balles à San Salvador, quelques mois après avoir terminé le montage de sa dernière oeuvre.


Abcdr du Son : Comment as-tu été amené à travailler sur « La Vida Loca » ?

Rocca: En 2007 j’ai été nominé aux Latin Grammy en tant que meilleur compositeur pour le titre ‘Mi tumbao’ avec Tres Coronas et Christian Poveda kiffait cette chanson. Avec Tres Coronas, nous sommes vraiment reconnus et populaires dans le domaine du Hip-Hop latino. Christian nous  écoutait et après cette nomination il m’a contacté. Mon frère Lorenzo est à Paris, il a participé à la traduction de l’espagnol au français. Il nous a mis en contact pour la musique du film. Christian voulait du Hip-Hop bien hardcore comme on peut le faire. Mais avec une vraie identité musicale latino. A ce moment là, j’étais en plein dans la production de l’album de Tres Coronas La Musica es mi arma qui suit justement ce concept.

Christian était un passionné et un vrai bonhomme. C’est rare de rencontrer des mecs comme ça dans ce milieu. J’ai tout de suite adhéré à son projet. On s’est rencontré lors de l’une de nos tournées en Espagne. A partir de là, j’ai commencé à travailler sur la musique. Tout a été joué en live, sans aucun sample. Ca fait plusieurs années que je n’utilise plus de samples. J’ai monté à New-York un groupe, une section de quatre trombones et quatre trompettistes, avec bassiste, percussionniste, guitariste, pianiste et des choristes. Et c’était parti. Enfin, en Colombie, j’ai passé du temps avec Yuri Buenaventura, qui est un bon ami. Il a écouté le titre de La Vida Loca et a posé dessus. Son chant de sonero apporte une saveur plus salsa au morceau.

A : Quel regard portes-tu sur ce documentaire ?

R : Ce documentaire c’est plus que jamais un message et un cri contre la violence aveugle. Contre la solitude la plus totale de l’être humain qui vend son âme au crime par désespoir et ignorance. C’est le cocktail le plus dangereux: pauvreté + solitude +  délinquance = la route vers la mort. Dans La Vida Loca il n y a que trois chemins possibles: l’église, la prison, ou la mort. Le plus dur à admettre c’est que ce n’est pas un film mais la putain de réalité.

Pendant qu’en Europe des jeunes rêvent dans leur lit confortablement de cette vie de gangster, en Amérique centrale d’autres rêvent de sortir de cette vie ou la mort les fauche soudainement. Ce documentaire devrait être utilisé en exemple pour l’éducation contre la violence. C’est également une leçon montrant ce que ça signifie être un vrai reporter. Christian Poveda a malheureusement payé de sa vie sa volonté de passer un message et de livrer ce combat. Qu’il repose en paix.

A : Quels contacts as-tu pu avoir avec Christian Poveda ?

R : Christian m’appelait régulièrement et m’envoyait des extraits du film et des photos. Il était à fond dedans et vivait sans le savoir La Vida Loca. Je l’ai toujours considéré comme un vrai gars. Il détestait les photographes et journaleux qui venaient filmer ou prendre des photos des gangs pour se casser dans la foulée avec des peloches pleines de photos. Tout ça pour exposer leurs clichés dans des salons de riches en Europe. Christian vivait au Salvador, il rentrait dans le ghetto et se faisait respecter de tous. Incomparable…

A : Comment juges-tu la situation à San Salvador ?

R: Comme beaucoup de pays d’Amérique Latine, le Salvador vit une situation absurde, faite d’une violence importée des Etats-Unis, et causée par les Etats-Unis. Dans le cas du Salvador c’est vraiment terrible. Même si tu parviens à sauver 100 mecs des gangs tu peux être certain que le mois suivant tu vas avoir un paquet de nouveaux mecs qui vont débarquer des Etats-Unis au Salvador, tout frais et pleins de haine. Des prisonniers salvadoriens qui après avoir purgé une peine aux States se retrouvent déportés dans leur pays d’origine. Imagine le truc de fou. Tous les mois les rues du Salvador reçoivent une nouvelle injection létale.