La fin de l'innocence
Claude a pris conscience qu’il était un produit.
C’est là qu’il a perdu de sa candeur.

4 La fin de l’innocence

Jugé trop bon élève, trop « commercial », ou pire encore, trop gentil, MC Solaar ne fait pas l’unanimité dans le microcosme du rap français. Les piques sont fréquentes, et marquent le début de son isolement.

MC Solaar : À l’époque de Prose Combat, j’avais un souci : tous les gens que je connaissais critiquaient mon travail. Je connaissais ces mecs, je savais où ils habitaient, ils étaient déjà venus au studio. Ils étaient obligés de me critiquer pour se singulariser. Je ne disais rien, mais cette critique me touchait vraiment, alors j’ai voulu prouver qu’il y avait un supplément d’âme et de la lutte dans ma musique. L’effet a été bénéfique, et Prose Combat paraît plus costaud. Devoir viser des gens, ça m’a remis dans le hip-hop.

Bambi Cruz : Tout le monde lui en voulait car il était à la pointe. Il fallait se trouver un ennemi. Si tu veux être champion du monde, il faut boxer avec Mike Tyson. Les rappeurs lui envoyaient des pêches, mais il n’a jamais répondu. Sauf à NTM, une fois. Il a juste dit quelque chose comme « Aime tes haines si t’aimes le superflu… » Il n’a même pas cité leur nom. Il l’a retourné !

Armand Thomassian : Ça n’enlève rien au mérite d’IAM ou NTM, mais Solaar s’appropriait le genre. Ça agaçait beaucoup, on disait que c’était de la variétoche, que c’était pas du hip-hop…  Mais il y a eu un avant et un après Solaar. Il y a eu des rockeurs avant Elvis, mais Elvis, ça a été le marqueur. Solaar, c’est pareil. Des gens le comparaient à Benny B, mais Claude s’en foutait, c’était un mec libre. À travers sa douceur, sa force, il provoquait autour de lui quelque chose qui faisait que tout le monde avait envie d’être bienveillant. Ceux qui étaient malveillants, c’est ceux qui n’arrivaient pas à qualifier le truc.

L'origine de « Superstarr »

Mais quel est donc ce rappeur décadent qui habite au « 16 de la Faisanderie, dans le 16e, à Paris » ? Éléments de réponse par MC Solaar.

« À l’époque, dans le rap, pour parler des imposteurs, on parlait de sucker MC’s ou de toys. Au lieu de prendre le vocabulaire de la rue, j’ai décidé d’utiliser cette métaphore du musée de la contrefaçon, qui se trouve rue de la Faisanderie à Paris. Je l’avais découvert dans le dictionnaire des musées. J’étais un fou de dictionnaires.

Il y a énormément de choses codées dans Prose Combat. Beaucoup de gens ont cru que Superstarr parlait de Joeystarr car il y avait deux R dans le titre. En fait, c’était juste la vision d’un artiste qui a réussi. Est-ce qu’il devient un rebelle à temps partiel ? Ce personnage, c’était l’accumulation de tous les gens que j’avais vu. D’ailleurs, même mon acolyte Soon E MC a cru que le morceau lui était destiné ! Je l’ai appris des années après. Dans « Superstarr », il y a un peu de Didier, un peu de Fabrice – je donne leurs prénoms [sourire] – tous ces gens qui n’étaient plus les mêmes une fois qu’ils avaient un peu la cote au Globo ou à Bobino. Chacune des lignes est pour l’un et l’autre. Il n’y avait pas d’animosité, juste une observation des comportements. Moi, de toute façon je suis mal placé, j’habite en face de la rue de la Faisanderie [rires]. »

Bambi Cruz : On peut dire que Solaar a fait exploser le nombre de rappeurs. Avant lui, il y avait eu Lionel D, mais ce n’était pas un gros succès. Après lui, tout va exploser. Tous les gens de la Cool Session vont sortir, plus des gens qui existaient déjà sur d’autres scènes. Je sais que Gynéco et Stomy ont fait des morceaux avec Claude juste pour pouvoir aller le dire aux maisons de disque afin de se faire signer ! Par la suite, beaucoup ont voulu se détacher de lui, mais la vraie base, c’est Solaar. Moi, je sais comment les rappeurs sont sortis.

Philippe Ascoli : Il y a quelques années, les Beatles ont été reçu au Rock and Roll Hall of Fame. Quand ils ont eu leur prix, ils ont plaisanté : « C’est drôle d’être ici, parce qu’on nous a toujours dit qu’on était un groupe de pop. » C’est la même chose pour MC Solaar. C’est un mec qui a vraiment fait du rap, il vient de cette culture, sa musique était roots, mais il était en décalage avec une scène qui se découvrait et qui ne l’acceptait pas. Il y avait aussi beaucoup de postures.

Il fallait se trouver un ennemi. Si tu veux être champion du monde, il faut boxer avec Mike Tyson.
Bambi Cruz

Bambi Cruz : Claude m’épatait. Aujourd’hui encore, il émane quelque chose de lui qui fait que les gens le respectent, même les plus hardcore. Je me rappelle, un jour, on est partis acheter un merguez-frites près de La Cigale. Une vingtaine de types assez énervés nous a approché. Parmi eux, il y avait un mec très virulent qui a commencé à reprocher à Claude de n’être pas assez hardcore, pas assez ceci, pas assez celà. Claude lui a simplement répondu : « Mais ça, je te le laisse, c’est toi qui doit le faire. Moi, je sais pas faire ça, je te laisse la place. » Après ça, on était tous potes ! J’ai trouvé ça trop fort.

MC Solaar : Bambi a subi, subi, subi… On lui a reproché de ne pas être un vrai rappeur. N’importe quoi… Toute son éducation culturelle et artistique, c’est le hip-hop. On lui a reproché beaucoup de choses, et je pense que c’était parce qu’il était mon ami. C’était la « technique de balles parsemées », comme dirait Booba. On lui a retiré son droit de faire partie du hip-hop, car les gens croyaient qu’il sortait de nulle part.

Armand Thomassian : Claude était amené à devenir un artiste populaire. C’est peut-être ce qui a crée de l’agressivité chez les puristes. Je me rappelle, début 92, on commençait à recevoir des grosses propositions d’émission. Foucault, Drucker… Solaar me disait « Moi, je ne veux pas les faire, ils ne jouent que de la merde. » Je lui ai dit « Claude, on ne te demande pas d’aller te déguiser, tu as la possibilité de toucher un public plus large en faisant uniquement ce que tu fais. » Je ne regrette pas de lui avoir pris la tête à l’époque. Je lui disais « Regarde Gainsbourg et les Rita Mitsouko, ils les ont faites, ces émissions. Est-ce que tu trouves qu’ils sont moins bons ? Ces émissions, c’est une tribune pour te permettre de franchir un palier. Utilise-les comme un cheval de Troie : entre et fais tout péter. »

Victoires de la Musique 1995 : MC Solaar est sacré artiste interprète masculin de l’année. Le clip de « Nouveau Western », réalisé par Stéphane Sednaoui, remporte la Victoire du meilleur clip vidéo. Ironie de l’histoire : quelques instants plus tard, le groupe se verra refuser l’entrée de la boîte parisienne où a lieu l’after party des Victoires.

Le début des conflits

Prose Combat marque la fin de la collaboration entre MC Solaar et Jimmy Jay. Quelques mois après la sortie de l’album, ils se séparent en pleine tournée, et ne travailleront plus jamais ensemble.

Bambi Cruz : Quand j’ai rencontré Jimmy Jay, il m’a dit : « Moi, je veux monter mon label, je veux une console de mixage SSL et je veux une Ferrari.» Trois ans après, tout ce qu’il avait voulu, il l’avait. À 21 ans. C’est quelque chose qui m’a impressionné. Il avait cette motivation, cette envie d’être son propre patron.

Philippe Ascoli : Jimmy Jay a été essentiel au projet. C’est grâce à lui que Solaar a existé. Solaar aurait pu continuer à vivre sa vie, il était très heureux comme ça.

MC Solaar : C’est toujours les autres qui ont des grands projets, pas moi. Si Jimmy Jay n’avait pas voulu être Berry Gordy, je n’aurais pas atteint le haut niveau. J’aurais rappé relax [rires].

Jimmy Jay : Je voulais développer un label, une image, une identité musicale. Solaar, lui, voulait juste développer son « artistique » personnel. C’est un choix. Je ne devrais pas le dire comme ça, mais les grands artistes ont parfois besoin de briller plus que les autres.

Bambi Cruz : Parfois, quand un artiste est mis en lumière, des personnes qui ont contribué à sa réussite ont aussi besoin de cette lumière, alors elles la réclament. Jimmy Jay a dû se dire « C’est moi qui ai fait Solaar », même si une œuvre est indivisible. Il y a donc eu un peu d’égo, et ils sont partis sur des chemins différents.

MC Solaar : On était en tournée, il nous restait quatre mois à faire, et du jour au lendemain, Jimmy Jay est parti. Il voulait produire plein de trucs. À l’époque, je l’ai mal pris. Mais avec le recul, je me dis que c’est de bonne guerre. Il avait de bonnes idées, et au final il a quand même produit vingt, trente groupes.

Moi, je voulais juste que ça marche, au maximum, et pour tout le monde
Jimmy Jay

Jimmy Jay : Je me suis retrouvé seul à payer les productions des autres artistes, parce que personne d’autre ne voulait me suivre. Personne ne croyait en ces gens-là : les Ménélik, Sages Po… Si je n’avais pas pris ces risques, tous ces albums, qui ont permis de lancer ensuite les Kery James, les Booba, les Raggasonic, ils n’auraient pas existé. Moi, je voulais juste que ça marche, au maximum, et pour tout le monde.

Régis Douvry :  Jimmy Jay va se lancer dans la production d’autres artistes. Il veut sortir dix albums de rap, par dix artistes différents, en l’espace de six mois. Le problème, c’est qu’il s’entoure de rappeurs qui ne connaissent pas le business, donc quand les deals ne se font pas, ça crée des embrouilles. Solaar avait été impliqué dans la production au début, et certains lui en ont voulu lorsqu’il a choisi de se retirer par prudence. Tout se mélangeait.

Bambi Cruz : C’était une époque pas terrible pour Claude. Si tu réécoutes Les Cool Sessions, le message c’est : voici les artistes présentés par MC Solaar. Il avait fait ça par amitié pour Jimmy Jay, pas pour l’argent. Tous ces gens qui lui en voulaient, c’est quelque chose qui l’a marqué. Après ça, il a pris du recul avec tous les rappeurs. Je me rappelle qu’il avait utilisé une image qui résume tout, il m’avait dit : « J’ai l’impression d’avoir porté du bois pour les aider à construire un bateau, mais le bateau est parti sans moi, ils m’ont laissé sur la rive. »

MC Solaar : Jimmy est reparti à zéro, je suis reparti à zéro. Mais si c’était à refaire, j’aurais été un peu plus psychologue, je lui aurais parlé un peu plus. Je lui aurais écrit des mails, je lui aurais dit « Est-ce que tu es sûr de vouloir partir ? » Si on était restés ensemble, on n’aurait pas eu tous ces problèmes plus tard. Tous ces événements sont arrivés en cascade, et ça part toujours d’un grain de sable.

Pendant que Solaar et Jimmy Jay s’éloignent, la relation entre l’artiste et le label Polydor se complique. Arrivé dans la musique sans imaginer faire carrière, MC Solaar est devenue une star rentable de la chanson française. Il commence à poser des questions sur son contrat.

Armand Thomassian : Un jour, Claude s’est retrouvé dans un supermarché à Villeneuve-Saint-Georges. Sur une boîte de céréales, il a vu écrit « Toi aussi, reçois ton 45 tours de MC Solaar. » Il a appelé Boom Bass et lui a demandé : « Est-ce qu’ils ont le droit de faire ça ? » Je pense que c’est à partir de là qu’il a perdu sa candeur. Il a pris conscience qu’il était un produit, il a pris conscience de sa notoriété, de l’importance de son image. Et il a basculé dans une autre forme de carrière.

MC Solaar : Moi, à cette époque là, j’imaginais encore peut-être retourner à la fac. Chez Polydor, deux personnes m’ont recommandé un intermédiaire pour parler avec la maison de disques. Je suis donc allé voir plusieurs conseils, et je me suis arrêté sur celui qui m’a écouté.

Daniel Margules : Quand j’ai rencontré Claude, il venait de finir la promotion de son premier album. Il avait des problèmes avec sa maison de disques : Polydor avait accordé à des marques le droit d’associer le nom MC Solaar sur des singles « premium ». Nous avons discuté, et nous nous sommes mis d’accord pour que je m’occupe de ses affaires. C’était en avril 93.

Armand Thomassian : Claude habite pas loin de La Fourche, à Paris. On est en voiture, un soir. Je le dépose chez lui. Juste avant d’arriver, il m’annonce qu’il a un nouveau manager. Je lui dis « Ha bon, c’est qui ? » Il me dit « C’est Daniel Margules. » Je réponds  « Putain, t’as pris le pire. » Je connais la réputation du mec, on le dit hyper-procédurier. Le lendemain, à la première heure, je reçois un appel : « Allo, Armand Thomassian ? C’est le pire à l’appareil. » Ce matin-là, je me suis dit : « OK, c’est fini. »

Daniel Margules : À partir du moment où quelqu’un arrive pour s’occuper des affaires d’un artiste, c’est évidemment vu d’un très mauvais oeil par la maison de disques, même si celle-ci se plaignait que l’artiste n’ait personne pour l’accompagner dans sa carrière. J’ai fait ce qui me semblait être le mieux pour Claude. Lorsque j’ai dit à Polydor qu’on devrait faire des affichages 4×3 dans le métro, ils l’ont fait et ça a été un succès. Tout ça pour un bien commun : vendre un maximum de disques. Et surtout développer au mieux l’image de l’artiste. Chacun avait des idées, bonnes et mauvaises, mais les points de vue se conciliaient. C’est le développement normal d’un album : les mêmes problèmes, les mêmes joies, les mêmes peines, les mêmes bonheurs.

MC Solaar : Je me rappelle, à la veille des Victoires de la Musique 95, Armand a eu une idée qu’on n’a pas validé. Il voulait faire une photo un peu « afro-chic » – bon style, genre lunettes fumées à la Mobutu. On allait la publier en pleine page des quotidiens en cas de victoire. Avec le recul, c’était une super idée. Armand avait le chanteur camerounais Zao en tête, mais Daniel trouvait qu’on se moquait des tirailleurs. Était-ce opportun ? Était-ce raciste ? Il y a eu un clash. J’ai fait le conciliateur, et on a finalement décidé de ne pas la faire.

Armand Thomassian : À cette époque, il y a eu plein de rendez-vous manqués pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec Claude et qui, surtout, ne le servaient pas. À la fin de Prose Combat, Chris Blackwell proposera une tournée d’une cinquantaine de dates avec Michael Franti [du groupe Spearhead]. Solaar était hyper-motivé, mais Daniel mettra dans la balance que Polydor devrait signer Les Cool Sessions pour que cette tournée se fasse. Ça a énervé tout le monde. Finalement Claude n’a pas pu faire cette tournée, et on n’a plus jamais entendu parler de Chris Blackwell.

Régis Douvry : C’est Daniel Margules qui va professionnaliser et « starifier » MC Solaar. Avec lui, on va passer chez un tourneur qui nous permettra de faire la tournée des Zénith avec de vrais moyens logistiques. C’est bien d’avoir quelqu’un comme lui, qui permet à un artiste de s’installer, mais le business a fini par supplanter l’artistique. Quand ton conseil te parle business tous les jours, alors que tu dois être en studio pour enregistrer un album, ça se ressent. Sur les deux premiers albums, ce n’était pas comme ça. On était libres.

Daniel Margules : Armand Thomassian était un charmant garçon, un excellent chef de produit, mais il avait une vision parcellaire des choses puisqu’il était salarié de Polydor. Régis Douvry, qui était depuis le début avec Claude, était un accompagnateur qui n’avait strictement aucune connaissance de ce métier. Je n’en dirai pas plus.

Armand Thomassian : Les mecs n’ont pas compris l’importance de toutes ces personnes qui n’avaient qu’un rôle mineur en apparence, mais qui étaient essentielles à l’équilibre du projet. Régis, c’était Cus d’Amato avec Mike Tyson. La carrière de Tyson après D’Amato n’a pas été la même. Avec le départ d’un mec comme Régis, on est passés d’une belle histoire de copains à un truc comptable.

MC Solaar : Daniel est dur, c’est un truc que j’entends souvent, mais je n’étais pas dans leurs discussions. Je ne sais pas qu’elle était sa technique, si elle était hard – ou classique – mais en tout cas, il m’a grave défendu.

On est passés d'une belle histoire de copains à un truc comptable
Armand Thomassian

Daniel Margules : Fin 1996, Claude et ses réalisateurs rentrent en studio pour le troisième album. Claude sent qu’il a une énorme créativité. On a donc l’idée de faire une chose assez rare : un double album à la place d’un album simple. Après un succès comme Prose Combat, c’est une idée originale qui fera progresser sa carrière. Nous demandons l’autorisation à Polydor de continuer l’enregistrement. Le contrat nous y autorise à 100%, mais Polydor refuse. Je fais intervenir l’avocat de Claude. Pascal Nègre [président de PolyGram Disc, maison-mère du label Polydor] ira chez l’avocat, le 23 décembre 1996, pour nous donner enfin l’autorisation d’entrer en studio pour terminer ce double album. Je m’en rappelle, c’était la veille de Noël.

Armand Thomassian : Il restait deux albums au contrat avec Polydor, mais je pense qu’ils avaient un plan B : un autre label était prêt à signer Claude. Leur idée était de sortir du contrat avec un album double. Car un album double, ça compte pour deux.

Daniel Margules : Quand l’album se termine, Polydor nous dit : on veut bien le sortir en double album, mais vous devrez considérer qu’il s’agit d’un album simple. Je leur réponds : au sens du contrat, un album double, ça fait deux albums. À partir de ce moment là, ils vont refuser de le sortir. Polydor ne veut pas que le contrat soit terminé, alors qu’il l’est. Ils refusent de suivre le seul avis qui importe, à savoir l’avis artistique de MC Solaar.

MC Solaar : À cette époque, il y a visiblement une guerre : on ne nous aide pas, les studios ne sont pas ouverts, on n’arrive pas à avoir de producteurs… Je me dis : « On ne veut pas que je travaille, mais si le temps passe, qu’est-ce que je fais ? Je fais autre chose ? » Le rap explose, ça signe à tout va, une radio vient de naître… Moi, pour eux, je suis juste un numéro. Au bout d’un certain temps, on se dit : « Merde, il faut avancer. » On sait qu’on doit livrer un certain nombre d’albums à une certaine date, alors on les livre. On fait ça pour se protéger.

Pascal Nègre [dans le livre Sans Contrefaçon, éditions Fayard Document, 2010] : À rebours de ce que nous pensions être la stratégie commerciale et artistique la plus saine pour lui, MC Solaar nous livre deux disques en nous sommant de les publier sous trois mois. Nous sortons Paradisiaque en juin 1997 et MC Solaar en juillet 1998. Le premier marche plutôt bien et décroche le disque de platine, mais le second, nettement plus faible, ne passe pas la rampe et n’atteint même pas le disque d’or. Comme nous nous en doutions, Solaar nous attaque peu après. Nous estimons avoir respecté le contrat en publiant les deux disques à un intervalle de treize mois. Il nous accuse d’avoir violé notre signature en ne publiant pas le second dans les trois mois suivant la remise des bandes.

Daniel Margules : PolyGram se trouvera pris en défaut par le tribunal, qui a jugé que l’album de 1998 aurait dû sortir en 1997. Le jugement en cassation a confirmé le jugement en appel : nous avions raison d’avoir tout à craindre si PolyGram continuait à exploiter les enregistrements dont ils étaient propriétaires. J’en ai marre de voir que n’importe quoi est dit sur ce sujet, alors que le tribunal a été très clair : la propriété physique des bandes appartient à PolyGram, mais ils n’ont plus les droits d’exploitation. Ils ont été obligés de retirer les quatre albums du commerce, du fait de leur fautes répétées envers MC Solaar. Les bandes sont maintenant dans un coffre.

Je trouve aberrant qu’en 2014, un kid de 16 ans ne puisse pas acheter Prose Combat
Philippe Zdar

Armand Thomassian : Daniel, c’est un mec qui est trop dans le conflit avec les labels, mais ça ne peut pas marcher comme ça. Ce sont des gens qui doivent travailler ensemble. Après, ce sont des histoires de pognon, et ça ne me regarde plus car c’est hors du cadre artistique. Mais ce qui est sûr, c’est que si Daniel est arrivé dans l’histoire, c’est parce que Claude s’est senti floué.

Régis Douvry : Je peux comprendre qu’un artiste veuille avoir le meilleur deal possible, mais quand tu vois ce que ça a donné… Aujourd’hui, il n’y a pas de best-of de MC Solaar. Si t’achètes la BO de La Haine, il n’y a plus le morceau de MC Solaar dedans.

Philippe Zdar : Cette histoire, c’est un truc qui me déprime. Je trouve aberrant qu’en 2014, un kid de 16 ans à Montfermeil, Villeneuve-Saint-Georges ou Chambéry ne puisse pas acheter Prose Combat. C’est d’une tristesse abyssale. Les protagonistes de cette affaire devraient se mettre autour d’une table, et trouver une solution pour que les gens – les vrais gens –puissent à nouveau écouter ces disques.

Philippe Bordas : Comme les droits sur ses albums sont bloqués, l’œuvre de Claude va disparaître tout doucement. Même lui, il n’a rien. Il ne possède même pas son œuvre. Un jour, je suis arrivé chez lui avec un carton de quarante kilos. À l’intérieur, il y avait son œuvre complète, de A à Z : 33 tours, 45 tours, cassettes, CD, éditions japonaises, t-shirts, absolument tout. Je lui ai filé, mais je ne sais pas s’il l’a gardé.

Épilogue

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