Dans nos yeux, le bel album de BEN plg

Quand il s’agit d’humour, de chambrage et de caricature, la génération Snapchat et Twitter sait se montrer d’une grande inventivité, et il y a quelques mois c’était le rap des années 2000 qui se trouvait être la cible de moqueries souvent amusantes et rarement malveillantes. De courtes vidéos mettant en scène un grand garçon en survet’ et en doudoune dans le salon, regard fixe, pouce levé et avec des légendes comme « L’époque de nos grands frères dans le rap, juste un pouce ça suffisait » ou « l’époque de nos grands frères [deux mille emojis hilares], pas de gestu ». Devenues des mèmes dans l’environnement rap français des réseaux sociaux, il y a quelque chose de réjouissant dans ces blagues qui ne reposent pas sur rien, et synthétisent effectivement toute une époque, toute une attitude, au point de ressembler à de l’hommage. Le passage de flambeau d’une génération à l’autre a bien été effectué, les petits gesticulent désormais, ils font leurs folies, ont leurs codes, mais se souviennent des grands.

Si de simples Snap humoristiques sont assez plaisants sur le plan de la mémoire culturelle du rap français, que dire d’artistes émergents qui par leur musique rendent explicitement hommage à leurs ainés ? La mixtape de Djado Mado et l’interview qu’il nous a accordée s’inscrivent en plein dans cette démarche, et voilà qu’en cette rentrée 2020 un autre jeune provincial, en la personne de BEN plg, continue le travail. Dès l’intro de son album Dans nos yeux, il annonce la couleur dans une phrase sans équivoque : « Pour le jour où on m’enterre ce sera Salif et Niro en B.O ». Convoquer ainsi deux légendes, c’est d’ores et déjà se mettre dans la poche toute une partie du public, qui entre nostalgie et résignation préfère généralement ressortir un album de Nysay qu’écouter la dernière mise à jour d’une playlist App-Spot-Eezer

Pourtant, de son jeune âge BEN plg ne fait pas du rap de vieux con, loin de là. Les références sont appuyées (il va jusqu’à reprendre le concept et des phases de « J’hésite » du Boulogne Boy) mais ne constituent pas le fond même de sa musique. BEN plg n’en est d’ailleurs pas à ses débuts, mais ses précédentes apparitions ressemblent (sans lui faire offense) à une période de recherche, et Dans nos yeux constitue de toute évidence un cap dans son parcours. Un rap sincère s’y fait jour, fait d’une écriture souvent très fine, d’une interprétation pleine de justesse. Certains passages rappés à fleur de peau rappellent Guizmo quand des montées vocales laissent penser à l’influence de SCH. Quelles que soient les inspirations du nordiste, il les a digérées et se les est appropriées brillamment. Puis surtout, les lignes qu’il écrit sont parfois d’une puissance rare : « Bambi meurt au cinoche pendant qu’papa est aux putes »« J’ai des gavars on dirait des pizzas Carrefour à trente balais », « Si tes larmes sont salées c’est peut-être pour qu’ton sourire se fige », et il y en a d’autres, beaucoup. Plutôt triste dans les thèmes et les sujets d’inspiration, la musique de BEN plg sent mauvais les coups reçus et le tabac froid. Elle est belle comme une table en formica, triste comme du Rimmel qui coule avec les larmes d’une sœur, nécessaire comme un gosse qui met une gifle à un ado méchant, touchante comme un câlin entre frères. Et s’il est encore un peu tôt pour développer davantage sur cet opus, sorti le 18 septembre dernier, une fois l’euphorie de la découverte retombée il s’agira de prendre un peu de recul pour en parler davantage, pourquoi pas dans ces colonnes.