Épilogue
Il y a un manque. Les gens me demandent :
qu’est-ce qu’il fait Claude ?

... Épilogue

Dans les deux décennies qui ont suivi Prose Combat, MC Solaar a connu quelques vrais succès (l’album Cinquième As) et des passages à vide (le single « Rabbi Muffin »), sans jamais retrouver la force de ses débuts. Aujourd’hui, il reste un nom connu en France, mais son actualité semble se résumer à un second rôle annuel sur la scène des Enfoirés. MC Solaar n’a pas sorti d’album depuis 2007.

Philippe Ascoli : Claude aurait dû continuer dans la même direction. Je l’avais vu plein de fois, et je lui avais dit « Ce serait bien que tu fasses un album reggae, comme Gainsbourg. » Il aurait pu partir en Jamaique et faire un disque avec Sly and Robbie. Ça aurait cartonné, et ça l’aurait relancé. Il aurait du faire son Melody Nelson. Mais il est toujours temps.

Armand Thomassian : Peut-être qu’il est très heureux aujourd’hui. Je lui souhaite, mais je pense qu’il aurait aussi pu être très heureux en restant à la pointe, en restant le mec dont on attend les albums. En ça, c’est un gros gâchis. Mais peut-être que pour lui, tout ce qu’il a vécu, c’est déjà énorme. Son objectif était peut-être de mettre sa vraie famille à l’abri, et le reste n’avait pas d’importance. Je peux le comprendre.

Philippe Zdar : Sans Claude, je serais très loin. Si je suis ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce à toute cette période. Bien sûr, il aurait pu aller plus loin, mais tout le monde peut aller plus loin. Il y a très peu d’artistes qui vont jusqu’au bout.

Philippe Bordas : Solaar, c’est un dilettante. Il n’est pas avide, il n’est pas ambitieux. Son père est parti jeune, et sa mère – qui est extraordinaire – s’est sacrifiée pour les enfants. Dès que Claude a gagné de l’argent, il lui a acheté une maison. Il avait cette ambition-là, mais il n’a pas voulu prendre trop de risques. En fait, il a un don, mais il n’est pas habité par une obsession. Un mec comme Bashung, il était obsédé tout le temps. Claude, non. Aujourd’hui, je rêve qu’on se remette à bosser ensemble. Définir une direction artistique à deux pour qu’il fasse un come back. Il pourrait faire un raz-de-marée total. Il faudrait qu’il soit moins variété et reprenne du son à la fois funk, reggae et rap. En flow reggae, il détruit tout !

Bambi Cruz : Quand je le vois, je vois toujours un mec de mon quartier, ça me fait bizarre. Des fois, j’ai même l’impression qu’il squatte sa propre maison. Elle ne déteint pas sur lui, c’est lui qui déteint sur les choses. Son vrai chez lui, c’est son cerveau. II n’y a rien de matériel qui va le représenter. Du moment qu’il a sa liberté, ça va. C’est un bouffeur de l’air du temps. Il papillonne, il observe.

Philippe Bordas : C’est une sorte de poète anarchiste, Claude. Il est dans la rue, il s’enchante des mots des autres, il prend des notes. Le problème, c’est qu’il est assez flottant. Il dit « On va s’y mettre », mais on ne le fait jamais. Pourtant j’adorerais. Lui il écrirait, et moi derrière je ferais la structure. Là, le rap français, c’est devenu une forme autistique de langage. Ils sont dans un truc où ils ne diffusent plus rien. Le génie de Solaar, comme d’autres argotiers populaires avant lui, c’était d’inventer une langue globale qui touche le peuple. Les rappeurs, ils ne s’adressent plus au peuple. L’esthétique racaille à deux balles, tout le monde peut la faire. Dans Prose Combat, la révolte était un truc presque mélancolique. Rien que le titre : Prose Combat. Les mecs peuvent aller dormir ! Close Combat, Prose Combat, putain…

Bambi Cruz : Tout autour de moi, je sens qu’il y a une espèce de pression aujourd’hui. On l’attend. Il y a un manque. Les gens me demandent : « Qu’est-ce qu’il fait Claude ? » Mais lui est imperméable à la pression. Il est devenu papa, il est bien, il kiffe. Pour lui, le rap, c’est pas la vraie vie. Mais je sais qu’il a envie. Pour la première fois, il a installé en bas de chez lui un ordinateur pour faire de la musique. Je le pousse un petit peu. On a déjà fait quelques titres, et tout de suite, ça sonne bien, les paroles sont stylées. Il se donne le temps. Tout ce qu’il veut, c’est dire des choses vraies, apporter du positif. Car là d’où on part, on a envie de donner de l’espoir.

MC Solaar : Ça y est, je rebosse là. Mais je ne sais plus quoi faire. À force de philosopher, je tombe dans le paradoxe de l’âne de Buridan, qui hésite entre la nourriture et l’eau, et finit par mourir de faim et de soif. C’est exactement cette histoire.

Philippe Bordas : Là, il veut être au top. Il sait bien qu’il ne peut pas faire comme les derniers albums, où il a perdu ce qu’il cherchait. S’il revient, faut faire un truc dément. Avec tout ce qu’il se passe en France… Il lit énormément, il a la capacité de synthèse journalistique et politique. Il voit les choses. Il faut qu’il fasse un truc sur l’effondrement du langage, sur le fascisme global, sur le Parti Socialiste… Il y a un bilan politique à faire sur cette France foirée de l’insertion. Il y a plein de choses à faire.

Jimmy Jay : Je reste convaincu qu’il avait une écriture hors du commun. J’aimerais tellement l’aider à retrouver l’envie, mais il faut que lui soit décidé. Notre dernière discussion était là-dessus. Quand on réécoute nos morceaux, on voit qu’il se passait quelque chose d’important entre nous. Moi, je suis toujours à droite, à gauche. Je traîne avec des petits jeunes, et je me dis : quel dommage. Il est respecté et attendu. Avec les moyens et la maturité qu’on a aujourd’hui, on pourrait boucler la boucle. À mon avis, il n’a pas le choix. À un moment, il devra revenir. C’est sa vie, c’est comme ça.