Tag Archives: Kohndo

Figure de la scène rap, Kohndo fait partie de ceux qu’on croise régulièrement. L’année dernière, avec deux décennies de rap dans le sac à dos, il nous confiait vouloir donner une nouvelle dimension – plus riche, plus scénique – à sa musique. Il paraissait plus que jamais animé d’une volonté de transcender le genre et de s’affranchir de ces codes restrictifs. Entouré sur scène par des musiciens – le Velvet Club – Soul inside, son troisième album solo, s’inscrit logiquement dans cette approche. Dans la continuité de ses scènes avec le Velvet Club plus que dans la lignée de son prédécesseur Deux pieds sur terre / Stick to ground.

Porté par ces musiciens et les nombreux choristes invités (Marie M, Karl the voice, Lisa Spada), il constitue un ensemble hétéroclite au titre doublement symbolique. Lorgnant parfois vers le funk (« Bordel »), le rock (« Rock on ») ou la neo-soul (« Mes nuits », « Pourquoi flipper ? »), Soul Inside peut désarçonner par instants tant il s’éloigne des formats étroits du rap français. A-t-il du coup un public ? La question reste en suspens. Avec le seul Ekoué pour donner le change niveau rap – sur « Pardonnez-moi » – Kohndo demeure le seul maître de cérémonie d’un album versatile. Un album où son sourire apaisé transparaît régulièrement, comme une évidence.

« La réussite parfois peut même blesser, elle commence là où tu crées le respect. »

Aussi éclectique et riche en influences soit-il, Soul Inside reste fondamentalement un album de rap, porté par la démonstration technique d’un flow inchangé. Fluide et mélodieux. Et ce même si on devine à Kohndo une vraie envie de pousser franchement la chansonnette – à l’image d’un Féfé devenu interprète multi-facettes. Cette diversité contribue à plusieurs franches réussites, tels les électriques « Rock on », « Money » ou la conclusion volontaire et imagée « Vise le ciel ».

« Je vois tes nuits comme du papier déchiré par les rêves brisés. »

Cette mosaïque d’influences fait écho à une certaine diversité thématique. Une diversité fidèle aux interrogations d’un trentenaire avancé, avec les femmes et l’argent en points récurrents dans le viseur. Des thèmes pour le moins classiques sauf qu’ils sont traités avec une transparence et une lucidité troublante. Jusqu’à faire écho avec nos propres illusions perdues et questionnements. Ces moments introspectifs flirtent avec des séries d’égotrips et autres récits imagés dominés par un esprit positif et volontaire. Porté vers l’avenir, KOH garde aussi un regard vers le passé, vers son parcours musical et personnel. Symbole de cet héritage, « Mon ghetto » se fait le récit des années écoulées marquées par les figures du Pont de Sèvres, Radio Nova et La Cliqua.

Il y a huit ans, à la sortie de Tout est écrit, son premier album, on souhaitait à Kohndo de rencontrer la reconnaissance populaire qu’il mérite. Aujourd’hui, ce constat demeure. Décidément, rien ne change à part les saisons.

Avec Soul Inside, son nouvel album solo, Kohndo explose les formats, les attentes et les idées préconçues. Le tout pour un grand vent de fraîcheur. Rencontre caméra au poing avec celui qui assène toujours les mots comme des coups de poing.


Abcdr : Tu enregistres en ce moment un nouvel album non pas en solo mais avec le Velvet Club, où en êtes-vous de ce projet ?

Kohndo : L’album devrait s’appeler Soul Inside. Bon, le titre n’est pas forcément définitif. Je suis parti sur un concept, une idée, mais au final tu sais que quand tout est abouti tu peux être amené à revoir le titre. Il se peut qu’entre temps j’écrive un morceau super fort et que j’aie envie de donner à l’album un titre différent.

En tout cas aujourd’hui Soul Inside ça me semble assez bien définir le type de musique que je peux faire depuis un certain nombre d’années. La Soul c’est vraiment l’ossature prépondérante de ma musique. J’avais envie de faire un album de rap avec tout mon héritage. Et mon héritage il est principalement Soul. Je suis né avec Isaac Hayes, j’ai beaucoup écouté Curtis Mayfield, Prince.

Ce nouvel album je le prépare avec le Velvet Club. Cinq musiciens avec lesquels je travaille depuis plus de trois ans. Là, on a douze morceaux en boîte et je viens d’en finir trois supplémentaires. J’essaie vraiment de me pousser au plus loin de ce que je peux faire et sais faire aujourd’hui.

A : L’album sera-t-il entièrement joué ou il y aura une place pour le sample ?

K : Tu écoutes un album de rock aujourd’hui tu vas y trouver pas mal de programmations. Utiliser les deux ça me semble une bonne approche. L’idée étant d’avoir principalement des choses jouées mais en conservant des parties produites. Le socle est Hip-Hop mais au final il y a peu d’éléments faits avec une boite à rythme ou des bouts de samples.

A : Être entouré de musiciens sur scène, ça change sensiblement ton rapport avec le live et le public ? 

K : En fait j’ai toujours joué avec des musiciens. Quand j’ai commencé à rapper j’avais treize ans et à cette époque là dans mes meilleurs amis j’avais déjà des bassistes, des chanteurs. Même quand j’étais au sein de La Cliqua, à côté je me faisais des Jam Sessions. Donc pour moi ça n’est pas un vrai changement.
Par contre, cette démarche de travailler d’emblée avec des musiciens c’est quelque chose de différent. Et ça a beaucoup changé la donne. Ça m’a amené à écrire davantage ma musique, à ne pas chercher mon inspiration chez les autres via le sample. L’inspiration pour cet album, elle vient de mes idées et de celles de mes musiciens.

« La pierre angulaire de mon travail c’est « peace, unity, love and havin’ fun » »

A : Tu as également participé au projet Music’ All avec d’autres chanteurs et rappeurs français. Quel regard tu portes sur ce projet ?

K : A la base c’est un label qui s’appelle Black Stamp qui a sorti en novembre cet album Music’ All. On retrouve dessus des gens comme Oxmo, Busta Flex, Casey ou moi. Ce sont un peu les meilleurs musiciens de France qui viennent d’un univers plus Funk, Jazz qui rencontrent une sélection de rappeurs français qui eux ont baigné dans le Hip-Hop. C’est marrant d’ailleurs de constater que des gens comme Michel Alibo, Stéphane Le Navelan, Frank Mantegari avaient déjà travaillé dans le Hip-Hop dans un registre plus mainstream, avec le Secteur Ä notamment. Finalement, tu te rends compte qu’on cloisonne des choses qui n’ont pas lieu d’être cloisonnées.

Après, il faut savoir que l’album Black Stamp c’est un grand prétexte pour faire un show qui s’appelle Music’ All. C’est ce que tu as pu voir au Trabendo il y a quelques semaines. La suite ça va être l’Élysée Montmartre, il y aura aussi quelques dates en province. L’intérêt de cet album c’est aussi qu’il crée des passerelles et des synergies.

Grâce à ce projet, j’ai pu intégrer dans mon groupe Karl the voice, j’ai rencontré également une chanteuse qui s’appelle Nessia. On a commencé aussi un morceau avec Oxmo mais j’en dis pas plus [rires]. C’est en allant vers un projet plus Soul comme ça que j’ai vraiment eu le sentiment de vivre une certaine unité. La pierre angulaire de mon travail c’est « peace, unity, love and havin’ fun. » C’est ça pour moi le Hip-Hop, et c’est ce que je vis en ce moment grâce à Music’ All.

A : Y’a-t-il des projets en cours concrets avec La Cliqua ?

K : La dernière fois qu’on s’est vu c’était à l’Elysée Montmartre. C’était vraiment un moment magique. Depuis, Rocca est retourné vivre à Bogota. Il est sur la bande originale du film La vida loca. On s’appelle tous de temps en temps, et c’est super fort puisqu’avant on était tous séparés. Quelque chose s’est passé, humainement parlant, et c’est ce qu’on voulait. Ça a recréé des liens. Après, nous retrouver en studio, je pense que ça n’aurait pas de sens. Nos visions artistiques individuelles aujourd’hui elles sont sensiblement différentes et ce serait compliqué de faire quelque chose ensemble. En plus, honnêtement, je pense que ce ne serait pas intéressant pour le public.

A : Qu’est-ce qui, à tes yeux, a marqué l’année rap 2009 ?

K : Parmi les albums qui ont marqué cette année en rap je dirais L’Arme de paix et l’album de Fefe Jeune à la retraite que je trouve vraiment mortel. J’ai beaucoup aimé l’album à venir de Casey. En rap US, j’ai kiffé Slaughterhouse, The Undergods avec Canibus et Keith Murray. Sinon le KRS-One et Buckshot m’a surpris. En dehors du rap, des gens comme Pony Pony Run Run, l’anglaise Alice Russell ou encore le chanteur somalien K’naan qui avait fait notamment un morceau cool avec Mos Def.

A l’origine de ce projet, il y a un label : Black Stamp Music. Un label monté par deux potes de longue date – Sidney Regal et Mickael Minacca – chacun porteurs d’un héritage musical et désireux de sortir des sentiers battus. Jusqu’ici rien de révolutionnaire dans la démarche. Plutôt du grand classique. Les annonces de révolution autour du rap sont de toute façon comme les promesses : illusoires, elles n’engagent que ceux qui les croient.

L’intérêt du projet Music’ All porté par le label Black Stamp tient avant tout dans la qualité du casting. Le collectif de musiciens en premier lieu : les Illuminés Black Stamp. Dix musiciens partagés entre claviers, basse, guitare, trompette, trombone, saxophone, percussions et batterie. Une fine équipe, riche de ses influences diverses, à même de dépeindre une atmosphère plutôt feutrée de Music Hall. Porté par un élan très jazz, l’ensemble prend par moments des intonations plus reggae et soul.

Autres acteurs au moins aussi clefs : les rappeurs et chanteurs invités à poser sur les compositions des Illuminés Black Stamp. La sélection se veut éclectique en style mais également en renommée. La figure de proue Oxmo côtoie ainsi les confidentiels Marco Polo et Mihuma, les sanguins Casey et Busta Flex font face aux plus légers ex-Saïan Feniski, Sir Samuel ou Specta. Anecdote enfin, c’est Sidney qui occupe le rôle – symbolique – du maitre de cérémonie, celui d’ouvreur dans cet univers théâtral. Un univers à l’imagerie soignée et ce jusque dans le clip ultra-chiadé d’un ‘Yes we can’ au titre symbolique et pleinement inscrit dans son époque. L’équipe Kourtrajmé rappelle à cette occasion l’étendue de sa palette.

Porté par une certaine légèreté, une fraîcheur et une vraie cohérence de ton, Music’ All comporte comme toute compilation son lot d’expériences abouties et passages anecdotiques. Parmi les grandes réussites, on retient ‘Chanter’ où Busta Flex ressuscite son enthousiasme micro en main et semble retrouver un vrai second souffle associé au (plutôt bon) chanteur Karl the Voice. En un seul morceau, on retrouve sa verve à même de nous donner envie de replonger dans sa discographie. Impossible de ne pas retenir également le ‘Vais-je grandir un jour ?’ de Casey, où l’éternelle écorchée vive dévoile un aspect plus personnel de son enfance. L’écriture est toujours imparable, le style atypique : les projets s’enchainent et la fascination autour de Casey ne cesse de grandir.

Ces deux réussites sont d’autant plus marquantes qu’elles permettent de porter un regard nouveau sur deux acteurs qu’on ne voyait pas forcément dans un tel contexte. Oxmo enfin, grand seigneur, déroule. Tel un crooner en terrain conquis charmant son auditoire à chaque battement de cil, il déverse un océan d’émotions dans la lignée de ses deux derniers longs formats. ‘Quand même’ figure au même titre que le ‘Don’t let me down’ du duo Kohndo-Karl the voice parmi les très bons moments de cette expérience musicale.

Aucun doute, Music’ All n’a pas la consistance d’un album intemporel. Il s’apprécie plutôt comme un bel intermède, une expérience jouissive d’un instant. En sachant que ces instants gravés sur sillons sont amenés à prendre une toute autre dimension sur scène. Alors gardons en tête cette date du 9 Janvier prochain. L’équipe Black Stamp et ses invités seront au Trabendo et au complet pour un concert qui devrait prendre de vraies allures de Music Hall.

Abcdr : Tout est écrit était ton premier album solo. Quel bilan tires-tu aujourd’hui, avec le recul, de ce disque ?

K : Bon, c’est toujours difficile de se regarder. Mais quand j’ai fait ce premier album, j’avais vraiment une idée en tête. Et au final, entre l’idée que je pouvais avoir en tête et la réaction du public, je ne suis pas surpris. L’album a été plutôt bien accueilli. Il a fallu du temps avant que les sons que je proposais fassent leur chemin. Aujourd’hui, je suis content de me rendre compte que cet album aura été le démarrage d’une école. Oui, ça j’en suis particulièrement fier.

Après, le disque…je le réécoute pas souvent. [rires] Mais sur scène, j’ai un immense plaisir à refaire des morceaux de ce premier album.

Pour ce qui est des retombées commerciales et artistiques, cet album a pleinement répondu à mes attentes. On a été plutôt bien surpris par les chiffres de ventes, et c’est ce qui nous a permis d’enchaîner sur le deuxième. Et même s’il nous a fallu attendre pas mal de temps avant que tout s’enclenche pour lancer la suite, ces années passées ont été une forme de passerelle. Aujourd’hui j’ai hâte de voir ce que va donner le nouveau.

Je me souviens qu’à l’époque de la sortie de « Tout est écrit », la scène dite expérimentale avait le vent en poupe. On parlait de renouveau du rap en ajoutant que le Hip-Hop était mort. Aujourd’hui, on voit qu’un certain nombre de groupes sont dans la veine que ce que j’avais pu apporter sur Tout est écrit. Maintenant, le plus important pour moi c’est de veiller à toujours faire la musique que j’ai envie de faire, au moment où j’ai envie de le faire. Tout ça en faisant en sorte que chacun puisse apporter ses idées qui sont le fruit de ses expériences, de son parcours. Voilà, je veux toujours faire de la musique avec sincérité.

A : Ton nouvel album, Deux pieds sur terre, sort trois ans après le précédent. Comment as-tu occupé ton temps pendant cette période ?

K : Trois ans ça passe vraiment très vite. D’abord il y a toute la promotion autour du premier album, ensuite la défense de cet album à travers des scènes, radios et interviews. Je peux te garantir que les six premiers mois et les six autres qui suivent, tu ne manques pas d’occupation. Ensuite, j’ai commencé à réfléchir à l’album suivant au travers de quelques collaborations. Par collaboration je pense notamment à la rencontre avec Rachid Wallas, avec DJ Brasco de Toulon….

Toutes ces expériences et étapes m’ont permis d’envisager la suite et d’en commencer l’écriture.

A : Tu participes à moins de projets collectifs qu’à une époque, et tu ne fais finalement plus du tout de compilations…

K : Oui, en fait, je ne fais plus du tout de compilations pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord je trouve qu’il y a trop peu d’échanges dans un format de compilation. Ensuite, j’estime qu’il est particulièrement difficile de se révéler via une compilation. Voilà, pour ces raisons, je préfère me concentrer sur mon travail personnel.

Tu sais, pendant ces trois ans, avec Kalash, DJ Gero, Dee Nasty, DJ Kozi et Enz on a fait pas mal de concerts…et ça a aussi occupé une bonne partie de mon temps.

A : Tu étais aussi satisfait des retours que tu as pu avoir sur scène ? La scène c’est avant tout la rencontre et le partage avec le public…

K : Oui ! [Enthousiaste] Mes derniers concerts étaient mortels, dans le sens où il y a toujours un moment où je pouvais inviter les gens à venir échanger, découvrir de nouveaux morceaux, réécouter et redécouvrir des plus anciens. J’ai un gros répertoire, du coup mes concerts ne sont jamais les mêmes. Toute cette musique prend une autre dimension jouée en live sur scène.

A : Tu me tends une super perche là. Je t’avais vu, il y a plusieurs mois, sur les planches, à la Scène Bastille, avec un groupe de musiciens assez orientés rock. Ce concert c’était un moment de plaisir, une forme d’aparté ou tu aimerais faire plus de morceaux dans ce style ?

K : Je considère que tous ces moment font partie de mon parcours de vie. J’ai parmi mes meilleurs amis des chanteurs de jazz, des bassistes, des batteurs. Ces gens là, je les ai rencontrés, j’avais quatorze ans. Aujourd’hui j’ai un groupe, le Velvet Club Live Band et avec eux, sur scène, forcément on s’éclate. Et tout ce coté rock que je peux aimer, il ressort sur scène.

A : Tu as aussi envie de sortir un album ou des morceaux dans cette teinte musicale, avec une certaine touche de rock ?

K : Avec le Velvet Club Live Band, on fait du rap acoustique, tout simplement. Maintenant quand on fait un morceau comme RER sur scène, on lui donne toute l’énergie qu’il doit avoir. Quand je fais sur scène ‘Hey Papi’ qui sur mon dernier album est un titre assez électro, il prend une autre dimension, bien plus rock, plus vénère. Après, tout dépend de mes envies et inspirations et des échanges que je peux avoir avec les différents musiciens. Rien n’est figé.

A : Et tu aimes toujours piocher dans différentes musiques…

K : ….Oui. La scène et mes disques sont le reflet de mes envies mais aussi de ce que je suis et de ce que j’ai été.

« Pour être complète, ta pensée doit être validée par le public. A mes yeux c’est essentiel. »

A : Pourquoi avoir opté pour un double titre pour ton album avec une partie en français (« Deux pieds sur terre »), et une partie en anglais (« Stick to ground ») ? Pour jouer sur le fait que tu es un rappeur français qui a grandi et continue d’être influencé par une musique américaine, donc anglophone ?

K : Non, en fait c’est très simple. Mon album sort sur la France et l’international. Une sortie américaine et canadienne est notamment prévue, et il sortira dans d’autres pays. C’est la raison pour laquelle j’ai opté pour un double titre comme ça.

Ensuite, ce vécu que tu décris à vrai dire, je l’ai toujours eu et je n’ai pas de raison de l’affirmer d’avantage sur Deux pieds sur terre que sur les albums précédents. Tu sais, je n’ai jamais privilégié le fond à la forme et inversement. En fait, je me dis que lorsque j’avais treize ans, j’aimais des rappeurs que je ne comprenais pas. Alors à partir de là, pour moi, il n’y a pas de raisons pour que les gens qui ne comprennent pas ma langue ne m’apprécient pas. Si je fais bien mon métier, ma musique doit être universelle.

A : On retrouve tout au long de ton album un paquet de références à des classiques de la musique noire américaine, du rap (Nas, Sugar Hill Gang), de la soul (Marvin Gaye). Ces clins d’oeil, récurrents tout au long de ton album, ce sont aussi les pierres semées sur la route de ton propre parcours musical ?

K : Oui, ce sont des clins d’oeil rappelant que je sais d’où je viens. J’ai un certain nombre de références que je partage avec d’autres. Ces clins d’oeil sont aussi des invitations pour se retrouver autour de ces points communs. Partager, transmettre et faire découvrir ma musique, tout ça fait aussi partie de mes objectifs de vie. Même si ces références sont bien présentes, tout n’est pas ultra-calculé, il y également une part de spontanéité dans ma musique.

Après, je pense que j’ai eu également d’avantage l’occasion de m’exprimer sur cet album. Un deuxième album c’est autre chose. On dit souvent que sortir un deuxième album c’est, quelque part, un piège. Soit tu te prends un mur soit tu t’élèves. Dans mon cas, je pense que ce deuxième album m’a permis de faire un pas en avant et de m’affirmer davantage. Quand tu prends de l’assurance, tu réussis à faire un peu plus ce qui te plaît. Réaliser un disque qui te ressemble, se révéler et grandir à travers sa musique, ça me semble quand même l’essentiel.

Je ne considère pas la musique comme une espèce de passion et je n’en fais pas par envie de copier quelque chose ou quelqu’un. Pour moi la musique c’est un principe de vie, une forme de philosophie de vie.

A : C’était aussi l’occasion de te lancer dans de nouvelles expériences ?

K : Oui, bien sûr. A vrai dire chaque disque est une nouvelle expérience. Tu ne peux pas aborder un nouvel album en te disant que tu vas reproduire ce que tu as déjà fait.

A : Débuter ton album en balançant quasi d’entrée ce n’est pas le talent qui fait vendre, tout le monde sait ça, c’est un simple égotrip ? Ou une réflexion plus profonde ?

K : Si tu vas sur mon site Internet, www.kohndo.com tu trouveras différente parties dont une avec des blogs. Dans un de ces blogs, j’explique qu’un jour une DA de BMG m’a sorti très exactement cette phrase. A ce moment là, quand je cherchais des gens pour produire mon premier album, je ne comprenais pas vraiment ce qu’elle voulait dire. Cette personne avait eu le choix entre moi et un autre rappeur. Elle a préféré choisir l’autre rappeur. Et quand je lui ai demandé pourquoi elle m’a répondu que si le talent vendait ça se saurait.

A : Oui, donc tu es un peu résigné sur le fonctionnement de l’industrie du disque….

K : …cette phrase a véritablement pris un sens ce jour-là. Il ne faut pas confondre l’art, la musique et l’industrie du disque. Ce sont deux choses clairement distinctes avec des modes de fonctionnement et de pensée différents. En tant qu’artiste, tu es dans un travail de recherche alors qu’en tant que producteur tu entretiens un rapport commercial avec le public. Les deux n’ont rien à voir mais il faut rassembler les deux vu que de toute façon, d’un point de vue strictement artistique, je pense que pour être complète, ta pensée doit être validée par le public. A mes yeux c’est essentiel.

A : J’ai l’impression que certains morceaux de ton album ont été écrits il y a quelques années, vrai ? Faux ?

K : Oui, celui qui suit ce que je peux faire à dû s’en rendre compte…[s’arrêtant]

En fait, tu peux suivre différentes méthodes pour créer. Tu peux te mettre dans une bulle pendant trois mois et pondre un album. Moi, j’aime que mes albums soient le reflet des expériences que j’ai pu traverser à un moment de ma vie. Alors j’ai utilisé ces bases de conversation et les moments passés ces dernières années pour créer mes morceaux. Quand tu fais ça, ton album vit véritablement avec toi. Voilà, cette approche, c’est ma conception d’un album et de sa création.

Concrètement, à un moment donné j’ai envie d’écrire, j’ai l’inspiration qui donne le point de départ. A partir de là, toutes les expériences qui vont suivre cette première inspiration vont être autant de matière première qui vont alimenter mon idée de base et m’aider à construire mes morceaux.

A : Donc ce dernier album rassemble tes expériences des trois-quatre dernières années ?

K : Entres autres, oui.

A : J’ai le souvenir d’avoir entendu sur scène, au moment de la sortie de Tout est écrit, quelques couplets alors inédits qu’on retrouve aujourd’hui dans ton nouvel album.

K : Oui, j’ai notamment fait plusieurs fois sur scène ‘Une journée fade’. J’adore tester mes nouveaux morceaux sur scène, ça me semble un très bon endroit pour voir si ton morceau va dans la bonne direction ou non.

A : T’entendre dire ça me rappelle justement les concerts qui ont suivi la sortie de « Tout est écrit ». Vu le ton très posé de ce premier album, réussir à transposer cette ambiance sur scène devait représenter un vrai challenge.

K : Oui et non. Si mon parcours s’arrêtait à ce premier album, je pourrais être d’accord avec cette remarque. Mais j’ai un répertoire plus important, tout ce que tu as pu retrouver sur Blind Test, avec des morceaux plus patate. Tout ça se mélange, alors sur scène tu découvres peu à peu le parcours d’un homme. Comme dans un bon resto, tu as une entrée, un plat de résistance et un dessert. Le tout prend des saveurs différentes et c’est là l’intérêt.

A : Oui, c’est vrai qu’on retrouvait toujours ce mélange d’anciens et de nouveaux morceaux dans ces concerts…

K : Bien sûr. En plus, comme je me suis toujours projeté dans une vision musicale de mes morceaux, je me retrouve pas dans le problème que peuvent rencontrer certains rappeurs qui ne peuvent plus ou ne veulent plus faire des morceaux qu’ils considèrent aujourd’hui comme trop vieux. Mes textes s’inscrivent dans le temps et sur scène j’ai autant de plaisir à faire des anciens morceaux que des nouveaux.

« Les morceaux ont un sens, comme un bon vin ils doivent être mariés avec le bon plat dans un bon environnement pour prendre une autre dimension. »

A : Sur ‘So much trouble’ tu dis « Origine polyglotte, parlant toutes les rues adaptables ». Tu sembles avoir fait le tour de la région parisienne, changeant plutôt régulièrement de coin.

K : Oui, je suis né en France, j’ai passé ma petite enfance en Afrique avant de retourner en France, à Montrouge puis Bobigny, et mon adolescence à Boulogne. J’ai passé beaucoup de temps entre Boulogne et Paris, j’ai aussi vécu à Créteil…

A : …Considères-tu que ces changements réguliers ont contribué à ton évolution en tant que personne et donc en tant que rappeur ?

K : Je pense que ces changements fréquents m’ont permis de prendre pas mal de recul sur un certain nombre de situations. J’ai connu pas mal de monde, des pauvres et des plus fortunés. De mon coté également ça n’a pas toujours été simple.

A : Tu évoques cette diversité sur le DVD qui accompagne ton album, notamment quand tu parles du Pont de Sèvres, expliquant qu’il y avait un quartier relativement aisé et un autre plus ouvrier.

K : J’estime que je suis vraiment au centre de tout ça. Je fais partie de la classe moyenne comme la plupart des rappeurs finalement. Maintenant, mon expérience de vie fait que je connais la médaille et le revers de cette même médaille.

A : Certains morceaux de ton album sont particulièrement imagés, décrivant un paquet d’éléments de la réalité urbaine à Paris et dans sa banlieue. Tu te considères plus que jamais comme une forme de chroniqueur urbain ?

K : Effectivement…et j’aime beaucoup ce terme de chroniqueur urbain. Je pense que ça me correspond bien. A mes yeux la ville est un endroit plein de vie, le lieu où différentes populations de divers horizons se croisent. J’aime les grandes villes cosmopolites où les gens marchent et discutent. Je trouve ça beau, tout simplement.

A : ‘RER’ illustre assez bien ton goût pour la ville…

K : Sur ‘RER’ je ne suis pas seulement observateur, je suis avant tout acteur et j’essaie de faire en sorte que l’auditeur soit avec moi.

A : Ce morceau, tu l’as écrit dans les transports en commun ?

K : Non, je n’écris pas dehors, j’écris uniquement chez moi. Après, je me souviens que la première fois que j’ai pensé à écrire un morceau comme ça j’étais Gare St Lazare…[NDLR : quelque part la boucle est bouclée puisque cette interview se passe juste à coté de la Gare St Lazare.]

A : J’ai été assez surpris à l’écoute du premier extrait de ton maxi, ‘Dis-moi ce qu’elles veulent’. Le morceau est plutôt calibré dancefloor, et donc aux antipodes de l’ambiance posée de ton premier album. Quand tu as décidé de sortir d’abord ce morceau c’était par choix de marquer une rupture avec ce que tu avais fait quelques années auparavant ?

K : Quand j’ai sorti Blind Test, je voulais aussi rappeler au public qu’il ne fallait pas se tromper. Moi, je ne suis pas là pour défendre des concepts. Ma vie est faite d’un ensemble d’évènements et d’époques. Tout est écrit correspondait à ce que pouvait être ma vision d’un premier album, à un moment donné. J’ai eu la chance de pouvoir faire cet LP en étant complètement en indépendant. Je n’avais rien à prouver à qui que ce soit et du coup je ne me suis vraiment pas pris la tête. De la même façon, quand j’ai fait Prélude à l’Odysée, j’annonçais clairement ce que je voulais faire.

Maintenant, je n’ai pas fait que ça. Mon histoire est riche, large et variée et j’veux pas surtout pas qu’on m’enferme, à vrai dire je déteste ça. Choisir ce morceau comme premier extrait de mon album c’était aussi un pied de nez à ceux qui voulaient justement m’enfermer dans un style.

Après, je sais relativiser et assumer mes choix. Je suis bien conscient que ce morceau, ‘Dis-moi ce qu’elles veulent’, a reçu des échos assez timides au même titre qu’après mon départ de La Cliqua et la sortie de Tout est écrit, les gens ne voulaient pas forcement m’écouter. Mais au final un certain nombre de personnes ont écouté mon album et l’ont trouvé intéressant. Je pense que si nous, musiciens et artistes, on se laissait constamment dicter notre conduite, on n’avancerait jamais et on ne créerait rien. A partir de là, je pense qu’on doit au moins nous faire confiance et laisser les oreilles du public décider… et pas autre chose. Quand tu aimes vraiment la musique, je pense c’est vraiment le seul truc qui doit compter.

Après, moi aussi je suis auditeur, je suis difficile et parfois je ne comprends pas les choix d’artistes que je peux aimer.

Pour terminer là-dessus, j’ai choisi la vie que je mène actuellement, donc je ferai toujours ce qui me plaira le plus. Toujours. Je m’éclate à faire des morceaux dancefloor. Je m’éclate aussi quand je tombe le masque, c’est autre chose mais ça me fait également du bien. J’aime le partage et les expériences. J’ai une vraie approche de musicien et à ce titre je suis anticonformiste et finalement beaucoup plus hardcore que ceux qui peuvent le clamer haut et fort.

A : En te dévoilant parfois très ouvertement tu considères que ta démarche est finalement la plus hardcore…

K : Oui, avoir la puissance et le pouvoir d’être toi-même c’est vraiment difficile. Beaucoup de gens essaient de te modeler, les directeurs artistiques mais aussi les auditeurs. Je crois que la plus grande force réside dans la capacité à rester soi-même, quitte à se mettre des gens à dos.

A : Aujourd’hui tu sembles bénéficier d’une véritable liberté artistique, j’imagine que c’est un élément essentiel pour toi. D’ailleurs, as-tu essayé de changer un peu de statut pour ce nouvel album ? As-tu démarché d’autres maisons de disques ?

K : Bien sûr. J’ai cherché à rentrer dans de grandes maisons de disques, ça m’a pris du temps et c’est aussi ce qui explique qu’il m’a fallu du temps pour sortir ce nouvel album. Trouver le bon partenaire pour réaliser ton album est une donnée essentielle.

Et à partir de là, tu es amené à rencontrer pas mal de monde et à évoluer. Comme je te disais tout à l’heure, je considère que ma musique n’a de sens que si elle est validée par le public. Sans ces retours des auditeurs, la scène, les émotions partagées avec le public, ces rencontres, je n’ai pas de vraie raison d’être. Je veux faire en sorte que ces sentiments et émotions soient diffusées à un maximum de personnes.

A : L’objectif final de ton disque semble avant tout résider dans le partage avec ton public. Ce partage il est plus évident sur scène…

K : L’un ne va pas sans l’autre, en sachant qu’un morceau n’a pas la même signification sur scène et à la maison. En gros, un morceau comme ‘Hey Papi’ a relativement peu de sens quand tu l’écoutes sur ta chaîne chez toi. Enfin sauf si t’as envie de te mettre la patate le matin. Par contre, si tu vas dans une soirée et que tu l’entends à fond ça devrait te faire un truc.

A : Un peu comme ‘Dis-moi ce qu’elles veulent’…

K : Exactement. Les morceaux ont un sens, comme un bon vin ils doivent être mariés avec le bon plat dans un bon environnement pour prendre une autre dimension. Certains morceaux ont plus de sens sur scène, d’autres en ont moins.

A : C’est aussi pour ça que tu as des morceaux plus posés, plus intimistes dans ton album….

K : Bien sûr. Après je peux faire ce type de morceau également sur scène, tout dépend vraiment de mes envies. Par exemple, j’aime faire ‘Une journée fade’ sur scène, à mon avis ça fait sens. Quand j’aurai la chance d’être un peu plus connu, si ça arrive, j’aimerais énormément faire des titres comme ‘Je serais là’ ou même ‘Amour et peine’ sur scène.

Je ne peux pas faire des morceaux comme ça, il faut que tout fasse sens. On travaille aussi pour ça, pour que chaque scène, chaque jour, chaque moment ne soit pas le même.

A : Toujours sur cette idée des concerts, comment est-ce que tu fonctionnes ? Quand tu pars pour plusieurs dates, tu sais déjà exactement ce que tu vas faire ?

K : En fait j’ai une trame sur laquelle viennent se greffer les envies du moment. Après, il y a une part d’improvisation et parfois on se permet quelques changements. Quand je me trouve sur les planches avec une formation DJ / Rappeur parfois DJ Kozi me balance des instrus et je sais pas sur quoi je vais tomber…

A : Tiens, d’ailleurs dans l’album, tu as repris cette idée là avec un passage où tu prolonges le morceau avec une partie plus freestyle…

K : Oui, c’est sur ‘Faut qu’on leur dise’, le morceau avec Enz. Et tu sais, c’est aussi pour ça que j’aimerais travailler avec plus de moyens. Certains veulent aller en maison de disques juste par principe, moi, j’aimerais avoir cette opportunité pour avoir les moyens d’être pleinement moi. Le jour où tu me passes les clefs d’un studio et que j’ai le temps de me concentrer uniquement sur mon travail d’artiste ça va être dingue. Je pourrais laisser libre cours à mes idées et mes envies. Ça me permettrait, je pense, de prendre une autre dimension.

« Cet album est aussi le fruit des rencontres et d’un certain hasard. J’ai pris des risques pour créer quelque chose de neuf. »

A : ‘Je serais là’ est à mon sens l’une des grosses réussites de cet album. Dwele est vraiment fabuleux dessus. Quel est le morceau qui te plaît le plus sur cet album ?

K : On m’a déjà posé plusieurs fois la question et c’est toujours aussi difficile d’y répondre. A vrai dire je dégage au moins cinq morceaux du lot. Le morceau avec Dwele est mortel…[pensif] Mais parmi mes morceaux préféres il y a ‘Un idéal’. Il me rappelle mon parcours de vie, les étapes par lesquelles j’ai pu passer. Avec cette même phrase qui revient toujours…on est à la recherche d’un idéal. On veut sortir de tout ça et continuer à aller de l’avant. ‘Je serais là’ c’est aussi une prière, une forme de leitmotiv qui me remet les idées en place. Ce morceau me fait aussi penser au rapport que je peux entretenir avec mon cahier, cette espèce de journal intime. [silence]
Oui, ce morceau me touche ! [rires].

A : Dans l’interview qu’on a fait il y a maintenant quatre ans, tu disais que l’écriture était une forme d’exutoire…

K : Oui, comme tous les auteurs. Ce morceau là, ‘Je serais là’, ce n’est pas un exutoire, c’est davantage une contribution. Un certain nombre de gens te disent que tout va mal mais ils ne proposent aucune solution. Ce morceau en propose une et fait un peu office de médicament à mes yeux.

A : Comment s’est présentée la possibilité de faire un morceau avec Slum Village ?

K : Une partie de mon label actuel est basée sur Detroit. Cet album est une co-production entre Ascetic et Green Stone. J’ai donc eu la possibilité de travailler à Detroit avec un ingénieur du son, Joey Powers. En travaillant sur mon album et en le finissant j’avais un certain nombre de morceaux qui étaient ouverts. Au même titre que pour un concert, j’ai toujours une trame avec quelques morceaux qui peuvent évoluer, et je me laisse toujours le dernier moment pour choisir d’apporter ou non des changements. ‘Dis-moi ce qu’elles veulent’ comme ‘Je serais là’ faisaient partie de ces morceaux susceptibles d’être revus en fonction de la vibe du moment.

Pour ‘Je serais là’, Joey écoutait des morceaux en me disant qu’il aimait vraiment bien et voulait faire écouter mes morceaux à son cousin. Son cousin est ingénieur du son pour Dwele et Slum Village. Voilà, donc il leur en a parlé, ils ont écouté les morceaux et ont accepté d’y participer.

A : Justement, puisqu’on parle de Joey Powers, ancien ingénieur du son, notamment d’Aaliyah, j’imagine que ça a du être un sacré kiffe et une belle expérience d’avoir réussi à mener ça…

K : On sait travailler plus que correctement la musique en France avec de bons ingénieurs du son. Je m’entends très bien avec mes ingés sons, mais je me suis posé une question. Je me suis demandé s’il pouvait être intéressant de rencontrer de nouvelles personnes et m’ouvrir éventuellement de nouvelles perspectives musicales. Joey m’a apporté un son qui n’existe même pas dans le rap. C’est un son très atypique, très clair et brillant. L’alliance de mes prods et sa vision a permis de concevoir quelque chose de nouveau.

Voilà, moi, c’est ça que j’aime. Comment un monde qui en rencontre un autre peut permettre d’aboutir à un troisième nouveau monde. J’ai besoin de ça…et c’est aussi pour ça que je n’aime pas les endroits trop balisés. Voilà, cet album est aussi le fruit des rencontres et d’un certain hasard. J’ai pris des risques pour créer quelque chose de neuf.

A : T’entendre évoquer ces rencontres me rappelle que sur cet album tu as fait appel à beaucoup de producteurs différents, ces collaborations font-elles partie intégrante de ces rencontres qui nourrissent ta musique ?

K : Il y a cette envie de partage mais aussi le fait que je n’ai pas encore trouvé le producteur qui soit capable et possède l’envie de créer avec moi une vision. Donc, je suis livré à ma pensée, je prends les choses en main, j’ai des rencontres et je matérialise mes envies.

A : On parlait de Dwele tout à l’heure….Sur un sujet finalement assez proche, j’imagine qu’en bon kiffeur de Soul tu as été touché par le décès de Dilla…

K : Quand j’ai appris son décès j’étais à Detroit avec mon amie de là-bas. Elle était en train de parler avec son manager qui lui a appris que Dilla venait de décéder. Ce jour là, on était en pleine visite du centre ville de Detroit, dans un pur délire, bonne caisse, bon son…Et là on a appris ça.

A : Tu l’avais vu en concert à Paris quelques mois avant son décès….

K : Oui, c’était un concert Hip-Hop Résistance d’ailleurs, big up à eux. A vrai dire, je savais pas trop si je devais y aller. Finalement j’y ai été et j’ai pris conscience qu’en tant que spectateur on a un vrai rôle. Jay Dee était là avec sa mère et ses potes. On savait tous que ces moments étaient ses derniers.

Ce jour-là, le public a rendu hommage à l’artiste, de son vivant. On peut se poser une question dure mais légitime: y a t-il une plus belle mort ? Tu parcours le monde avec la personne qui compte le plus à tes yeux, ici sa mère. Tu lui rappelles tous ces moments passés derrière les machines, où tu lui disais que ça allait marcher pour toi… Là, regarde, on est en France, à Paris, et cette ville a une vraie signification pour les Américains, et tous ces gens sont là pour ma musique.

Il a fait cette tournée dans tous les pays. C’est là que je me suis demandé s’il y avait une plus belle façon de partir. Moi, j’ai eu un rôle au même titre que tous les autres spectateurs ce jour là. Tous les morceaux qu’il mettait étaient de vraies tueries et on se cachait pas pour lui dire.

« Un certain nombre de gens m’ont mis le pied à l’étrier, qui ont passé du temps avec moi et je considère que c’est mon rôle de ne pas les oublier et de le faire savoir. »

A : Ton album est accompagné d’un DVD avec un petit reportage retraçant ton parcours. On y comprend un peu mieux ton évolution. On a également l’impression que les années passées au Pont de Sèvres ont plus ou moins déclenchées tes envies d’expression et de faire du rap ton quotidien.

K : On ne peut pas nier les rencontres que l’on fait à treize ans, surtout quand ces rencontres vous plongent dans un art. Justement, je reproche souvent aux rappeurs et musiciens français de ne pas citer leurs pairs. Ils ne revendiquent pas leur héritage et ça me semble vraiment dommage. Je me suis promis de ne jamais faire ça. Un certain nombre de gens m’ont mis le pied à l’étrier, qui ont passé du temps avec moi et je considère que c’est mon rôle de ne pas les oublier et de le faire savoir.

A : Ton héritage est composé des disques des artistes qui ont compté pour toi mais aussi les gens que tu as rencontré, je pense notamment à Zoxea dont tu parles dans ce DVD…

K : Bien entendu. Comment bâtir son avenir quand on ne connaît même pas son passé ? Quand j’étais à Detroit j’ai vu des mères qui devaient avoir quarante-cinq ans en train de chanter ‘Lodi Dodi’ avec leur fille qui devaient avoir dix-huit ans et d’écouter du Public Enemy enchaîné avec du T.I. je me suis dit qu’un truc n’allait franchement pas chez nous. Il faut créer le lien entre les générations. Je pense qu’en France on ne rend pas assez hommage aux artistes, il y a une espèce d’ingratitude. Il faut citer nos influences et donner ainsi la chance aux gamins, petits frères et potes de découvrir d’autres artistes.

Personnellement, ça me paraît aberrant de ne pas citer La Cliqua dans mes influences fortes. C’est quelque chose de trop fort dans ma vie pour le renier. J’en suis fier, comme je suis fier de Rocca, Daddy Lord C, Raphaël, Lumumba, Chimiste, Egosyst, de tous. Je me dois de les citer, peu importe ce qui s’est passé après entre nous. Ça fait partie de moi.

A : Aujourd’hui tu es encore en contact avec certain d’entre eux ?

K : Non, mais peu importe. Chacun a suivi son parcours et tu sais combien il peut être difficile de rester en contact avec des gens que tu as connu si jeune.

A : Tu es crédité comme producteur exécutif sur cet album. A mes yeux, le terme producteur exécutif est vraiment le rôle le plus fourre-tout au monde. Peux-tu nous préciser quel a été ton rôle concrètement dans la composition musicale ?

K : Producteur exécutif ça signifie avant tout des capitaux et beaucoup de temps investi. Du temps passé à rencontrer, écouter différentes personnes et bien s’entourer.
C’est un gros travail, qui normalement n’incombe pas à l’auteur. Mais voilà, c’est très intéressant, notamment humainement parlant. Pour ce qui est de l’ordre des morceaux, il faut que je le félicite, c’est Jee 2 Tuluz qui l’a déterminé.

A : Ah, notre Jee national ! [rires]

K : Ouais, on a pas mal discuté de tout ça. Moi j’avais un ordre pas très loin du sien. C’est en échangeant qu’on a pu trouver l’ordre parfait. [rires]

A : J’ai eu plusieurs fois le plaisir de voir Insight sur scène, dans des duos toujours très énergiques, avec Edan (Duplexxx) ou avec toi, au Réservoir il y a quelques années de cela, avant même ce morceau commun ‘Stick to ground’. En regardant le clip de ce morceau, on se dit que vous avez du bien kiffer faire ce morceau commun, et tous ces échanges en rafales.

K : C’était vraiment un plaisir. Déjà tu te retrouves à valider ce que tu travailles depuis des années, ton art. Tu maîtrises la forme et derrière tu peux dérouler. Ensuite, au-delà de cet aspect là, il y a le plaisir d’être avec quelqu’un avec qui tu partages le même langage. Ce langage c’est le Hip-Hop. Et avec Insight, on s’est compris.

Je suis venu le voir en lui disant que je voulais écrire un morceau qui s’appellerait ‘Deux pieds sur terre’. J’ai pensé à deux titres. « Stick to the ground » ou « Stick to ground« , en sachant que « Stick to ground » ce n’était pas la bonne forme grammaticale. Mais ça sonnait grave ! [rires] Mon idée c’était vraiment de dire que je reste collé au sol, avec ma vision, les deux pieds sur terre. Déjà, ça, c’était mortel.

Après, je lui ai proposé deux prods, en lui disant qu’on pouvait aller soit dans mon monde, soit dans le sien. Je lui ai fait écouter et là il m’a dit : « J’aime bien, mais je pense qu’on va plus s’éclater si on va dans mon univers ! [rires] »
C’est ce qu’on a fait et là c’était encore un autre travail. On avait une thématique commune, et là on était dans l’échange. Moi je voulais parler de tous les rêves qui peuvent nous animer et parfois aussi nous bouffer.

On a commencé après à structurer le morceau, à écrire nos histoires respectives et surtout à parler Hip-Hop. A expliquer comment on allait faire ça, à balancer nos flows. On a chacun halluciné. J’ai filmé les moments où pendant le clip il reparle de cet échange. On a chacun refait le flow de l’autre. Ah c’était ouf ! [rires]

A : Cette idée des deux pieds sur terre semble t’avoir particulièrement plu vu que tu l’as repris comme titre de ton album.

K : Ce titre résume très bien ma vie, avec ce coté un pied en France, un pied à l’international. Il rappelle aussi que je sais d’où je viens et que j’ai un coté underground. Je devine que ça fait réagir du monde ça ! [rires] Mais surtout, deux pieds sur terre c’est pas uniquement dans le réel. C’est en opposition à six pieds sous terre. C’est la vie. Deux pieds sur terre mais la tête dans les airs.

A : Ah décidément, tu aimes bien ce type de jeu de mot. Déjà le titre de ton premier album pouvait être interprété de façon différente…

K : Oui, j’adore ça. C’est une de mes particularités.

A : Il y a maintenant quatre ans de ça (bordel, déjà !), on s’était déjà vu pour une première interview. Tu nous avais dit que tu envisageais de rapper jusqu’à quarante ans. Tu n’as pas changé d’avis ?

K : Non, je n’ai pas changé d’avis. Mais comme je te disais, j’attends à un moment une validation du public. Toutes proportions gradées, j’ai pas envie d’être un Van Gogh du rap. J’ai pas envie d’attendre de disparaître pour avoir la reconnaissance. Ce n’est pas une question d’âge. Je n’arrêterai que si à un moment donné tout ça n’a plus de sens à mes yeux. Enfin, tu sais que plus tu avances dans la musique, plus tu sais que l’écart se creuse. La découverte dans le domaine de la musique c’est un territoire infini. Énormément de choses ont déjà été faites, mais il en reste autant à faire, même plus. Et j’en ai vraiment envie.

A : Le mot de la fin, quelque chose à ajouter ?

K : Oui, mais tu vas me laisser dix minutes parce que je ne sais pas si tu l’as remarqué mais le mot de la fin tu ne l’as jamais pendant l’interview mais une fois qu’elle est terminée. Tu te dis : merde j’aurais dû dire ça ! [rires]

[NDLR : La discussion suit son cours. Le petit et vieux dictaphone est éteint. Un quart d’heure après, le mot de la fin arrive, comme prévu.]

K : Voilà le mot de la fin ! [rires] Ça va être : à suivre. Tout ça ce n’est que le début de l’aventure.

Abcdr : Comment as-tu débuté dans le Hip-Hop ? Directement par le rap ?

Kohndo : Non, en fait j’ai commencé en 1987 par le beat boxing. J’adorais vraiment le beat-boxing, et j’ai commencé en écoutant des trucs comme le ‘Rock it’ de Herbie Hancock, après les trucs comme ‘Break Dance’. Puis, un jour je suis tombé sur les Fat Boys, qui faisaient beaucoup de beat box, et j’étais dingue de ça. J’ai aussi beaucoup écouté Doug E Fresh, puis j’ai chopé Here is the DJ, I am the rapper, l’album de Jazzy Jeff & Fresh Prince. Là, j’étais très intéressé par le scratch, et il y avait tout un vinyl avec du scratch. Après je suis venu au rap, parce que j’aimais aussi les morceaux, et le cousin de l’un de mes meilleurs potes, Egosyst, habitait un étage en dessous de chez moi, et il s’avérait que ce gars c’était Zoxea. Lui et moi on est Béninois, et on se connaissait. Lui m’a fait découvrir des trucs comme Public Enemy et pas mal d’autres choses. Après de là, ça a commencé à s’étendre de plus en plus. Je suis passé au stylo, environ un an après avoir écouté les premiers morceaux d’Eric B. & Rakim. Je voulais rimer parce que je connaissais d’autres personnes qui rimaient, et qui le faisaient bien. Je trouvais que c’était à ma portée, donc je me suis lancé. J’avais pas mal d’imagination, et je me suis mis à écrire.

A : Par quel biais tu-as rejoint La Cliqua ? Via Egosyst donc ?

K : J’ai rejoint La Cliqua via mon groupe d’origine, Le Coup d’État Phonique. Le Coup d’État Phonique regroupait Egoysyt, Lumumba, Raphaël et moi. Nous, on était une filiation de ce qui était à l’époque Sages Po’. On s’était émancipé et on avait commencé à faire le tour des radios. Puis, lors d’une tournée on a rencontré Daddy Lord C et La Cliqua (l’entité La Cliqua à cette époque était pas encore définie). Et il s’est passé une alchimie très forte entre Chimiste, Daddy Lord C et Egosyst. Moi, j’étais plus en retrait. Mais, je comprenais le style de Daddy, et lui le mien. On a du coup commencé à se voir plus souvent, et il s’est avéré qu’il y’avait un mec qui rappait avec le DJ de Daddy Lord C. Ce gars s’appelait Rocca, et il a rejoint le groupe quelques semaines après.

A : On regarde aujourd’hui ces années 1994-95 comme la période dorée du rap français, avec l’émergence de nouveaux talents, parmi lesquels La Cliqua, Time Bomb… quel regard portes-tu aujourd’hui sur cette époque ?

K : Personnellement j’étais beaucoup plus axé rap américain, mais oui, c’était une grande époque ; après en attendant pour moi ça ne devait être que les prémices. Cette période c’était un bon état d’esprit, beaucoup de mélanges, beaucoup de dialogues entre les gens qui étaient dans le rap. On était tellement peu à le faire, qu’on se reconnaissait et les échanges se faisaient plus facilement. Il n’y avait pas encore de carcan imposé, et l’esprit était plus créatif. Oui, j’aimais vraiment bien cette époque. Mais, personnellement, je me réalise beaucoup plus aujourd’hui qu’avant. C’était une étape nécessaire, mais qui était vraiment lié à l’adolescence. Alors qu’aujourd’hui, je suis dans un stade plus adulte de mon art. A cette époque là, je n’avais même pas une vision artistique, j’avais juste un état d’esprit, une énergie. Dans l’ensemble, le quotidien, je préfère mille fois les années 1998.

A : Avec un peu de recul, et au vu du potentiel existant notamment au sein de La Cliqua, on nourrit quand même un peu le regret de ne pas avoir vu sortir un véritable album, avec une équipe au complet…

K : Oui quelque chose qui aurait suivi Conçu pour durer mais je ne sais pas si vous avez remarqué mais le titre « Conçu pour durer », indique que c’est cet album qui a été conçu pour durer, pas La Cliqua, sinon ça aurait conçue. Je ne sais pas si c’était significatif, mais aujourd’hui on va beaucoup m’en parler. Après, oui, on aurait tous aimé donner une suite à Conçu pour durer. Ce EP c’était vraiment un moment de magie. Après, on a été rattrapé la sphère médiatique, et celle des affaires. On a perdu une pureté, on s’est peut-être pris au sérieux, et on a pas développé le style que chacun avait commencé à mettre en place. De Conçu pour Durer à Le Vrai Hip-Hop, il y a eu un vrai changement au niveau du phrasé. Le Vrai Hip Hop pour moi, c’était les bases de beaucoup de morceaux d’aujourd’hui, par rapport à l’approche rythmique, au grain. Au niveau des productions, c’était des trucs assez lourds, y’avait rien à dire, on avait une équipe béton. Par rapport au coté sombre et rue du Hip-Hop, c’est un truc qui a vraiment été ramené avec Le Vrai Hip Hop et les différents albums qui ont suivi, plus que sur Conçu pour durer. Conçu pour durer c’était une démonstration de style, avec ce coté freestyle, car tout était loin d’être calculé.

« Pour moi, pour être fort, pas besoin d’être dur. »

A : On peut avoir ta version des choses quand à ton départ de La Cliqua ? Rocca était plus qu’amer quand à ton départ, disant qu’Egosyst manquera à la Cliqua, mais que Kohndo, lui, manquera à personne ?

K : Le coté armée, gang, fermé aux autres me gênait, c’était complètement paradoxal, on venait tous de quartiers différents, et on avait un point de ralliement, à savoir La Fourche. On travaillait, on répétait là-bas. Du coté de notre sphère le Coup d’état phonique, il y avait Lunatic, et ce qui est devenu Less du neuf. Tellement de groupes sont passés avec nous, que je me disais que si nous on avait fonctionné comme ça à la base, jamais on se serait rencontrés. Il y avait là un paradoxe qui me gênait. Après je ne voulais pas prendre une identité qui n’était pas la mienne. On me demandait de forcer le trait par rapport au coté énervé et dur. Pour moi, pour être fort, pas besoin d’être dur. Après plus important, quand tu commences à avoir une vie de groupe, tu es en concert, souvent les uns sur les autres, tout ça commence à intégrer ton quotidien. Quand ça a commencé à trop occuper mon quotidien, par rapport à mes fréquentations notamment, ça m’a gêné. Moi, à ce moment là j’étais beaucoup dans un univers de fac, à me pencher sur mes exams. Le fait de pas pouvoir tripper avec mes potes de la fac, les emmener dans mon délire, ça me gênait. Après, dans l’ensemble, c’était un temps qui correspondait à l’adolescence, et tout ça aujourd’hui c’est révolu.

A : Justement, quand tu as quitté La Cliqua, au niveau artistique c’était plus un soulagement, le sentiment que toutes les portes t’étaient désormais ouvertes, ou au contraire plus un point d’interrogation quand à la suite de ta carrière musicale ?

K : Je sais pas – pour moi cette période c’était hier, mais il s’est passé tellement de choses entre temps. Enfin, tout ça c’est le mektoub, c’est la vie, avec ses hauts et ses bas. Personnellement, je sais que j’ai un potentiel, quelque chose en moi, la possibilité de développer plein de styles, et il était temps pour moi de me tester réellement. Dans le même temps, c’était aussi une manière de dire que la vraie force se situe au niveau psychologique pas au niveau des bras. Je pense avoir établi à travers mon parcours des fondements solides. Tout l’apprentissage humain autour de mon départ de la Cliqua m’a de fait libéré, et permis d’avancer. La Cliqua en soi, ce n’était qu’une étape.

A : Quelle vision artistique as-tu aujourd’hui sur ce que peuvent faire Rocca, Daddy Lord C, Raphaël ?

K : Ce sont des gens que j’ai toujours respecté. La puissance de Daddy Lord C, par rapport à tout ce qu’il a écrit, c’est impérissable. Rocca, que ce soit Conçu pour durer, ou son album Entre deux mondes, auquel j’ai beaucoup participé, pour moi ça restera des classiques. Aujourd’hui, je connais pas bien leur boulot, j’ai pas pu réellement suivre leurs évolutions, si ce n’est via des articles et revues de presse que j’ai pu lire à propos d’eux. Mais, au niveau des oreilles, j’ai une manière d’aborder ma musique de façon assez immergée et tournée vers l’outre-atlantique. J’écoute peu de rap français, je suis dans un style loin de ça. Comme on vient de la même base, je ne pouvais pas me permettre d’écouter ce qu’ils faisaient, ne serait-ce que pour ne pas être imprégné, au cas ou. J’ai donc toujours été loin du groupe, à partir du moment où je l’avais quitté.

A : Pourquoi être passé à ton départ de La Cliqua de Doc Odnok à Kohndo ?

K : Avec Egosyst je travaillais en groupe, et à son départ de La Cliqua, il a fallu que je passe à un autre stade, celui du travail seul. Et à cette époque là, je commençais à arriver au début de ma maturité, j’avais 20-21 ans. Je me suis dit : « Kohndo c’est ton prénom, tu vas rapper sous ce pseudonyme ». Doc Odnok, c’était un nom que j’avais depuis que j’avais quinze piges, et j’ai laissé derrière moi tout cet état d’esprit lié à l’adolescence à travers ce personnage de Doc Odnok.

A : Et le morceau « Doc Odnok vs Kohndo » ?

K : oui, ce morceau à tout son sens dans la mesure où pendant ma carrière solo beaucoup de gens m’ont parlé de Conçu pour durer, du flow que je pouvais développer, de l’énergie que je pouvais déployer à travers le personnage de Doc Odnok. Pour moi Doc Odnok, c’est un personnage, un alter ego. Je trouve mon phrasé d’aujourd’hui plus riche, plus efficace que ce que pouvait développer Doc Odnok. Je me suis alors dit qu’il était préférable d’éviter mille discours. J’ai alors pris le style Doc Odnok juste pour montrer que je le maîtrise parfaitement et j’ai pris moi, ce que j’aime faire, et au résultat j’ai confronté. Au résultat, lorsque je réécoute le morceau avec deux ans de recul, je préfère nettement Kohndo. Je trouve que je suis celui que je suis dans la vie, pas quelqu’un de criard, je suis pas un ouf’.

A : Lorsque t’es parti de la Cliqua, Daddy Lord C et Rocca ont embrayé sur des albums solo, toi tu as préféré repartir sur des maxis, c’était par manque de possibilité ou parce que tu ne te sentais pas prêt ? Ou autre chose ?

K : J’estime qu’il y avait à ce moment là tout à construire, et ça je le savais. A partir de là, quand tu as tout à construire, il faut établir des bases solides. J’y suis donc allé par étapes. Et les artistes que j’aime aux États-Unis, des gars comme Nas, Common, ont toujours eu cette démarche de faire d’abord le maxi pour faire ses preuves, découvrir ton public, montrer tes différentes facettes, puis après l’album en tant que consécration de ces étapes-là. En même temps, j’ai toujours travaillé sur un album, j’ai toujours démarché pour, et si on m’avait donné la possibilité d’en faire un, je l’aurai fait. Mais, sincèrement, aujourd’hui, avec le recul, je trouve que c’est très bien comme ça.

A : A travers ces trois maxis, on peut voir un reflet d’influences relativement larges, notamment dans la production, tu avais cette volonté d’apporter un peu de variété dans les sons et ta façon de rapper ? 

K : Notre démarche au sein de La Cliqua, c’était de montrer qu’on était vraiment dans un art, qu’on pouvait décliner à l’infini au niveau des phrasés et des productions. J’ai eu la chance de produire très jeune, et de côtoyer des gens comme Logilo, Lumumba, Chimiste, Zoxea, Egosyst ; et je suis riche de tout ça. La démarche qui m’a toujours habité c’était de montrer une certaine diversité. Mais, réellement, mes maxis, ont quand même un axe, et ils ont balisé le terrain. Le premier maxi, Prélude à l’odyssée, avait pour objectif de travailler sur la puissance du verbe. Il y avait dessus un titre comme ‘Mon nom en autographe’, produit par Lumumba, avec une volonté de mettre en place une ambiance posée, laissant de la place pour les mots. Puis Jungle Boogie, qui laissait plus de place à l’énergie, tout en comportant beaucoup de sens. Il y avait à la fois le fond et la forme. Un morceau comme ‘J’entends les sirènes’ était peut-être plus axé sur la forme, avec ce coté live. Jungle Boogie est définitivement le maxi qui me représente le plus. Aujourd’hui, cet album définit vraiment mon univers instrumental.

A : En parallèle de ces maxis, tu as fait pas mal d’apparitions sur albums, compilations et mixtapes, entre autres Extralarge, la tape du MIB, La fin du Monde – c’était une façon de montrer au public que tu étais toujours là ?

K : Non, sans être vantard, c’est juste que je suis extrêmement sollicité. Mon téléphone sonne souvent pour des mixtapes. Je réponds parfois présent, mais je me désintéresse de plus en plus de la mixtape car ça a peu de répercussions quand tu es un artiste qui est déjà fait. Généralement, le temps qui t’es imparti fait que tu n’as pas le temps de développer quelque chose. J’ai plus l’impression que la mixtape c’est un acte social que tu fais pour quelqu’un que tu connais pas. Tu aides quelqu’un à avancer, c’est marrant au départ, mais à la longue ça a peu d’intérêt.

A : Est-ce que tu vois les featurings sur les albums (NAP, Koma, Kenzo notamment) de la même façon ?

K : Oui, alors là il faut replacer les choses dans leur contexte. C’était une époque où j’avais encore cette image de La Cliqua, mais je voulais vraiment tourner la page, être Kohndo. J’ai eu pas mal de sollicitations, et toujours aimé l’échange, j’ai donc répondu présent. Mais, aujourd’hui pour moi les featurings n’ont d’intérêt, que s’il y a un véritable échange humainement parlant. A l’heure actuelle, les featurings à tout va, ça n’a plus d’intérêt. Depuis deux-trois ans j’ai arrêté les featurings et les mixtapes, j’en ai fait juste une ou deux fois par an.

A : Par rapport aux featurings que tu as pu faire, tu en as fait plusieurs avec Rocé (sur Extralarge, Le Réveil, sur l’album de Kent-Zo), ce n’était pas que des coïncidences, il y avait une réelle affinité avec lui ?

K : C’est assez drôle, puisque avec Rocé, il ne s’agissait justement que de coïncidences, qui doivent quelque part avoir leur sens. Quand Rocé avait créé son premier titre, « Ma face en première page », il l’a amené à Arsenal. Et il s’est avéré que le mec qui gérait Chronowax par la suite, m’a dit « écoute ce gars là, il aime vraiment bien ce que tu fais, et vous avez l’air d’être dans le même état d’esprit. » Et quand il m’a dit ça, en l’espace de deux ans, on s’est retrouvé à être invité aux mêmes endroits.

« J’ai eu la chance de faire mon chemin musicalement, et j’ai toujours eu une ouverture d’esprit par rapport à plein de styles musicaux différents ; que ce soit le Jazz, la Soul, le Rock, la musique électronique m’intéresse aussi, la House un peu aussi. »

A : Ces trois maxis constituaient donc diverses expériences, c’était un passage nécessaire avant le grand saut de l’album ?

K : C’est ce que j’appelle mon DESS de Hip-Hop, 5 années durant lesquelles je devais atteindre tous les objectifs que je m’étais fixé, au niveau du phrasé, au niveau textuel, musical et technique. Mais aussi savoir comment fonctionne le marché, déposer ses disques dans les bacs, acquérir une autonomie, commencer aussi à travailler mon image, savoir qui je suis, pourquoi je rappe. Il fallait s’interroger et développer tout ces points en profondeur. Voilà, donc pourquoi cinq années.

A : Toutes ces expériences, ce n’était pas quelque chose que tu voulais développer avec ton premier album, tu voulais que tout ça soit acquis avant de le sortir.

K : Oui, exactement. Je voulais que mon premier album soit un chef d’oeuvre, une pièce. Le premier album de Nas, Illmatic, c’est un bijou, Pete Rock & C.L Smooth, le EP, même chose. Bref, toute la ligne de conduite de l’artiste est défini avec un premier album, et c’est fondamental pour moi. Je me devais tout acquérir avant, sinon j’aurai regretté des choses, et je ne voulais pas ça.

A : On retrouve au sein de ton album une unité musicale, posé, avec des relents de soul, de jazz, c’est le style dans lequel tu te sens le plus proche aujourd’hui ?

K : Ah, aujourd’hui, c’est mon style. J’ai eu la chance de faire mon chemin musicalement, et j’ai toujours eu une ouverture d’esprit par rapport à plein de styles musicaux différents ; que ce soit le Jazz, la Soul, le Rock, spécialement le Rock expérimental des années 70, la musique électronique m’intéresse aussi, la House un peu aussi. Avec tout ça, j’aurai pu me perdre rapidement, mais avant j’avais bien défini mes préférences musicales. Je suis vraiment tombé amoureux de la Soul il y a huit ans environ, j’ai aussi pris le temps de bien comprendre le Jazz, des artistes comme John Coltrane. John Coltrane et son approche de la phrase musical m’a beaucoup plus influencé que Miles davis – quoi que Kind of blue – Davis, Coltrane, Cannonball Adderley, Bill evans- live et studio tournent en boucle chez moi, de même que My favourite thing. En comprenant leur travail, j’ai appris à me définir. Quand tu te prétends artiste, musicien, tu te dois de savoir où tu vas. Comme on dit, le mauvais musicien se contente de faire ce qu’il a déjà entendu, le musicien moyen arrive parfois à créer à partir de rien, et le bon musicien sait à l’avance où il va. Moi je savais où j’allais, et dès lors je voulais que ce soit le testament de ce que je suis, ce que j’aime. J’ai cherché à atteindre la pureté. Je ne voulais pas faire de morceaux équivoques, laissant la place au doute, donc, oui, cet album est très homogène.

A : C’est pour ça qu’il n’y a qu’un seul featuring au sein de l’album ? Parce que tu n’avais pas besoin d’aller chercher autre part, parce que tu savais à l’avance ce que tu voulais sur ton album ?

K : Non, en fait il y a deux façons d’aborder le featuring. Soit il existe une connivence, ce que j’ai avec pas mal d’artistes, et à ce moment là, c’est une façon de se rejoindre. J’ai des connivences avec pas mal de gens, mais ça n’aurait pas été mon album. De plus, pour moi il est plus simple de travailler tout seul. Dans un second temps, j’estime qu’un featuring dois apporter une chose qui n’existait pas, et j’ai estimé qu’à chacun de mes morceaux, d’un point de vue textuel et technique, j’ai abordé tout le temps quelque chose de différent. Dans le simple domaine de l’accapella, si tu n’écoutes que le phrasé et les thèmes abordés, aucun morceau n’est pareil. Je n’ai donc pas eu besoin d’apporter une diversité, si ce n’est la voix de Speko qui apporte une fraîcheur à ‘La chute’.

A : Justement par rapport à l’accapella, j’avais lu que tu essayais que même l’acapella comporte une certaine musicalité, est-ce que cette musicalité vient du texte ou du flow ?

K : Pour moi, la musicalité vient purement et simplement du flow. C’est de la métrique, du rythme. Et le rythme ça s’acquiert avec le solfège, c’est de la simple technique. J’ai eu la chance de connaître ces outils, et de les maîtriser. Réellement, ma technique ne sert qu’à habiller ma pensée. Certains m’ont classé parmi les techniciens, alors que je n’en suis pas un, je ne suis pas dans la catégorie des Redman, Busta Rhymes, Method Man. Je suis plus dans la catégorie des gens qui développent des écrits, mais il fallait aussi que ma technique soit révélatrice, et en accord avec ma manière de penser.

A : Less du Neuf a une conception tout à fait inverse, pour eux le flow doit être le plus proche possible du parlé.

K : Oui, mais c’est très fort. J’apprécie beaucoup Less du Neuf parce que c’est un groupe qui a une démarche, qu’ils peuvent t’expliquer. Eux, considèrent que le mot, le coté grammatical du français, a toute la musique nécessaire pour swinguer sur un instru. Pour moi, c’est intéressant dans le domaine de l’acapella, mais d’un point de vue métrique tu ne peux pas placer plus d’un certain nombre de mots dans une mesure, tu dois placer tes respirations. Bref, je considère qu’il faut travailler l’esprit musical, tout comme on va travailler une mélodie dans la chanson. Après, ce sont deux conceptions différentes, mais qui se valent l’une et l’autre. Après, c’est la manière de mettre en forme le tout qui importe, et qui fait notre valeur.

A : Comment tu abordes le travail de producteur, en comparaison avec les modèles que tu peux avoir dans le genre, où ça se fait plus au feeling, dans un esprit personnel ?

K : C’est assez récent cette idée de se rapporter à des producteurs références. Moi, quand j’avais quinze ans, je touchais au sampler, un S-1000 en MJC, puis du 950, de la MPC 3000, et quand nous on faisait du son, on voulait uniquement faire du rap qui sonne comme on aimait. Moi, je suis resté dans cet état d’esprit. J’aborde personnellement le rôle de producteur avec beaucoup de distance. Mon but en la matière, est d’atteindre un niveau de production équivalent à celui que je peux avoir derrière un micro.

A : Je faisais cette référence directe aux producteurs, parce que je sais que tu t’intéresses à une scène indépendante Américaine avec des atmosphères très fortes, et des producteurs atypiques, je pense notamment à El-P, ou J-Zone ?

K : C’est une scène que j’ai découvert il y a environ un an et demi, parce que comme tu le sais, j’écris dans un magazine. Je comprends la démarche des ces gens, même si elle demeure loin de ma conception musicale. Ça rejoint ce que je disais en terme de phrasé, l’important en musique est d’avoir une démarche. J’ai personnellement une démarche musicale que j’essaie d’affiner. Je ne sais pas encore quel son exactement peut me définir, mais j’y travaille beaucoup.

A : Tu ne penses pas que seuls les initiés pourront percevoir les différents flows que tu as pu avoir sur ton album ?

K : Pour moi, c’est la même chose que le style en prose. Je considère que mon rap est adressé aux adultes. Quand je mets mon disque en fond et quelqu’un de plus de 25 ans l’écoute, il me dit souvent : « ah, c’est bien ça ». Pourquoi ? parce qu’il est porté par une musicalité. Autre point, c’est aussi parce que les gens écoutent ce que je dis, et comprennent. Mon flow agit donc exactement comme je le voulais, à savoir comme un vecteur pour mes mots.

A : Pour rentrer plus dans l’aspect textuel de ton album, j’ai trouvé la rime suivante particulièrement symbolique « Le rap ça va plus loin c’est une expression, ça libère de mon corps le poids des frustrations », tu perçois aussi le rap en tant que thérapie ? 

K : Ahhhh…j’aime bien quand on comprend ! [rires] Aujourd’hui, il y a plein de gens qui se battent pour se faire entendre à tous les niveaux, partout au travail, à l’école, face à ton patron, tes parents. Quand tu es sur scène, finalement c’est le seul endroit ou personne viendra te couper la parole, pour peu que tu sois bon. La scène est un endroit extrêmement libérateur, où tu transmets quelque chose, tu t’exprimes et tu as une réaction immédiate. Pour moi, qui suis quelqu’un qui a du beaucoup lutter pour se faire entendre, le rap, le mic, la scène et sortir des disques, c’est une manière de pouvoir réellement lutter contre tout ça.

A : L’échange avec le public est fondamental…

K : ….Complètement, on est dans une période où on manque de communication. Quand on va exprimer une pensée, que quelqu’un n’est pas d’accord, il va te mettre un poing sur la gueule, ça c’est pas normal. Comme je le dis dans ‘La Partition’, c’est parce qu’on joue tout seul, on prend pas la peine d’écouter. Si moi je n’écoute pas bien ta question, je ne peux pas bien y répondre. A un autre niveau, si le dialogue entre les décisionnaires et le peuple était plus instauré, on irait plus loin, plus vite. J’ai vraiment besoin de cette échange avec le public, c’est pour ça que j’existe.

A : J’avais lu sur Forumhiphop.com, que tu espérais qu’Internet soit un lieu d’échange.

K : Je suis encore mitigé sur l’Internet. J’ai eu des désillusions, mais en attendant c’est vrai que j’ai réussi à établir de vrais contacts avec des gens. En fait, quand tu n’es pas dans une relation artiste-public ça se passe beaucoup mieux. Ça te permet d’échanger des idées, des opinions, ou de mettre à d’autres personnes de découvrir de nouvelles musiques. Après, j’ai vu sur certains sites des microcosmes, et des gens qui empruntaient des personnalités derrière leur clavier qui n’étaient pas la leur, et ça me gène ça. Mais, il y a des choses à faire sur Internet.

« L’émotion d’une musique, c’est mon catalyseur c’est elle qui m’inspire. J’ai besoin de ressentir les choses. »

A : Dans ‘Loin des halls’, on a un message d’espoir au refrain, malgré la noirceur des couplets. En revanche, tu es beaucoup plus défaitiste dans ‘Trop de haine’. Ce sont deux constats contradictoires ou au contraire deux visions complémentaires ?

K : En fait, ‘Loin des Halls’, est un texte qui m’a été inspiré en arrivant dans le quartier où j’ai passé mon adolescence Le Pont de Sèvres à Boulogne. C’était il y 3 ans de ça je rentrais de studio, il était 3 heures du mat’, et en bas de mon immeuble, il y avait un mec que je connaissais qui avant de faire du rap était un sportif talentueux. Entre temps il s’était mis au rap, il était rentré dans le trip shit, alcool, et racaille attitude. Il arrêtait pas de répéter « c’est la merde mon frère heureusement on a le rap pour s’en sortir. » Le mec avait un père qui bossait pour un organisme du type O.N.U et il avait toujours eu la vie facile et sous prétexte qu’il habitait dans un HLM il se mettait dans un faux délire. Je me suis donc mis à réfléchir sur ce qu’était la vie de quartier en essayant de faire la synthèse entre ses défauts et ses qualités. Les couplets sont très nuancés. Je dis « parfois c’est comme la jungle » et non « c’est la jungle ». Un peu plus loin je dis « y’a pas un jour qui passe sans que le quartier soit un brasier » mais je nuance le propos en expliquant que le conditionnement dans lequel nous nous mettons y joue un grand rôle. Les médias et le rap aussi y participent aussi « tu sais ce qu’il y a les mille et comptes le disent , les disques en parlent et chaque jour les scènes se multiplient ». Et puis tout à la fin du premier couplet je conclus par « y’a pas que la merde, je veux que nos vies recréent une osmose ». C’est à dire que j’aimerais qu’on recrée une unité. Qu’on se serre les coudes pour changer ensemble l’environnement qui nous conditionne.

Je dépeins le quartier comme un endroit difficile qui forge le caractère, comme un lieu empli de paradoxe, où les jeunes pètent les plombs mais s’y plaisent parce que ça donne un statut d’homme plus ou moins fort. Je décris le quartier comme un endroit où s’étend le fossé des générations, où les conflits entre les jeunes et les forces de l’ordre sont fréquent sans qu’aucun d’entre nous ne réfléchisse profondément au pourquoi du comment. Pour finir je pense que le quartier est un endroit truffé de bon délires comme les soirées d’été où l’on est dehors à écouter du son dans les caisses et où on se marre entre potes sans faire chier personne.

Ma vision du quartier n’est donc pas pessimiste. Au fond, n’importe quel mec qui a une vision à long terme, a envie de sortir du délire cité (qui n’est d’ailleurs pas la vie de quartier). Tu vois, quand je pense au Pont de Sèvres je remarque que la plupart des mecs de ma génération et de celle d’avant l’avait déjà compris. Je trouve que les grands de mon quartier ont été des bons exemples. Dans ‘Trop de haine’ ce n’est pas le quartier qui est dépeint c’est la psychologie du mec de quartier. Tu rentres dans une situation. Tu es dans ma tête et tu comprends comment à partir d’un rien les embrouilles fusent. J’y décris tout ce qui a conditionnés nos réflexes d’agressivité et la manière dont la tension monte d’un cran à chaque seconde. Le texte fini avec un mec assommé sur le sol avec en tête, la haine, la vengeance, le dégoût, mais aussi la joie d’être encore en vie. Y’a plein de questions qui reste en suspens. Cette histoire est basé sur un fait réel. Et si je suis là pour en parler c’est que les histoires ne finissent pas toujours mal. Donc ma vision est réaliste mais pas cynique. Nous sommes certes le produit de notre environnement mais pas uniquement.

A : Les instrus que tu choisis, surtout ceux de Jee 2 Tuluz, comportent beaucoup d’émotion : c’est voulu ou inconscient ?

K : Je ne suis pas une machine sur laquelle tu appuies et qui sort un texte en alliant des techniques et des mots. L’émotion d’une musique est mon catalyseur c’est elle qui m’inspire. J’ai besoin de ressentir les choses. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas excellent en freestyle, là où la plupart des DJ t’envoient des beats froids à la Premier ou à la M Boogie. De même, il m’est impossible d’arriver à lâcher un truc puissant sur des instrus à la Anti Pop Consortium, Cannibal Ox et compagnie. J’ai besoin de ressentir mes influences et de retrouver une musicalité et une harmonie. En plus j’ai besoin de me retrouver dans les musiques que font des concepteurs comme Jee, Yvon ou Stix. J’aime bien que les gars pensent à moi quand ils créent leurs instrus. En général, je pars de l’instru pour écrire et non l’inverse. Dans les cas de ‘J’arrive phat’ et ‘Amour et peine’, les deux morceaux de Jee, ça tenait plutôt du concours de circonstance. C’est une heure avant que Jee reparte sur Toulouse, je les ai trouvé en fouillant dans ses zip. Selon Jee, ces deux morceaux n’étaient pas au niveau. T’imagines ceux qu’il considère comme au niveau alors… Il me fallait une atmosphère particulière et ces deux musiques les avaient et paf, deux bombes. C’est pour tout ces hasards que cet album s’appelle aussi Tout est écrit. Tous mes titres ont une histoire c’est qui fait le charme de cet album personnellement.

A : L’analogie entre la vie et la musique, dans ‘La partition’, n’est pas un peu naïve ?

K : Je tique toujours sur certains adjectifs. Je pense que mon album offre une analyse assez fine des événements et des situations pour que le mot naïf puisse ne pas être utilisé pour me définir. Nous sommes dans une période où le pessimisme et le cynisme règnent en maîtres: « J’crois que ce monde est plein d’gimmick, plein de cynique, plein de faux qui nous nique, plein de cons qui nous dictent c’qu’on doit faire ici… » Je ne compare pas bêtement, la vie à la musique. Ce texte n’est qu’une métaphore filé où la musique est synonyme d’unité, de respect et d’harmonie. En gros nous sommes un grand ensemble symphonique dans lequel chacun de nous n’a pas la même perception du chef d’orchestre. Certain l’appelleront Dieu, d’autre l’appelleront l’intérêt commun. Dans cette ensemble nous sommes tous des musiciens ayant pour but d’accorder nos partitions, c’est à dire nos vies les unes aux autres, c’est ce qui fait la société. Et le bordel général vient du fait que tous nous souhaitons être des solistes. Quand t’y penses, un orchestre n’est qu’une société à petite échelle la comparaison apparaît donc claire.

Il n’y a pas que la métaphore qui a son intérêt. Il y a des phrases beaucoup plus puissante que celle que tu as cité précédemment par exemple, « les mecs se calibrent et dans leurs tête ne sont même pas libre. Ils pensent être fort mais sans le stress ils pourraient même pas vivre ». En gros, je reviens à l’idée que j’évoquais dans Loin des halls selon laquelle nous sommes conditionnés par l’égoïsme, la violence, l’angoisse de la pauvreté, le cynisme.Non, définitivement, ce texte est profond. Il n’a rien de naïf. Il fait partie des textes que j’ai écrit avec mes viscères.

A : L’instru de ‘J’arrive phat’ donne l’impression d’une armée qui avance lentement mais sûrement. Rapper posément un texte égotrip, c’est la preuve ultime de la maîtrise de ton flow ?

K : Aaah ! Tu me plais quand tu captes tout ça ! J’aimerais que chaque auditeur puisse comprendre toutes ces subtilités. Ouais, c’est vraiment ce que j’appelle la puissance dans sa quintessence! [rires]. Tu vois, on qualifie de puissants tous ces rappeurs qui braillent sans savoir ce qu’il font. Attention, j’aime bien les gueulards, j’en étais un à une époque, mais ils doivent être à la hauteur de MOP ou Onyx. Leurs techniques de rap sont irréprochables. Mon style est un peu comme le Jet Kundo. C’est ça, du Jet Kohndo !

Mon style cherche la grâce et l’efficacité, il n’y a pas de fioritures. C’est un peu comme ces breakers ou ces gymnastes que tu vois faire leurs mouvements, plus c’est maîtrisé et plus ça paraît facile. Mais si tu tentes ne serait-ce que de refaire ce qu’il font, tu te rends compte de la complexité du geste. C’est d’ailleurs l’unique égotrip de l’album ce qui le met bien en valeur. J’adore ce côté du rap quand on en use avec parcimonie. Quant au terme « d’armée », il me rappelle de mauvais souvenirs, tu sais… J’ai plutôt envie de parler d’une équipe et c’est vrai que nous avançons lentement mais sûrement. Comme dit le dicton « le meilleur se bâtît dans le silence ».

« Je suis un peu déçu de voir combien les gens ont toujours besoin de mettre une façade pour se protéger. »

A : Tu vas faire de la scène avant de sortir ton album dans les bacs, c’est une démarche alternative, atypique dans le rap, pourquoi ce choix ? 

K : J’estime que mon premier juge sera mon public, si le morceau parle de lui-même, alors j’aurai gagné. Mes morceaux je les aurai testé, ils auront une dimension. Et au delà de ça, je considère que mon album est un message, et il prend du coup toute sa valeur une fois diffusé. Je sais que quand j’ai fait ‘La Partition’ au Batofar, il s’est passé quelque chose. J’ai vu des gars d’1m90, presque la larme à l’oeil, et des moments comme celui-ci valent 100 disques d’or. La scène, c’est aussi rencontrer des gens, voir ton public, aussi varié soit-il, qui vient te voir. Rien n’est plus beau.

A : Qu’est-ce que tu as de prévu pour l’instant au niveau des concerts ? Tu as déjà des dates ? Tu as l’intention de faire les concerts en solo ?

K : Je serais le 8 Octobre au Batofar, avec Insight et Octobre Rouge. Dans l’absolu je vois la scène avec un DJ et un MC. Mais je pense que ma musique prendra tout son sens quand je serai au sein d’une formation type The Roots avec un DJ en plus, c’est quelque chose que j’aimerais beaucoup.

A : Dans un des morceaux de l’album, tu dis « moi et mes gars on est la crème, et quand le micro on manipule, c’est pour être maître », qui sont aujourd’hui les personnes autour de toi ?

K : Ahhh, ça me fait vraiment plaisir d’entendre ça ! Nan ça me fait plaisir, parce qu’il faut que je rende à César ce qui appartient à César. Aujourd’hui, on me voit beaucoup comme un artiste solo, mais il y a des gens derrière.

Tout d’abord, il y a toute l’équipe de production. Commençons par Yvon. Yvon, il est dans des atmosphères à la Spinna, sans avoir jamais écouter Spinna, c’est moi qui lui ai fait découvrir. Il est dans des ambiances très planantes, mystiques, tu l’écoutes et tu te laisses emporter. Si ses atmosphère sont légères, ses beat sont lourds. Yvon c’est ‘La Partition’, ‘Paris son âme’, ‘Trop de haine’. Stix lui est plus brut, dans l’esprit d’un Joey Chavez, Peanut Butter Wolf. Il est aussi influencé par un DJ Premier ou un Pete Rock, mais tout en conservant sa personnalité, et en y apposant sa touche Jazz, Rock, Weather Report… Le troisième producteur, Jee2Tuluz, c’est vraiment celui que je connais depuis le plus longtemps, il était déjà là sur Jungle Boogie. Il avait fait le morceau ‘Dos au mur’, avec une ambiance très Funk. Jee c’est vraiment celui qui me connaît le mieux, il sait vraiment être à mon écoute. Il a tellement de palettes, et son propre toucher. La texture de son son est toujours très clean, mais aussi très lourd, en place. Il a fait ‘Amour et Peine’, et ‘J’arrive Phat’. Il est très Soul music, dans des ambiances presque Rythm & Blues. Jee2Tuluz, c’est vraiment mon assoc’, si demain j’étais flemmard, et si je voulais faire un hit, je l’appellerai et je l’aurai mon hit. [rires]

Après au niveau des Emcees, il y a Specko la fine pointe. Il est originaire de Clichy, et bosse souvent avec DJ Authentik, qui est lui aussi un élément important de mon travail, même s’il n’apparaît pas sur mon album. J’ai tellement essayé de viser au plus juste, que le scratch n’a pas eu la place qu’il aurait mérité au sein de mon album. Mais pour mettre un scratch, il faut l’avoir bien pensé avant, pour que ça prenne une réelle couleur à la fin. Je travaille aussi avec DJ Hitch, alternativement. Avec Specko la pointe, on partage le même background musical. On s’échange beaucoup de disques. Quand on rappe ensemble, il y a une véritable alchimie, même si on aborde pas le phrasé de la même manière. Il est plus rigide que moi, mais aussi bien plus efficace, avec un grain de voix hallucinant, et un coté nasillard fort. Enfin, Gas, qui lui est originaire de Lyon, ancien de l’écurie Medina, et qui mène aujourd’hui une carrière solo. Avec tous ces gens on forme une vraie équipe.

A : Depuis le début de l’interview, je suis étonné de voir combien Kohndo l’homme peut être similaire à Kohndo le rappeur. Tu développes une vision très personnelle et à la fois très intimiste, tu te livres beaucoup dans ton album, c’est quelque chose d’assez rare aujourd’hui. C’est une démarche que tu aurais aimé voir de la part de plus de rappeurs ?

K : Je suis un peu déçu de voir combien les gens ont toujours besoin de mettre une façade pour se protéger. Quand j’ai décidé d’être Kohndo, et plus Doc Odnok, j’ai décidé d’être moi-même, et de ne plus jouer un rôle. On est pas nombreux à pouvoir s’exprimer artistiquement parlant, sortir c’est difficile. Je laisse une trace avec cet album, et si demain je dois disparaître, je pourrai me dire que cet album c’est moi, pas quelqu’un d’autre. Cet album, je ne pourrai pas le regretter, j’ai été trop sincère pour ça. J’ai retiré tout ce qui pouvait être équivoque, je suis donc content qu’on ressente ça, c’est ce que je voulais, car pour moi il n’y a pas d’intérêt à être quelqu’un d’autre. Ce serait vivre dans le mensonge, et je refuse de vivre dans le mensonge. Il est grand temps d’avancer dans la vérité et avec dignité. Cet album, si demain je dois disparaître, sera le gage de cette dignité.

A : Je ne sais pas si c’est lié, mais il faut que tu m’expliques la phrase suivante, quand tu dis « ma dernière vision sera un chauve armé d’un gun, si le diable a une gueule coupable, d’autres ont la même sans blague ». C’est une allusion à Booba ?

K : Si j’ai fait cette allusion, c’est déjà parce que j’aime bien ce que fait Booba. Cette phrase là m’avait bien marqué. Et aujourd’hui Booba représente quelque chose, le rap hardcore, et c’est absolument nécessaire qu’il soit présent. Car si lui n’est pas présent, moi je n’ai pas non plus de raison d’être. Ce sont deux visions du rap, et deux visions de la vie et du monde. Il montre une réalité dans laquelle des milliers de personnes se retrouvent. Moi, je voulais insister là-dessus, afin de dire que si cette vision très négative, bien que réaliste, existe, moi je peux montrer une autre réalité. Cette phrase est juste là pour attirer l’attention, mais elle n’est pas personnelle. J’ai partagé un bout d’existence avec Booba et c’est quelqu’un que j’apprécie, même chose pour Ali, on a été au lycée ensemble. Après le discours de Lunatic a son impact, et j’ai le droit moi aussi de vouloir avoir mon impact. J’oeuvre pour les miens, mais d’une autre façon.

A : Le discours que tu tiens là, est quelque part à contre-courant des tendances actuelles.

K : Finalement, le plus hardcore des deux discours c’est le mien. C’est beaucoup plus difficile d’être nuancé, en disant que le monde dans lequel on vit a aussi sa part de lumière, que d’affirmer que tout est sombre. C’est lutter contre la masse. Là où Booba va réellement exprimer sa pensée, d’autres ne vont faire qu’emprunter ce discours pour avoir accès à une popularité, là où d’autres personnes sont convaincues, au point d’en adopter le mode de vie. Quand t’es convaincu d’une chose, je ne peux pas te faire de reproches de ce pourquoi tu es convaincu, moi je m’oppose en disant que je suis de toute façon convaincu du contraire. Mon but de toute manière n’est pas d’être populaire, j’aurais aimé l’être, mais à l’heure qu’il est, je préfère cent fois le peu public que j’ai à 300 000 personnes qui m’adulent. Mon but c’est de dire ce que je pense. Encore une fois pouvoir s’exprimer c’est une vraie chance. J’ai des cousins au Bénin et au Togo qui ne peuvent pas tout le temps s’exprimer, donc quand on a cette chance, on se doit de bien l’utiliser.

« En France, plus tu vas être dans la norme, plus tu vas être dans la continuité, plus on va t’aduler. »

A : Ta démarche se situe à contre-courant, est-ce que tu le ressens ça dans les relations que tu peux avoir avec les maisons de disque, les radios, les magazines ?

K : Oui, enfin pas au niveau de la presse, ça doit être le rapport à l’écrit qui fait que tu réfléchis plus sur les choses. Le coté journalistique t’oblige à t’interroger plus sur le fond des choses. Dans les faits, je sais que je suis complètement à contre-courant du seul grand média de diffusion musical. Ils ont opté pour certains codes, ramener le Hip-Hop sur les pistes de danse, c’est un point de vue que je défendais il y a encore cinq ans, mais aujourd’hui ce n’est plus ma pensée. Après, chacun sait ce qu’il a à faire. Dans les maisons de disque, ce qui me gène c’est le contrôle excessif de personnes qui ne connaissent pas notre musique, et la musique en général. Depuis vingt ans, les gens voient la musique comme un produit de consommation, pas comme un art. Moi j’en veux à ces gens qui te mettent de coté simplement parce que tu ne vois pas les choses de la même façon qu’eux. Aux États-Unis, il y a une autre vision des choses, les gens vont chercher la nouveauté. En France, plus tu vas être dans la norme, plus tu vas être dans la continuité, plus on va t’aduler. Pareil, en France, si tu pompes le style de quelqu’un, et que tu le fais bien, on va bien t’aimer. Je comprends pas ça. Aux États-Unis, tu fais ça on te jette.

A : J’avais lu quelque part que tu envisageais de rapper jusqu’à 40 ans, c’est quelque chose d’assez rare. Si beaucoup se voient produire jusqu’à un age plus avancé, rapper non.

K : Tout ça c’est lié à une vision technique des choses. A partir du moment où tu comprends que ton art se décline à l’infini, que tu peux créer, toujours inventer, il n’y a pas de barrières. Je n’ai pas pour ambition de plaire à la masse, je veux juste être honnête, et ça je peux le faire toute ma vie. Donc, pourquoi m’arrêter ?

A : Le titre de ton album, « Tout est écrit », on peut l’interpréter de plusieurs façons différentes, notamment comme la fin de quelque chose ?

K : Le titre « Tout est écrit » c’était avant tout pour dire que si tu veux comprendre mon univers, tu peux juste lire les paroles présentes dans le livret. Il y a plusieurs degrés de lecture, mais dans le sens premier tu réussis à bien saisir. En seconde lecture, « Tout est écrit », c’était à une référence à toutes les péripéties qui ont pu se passer. C’est le destin qui fait que tu rencontres les bonnes personnes, et que les choses se concrétisent. Enfin en troisième lecture, celle que tu as pu avoir, on peut oui peut-être considérer que c’est la fin d’une étape, avant la suite.

A : Quelque chose à rajouter ?

K : Je suis vraiment honoré de pouvoir apporter ma pierre à l’édifice du rap en tant que soliste. Et j’espère que les lecteurs de votre magazine ainsi que les personnes de tout horizons auront la possibilité de le découvrir et peut-être de placer Tout est écrit au rang des albums références du hip-hop hexagonal. Peace à tous ceux qui partage une vision positive. Peace à ma Heartclick.