The Weeknd, roi sans divertissement

Abel Tesfaye a fini le jeu. Rempli les plus grands stades, séduit les femmes les plus admirées, imposé sa pop existentielle et anxieuse au monde entier. Comme beaucoup d’artistes ayant atteint à la fois le succès populaire et l’admiration des critiques, il raconte aujourd’hui sa propre légende et use et abuse des jeux de pistes et autres déclarations pompeuses. Ainsi l’album à venir Hurry Up Tomorrow doit être le volet final d’une trilogie inspirée de la Divine Comédie de Dante. En éclaireurs de ce blockbuster annoncé, sont sortis trois singles très différents, dont « Timeless », morceau de pop-rap où le canadien renoue avec le genre qui l’a accompagné jusqu’au sommet.

Si on l’a connu broyant du noir seul face au miroir, le roi Abel s’est entouré pour l’occasion d’une cour de choix. D’abord Playboi Carti, porte-parole de la « gen Z », particulièrement intelligible par rapport à ce qu’on connaît de lui, comme un ado qui aurait passé une chemise pour se rendre au barbecue des parents de sa girlfriend. Pharrell Williams est là aussi, à la production (les drums autoritaires semblent bien être les siennes), ainsi que dans l’hommage que lui rend The Weeknd : « Feel like Skateboard P, BBC boys on the creep /Feel like it’s ’03, Neptune drum with a beam ». Cette marque de respect consacre l’auto-célébration quasi dynastique du morceau : Carti, Abel et Pharrell incarnant chacun une génération successive de ce « crossover » entre rap et pop, celui qui séduit les marques et les fabricants de playlists depuis plus de 25 ans. Pourtant, pas même les synthés de Mike Dean ne parviennent à faire décoller ce « Timeless » très anecdotique à l’aune de la grande carrière des personnes impliquées. Comme si l’ennui faisait partie du trésor de guerre de ces grandes figures de la musique mondiale, tellement détachées du commun des mortels qu’elles sont devenues incapables de s’y connecter.