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Il y a quelques jours, nous avons reçu à l’Abcdr du Son un mail touchant. Il était relatif au concert parisien de La Cliqua du 16 janvier dernier. Un compte-rendu paru sur un blog, comme il en existe des milliers chaque jour dans nos confortables contrées du Nord. Le nom de son auteur, Julien Polat, nous était jusqu’à ce jour inconnu.

Son pedigree de lecteur de l’Abcdr ? Dès la première ligne – précisée depuis –, il sonnait improbable : « J’ai adhéré pour la première fois au RPR à 17 ans, en 2001, pour soutenir Chirac dans la Présidentielle troublée de 2002. J’ai ensuite poursuivi mon engagement à l’UMP et à Grenoble, où les études m’ont emmené. En 2004, j’ai commencé à collaborer étroitement avec le Président de la Fédération Alain Carignon. J’ai été nommé Secrétaire Départemental Adjoint en 2006, puis vice-président exécutif en 2007. Cette année je me suis porté candidat à la présidence départementale, où j’ai été battu. C’était une lutte tout à fait perdue d’avance, et clairement sans espoir. Mais j’avais choisi de porter une “candidature de témoignage”, pour tenter de démontrer qu’on peut toujours prétendre faire valoir SA vérité, même lorsque l’on se trouve en minorité… D’une certaine manière, je suis toujours un peu marginal dans mon mouvement… » Son blog se trouve ici.

Nous avons souhaité creuser. Dix questions lui ont été envoyées. Ses réponses nous sont parvenues quelques heures plus tard. Les voici.


Abcdr du Son : Publier ce billet sur La Cliqua alors que tu es secrétaire départemental-adjoint de l’UMP38, est-ce une forme de coming out ? Est-ce à dire que les lignes bougent côté sensibilités culturelles au sein des grandes familles politiques que tu côtoies ?

Julien Polat : Coming out, l’analogie est originale. C’est peut-être un peu fort, mais à certains égards, c’est un peu de cela dont il s’agit.
Qu’on le veuille ou non, la vie est faite d’a priori, de jugements de valeur, et rares sont ceux qui peuvent honnêtement affirmer n’avoir jamais jaugé quelqu’un au premier regard, quitte à se raviser ensuite.

Le problème de la vie politique, c’est qu’elle exacerbe cet aspect des choses. “On n’a pas la chance de faire deux fois une bonne première impression”, et pour quiconque souhaite donner corps à un engagement public, il faut en tenir compte dans la mesure où la réussite dépend justement du regard et de l’appréciation de l’autre. D’où la nécessité pour nos hauts responsables de gérer leur image avec le plus grand soin.

Ce que je veux dire, c’est qu’à la personne qui prétend à des responsabilités politique, on pardonne moins qu’aux autres le moindre écart. Et cette intolérance justifie un peu la frilosité à faire tomber des barrières qui, finalement, sont un peu entretenues par tout le monde, par le peu de souplesse qu’on leur accorde… A mon échelle, ce n’est évidemment pas comparable, car je n’en suis pas tout à fait à ce stade. Mais en politique en général, on demande aux gens une image lisse, sans accroc. Or, nous sommes tous constitués de paradoxes, qui font de nous tout ce qu’on veut, sauf des gens lisses.

Un coming out consiste justement à savoir rompre la barrière de l’a priori, et à révéler quelques-unes de nos aspérités. La difficulté du coming out, elle réside dans la décision de dire : « Je ne suis pas forcément tel que vous me voyez, j’ai une spécificité que j’assume. » En gros, il s’agit d’admettre que l’on sort du schéma général, de la norme, du conformisme et du moule dans lequel la société, en général, aime équilibrer ceux qui la composent.

Or, se déclarer amateur de Hip-Hop ET militant UMP, c’est un peu sortir du moule… et donc réaliser un coming out ! Il est clair que dans la tête de beaucoup de gens, « Rap = Lascars de banlieue ». Et je sais donc qu’en revendiquant ma passion et mon intérêt pour le Hip-Hop, je vais devoir me justifier au risque de susciter spontanément un mouvement de rejet et d’interrogation chez certaines personnes qui sont révulsées justement par le cliché « Nike TN/Survêt’ Lacoste/Casquette Vuitton » auquel ils réduisent le rap.

Il n’est donc pas toujours facile de vouloir faire tomber certaines barrières dans la tête du « grand public ». En l’occurrence, je sais que je n’en tirerai pas de bénéfice, mais j’essaie d’expliquer. D’une certaine manière, il est plus confortable de dire aux gens ce qu’ils veulent entendre, que de tenter de les convaincre d’une idée qui suscite leur réticence au premier abord. Et il est donc tentant, au final, d’écouter son Rap en cachette… C’est parfois ce que j’ai fait. Il est plus facile de leur laisser croire que nous sommes ce qu’ils souhaitent que nous soyons, plutôt que de les forcer à admettre que nous ne sommes pas lisses, mais composés des aspérités de la somme des paradoxes qui font les Hommes.

Alors en décidant de faire tomber quelques images d’Épinal, j’emprunte un chemin peut-être un peu hasardeux, et je ne sais pas quelles seront les réactions en général… Mais comme je ne poursuis pas un plan de carrière, et que je fais tout cela pour me faire plaisir… Au final je n’ai pas grand-chose à perdre. Alors j’essaie de me faire plaisir jusqu’au bout…

Quant à savoir si les lignes bougent du côté des sensibilités culturelles au sein des grandes familles politiques, je dirais que ce n’est sans doute pas trop le cas. Sinon je n’aurais pas été contraint de m’expliquer si longuement…

Photographie : Le Dauphiné Libéré

« Je crois qu’auprès des « non-initiés », le hip-hop et l’engagement à l’UMP pour un jeune sont confrontés aux mêmes difficultés. »

A : Quels parallèles dresses-tu entre les a priori qui entourent le fait d’être jeune ET militant UMP, et ceux qui entourent le hip-hop « extra-muros » ?

JP : Je crois qu’auprès des « non-initiés », le Hip-Hop et l’engagement à l’UMP pour un jeune sont confrontés aux mêmes difficultés.
Comme je le disais, on sait que dans l’esprit de beaucoup de gens, le Hip-Hop s’assimile à la banlieue, qui se réduit elle-même à la délinquance et aux voitures brûlées. C’est une vision binaire des choses qui est malheureusement répandue.

Pour d’autres, un jeune de droite, c’est forcément un gosse de riches qui vit déconnecté du monde qui l’entoure, reclus dans un quartier huppé, et qui attend patiemment de pouvoir faire fructifier l’héritage de papa… C’est une autre vision binaire.

Il y a une formule qui dit que « le vrai hip-hop n’est ni un truc de joailler, ni un truc de racailles. » Je me permettrai de dire de la même manière que les jeunes militants UMP de se résument pas à une jolie mèche soignée jonchée sur un polo Ralph Lauren au col remonté, et des mocassins cirés…

Il me revient donc de tenter d’expliquer que le Hip-Hop est un mouvement culturel riche, qui ne se limite d’ailleurs pas à la seule forme musicale qu’est le rap, et qui peut à ce titre s’adresser à toutes les sensibilités. De la même manière que j’aimerais qu’on comprenne que les jeunes UMP sont des jeunes comme les autres, d’une vraie pluralité sociale, qui ont une vision globalement commune de la société, et qui se réunissent pour essayer d’y donner corps. Il faut se méfier des clichés, qui minent le Hip-Hop, comme ils minent les jeunes militants de droite.

Il y a peut-être d’ailleurs un aspect qui aurait été intéressant à aborder, même si on s’engage alors plus perceptiblement sur le débat purement politique, c’est la question qui consiste à savoir où réside vraiment la difficulté : s’agit-il de l’articulation entre le Hip-Hop et l’engagement politique en général, ou l’articulation entre le Hip-Hop et le militantisme à l’UMP tout particulièrement ? En d’autres termes, est-il forcément plus facile pour un militant PS de se déclarer amateur de Hip-Hop, et les rappeurs sont-ils véritablement plus sévères vis-à-vis de l’UMP que du restant de la classe politique ?

C’est une vraie question, tant j’ai le sentiment d’être plus proche, avec l’UMP, du discours qui est souvent tenu par la frange des rappeurs qui invitent chacun à se prendre en main, que d’une gauche qui réduit parfois les plus faibles à la dépendance de l’assistanat. Et à bien des égards, je crois que le constat d’échec et d’immobilisme qui est parfois établi ne concerne pas plus l’UMP que les autres partis de Gouvernement. C’est évidemment beaucoup plus « politique » et moins « musical », mais c’est aussi un aspect intéressant des choses à mes yeux. Et c’est aussi la manière d’assumer jusqu’au bout le supposé paradoxe, en tentant de démontrer qu’il est peut-être, sur le fond, plus logique qu’il n’y parait au premier regard.

« J’ai essayé de vaincre une frustration parfois pesante : celle d’avoir kiffé comme un malade le concert de La Cliqua sans pouvoir en parler autour de moi. »

A : La musique comme le sport sont-ils de ces rares territoires de conversation où il est possible de débattre sans s’invectiver ?

JP : Je ne crois pas… Dès lors qu’il y a passion, il y a forcément invectives. C’est le cas en politique, et la musique et le sport n’y échappent pas. Il suffit de voir la manière dont ça se passe sur les forums de discussion un peu partout sur le net… J’ai vu des invectives sur des forums de l’UMP, j’ai vu des invectives sur des forums de sport, j’ai aussi vu des invectives… sur le forum de l’Abcdr du Son !

Demandez à des supporters du PSG et de l’OM s’ils se passent d’invectives… Demandez aux fans de Booba ou de Kery James ce qu’ils pensent de MC Jean Gab’1 après ce qu’il a pu en dire ! Jetez un œil à la rivalité East-Coast/West Coast aux États-Unis, qui a souvent dépassé le simple stade des mots et des invectives…

Sur le fond, je crois que nous avons d’ailleurs tous un peu besoin, instinctivement, d’une petite dose d’invective qui donne le sentiment de défendre une cause… Elle met un peu de sel dans le quotidien… Je note au passage que le clash et le battle font d’ailleurs partie de l’essence même du Hip-Hop… Et c’est un concentré d’invectives !

En y réfléchissant bien, je dirai même, au contraire, que l’invective est globalement plus retenue en politique qu’ailleurs…

A : Dans ton billet, tu sembles faire acte de pédagogie pour justifier ta passion – une passion que tu ne mentionnes d’ailleurs pas dans ton profil. Etait-ce une façon de prendre les devants par rapport à des retours potentiellement négatifs ?

JP : Sans doute. Et c’est justement avec cette « réserve » que j’ai voulu rompre d’une certaine manière en écrivant sur le concert de la Cliqua, et plus largement sur mon attachement au Hip-Hop. J’ai essayé de vaincre une frustration parfois pesante : celle d’avoir kiffé comme un malade le concert de La Cliqua sans pouvoir en parler autour de moi par exemple… Et ça c’est douloureux. Alors après, bien conscient des obstacles que nous avons déjà pu évoquer, j’ai essayé autant que possible de « déminer le terrain » en expliquant un peu…

L’ethnologue Levi Strauss a longuement expliqué que le rejet de l’autre s’explique souvent par la peur de la différence. C’est ce qu’il avait qualifié « d’hétérophobie ». Et comment mieux tenter de vaincre la peur que par l’explication et la pédagogie ?

A : « Mon analyse diverge souvent de celle que peuvent établir la plupart des artistes précités – pas tant que ça sur le diagnostic, un peu plus sur les remèdes » écris-tu sur ton blog. Vis-tu ton engagement politique comme le prolongement cohérent de tes goûts d’auditeur ? Si oui, à quel âge et à partir de quel(s) album(s) s’est opéré le déclic ? Ton regard sur certains disques a-t-il fondamentalement changé ?

JP : Je ne sais pas si on peut parler de « prolongement ». Mais de « parallélisme » avec quelques recoupements – même si c’est une ineptie sur le strict plan géométrique… – c’est clair ! Disons que quelqu’un qui s’intéresse un tant soit peu à la vie sociale de notre pays ne peut pas rester totalement étanche à la richesse de certains témoignages dans le rap. Et je ne crois pas que l’on puisse retrouver cet aspect là des choses dans l’électro, ou dans ce que fait la variété française en général (excepté peut-être des artistes comme Renaud ou Léo Ferré, dont s’inspirent justement certains rappeurs, et qui n’existent presque plus aujourd’hui).

Globalement, mes premiers contacts avec le rap datent de 1996 ou 1997. J’avais alors 12 ou 13 ans. Le premier véritable magnétisme dont je me souvienne, c’est celui avec Paris sous les bombes du Suprême NTM. Des textes forts comme « Tout n’est pas si facile », « Qu’est-ce qu’on attend », « Plus jamais ça », posés sur des beats monstrueux ! C’est vraiment mon premier souvenir, et le vrai déclic.

Mon regard sur certains disques a forcément évolué avec le temps. C’est le fruit de l’expérience qu’on accumule progressivement, et sans doute de ce qu’on appelle la maturité. J’ai surtout « redécouvert » en profondeur certains artistes. Je pense notamment à Fabe, qui laisse un héritage incroyable au Rap français, et que j’ai découvert sur le tard, après être d’abord passé dessus très superficiellement. « Comme un rat dans l’coin », « Correspondance », sont des titres fabuleux. Sauf qu’à l’origine, je faisais l’erreur de les survoler et de m’arrêter sur les « clichés LCI » qu’il a ensuite lui-même caricaturés dans « L’emmerdeur public n°1 ».

Mon évolution, c’est aussi la déception de certains rappeurs que j’ai vraiment appréciés, et qui m’ont ensuite atrocement déçu. Comme Busta Flex, par exemple, qui était monumental aux côtés de Lone ou dans Sexe, Violence, Rap & Flooze, et que j’ai trouvé complètement insignifiant par la suite, dans un egotrip de base dont il n’arrive plus à sortir. J’adorais également le LIM de Movez Lang dans « Héritiers de la rue » ou « A neuf ans déjà » ; pas franchement celui de « Nique lui sa mère »…

J’ai aussi – c’est un peu logique vu ma position – de plus en plus de mal avec certains textes sur la police qui sont parfois franchement limités… Il me semble que certains rappeurs ne servent pas leur cause en généralisant comme ils le font, alors qu’ils se prétendent justement, à raison, victimes d’une même généralisation. Et pourtant, il fut une époque où j’y plongeais… Je comprends le côté exutoire de certains de ces titres. Mais je trouve dommage de voir des artistes de talent tomber dans certaines facilités, alors qu’ils valent bien mieux…

A : Tu cites un amer constat d’immobilisme évoqué par Rocca lors de ce concert de La Cliqua à Paris. Envisages-tu l’action politique comme le moyen d’enfin dépasser le strict cadre de la dénonciation, pour ne pas se retrouver dix ans après avec cette même sensation de ne pas avoir avancé d’un pouce ? Mieux vaut marcher à petits pas que viser d’emblée le Hummer, non ?

JP : C’est exactement ça. Quand on s’engage en politique, c’est souvent par quête d’un idéal. Puis on se rend compte qu’il vaut mieux être modeste pour faire vraiment évoluer les situations.

Les grands discours, s’ils ont souvent révolutionné les idées, n’ont que rarement fait bouger les choses sur le terrain. Je pense à certaines formules utopiques que revendiquent encore aujourd’hui les apprenti-révolutionnaires, mais qui concrètement n’ont jamais sorti quiconque de la misère ! « Soyons réalistes, exigeons l’impossible ! » disait Che Guevara… Tenez ce discours à quelqu’un qui dort dans la rue, ou qui se perd dans la morosité du chômage, il vous jettera des cailloux…

J’ai beaucoup plus de respect pour ceux qui font changer les choses à la marge, mais qui parviennent au final à débloquer des situations.
J’ai eu la chance de côtoyer quelques grands personnages, dont Alain Carignon (ancien Maire de Grenoble, deux fois ministre), auprès duquel je travaille. Lorsque je vois des gens qui l’arrêtent dans la rue pour échanger quelques mots avec lui en reconnaissance d’une situation qu’il était parvenu à leur débloquer quelques années plus tôt – comme il continue de le faire aujourd’hui, en mettant son expérience et son réseau au service de situations individuelles – je me dis qu’il aura fait en sorte que son existence soit utile aux autres. Alors certes, certains me répondront qu’il s’agit là « du petit bout de la lorgnette », de la « petite politique ». Mais c’est au moins aussi noble que de rédiger des essais politico-philosophiques de portée générale, qui traverseront le temps sans pour autant laisser d’incidence matérielle concrète.

C’est sans doute la raison pour laquelle mon intérêt se porte davantage sur la politique locale. Le contact du terrain est ce qu’il y a de plus précieux, parce qu’on touche directement à « la vraie vie ». On rejoint un peu, ici, la raison pour laquelle j’essaie de porter un intérêt constructif aux textes dont je m’imprègne. C’est bien là que je trouve sa convergence avec mon engagement politique. La richesse du rap, c’est avant tout une richesse textuelle, et notamment une richesse de témoignage. C’est un peu au cœur de ses racines. Le rap transcrit, parfois brutalement, une réalité sociale et un malaise qui pèsent lourd dans le diagnostic de ce dont souffre notre pays. Il offre une manière de voir les choses sous un autre angle.

Loin de moi l’idée de réduire le rap à la seule expression revendicative d’un malaise social. Mais j’ai quand même le sentiment que c’est dans ce registre qu’il s’est exprimé, jusqu’à présent au moins, de la manière la plus puissante. Comme le dit Koma : « Le rap n’a plus de sens quand on néglige son contenu. »

Photographie : Le Dauphiné Libéré / Christophe AGOSTINIS

« J’aime me plonger dans la sagesse, la profondeur et la distance de Chaos et Harmonie d’Ali. »

A : Quel fil conducteur vois-tu entre tes différents hobbies et activités (responsabilités politiques, pêche à la ligne, arts martiaux, rap) ?

JP : Pour être honnête, il n’y en a pas forcément… Je dirais que j’y trouve des intérêts complémentaires. La détente et parfois la réflexion dans le rap, la patience dans la pêche, la volonté et la détermination dans les sports de combat… Mais la vérité, c’est qu’on ne peut pas tout relier et que nous sommes tous construits d’une somme de paradoxes. C’est surtout ça qu’il faut assumer.

A : Si tu avais croisé François Grosdidier en 2005, quels arguments aurais-tu avancés pour défendre « ton » patrimoine musical ?

JP : Cette question est d’autant plus intéressante que François Grosdidier ciblait, parmi les artistes qu’il a nommément cités, un bon nombre d’entre eux que j’apprécie tout particulièrement. J’étais donc mal à l’aise en écoutant ce qu’il disait. Je pense que si j’avais eu l’opportunité de le rencontrer à l’époque, j’aurais sans doute agi comme la plupart de ceux qu’on entendait à ce moment-là pour le contredire : je lui aurais objecté des textes des mêmes artistes, mais qu’il passait alors mystérieusement sous silence. Je pense par exemple tout particulièrement au premier couplet de « Moha » de La Rumeur, qui est d’une richesse narrative comparable, à mes yeux, aux plus grands classiques de la littérature française. Je pense aussi au plus récent « Marlich » de Tunisiano, qui m’émeut beaucoup et rend indécente la volonté de le réduire à « La France est une garce ».

Mais très franchement, je crois que mes arguments n’auraient pas servi à grand-chose. Je pense que François Grosdidier recherchait une exposition médiatique pour sortir un peu du lot, dans la période fertile de pré-campagne présidentielle, ce à quoi il est bien parvenu. Je ne suis d’ailleurs pas totalement sûr qu’il était lui-même pleinement convaincu par l’intégralité des arguments qu’il a avancés à l’époque…

A : Quels sont les albums de rap que tu as le plus écouté ? Ceux que tu écoutes le plus actuellement ?

JP : Ma « culture » musicale est essentiellement portée sur le rap français. C’est par lui que j’ai découvert le Hip-Hop, j’y puise donc la quasi intégralité de mes références, à quelques exceptions près dont Illmatic de Nas, ou Enter the Wu-Tang (36 chambers) du Wu-Tang, qui m’ont vraiment marqué. Globalement, il n’est pas forcément facile de dire « ce que j’ai le plus écouté. » C’est vraiment par période, ou selon l’humeur… J’aime me plonger dans la sagesse, la profondeur et la distance de Chaos et Harmonie d’Ali : « Golden boy a oublié que l’air et l’eau plus que l’or sont précieux, que la terre n’est qu’une étape, l’au-delà pour cap. »

J’aime les sentences du Suprême NTM, qui flagellent avec une crudité terrible les échecs des politiques de ces vingt dernières années, tous bords confondus : « Pas de solution donnée, mon plafond reste ton plancher, c’est ce que tu liras dans les yeux de ceux qui n’ont pas où crécher. » J’aime la langueur de Fabe dans Détournement de son, l’assurance de Booba qui ose tout dans Ouest Side, la conscience de Rocca dans Entre deux mondes ou Elevacion, la rage de La Rumeur dans Du cœur à l’outrage, le charme du vocabulaire désuet de MC Jean Gab’1 dans Ma Vie, ou l’originalité de Triptik dans Fondations

Voilà, globalement c’est assez large, et ça dépend de l’humeur. Mais globalement, outre Ali et Lunatic qui sont des fils rouges, en ce moment c’est plutôt La Cliqua, la Scred Connexion, La Rumeur, et Nessbeal.

A : Quelle est ta Cliqua à toi ? Ta famille politique ? Ta famille musicale ? Dans les deux cas tu sembles n’avoir d’autre choix que l’album solo, non ? 

JP : Ma « Cliqua » ? Pas la famille politique, c’est clair. J’ai malheureusement trop vu que le terme « famille » est impropre en la circonstance. Je m’y suis fait des amis, des vrais. Mais la “famille politique”, pour autant, en tant que tel ça n’existe pas. Ceux qui diront le contraire ne sont pas sincères.

Ma « Cliqua », c’est avant tout mes potes, ceux avec qui je partage des valeurs communes. Ceux que j’aime retrouver pour me changer les idées. Ceux là, ils ne partagent d’ailleurs pas forcément toutes mes affinités politiques, sportives ou musicales. Mais la vie, c’est aussi et surtout un parcours individuel, c’est clair. C’est d’autant plus vrai que rares sont ceux qui peuvent s’affranchir durablement de la tentation de l’aventure musicale en solo… Chacun ressent le besoin, un jour ou l’autre, d’exprimer SA vérité. Et ça impose de prendre la parole seul, sans pour autant renier les groupes plus larges auxquels on appartient. C’est vrai en musique, comme en politique.

A : Un mot, pour finir ?

JP : C’est un exercice difficile, le « dernier mot ». Soit on dit une connerie pour sourire, soit on essaie de dire « un truc bien ». Si je dis une connerie, je risque de tomber à plat. Mais si j’essaie de dire « un truc bien » ou une sentence moralisatrice, ça risque de paraître prétentieux parce que je ne suis pas Martin Luther King, Barack Obama ou l’Abbé Pierre… Je vais donc éviter de me frotter trop longuement à cet exercice. J’espère simplement contribuer, à mon échelle, à un peu plus de compréhension en général. Je remercie en tous cas l’Abcdr du Son pour son ouverture d’esprit, qui devrait tous nous inspirer au quotidien, et dans tous les domaines.