Selera, retour aux affaires.

Le rappeur de Saint-Louis de La Réunion n’avait pas sorti de morceau depuis la parution de sa mixtape Crack Muzik vol.1 en 2023. Cette mixtape donnait à entendre l’identité double de son auteur, entre rap français revendicatif ( “Kiltir”) et influences caribéennes (“Click”, rappé en créole).

Crack Muzik vol. 2 marque un palier dans l’art de Selera. C’est toujours la même faille qu’il rappe, celle d’un créole blanc, emblème à lui tout seul de la violence passée de l’île. Mais cette faille le constitue maintenant comme un personnage magique, aussi impossible et contradictoire a priori qu’un esprit philosophe masqué par une dégaine de bandit. La rime “chaque fois mi fé évoluer l’acting”, sur “97.”, le premier extrait de la mixtape, synthétise toute la force de cette mutation. Crack Muzik vol. 2 suit ainsi le même parcours que le volume 1 : de la vie de rue, brutalement narrée (“Lé danzéré” ; “Mentalité Saint-Louis”) à l’élévation (“Qui brûle, brille” “Tour du Monde”). La langue a changé : le créole de Selera colle au mieux à la vie de rue poisseuse, il l’utilise pour des flows menaçants (“Lé danzéré”), dans un court interlude parlé qui fait monter l’adrénaline (sur “Mentalité Saint-Louis”), l’enrichit d’argot jamaïcain et d’anglais pour faire une démonstration de trinibad (“Sixteen”). Les prods de JLN, présent sur sept morceaux, collent au mieux à cette versatilité, du boom-bap actualisé (“Mentalité Saint-Louis”) à la trap exaltée (“My Eyes”), conquérante (“S.e.l.e.r.a”“), ou agressive (“Lé Danzéré”). Selera y trouve costume à sa taille, badman au sommet, Gol-les-Hauts dans les veines, l’univers sur la rétine de son troisième œil.

Les clips de SSMatt poursuivent cette mixtape aux allures de rituel vaudou. Dans le clip de “97.” Selera apparaît en contre-jour dans une cabane, transposition réunionnaise de la trap house états-unienne, entouré de vêtements Lacoste, marque dont le logo est transformé en totem par le rappeur. Les jeux de lumière soulignent le regard de Selera, expressif, possédé. Dans le clip de “Sixteen”, l’intégralité des armes à disposition de la jeunesse saint-louisienne (de la hache au Glock, en passant par la carabine de grand-père) sont brandies autour de livres de développement personnel. Rigolard, le rappeur danse devant ce bricolage improbable, assuré de contrôler la zone. Esprit philosophe, dégaine de bandit.

Clip de “97.” réal : SSMatt