Sat, l’histoire en grand format
Interview

Sat, l’histoire en grand format

Première partie de notre entretien avec Sat consacré à l’histoire de la Fonky Family. Depuis sa découverte de la culture hip-hop à la fin des années 80 jusqu’à l’enregistrement de « Si Dieu veut… » en 1997, le MC phocéen revient sur les premiers pas de son groupe et nous fait visiter les coulisses d’une aventure rentrée dans l’histoire du rap hexagonal.

Le 15 février prochain sortira Diaspora, le troisième projet solo de Sat – évoluant maintenant sous le pseudonyme de Sat l’Artificier. Un disque hybride, entre l’album et la compilation, conviant aux côtés de l’ancien MC de la Fonky Family une partie de la scène marseillaise, ancienne, reconnue ou émergente. Quatre ans après le split de son groupe, nous avons pensé qu’il était temps de profiter du passage du MC sur Paris pour revenir sur cette aventure de plus d’une décennie. Loquace et visiblement heureux de raconter cette trajectoire pour « ne pas que l’histoire se perde« , Sat était partant, acceptant de jouer le jeu de l’ancien combattant au détriment de son actualité. Un grand merci à lui pour avoir pris le temps de revenir sur ces « heures de gloire » ayant marqué toute une génération d’auditeurs.


Abcdr : Pour repartir vraiment loin dans le temps… Tes premiers contacts avec le rap se sont faits par quel biais ?

Sat : C’était à la fin des années 1980, je devais avoir 13 ou 14 piges. Un pote revenait des États-Unis et m’a ramené deux cassettes : Third Bass et Big Daddy Kane. J’ai écouté ça sans vraiment savoir ce que c’était et il m’a dit : « Tout le monde écoute ça là-bas, c’est un phénomène ! » Ça m’a interpelé. Peu de temps après, j’ai découvert Public Enemy. Là ça a été un gros choc pour moi ; tout à coup j’étais en face d’un Ovni : la musique, le discours, le style vestimentaire, la danse, le DJ aux platines… Je me suis tout pris d’un coup !

J’ai eu la chance d’avoir très vite autour de moi des gens qui avaient déjà un pied dedans, comme Boss One de 3e Œil, qui était dans mon collège. Son grand frère était déjà à fond dans le truc et avait créé un crew, les BTF, pour Black Tigers Force [sourire]. Le rap, les platines, la danse, le tag… J’ai tout pris dans la tête en quelques mois. A partir du moment où j’ai commencé à m’intéresser à ce truc, ça ne m’a jamais quitté.

A : Tu as commencé à pratiquer à ce moment-là ?

S : Oui, je me suis essayé au tag en cherchant des lettrages sur des feuilles – par contre tagguer dans la rue, je l’ai fait beaucoup plus tard. Les textes, ça a commencé doucement. La danse, je ne m’y suis jamais essayé parce que des potes à moi étaient bons dedans et que je me suis dit qu’il n’y avait rien pour moi. Les platines, c’était in-envisageable, personne n’en avait.

A : Il y a une rencontre qui a été particulièrement importante pour toi à cette période ? 

S : En arrivant au lycée, j’ai eu un coup de bol parce que je suis tombé dans la classe de la petite amie de Prodige Namor, qui lui était très actif. A l’époque, le rap, je ne sais pas ce que ça donnait dans une ville comme Paris, mais à Marseille c’était à peine à l’état embryonnaire.

IAM avait sorti sa cassette Concept, des groupes comme Soul Swing et Massilia Connection poussaient derrière, quelques mecs tagguaient, mais on ne peut pas parler de véritable mouvement. Et moi je tombe dans la classe de cette fille-là ! D’emblée on s’est mis à discuter et elle m’a dit que son copain rappait et avait une émission de radio… Pour moi, c’était l’Amérique déjà ! Elle me l’a présenté, je lui ai fait écouter mes premiers textes et lui, d’une certaine façon, m’a pris sous son aile.

Il me fait découvrir des disques, rencontrer des gens et je m’intègre dans son équipe où je suis le plus jeune, un peu la mascotte ! Ça a été un accélérateur pour moi qui, à l’époque, ne savais même pas qu’il existait du rap français.

A : Tu évoluais déjà sous le pseudo de Sat ?

S : Sous le pseudo de Satyr ouais ! Mais pas dans le sens de pervers sexuel ! Dans le sens de critique satirique, un peu corrosif, avec de l’humour… J’aimais bien, et ça s’écrivait bien en tag. Plus tard, c’est devenu Sat, parce que mes potes l’abrégeaient comme ça.

A : Il y a un moment où tu t’es dit que le rap devenait vraiment sérieux pour toi ?

S : Ça a été une évolution. Plus j’en faisais, plus j’aimais ça. Mais des gars comme Namor et son groupe Hardcore MC’s étaient beaucoup plus avancés que moi, je ne pouvais pas suivre leur cadence. Donc à un moment je me suis dit qu’il me fallait ma propre équipe, qui avance à mon rythme, à mon niveau.

Je voyais ça comme un passe-temps, un peu comme je jouais au foot – sans me dire que ça allait déboucher sur quelque chose de sérieux. De toute façon, à l’époque le rap ne débouchait sur rien pour personne !

A : Tu découvres IAM à quel moment ?

S : A la sortie de …de la planète Mars, en 1991. Ils avaient donné un petit concert au Virgin Megastore. J’avais séché les cours et on était allé les voir – en volant leur cassette au passage [rires] ! Je leur avais même demandé des autographes. Cette cassette-là, elle a tourné dans mes oreilles pendant une éternité.

Je me revois partir le dimanche matin pour aller jouer au foot avec leur album dans les oreilles, à l’écouter pendant tout le trajet et à saouler les gens avec ça vu que j’étais le seul de mon club [NDLR: Sat jouait à l’époque au club d’Endoume, historiquement le deuxième grand club de Marseille après l’O.M.] à écouter du rap. Les mecs me prenaient pour un fou ! Je saignais ça, le premier Cypress Hill et le Authentik de NTM. J’ai plein de souvenirs de cette époque. Il y avait une ébullition, le sentiment de participer à la naissance de quelque chose, même si j’avais raté les vrais débuts.

A : Tu as fait partie de groupes avant la Fonky Family ?

S : J’avais un premier groupe mais je me rappelle plus du nom. Ça devait être un truc à la con avec trois lettres [rires]. A l’époque il fallait absolument qu’il y ait trois lettres et qu’elles veuillent dire quelque chose ! On se retrouvait le samedi après-midi chez un des gars, mais je me rappelle déjà qu’à ce moment-là j’étais le plus motivé des trois. Eux prenaient ça à la rigolade, moi je voulais quand même faire ça bien. Je me disais : « Si un jour il y a un plan pour faire un concert, faut pas qu’on passe pour des charlots ! »

C’est à cette période, vers 1992, que j’ai rencontré Djel à une soirée. Le feeling est bien passé et on a commencé à se voir. Lui était vraiment à fond dedans vu qu’il venait de Belsunce où traînaient beaucoup IAM. Freeman et Kephren y habitaient. L’équipe a commencé à s’agrandir et Djel s’est mis à bosser avec Namor aussi.

A : Tu rencontres les autres futurs-membres de la FF petit à petit ?

S : Un jour Djel m’a dit qu’il connaissait deux gars sur Toulouse qui étaient selon lui vraiment puissants, et qui se sont avérés être Pone et Don Choa – ils faisaient partie de 313, un collectif de graffeurs marseillais et toulousains qui a retourné tout le sud. Pone venait souvent sur Marseille parce que sa petite amie y vivait. Très important les petites amies dans le rap !

Donc Djel me présente Pone. Il a dû me prendre pour un fou parce que je faisais des trucs pas très catholiques en parallèle et que ce soir-là j’avais pas mal de choses sur moi ! Il m’a laissé une cassette d’instrus. A l’époque, je ne rappais que sur des faces b : à Marseille, il n’y avait, en comptant Imhotep, que deux ou trois mecs qui avaient un sampler. J’ai halluciné sur ses prods, faites sur un matos qu’on lui avait prêté. J’ai passé l’été à écrire dessus.

Peu de temps après, il m’a présenté Choa, qui en 1993 était déjà très très bon, mélangeait rap et ragga… Ça a été un choc de voir un mec si jeune et déjà si fort ! Comme le feeling passait bien, on s’est dit qu’on allait tenter de faire quelque chose ensemble malgré la distance. Puis Pone s’est installé à Marseille. Du coup, Choa pouvait descendre plus souvent. On se voit beaucoup plus et on commence à faire des titres.

De mon côté, je continue à bosser avec Namor aussi, donc je fais collaborer Pone et Choa avec lui… On avait vraiment un putain de crew, avec danseurs, graffeurs… On commence à faire parler de nous…

A : Comment vous rencontrez Le Rat et Menzo ?

S : Pone s’était inscrit dans un sorte d’atelier d’art, un truc un peu social, pour les jeunes instables ou en perdition qu’on essayait de rattraper par le biais de la culture [sourire]. C’est là qu’il rencontre Le Rat, qui devait avoir 16 ou 17 ans… Le Rat allait là-bas parce qu’il y avait un ordinateur et un logiciel pour faire de la musique. C’était le seul truc qui le poussait à y aller. Il était toujours le premier à l’ouverture, avant même la femme qui s’occupait de l’atelier ! Le premier arrivé et le dernier parti… Et ça l’a suivi pour tout.

Donc avec Pone ils se rendent compte tous les deux qu’ils sont bousillés de son. Le Rat lui explique qu’il rappe avec un pote de son quartier, qui s’appelle Menzo, et Pone leur refile des instrus. Ce qui fait que Pone se retrouve à bosser avec eux deux d’un côté et avec Choa et moi de l’autre, avec Djel qui navigue aussi entre les deux et Namor au milieu de tout ça.

« On était une nouvelle génération, plus dure. On était plus dans le concret, moins dans le trip mythologique et égyptien. »

A : Qu’est-ce qui a fait que vous vous êtes finalement croisés ?

S : Un jour, Sens Unik [groupe de rap suisse, Ndlr] vient faire un concert au centre culturel que fréquentent Pone et Le Rat. Les gars du centre proposent à Pone et au Rat de faire la première partie. Eux disent qu’ils sont partants mais n’ont que deux chansons à présenter. Ils pensent alors à proposer à Namor, Choa et moi de les rejoindre.

Donc rendez-vous est pris pour qu’on se réunisse avant le concert. Ce soir-là, on passe beaucoup de temps à discuter, à se rendre compte qu’on a plein de points communs – on se marre et on en oublie presque de rapper ! Finalement on enregistre quand même un titre ce soir-là, qui s’appelle ‘On pète les plombs’ [rires].

A : Tu l’as encore en stock ?

S : Non, mais j’aimerais parce que celui-là il vaudrait de l’or ! Bien sûr avec le recul, si tu le réécoutais aujourd’hui, il doit être naze mais pour nous c’était génial ! On était tout contents de nous, chacun repart dans son quartier avec une cassette. De mon côté, les mecs kiffent ; du leur aussi… Donc derrière, sous l’impulsion de Namor, on en fait un autre qui s’appelle ‘C’est comme ça’, qui détourne le refrain de funk : « That’s the way hun-hun hun-hun, I like it« . On a donc deux ou trois titres et on s’apprête à faire cette première partie de Sens Unik. Sauf que se pose la question du nom à écrire sur l’affiche. D’un côté il y a le groupe du Rat et Menzo qui s’appelait Black & White Zulus [rires]. De l’autre côté, Choa et moi on s’appelait Le rythme et la rime. Et il y avait Namor.

On ne pouvait pas écrire tout ça, surtout qu’on montait sur scène comme un collectif. C’est Le Rat qui a trouvé le nom Fonky Family. « Fonky » parce qu’à l’époque Pone samplait énormément de funk – pas le funk qu’on écoutait dans les quartiers, genre Kool & The Gang, Delegation, Imagination, mais plutôt du Parliament, du George Clinton, du Zapp… Donc c’est vrai qu’on avait un son très funky. On est parti là-dessus.

On fait le concert, qui se passe très bien même s’il n’y a pas grand monde dans la salle, et on est même payés, 100 francs chacun ! Ne pas avoir conservé ce billet, c’est un de mes grands regrets ! C’était la première fois qu’on me payait pour faire du rap !

A : Le groupe était né…

S : Ouais, on a pris tellement de plaisir à faire ce concert qu’on a décidé d’avancer ensemble. Donc dans la version initiale de FF, en 1993, il y avait aussi Namor. Mais il en est sorti très vite parce qu’il avait du mal à s’intégrer dans le collectif. Il avait plus d’expérience et nous on était complètement fous à l’époque, toujours dans les mauvais coups. Ce qui a aussi participé à notre réputation : quand on montait sur scène, les gens savaient que ce qu’on racontait était vrai.

A : A l’époque vos raps tournent autour de quels thèmes ?

S : Argent, boisson, fumée, femmes ! On ne pensait qu’à ça : prendre des thunes, se bourrer la gueule, s’enfumer la tête et baiser des gonzesses ! On était très influencés par Dr. Dre, Snoop, NWA, Warren G, Domino et tout ce qui était g-funk californien… C’est à ce moment-là qu’on a eu un choc musical. Un jour où je montais sur Paris, Pone me demande de lui ramener l’album d’un groupe qui s’appelle Wu-Tang Clan. Moi je ne connaissais pas mais lui m’avait dit : « Putain, un jour sur MTV j’ai vu un live d’eux, les mecs sont complètement fous !« . Je l’achète en me faisant casser les reins parce que c’est de l’import mais je m’en fous : de toute façon, vu d’où venait mon argent, il était fait pour finir comme ça… On a écouté ça et Mobb Deep et on s’est dit : « Putain, ça pue la rue ce qu’ils font » !
Parallèlement, on commençait à se lasser de notre image de groupe un peu festif. On s’est dit que ces gars-là étaient dans le vrai. A partir de là, que ça soit dans notre écriture ou dans le choix des samples de Pone, il y a eu un virage. On est devenu plus durs, plus sombres, plus personnels… Très vite, il y a eu quelques titres qui ont choqué les gens sur Marseille. Il y en a eu un qui s’appelait ‘Gazier’ et dont le refrain faisait : « Eh gazier, quitte donc ta femme pour le freestyle ! » On incitait les mecs de la salle à lâcher leur petite amie et à monter sur scène pour rapper. On agressait un peu les gens [rires] !

A côté de ça Le Rat et moi on avait aussi un morceau qui s’appelait ‘Le quartier, mon secteur’, où chacun parlait de son coin et de ce qui s’y faisait. En l’espace de deux ou trois titres, on est arrivés avec une couleur beaucoup plus sombre et hardcore. Ça a fait parler, parce que personne ne faisait ça sur Marseille.

A : Vous côtoyiez déjà des groupes comme Carré Rouge ou 3e Œil ?

S : Complètement. Moi, c’est presque un accident que je finisse dans FF. La logique aurait voulu que je sois dans 3e Œil : les gars habitaient au coin de ma rue et j’étais plus souvent avec eux qu’avec les gars de FF. Puis Boss One, c’était un ancien du mouvement et il connaissait Menzo.

On formait quasiment un seul groupe en fait. On partageait tout. Carré Rouge, je connaissais surtout Stone Black avec qui j’avais pas mal rappé pendant mon adolescence, notamment dans un bar qui nous laissait rapper, avec Djel aux platines, et nous payait avec des bières ! Quand le bar fermait, on rappait sur la place qui était devant et dans les rues toute la nuit ! Il y avait beaucoup d’estime, tout le monde savait qui était qui. On était une nouvelle génération, plus dure. On était plus dans le concret, moins dans le trip mythologique et égyptien. Dans nos concerts, on ramenait la rue et c’est pour ça que ça partait souvent en couilles. On volait du matos, parce qu’on avait rien et que ça faisait partie du jeu !

A : La rencontre avec Akhenaton et IAM se fait à quel moment ?

S : Peu de temps après ça, en 1995. Il y a un concert au Café Julien pour rendre hommage à Ibrahim Ali, qui avait été assassiné par des colleurs d’affiches du FN. On y joue. Il se trouve que ce soir-là, IAM est dans la salle, en spectateurs.

A la fin de notre show, David, leur manager à l’époque, nous dit que Chill voudrait nous parler. C’est là qu’il nous dit que ce qu’on fait lui plaît, qu’il prépare son album solo et qu’il aimerait bien faire un titre avec nous. On en a pas dormi de la nuit ! On est à l’aube de Métèque et mat, quand Chill sort du succès de ‘Je danse le Mia’.

A : A ce moment-là il y avait aussi une fille dans le groupe, Karima…

S : Elle avait intégré le groupe quand on était dans cette période très funk, parce qu’on voulait des refrains chantés. C’est Pone qui l’avait rencontrée. Elle avait chanté sur un morceau du Rat et de Choa et on avait vraiment accroché à sa voix, donc on lui avait dit que pour nous c’était comme si elle faisait partie du groupe. Et elle était avec nous sur scène ce fameux soir où on a rencontré IAM, ce qui fait qu’elle s’est aussi retrouvée sur Métèque et mat.

Le truc c’est que depuis qu’on avait pris un virage plus dur, elle avait de plus en plus de mal à trouver sa place dans l’équipe, jusqu’au moment où s’est rendu compte que c’était plus la peine… Ça s’est terminé froidement. Elle a voulu arrêter le chant pour se mettre au rap mais ça ne collait pas.

A : Après la première rencontre avec Akhenaton, comment évoluent les choses ?

S : Très vite. Le lendemain après-midi on le revoit et il nous dit : « Écoutez, j’ai réfléchi toute la nuit et je pense vous avoir bien cernés. Je vous propose un thème : bad boys de Marseille« . On lui a répondu qu’il avait bien compris [rires]. Ensuite, il est parti à Naples parce qu’il voulait enregistrer là-bas, se ressourcer et se rapprocher de ses racines italiennes. Il nous a laissé des musiques en nous disant de le rejoindre dès qu’on serait prêts. On commence à écrire, puis nous voilà partis pour Naples !

A : C’est votre première trace discographique ?

S : Pas pour Le Rat et Menzo, qui avaient déjà sorti un deux-titres financé par un truc de leur quartier. Mais oui, pour FF, c’est la première vraie expérience en studio. Avant ça, j’ai rappé dans une pièce avec un micro à la main, c’est tout.

A : Comment ça se passe à Naples ?

S : On débarque là-bas et on découvre tout. Chill nous présente à toute sa famille, à sa femme Aicha qui est alors enceinte de leur premier enfant… C’est de bons souvenirs. Pour nous, c’est comme des vacances. On passe une semaine là-bas, on enregistre le titre tranquillement, on kiffe. On fait l’intro de ‘La face B’…

A : L’intro de ‘La face B’ n’a pas été enregistrée pendant un concert ?

S : Non, on a donné cet effet mais c’est enregistré en studio.

« C’est un conte de fées pour nous. Parce que concrètement le groupe naît vraiment en 1994 et qu’à peine un an après on se retrouve à aller poser sur l’album solo d’Akhenaton ! »

A : Après avoir enregistré cette première version de ‘Bad Boys de Marseille’ vous rentrez à Marseille ?

S : Ouais. On ne sait pas quoi penser du titre, on est un peu sceptiques. L’album Métèque et mat sort. Tout le monde prédit un énorme succès à ce disque et étrangement l’album démarre lentement. Parce que tout le monde s’attendait à du Mia et qu’il revient avec ‘La face B’, ‘L’americano’… Dans le même temps, il y a qu’un truc qui revient, c’est : « Putain, c’est quoi ce morceau ‘Bad Boys de Marseille’ ? C’est qui ces gars que t’as invités ? Ça tue ! » Nous, on est limite surpris, parce qu’on trouve que ça tue pas tant que ça. Mais les gens sont fous de ce titre-là.

A : Comment naît la deuxième version de ‘Bad Boys de Marseille’ ?

S : Métèque et mat était sorti, avec la première version du titre. Là, Chill part à New-York avec le reste d’IAM pour enregistrer L’école du micro d’argent. Il nous appelle de là-bas et nous dit qu’il a envie de faire une nouvelle version du morceau, avec nous et Shurik’N. On est partants mais on se demande pourquoi ne pas carrément enregistrer un nouveau titre. Il nous répond que le deal c’est que si le titre est bon, il sort une réédition de son album avec le morceau. Donc on part à New-York ! Après l’Italie, les États-Unis ! Quand on arrive à l’aéroport, personne ne nous attend. On se regarde, personne n’a pris de thunes. On prend quand même un bus. Je suis le seul à parler anglais. On arrive au studio… Là, trou noir : je fume un gros joint d’herbe et je tombe KO ! Bienvenue à New-York !

Le lendemain, on se met au taff. Akhenaton a déjà préparé l’instru et nous demande quatre mesures chacun, format radio/single, avec à côté de ça une version sauvage pour se faire plaisir. Lui savait déjà comment le résultat serait structuré. On fait le morceau, qu’on trouve sympa mais sans plus : on attend surtout la version « sauvage » ! Chill nous présente Bruizza, un gars du Queens qu’il a rencontré sur place. On s’éclate.
Très très vite, Chill sent le potentiel de la nouvelle version de ‘Bad Boys de Marseille’. Il appelle sa maison de disques, Delabel, et leur dit qu’il pense tenir là un putain de titre et qu’il faut le clipper. Il leur envoie le titre, qui leur plaît. Mais ils lui disent : « Tu tourneras les plans avec Jo [Shurik’N, Ndlr] à New-York, et les petits à Marseille« . Lui refuse et veut qu’on reste avec lui. Il entame un bras-de-fer avec eux alors qu’on s’apprêtait à reprendre l’avion. Delabel flippe, parce que la préparation du clip va prendre au moins un mois et qu’on va leur coûter cher ! Lui s’en fout, se bat et gagne.

On était partis avec des habits pour 4 jours et on se retrouve à passer tout l’été à New-York, à attendre le tournage du clip. Donc pendant tout l’été, on est avec IAM pendant qu’ils préparent L’école du micro d’argent. A ce moment-là, je me rapproche beaucoup de Shurik’N, qui commence à travailler sur son solo.

A : Pourquoi tu te rapproches particulièrement de lui ?

S : Parce que tous les soirs il sort en club ! Je le suis partout, comme un petit frère derrière son grand frère, parce qu’il est dans tous les bons coups. On passe des soirées de dingues, à rentrer le matin à moitié éclatés. Il me fait aussi écouter ses morceaux, dont, un jour, l’instru de ce qui deviendra ‘Mémoire’. Moi je suis là, assis par terre, et je commence à gratter. Je lui demande de quoi il voudrait parler. Il m’explique son idée et je commence à écrire là-dessus. Il m’entend baragouiner dans mon coin et me demande à écouter puis me dit que ça ferait un bon refrain, même si j’avais juste quelques phases. Ça en reste là.

Un an après, alors qu’on est rentrés sur Marseille et que je n’y pense plus, le téléphone sonne. C’est lui, qui me demande de venir au studio où il est en train d’enregistrer Où je vis. Il me ressort la feuille écrite à New-York et me demande de faire le refrain. Je pose le truc, comme ça, complètement au feeling. Et des gens me parlent encore de ce titre dix ans plus tard, alors que ça c’est fait comme ça !

A : Votre séjour à New-York, ça a été une claque pour toi ?

S : C’était magique. A l’époque je rencontre une fille qui vit à Harlem, dans le ghetto. Souvent je vais la rejoindre chez elle. Donc la nuit je passe par les parcs, et je vois les gars qui y rappent, avec un groupe électrogène, font des cercles. Je me retrouve au bas d’immeubles avec des gens qui rappent. On fait des sessions freestyles en studio avec des ricains, on comprend rien à ce qu’ils racontent et eux non plus mais ça tue ! Vivre le truc comme ça de l’intérieur c’est quelque chose qui te marque à vie. Je rentre de ce voyage métamorphosé.

A : Vous n’enregistrez pas de titres avec IAM pour « L’école du micro d’argent » ?

S : Non, on déguste pas mal, on sort, on apprend beaucoup… On se fait petits ! Je me souviens qu’un jour ils organisent une écoute pour nous et nous demandent de noter leurs titres. Ça s’est passé comme ça ! Ils nous donnent chacun une feuille avec les titres et on doit mettre une note et une appréciation ! Je ne sais pas avec combien d’autres personnes ils ont fait ça… Mais c’était la première version, avant qu’ils ne décident de le refaire avec Prince Charles Alexander et que ça devienne vraiment L’école du micro d’argent, qui est pour moi l’album référence du rap français.

A ce moment-là, et j’assume ce que je dis, IAM enterre des groupes américains légendaires, et Chill en prod est parmi les meilleurs au monde. Quand tu réécoutes les beats de ‘La saga’, ‘L’Empire du côté obscur’, ‘Nés sous la même étoile’ et que tu les compares avec ce que font les gros producteurs américains à l’époque, tu te dis qu’il les prend et les fume !

A : Comment se passe le tournage du clip de ‘Bad Boys de Marseille’ ?

S : Impossible à oublier ! C’est le premier clip qu’on tourne, la première fois qu’on se retrouve devant une caméra. Et au final c’est peut-être l’un des deux ou trois meilleurs clips de rap français ! Il y a l’acteur qui a joué dans Les Affranchis qui débarque avec ses cartes dédicacées, les cascadeurs, les artificiers qui nous apprennent le maniement des armes, les flics qui surveillent parce que peu de temps avant un tournage de clip à Brooklyn s’est terminé avec des coups de feu… C’est la folie, on est dans un film.

En plus je me souviens que le mec qui avait tourné le clip, Florent Siri, voulait innover. Il nous avait fait apprendre le titre au ralenti pour pouvoir ensuite réaccélérer les images. Donc il fallait avoir une gestuelle au ralenti, c’est chaud ! On y comprenait que dalle ! Mais quand on a vu le résultat chez le manager d’IAM, on a dû le regarder cent fois d’affilée. Le rendu était juste énorme. A l’époque, les seuls qui avaient développé une image et de bons clips, c’était NTM.

A : Il y a une version de ‘Bad Boys de Marseille’ que tu préfères ?

S : Sur le plan rap, je te dirais la version « sauvage ». Pour l’attachement sentimental, ça serait la version clippée. La version qui était sur la première édition de Métèque et mat ne m’a par contre pas laissé un grand souvenir. J’ai plus retenu Naples, la bouffe et les pâtes aux brocolis que le morceau !

A : Comment vous vivez le moment où le morceau explose ?

S : On ne s’en rend même pas compte. C’est les gens qui nous en parlent. Là où on réalise qu’il se passe un truc, c’est qu’on a plein de sollicitations pour des concerts. Mais on est tellement des emmerdeurs qu’on ne joue même pas ‘Bad Boys de Marseille’, comme pour dire aux gens : « Ne nous résumez pas à ça. » A l’époque on était très productifs donc on a pas mal de morceaux.

Les concerts, c’était à la roots : il est arrivé qu’on vole des roues pour les monter sur un camion… On a fait des trucs que les nouvelles générations ne peuvent pas imaginer. Des fois on le regrettait mais.. Puis tant qu’à la fin du concert on avait un petit billet dans la poche et une groupie à ramener [sourire]…

A : Financièrement, ‘Bad Boys de Marseille’ a de bonnes retombées pour vous ?

S : Nous on n’y connaît rien. Tout le monde nous dit que la chanson passe partout à la télé et à la radio, donc on s’attend à décrocher le pactole ! Déjà, la chose qu’on ne sait pas c’est que c’est long : la Sacem ne te paye pas au jour le jour. Il y a une période de décalage, où on crève la dalle alors qu’on a un clip qui passe à la télé et une chanson qui tourne en boucle à la radio… Donc c’est dur. Ça nous rend mauvais, cette période-là. Mais après on touche nos premières thunes. Enfin, les autres, pas moi : il y a un mec qui porte le même nom et prénom que moi à la Sacem et elle le paye à ma place.

Au téléphone on me prenait pour un con donc j’ai dû monter sur Paris récupérer mon fric. Et j’ai souvenir d’être monté debout sur le bureau du mec de la Sacem en le menaçant avec le moniteur de son ordinateur au-dessus de sa tête ! Et du coup, je suis vite payé. Comme quoi, c’est pas toujours la diplomatie qui fonctionne ! Peu de temps après, IAM nous réunit et nous explique qu’ils ont le projet de créer une structure de production et veulent produire notre premier album…

A : Vous réagissez comment ?

S : C’est marrant parce que dans le même temps, vu le succès du titre, pas mal de boîtes sont intéressées. Je me souviens qu’un soir il y a même Solaar qui descend à Marseille. Donc il y a des gens intéressés, mais nous on a confiance en IAM. C’est eux qui nous ont mis en avant, donc la logique c’est qu’on poursuive avec eux. On leur pose une sorte d’ultimatum : si vous voulez le faire, faites-le vite. On avait eu vent qu’avant nous, il y avait eu d’autres groupes à qui ils avaient proposé ça et que ça n’avait abouti à rien. Et ils tiennent leur parole : ils créent leur boîte, Côté Obscur, ils nous font des propositions de contrats et on signe. Très très vite, ils nous débloquent un budget pour qu’on ait un peu de matos et que Pone et Djel puissent travailler, qu’on puisse enregistrer des maquettes au studio Le Petit Mas à Martigues. Voilà comment l’aventure débute…

A : Donc là, on est vers la fin 1996… Vous commencez à enregistrer ce qui va devenir « Si Dieut veut… » ?

S : Ouais, enfin, c’est surtout qu’on met au propre ce qu’on avait enregistré en bordel chez Pone. On commence à enregistrer des titres. On travaillait beaucoup, donc le jour où ils nous ont dit « Feu !« , on avait déjà une douzaine de titres de prêts. Mais on avait quand même une sacrée pression ! On savait qu’on n’avait pas le droit de se rater, qu’on ne devait pas laisser passer la chance qui nous était donnée.

« Il y a une période de décalage, on crève la dalle alors qu’on a un clip qui passe à la télé et une chanson qui tourne en boucle à la radio… C’est dur. »

A : A partir de là vous vous concentrez vraiment exclusivement sur la musique ?

S : On plaque tout. Ceux qui taffaient arrêtent de taffer, ceux qui faisaient du bizness arrêtent le bizness, ceux qui allaient à l’école arrêtent l’école… C’est une période difficile : on n’a pas une thune – le peu qu’on a gagné sur ‘Bad Boys de Marseille’ on l’a cramé… Mais on se met à fond là-dedans.

A : Quand on a fait le Top 100, Pone m’expliquait que vous vous retrouviez chez lui…

S : On arrivait là-bas à la mi-journée, on le tirait du lit ! D’autres fois il était déjà en train de bosser avec Le Rat… On arrivait, on comptait nos pièces, on allait s’acheter un bout de shit et un pack de Heineken sur le retour et on s’y mettait ! On bouffait même pas ! De temps en temps, on allait dans un snack, tenu par un gars qui s’appelait Kader avec qui on s’arrangeait…

A : Celui dont Akhenaton parle dans ‘Marseille la nuit’ ?

S : Tout à fait, ouais : Street Food the best [rires] ! C’était tout pour le rap. C’était sérieux, plus juste des morceaux enregistrés pour nous et qui vont tourner dans quelques voitures des potes du quartier… C’est pas des concerts à l’arrache pour gagner un billet, fumer, boire et sauter une nana. Là, il est question de faire un disque et on le prend super au sérieux. Pone n’arrête pas une seconde de sampler des disques et de faire des prods. Nous on n’arrête pas d’écrire. A tel point qu’on se retrouve avec énormément de morceaux.

Je me souviens d’un concert [il hésite]… Oh, il s’en foutra que j’en parle… Chill a une grande famille, qui n’est pas que dans la musique [rires]. Un soir il nous propose un concert à Plan-de-Campagne, dans la banlieue marseillaise. Il nous dit : « Vous inquiétez pas, vous serez bien payés, c’est la famille… » Donc on fait le concert et à la fin on se met à faire un freestyle. Là, je me mets à rapper plein de textes que même mes gars ne connaissent pas, parce que je les avais écrits la nuit d’avant, le matin même ou l’après-midi pendant les allers-retours à pied que je faisais entre chez moi et chez Pone pour ne pas me taper d’amendes dans le bus ou le métro ! J’écrivais dans ma tête, en marchant et en écoutant le walkman, je n’avais pas le temps de me poser devant une feuille.

Le jour où j’ai entendu que Jay-Z faisait ça je me suis dit : « Mouais, il a rien inventé le gars, ça fait des années que je le fais et personne n’en parle ! » [rires]  Donc ce soir-là, au concert, je rappe ce qui deviendra ‘Le Sum’, ‘La résistance’ et un autre. Et je vois mes gars qui me regardent bizarrement et me demandent à la fin du concert ce que je viens de rapper ! Vraiment, on n’arrêtait pas.

A : Du coup, vous vous retrouvez très vite avec énormément de morceaux ?

S : Ouais, et je tiens à rendre hommage à Pone pour cet album parce que ça a vraiment été lui le réalisateur artistique. Vu que tout se passait chez lui, il a su canaliser toutes ces énergies et faire en sorte que ça ressemble à quelque chose dans l’album, que tout ce qu’on faisait ressemble à des chansons. Un peu comme un RZA dans le Wu-Tang.

C’est lui qui nous a suggéré les featurings, comme le morceau avec X-Men… Il avait beaucoup de recul sur tout ça. Pareil : pour mixer on se demandait à qui faire appel et c’est Pone qui a dit : « On veut Mario Rodriguez« . Nous on le regarde, l’air de dire : « C’est qui ? » Il nous dit de lui faire confiance, qu’il a vu son nom dans les albums de Mobb Deep, Notorious B.I.G., Mary J Blige, LL Cool J… Le gars qui a un son, quoi. Il voulait quelqu’un capable de nous aiguiller, de nous aider.

A : Et vous vous retrouvez effectivement avec Mario Rodriguez ?

S : On voit débarquer un petit bonhomme et on se dit : « Putain la carotte ! Les enfoirés, ils nous ont envoyé un clando ! » [rires]. Mais non, c’était bien lui et on passe l’été à enregistrer l’album. On découvre parce qu’on n’a quasiment pas d’expérience de studio à part ‘Bad Boys de Marseille’, on apprend beaucoup. Et toute la journée nous on est là à lui demander : « Alors Mobb Deep ? Et Notorious ?… » [sourire]. Lui il a un million d’anecdotes à te raconter sur les gars…  Donc on fait l’album et on sent qu’il se passe un truc. Parce qu’en même temps qu’on le fait on continue d’avancer. Le jour on est en studio mais la nuit on écrit et on fait des beats… On dort presque pas : on aurait pu mourir à l’époque ! C’était un rythme de dingue mais on voulait qu’il soit parfait. Et à la fin de l’enregistrement on est satisfaits.

A : Vous sentez déjà à ce moment-là qu’il y a une attente du public ?

S : Non, on a qu’un titre de connu, les gens peuvent penser qu’on est une carotte. Mais nous on savait qu’on valait beaucoup mieux que ça, qu’on en avait encore sous la semelle. On avait pas un sentiment de revanche, mais on voulait prouver aux gens ce qu’on valait réellement. Mais ‘Bad Boys de Marseille’ nous avait quand même permis de créer notre réseau en France, jusque sur Paris. On voyait qu’on était respectés par les gars d’ici qui étaient en train de percer et qui nous disaient : « Ouais, vous aussi vous ramenez une nouvelle vibe… ». C’est comme ça qu’on rencontre toute l’école Time Bomb : Ill, Oxmo, Booba, Ali…

A : A l’époque vous êtes proches de cette équipe ?

S : On les voit constamment. Dans les concerts sur Paris, dans les sessions radio, dans l’enregistrement des mixtapes. C’est à ce moment-là que naît un titre qui va jouer un rôle fondamental pour nous : ‘Sans rémission’…

 

« Étrangement il y a des gens qui kiffent la pochette de Si Dieu veut…. Elle est tellement décalée qu’ils la trouvent mortelle ! Pas moi en tout cas. »

A : Il naît comment ?

S : T-Beau, à l’époque, qui s’occupait entre autres des mixtapes du réseau Passe-Passe, organise la tape Opération coup de poing. Un soir il vient nous voir à un concert à Lille et nous dit : « Ce week-end je boucle la mixtape, il me faut un titre de vous« . On râle un peu en disant qu’il aurait pu prévenir plus tôt… On rentre à Marseille. J’appelle Pone en lui disant qu’il faut vraiment qu’on le fasse. Il y avait vraiment tout le monde sur cette mixtape : si on n’était pas dessus, on était des nazes. Il me dit de venir, qu’il prépare un son. Je pars de chez moi et sur le chemin je commence à écrire ‘Sans rémission’ dans ma tête. Peut-être parce que j’ai vu le film peu de temps avant, je ne sais plus…

Quand j’arrive chez Pone, je prends direct une feuille et un stylo pour pas oublier le texte. Il me fait écouter le son qu’il vient de faire et je pète un câble. C’était un sample de hard-rock, de heavy metal, un truc de barré ! Il y avait que lui pour écouter ça ! Les autres arrivent, ils kiffent, on enregistre à l’arrache et on lui envoie ça. Et on a tellement kiffé le titre qu’on l’a aussi remis dans l’album. C’est aussi ce titre qui nous a permis de nous faire accepter de la scène parisienne. A l’époque, hormis quelques embrouilles et beefs par-ci, par-là, la scène rap est assez soudée.

A : Quel a été le rôle d’Akhenaton sur « Si Dieu veut… » ?

S : Aucun. On a carte blanche, il nous laisse faire. Il vient juste le jour où on enregistre ‘La Résistance’ pour faire le refrain. Entre temps, il y avait eu des petites prises de tête ridicules qui font que, déjà, il y a un petit recul et une petite distance qui nous séparent. Il vient, mais il y a déjà quelque chose qui s’est cassé, pour des broutilles. Nous, partout où on arrivait on nous voyait comme les petits frères d’IAM, donc ça nous cassait les couilles. Petit à petit les relations se tendent. On devient un peu paranos.

A : Et quel est le rôle de Carole Pays-Monnet, qui est créditée à la production exécutive ?

S : A l’époque, IAM nous la mettent dans les pattes pour qu’elle gère le budget, s’occupe de tout. Elle tiendra ce rôle jusqu’à Marginale Musique. Elle était un lien entre eux et nous. Son frère était aussi le gérant de Côté Obscur. Aujourd’hui je me rends compte avec du recul… IAM avait créé ça mais ne s’en occupait pas vraiment. C’est aussi pour ça qu’ils ont commis des erreurs et s’en sont rendus compte par la suite.

A : Tu peux me dire deux mots de la pochette, qui était, disons, assez particulière…

S : [rires] Ah ouais, tu peux le dire ! On a voulu résumer notre vieux concept « L’argent, la boisson, la fumée et les femmes« … Sauf qu’à l’arrivée, on était pas satisfaits. On découvrait… On nous a dit qu’on avait plus le temps, qu’il fallait l’envoyer. Mais on était dégoûtés !

A : Vous ne l’aimiez pas non plus ?

S : Bah non ! C’est comme notre premier clip, ‘La furie et la foi’ : pendant longtemps on a cherché le mec pour lui faire la peau ! On ne connaissait rien… Et il n’y avait personne derrière pour nous donner des conseils ou quoi.

A : C’est là aussi que vous auriez aimé être plus encadrés par IAM ?

S : Oui, mais eux étaient aussi dans leurs trucs, à fond dans leur musique, donc je ne leur en veux pas. Mais effectivement on aurait eu besoin de quelqu’un pour nous conseiller sur l’image. Le clip, c’est une horreur et la pochette n’en parlons pas ! Mais étrangement il y a des gens qui la kiffent, parce qu’elle est tellement décalée qu’ils la trouvent mortelle ! Pas moi en tout cas. Mais ça va, ce qui compte c’est ce qu’il y a à l’intérieur : le disque a sauvé la pochette [rires].

A : Dans le livret, il y avait pas mal de dédicaces pour un mec qui s’appelait Blaze. C’est lui qui est revenu sur « Art de rue » sous le nom de Fel ?

S : Ouais. A l’époque il était incarcéré. Je lui fais aussi une dédicace au début de mon ‘Verset’ : « Pour Laoubi dit Blaze, bienvenue à la base, on représente toute la nuit… » parce que justement c’est au cours d’un truc qui s’était passé une nuit à Nice qu’il avait été incarcéré. A la base c’était un des deux danseurs du groupe – l’autre avait arrêté très tôt. Comme Blaze ne voulait pas continuer à danser seul sur scène, il s’est mis à rapper.

A : Avec le recul, comment tu perçois ce premier album ?

Sat : Il n’y a pas plus imparfait que Si Dieu veut… ! Mais c’est ça qui fait son charme aussi. Une fois, j’ai entendu Jay-Z dire que le premier album est celui de l’innocence. Là c’est exactement ça : les morceaux qui durent six minutes, aucun format radio, le refrain qui arrive au bout de quatre minutes…

A : Pourtant il a bien marché…

S : Ouais, bien sûr. D’ailleurs je me souviens de Laurent Bouneau [Directeur général des programmes de Skyrock, Ndlr] qui, la première fois qu’il l’a écouté, nous a dit que c’était bien mais que ça ne marcherait pas. Puis il nous a rappelés une semaine après, quand on est rentrés 8e du Top Album pour nous dire que finalement il allait rentrer un titre en rotation [sourire]. De toute façon, il a toujours suivi, il n’a jamais senti ce qui allait se passer. A l’époque on était super fiers de l’album : il y avait tout – le réalisme, la sincérité, la tristesse, la mélancolie et en même temps un côté léger, fou. Il résumait nos vies et chaque membre du groupe. Cet album, on l’a adoré, sauf au moment de partir en tournée parce qu’on s’est rendu compte qu’on n’avait rien pour la scène. Hormis ‘Sans rémission’, c’était pas des morceaux qui se prêtaient à ça. Ils étaient trop lents, trop longs… Sur scène on se faisait chier.

A : Il y avait un côté très enragé et un peu révolutionnaire dans les textes. Vous pensiez pouvoir faire changer les choses via votre musique ?

S : Changer les choses, non. On était assez lucides pour savoir que c’était pas des chanteurs qui allaient faire changer le monde. C’était plus dans un état d’esprit de se dire : « C’est ce qu’on vit, ce qu’on ressent, ce qu’on pense et on est pas les seuls dans ce cas-là donc ils vont le savoir. » Se dire : « On ne changera rien, mais ils vont entendre parler de nous. Il y a tellement de gens qui ont des choses à dire mais ne peuvent pas le faire qu’on va le faire pour eux. » C’était plus ça, une idée de partage, d’être solidaires.

A : Je parlais de l’album il y a quelques temps avec un pote et il me disait que vous aviez fait partie des premiers groupes à vous poser un peu en victimes du système, comme si au fond le message était : « Je fume des joints en bas de chez moi mais c’est pas ma faute »…

S : On ne se posait pas en victimes du système mais pour nous le système était responsable de beaucoup de dysfonctionnements et de problèmes. J’ai toujours été conscient… [il s’arrête]. C’est drôle, je me souviens d’avoir eu une discussion avec Don Choa sur l’une de ses phrases. Dans ‘Cherche pas à comprendre’, il dit : « On a pas toujours le choix ». Plus tard, il m’a dit : « Finalement, Sat, on a toujours le choix ! » [sourire]. Je me rappelle qu’on a longuement parlé de ça… Après, il faut voir un truc, c’est qu’au moment où on enregistre ça, on a 20 piges. Il y a certaines phrases de Si Dieu veut… que je ne ressortirais pas aujourd’hui.

Faut se remettre dans le contexte de l’époque et dans la tête de mecs qui ont 20 ans. Mais on ne se positionnait pas en victimes : c’était plus une critique du système. On ne le subissait pas, on essayait de le contrer à notre manière. Après, c’était pas en fumant des joints qu’on allait contrer quoi que ce soit, ni en buvant des bières… Mais à l’époque c’était un moyen d’évacuer la pression, le stress et les problèmes de la maison. Plus tard, tu te rends compte qu’au lieu d’évacuer les problèmes tu t’en es rajouté, mais avant de faire ce cheminement-là, il faut du temps. Moi il m’a fallu plus de dix piges pour le faire.

A : Tu comprends qu’on ait pu vous reprocher une forme de démagogie ?

S : Avec le recul, je comprends qu’on puisse trouver certains passages de l’album démagos, mais c’était vraiment pas fait dans cette optique-là. On était complètement sincères. On ne cherchait pas à plaire à un public ou à dire des trucs parce que ça fait bien. Au contraire : à l’époque, ça pouvait être mal vu. Mais on y croyait. C’était notre vie et celle des gens qui nous entouraient. On avait le sentiment d’avoir une putain de responsabilité sur nos épaules parce qu’on représentait ces gens et notre ville.

A : Tu as eu le sentiment – que moi j’ai eu – que dans le rap marseillais il y a eu un avant et un après « Si Dieu veut… » ?

S : Ouais, complètement : après Si Dieu veut… beaucoup ont tenté de refaire du Si Dieu veut…. Et beaucoup essayent encore. Mais on est en 2010… Je ne leur demande pas de faire du Lil’Wayne, parce qu’il y a un monde entre notre album et ça, mais ça n’a pas de sens de vouloir refaire le même genre de beats ou de reproduire ces thématiques-là. C’était un temps, une époque… L’album a été un virage, oui. C’était le rap de rue qui prenait le dessus. Toute une génération s’y est identifiée parce que ce dont on parlait, c’était leur vie ou celle de leurs frères. Les mecs se sont dit que si on pouvait le faire, ils pouvaient aussi. Et avec le clip de ‘Sans Rémission’ je crois qu’on a inventé l’ancêtre du clip Zik’ ! [chaîne musicale du satellite qui passait beaucoup de clips de rap français indés, NDLR]. Tu t’en souviens de cette chaîne ?

A : Oui, c’était une catastrophe.

S : Ouais ouais ouais, bah je crois que sans le savoir avec le clip de ‘Sans Rémission’ – on ramène une caméra au quartier avec plein de monde qui gueule et tout – on a lancé ça ! Je m’en suis rendu compte en matant Zik’ et en voyant ces clips. Je me suis dit : « Tiens, les mecs essaient de refaire ‘Sans Rémission‘ ». J’ai le même sentiment quand j’écoute certains disques.

A : La critique récurrente faite au rap marseillais, c’est d’être un rap de mecs qui se plaignent tout le temps, assez pleurnichard sur les bords. C’est quelque chose qui te semble justifié ?

S : Oui, on peut le dire, ça l’a été. Et c’est pour ça que dans mes albums solos j’ai toujours essayé de montrer autre chose. Mais oui, on peut dire que pendant longtemps le rap marseillais a été très larmoyant. J’ai aussi beaucoup entendu ça quand Soprano a sorti ‘Moi j’ai pas’. Mais je crois que c’est en train de changer, qu’on va pouvoir se débarrasser de cette étiquette-là.

Pourtant, c’est aussi une marque de fabrique, donc le jour où on s’en sera complètement débarrassé, est-ce que l’identité du rap marseillais va continuer à exister ou va disparaître ? Et est-ce qu’on ne sera pas juste des mecs qui rappent en français comme d’autres ? Jusqu’ici il y avait une sorte d’exception culturelle dans notre rap… Est-ce qu’on se fera bouffer ? Je ne sais pas.

A : Pour en revenir à « Si Dieu veut… », le succès est immédiat à la sortie ?

S : Non, ça vient petit à petit. Tant mieux, parce que du coup on ne pète pas les plombs. On a une petite avance, qui permet de vivre. Très très vite, on part en tournée et on se rend compte qu’il se passe un truc parce qu’on joue devant des salles pleines. Le premier gros choc, c’est quand on réalise que les gens connaissent les paroles par cœur.

A : C’est la tournée avec IAM ?

S : Non, on n’a jamais tourné avec IAM parce qu’on était trop rebelles [rires] ! On avait juste fait une ou deux dates ensemble. C’était 3e Œil qui étaient partis avec eux parce qu’ils étaient plus sociables ! On cassait trop les couilles, on acceptait pas les conditions et on était ingérables. Ils nous auraient amenés avec eux ça ne se serait jamais terminé. On a fait notre propre tournée.

A : L’album cartonne particulièrement à Marseille ? 

S : C’est la folie à Marseille. On l’écoute dans tous les quartiers, toutes les voitures… Même ma propre mère me dit que c’est plus possible, qu’elle m’entend partout ! On se dit que c’est normal, que c’est chez nous. Mais c’est quand on part à l’autre bout de la France que ça fait un choc.

A : Je me rappelle d’une de vos dates communes avec IAM, aux arènes de Nîmes, à l’été 1998. Vous étiez passés juste avant eux. Pour vous il n’y avait pas eu de problèmes mais eux avaient reçu des projectiles…

S : Les sauvageons et les cassos se sentaient plus représentés par nous ! Ni vu ni connu, ça a contribué à tendre nos relations avec IAM. Les gens nous ont mis en conflit avec eux. Pendant plus de dix ans IAM avait eu l’hégémonie sur Marseille. D’un seul coup, il y avait des challengers sérieux qui arrivaient ! Et étrangement aujourd’hui à Marseille, c’est pareil, on pense qu’il n’y a de la place que pour un. Un groupe, un rappeur. Là d’un seul coup c’était le grand débat. Ça ne facilitait pas les relations, qui étaient déjà compliquées.

A : Au-delà de ces tensions, on sentait une vraie unité se dégager de la scène marseillaise à cette époque…

S : Oui, on essayait de faire la part des choses entre les petites querelles et le fait qu’on se kiffait ! J’avais beau faire partie de FF, j’étais trop heureux quand je pouvais poser avec IAM ou Faf Larage ! A chaque fois ça me motivait, il y avait une émulation, un challenge. C’était une époque magique.

« Les sauvageons et les cassos se sentaient plus représentés par nous ! Ni vu ni connu, ça a contribué à tendre nos relations avec IAM. Les gens nous ont mis en conflit avec eux. »

A : Il y a notamment eu ‘Le retour du Shit Squad’ sur le premier volume des « Chroniques de Mars » qui a symbolisé cette unité. Le titre est né comment ?

S : Il y a un endroit à Marseille qui s’appelle la Friche de la Belle de mai où IAM et nous avions des locaux de répétition. On se croisait tout le temps. Quand Imhotep était là-bas pour faire du son, on allait tout le temps lui voler de l’herbe ! Un jour, on va le voir avec Menzo. Il était avec un pote à lui, Lassad. On commence à discuter, à fumer, à se chambrer. En gros, je leur dis : « Votre ‘Shit Squad’ il tient plus la route ! Le Shit Squad maintenant c’est nous ! Ton équipe c’est des petits joueurs, on les enterre vivants… » Et il me répond qu’un jour il faudrait qu’on organise un truc pour voir qui tient le plus la distance. On est partants ! Mais faire un truc juste pour fumer des joints, c’est un peu pathétique. Tant qu’à faire, autant enregistrer un titre.

On lance les idées en l’air, et celle de la réunion d’un Shit Squad avec les anciens et les jeunes fait son chemin. 15 jours après, Imhotep nous appelle pour nous donner rendez-vous au studio de Martigues. Il dit qu’il a préparé un beat et nous demande à chacun huit mesures sur le thème du retour du Shit Squad. Nous ce qu’on veut savoir, c’est s’il y aura à fumer ce jour-là ! Et il nous répond qu’il y en aura comme on en a jamais vu. Et effectivement, il y en avait comme on en avait jamais vu. On a tout fumé, fait des expériences, des six-feuilles, des trois-filtres, des soufflettes… C’était n’importe quoi !

L’enregistrement du morceau, c’était juste un bonheur : se retrouver à quinze toute la journée avec des mecs défoncés, d’autres qui dormaient, d’autres hilares, d’autres qui ne fumaient pas… C’était la totale ! Ça kickait, ça kickait ! C’est là que pour délirer j’ai sorti le « M’ghetta au shit » en reprenant le « Get down on it » de Kool & The Gang. Je le sortais à la fin de mon couplet et on l’a pris comme gimmick de refrain. C’est ce qui était mortel : tu sortais une connerie, l’autre rebondissait dessus… C’était un truc collectif, pas juste un mec qui venait avec son texte et qui veut pas que ça déborde. C’était ouvert ! Qui aurait cru que ça irait aussi loin ? De ce titre est née l’aventure Kif-Kif, les Chroniques de Mars… Voilà aussi comment on a mis toute une génération dans le shit. Parce qu’on en rigole mais j’ai le souvenir dans mon quartier de voir des petits de 10 piges me demander de les faire fumer. Et quand tu leur dis de se casser, ils te répondent : « Mais d’où tu me dis de me casser, c’est vous qui nous dîtes : « Fumes, fumes, fumes avant que la vie te fume !«  » Pour nous, c’était un délire, on ne pensait pas que ça serait pris au pied de la lettre… Mais les gens ont juste retenu qu’on était des gros toxicos.

A : Même dans les magazines à l’époque, c’était rare de voir des photos d’interview sans que vous ayez un spliff à portée de main…

S : Ouais, mais le pire c’est que c’était pas volontaire, on en avait tout le temps ! Le photographe nous disait que ça pourrait être mal vu mais on s’en battait les couilles. On vivait avec ça : on s’endormait avec, quand on se réveillait on fumait… C’était n’importe quoi !

A : Tu regrettes ?

S : Non, je ne regrette pas et si c’était à refaire je voudrais que ça se fasse de la même façon. Peut-être qu’on rajouterait un sticker ou une petite phrase au début du titre, « Ceci n’est pas une incitation », j’en sais rien… Mais de toute façon ça n’aurait servi à rien.

A : Ouais, ça serait particulièrement hypocrite ! Sinon, comment tu avais vécu le morceau ‘Une journée chez le Diable’ d’Akhenaton qui revient sur tout ça justement ? 

S : Je le comprends. Après, moi, pour ma part je ne regrette pas. Mais c’était une blague, on pensait pas que ça irait aussi loin. A l’origine le titre était sorti en maxi vinyle, pressé à 1000 exemplaires. On pensait que ça tournerait dans le milieu hip-hop et puis basta ! C’est devenu l’hymne d’une génération, c’était un peu notre Woodstock à nous !

A : Pour en revenir à la carrière du groupe : est-ce que les membres d’IAM vous ont fait profiter de leur expérience dans le business de la musique, vous ont permis d’éviter certaines erreurs ?

S : Je me souviens d’une discussion avec Imhotep, un soir pendant qu’on fumait des bambous dans une voiture ! Il m’avait dit : « Ça marche pour toi, Sat, c’est bien. Mais pense à faire attention avec ton argent, parce que quand l’État va te tomber dessus ils vont te casser les reins ». Et ça a été important pour moi parce qu’ensuite j’ai engagé une comptable pour gérer ça. Ce qui m’a bien aidé quand j’ai eu les impôts au cul ! Et c’est en partie grâce à ce conseil que je ne me suis pas retrouvé avec une main devant et une autre derrière. Mais sinon ils avaient beaucoup de boulot de leur côté, donc on les voyait assez peu.

A : Quelles ont été vos grandes erreurs, selon toi ?

S : Je pense qu’on ne s’est pas assez préoccupés de ce qui se passait à côté de la musique. On avait trop la tête dans le guidon, alors que c’est important d’être bien représentés, d’apprendre à lire des contrats… On ne s’est jamais vraiment fait niquer même si des fois on a été perdants. Mais il y a surtout des choses qu’on n’a pas fait assez vite, comme créer nos propres structures. Pas une structure commune parce que ça c’était impossible – on n’avait pas les mêmes visions là-dessus – mais des structures individuelles pour pouvoir laisser à chacun une vraie marge de manœuvre. Pour le reste… Ce qui devait arriver est arrivé, on ne pouvait pas passer au travers.

A : A quel moment intervient la rupture définitive entre vous et IAM ? 

S : Une interview croisée d’eux et nous, pour Groove je crois, où on règle plus ou moins les comptes devant le journaliste. Là, tout le monde a senti que ça partait en sucette. On continuait à travailler ensemble, mais c’était plus comme avant. Et puis un jour il y a une réunion. C’était après Si Dieu veut…, après la BO de Taxi et après l’album de 3e Œil, donc les comptes de Côté Obscur se portaient plus que bien. En gros, ils nous annoncent que si on doit repartir sur un nouvel album, ça sera dans de moins bonnes conditions. On se rend compte au fil de la discussion que certains chez eux veulent revendre Côté Obscur et que, dans le fond, le seul qui veut continuer c’est Chill. Donc au bout d’un moment ils commencent même à se régler leurs comptes entre eux devant nous. On leur dit alors qu’il vaut mieux arrêter l’aventure là. Je me souviens que Chill nous a dit qu’il était prêt à poursuivre l’aventure seul en créant une nouvelle structure – ce qu’il fera par la suite avec 361. Mais on a refusé : on avait passé ce stade, on ne voulait pas repartir à zéro. Ce que je pense, c’est qu’ils avaient eu une proposition de rachat du catalogue de Côté Obscur par Sony qu’ils ne pouvaient pas refuser, mais on en a jamais parlé entre nous. Peut-être un jour, vu qu’on se revoit régulièrement maintenant… Donc ça a été la vraie scission, en ajoutant à ça la parano, les ragots, les entourages… Ça n’a rien arrangé. Mais on n’a pas eu à s’en plaindre parce qu’on s’est retrouvés signés en artistes chez un sous-label de Sony, SMALL, qui était un jeune label dynamique qui développait les musiques urbaines.

A : Le « Hors-Série vol.1 » sort pourtant chez Côté Obscur…

S : C’était contractuel. Art de rue est aussi en édition chez Côté Obscur. Mais ce que j’ai toujours aimé avec les gars d’IAM, c’est que même quand il y avait des tensions, on continuait à se comporter en hommes. Je me souviens de Kheops m’appelant pour que je pose avec Alonzo sur ‘Le fruit de l’époque’ pour son projet Sad Hill Impact alors qu’il y avait tous ces problèmes. Ça aurait été con que les histoires se mettent en travers de ça. On a toujours su faire la part des choses. J’ai été en beef avec Côté Obscur, mais jamais avec IAM. C’est des gars que j’ai toujours appréciés. Et j’en ai parlé avec Chill aussi, on était d’accord : tout ça c’était rien, juste des petites histoires de rappeurs, des trucs à la con.

A : Avec le recul, ce petit EP sonne comme une mise au point. ‘Sans titre’ règle les comptes avec IAM. ‘Si j’les avais écoutés’ avec les gens qui ne vous ont pas soutenus. ‘Loin du compte’ regarde vers l’avenir…

S : C’est exactement ça. Le regard des gens avait changé. Certains s’imaginaient des choses. C’était une façon de mettre les points sur les I et les barres sur les T avant de passer au deuxième album.

A : On entend souvent dire qu’un deuxième album est une étape assez cruciale pour un artiste. Comment vous l’avez abordée ?

S : Je m’en souviens comme si c’était hier. On est au studio ; Le Rat vient de terminer l’enregistrement de son solo, Mode de vie… Béton style. Sur le ton de la plaisanterie je lui dis que demain on attaque le nouveau F.F. ! Il me répond : « Demain on l’attaque« . Ça commence comme ça. Le gars du studio est libre le lendemain. On va voir la productrice exécutive et on lui annonce.

A : Et dès le lendemain vous attaquez vraiment ? 

S : Oui, on enregistre déjà deux titres. Si je me souviens bien, on fait ‘Histoire sans fin’ et ‘Nique Tout’. La machine se met en marche très très vite. Avec Le Rat on se retrouve au studio dès le matin, on se fait écouter des couplets qu’on a écrits, il fait un beat et on enregistre dans la foulée. A la mi-journée il y avait déjà un titre de prêt. Même chose le lendemain : on s’amuse à faire du rap. On s’éclate comme on ne s’est pas éclatés depuis très longtemps. Le Rat a fini son album, donc il est libéré ; Choa et moi on attend depuis un certain temps – Menzo n’est pas là à ce moment, je ne sais plus pourquoi… Sur Si Dieu veut…, Le Rat était la locomotive pour nous, en tant que MC, parce qu’il était très productif et qu’il fallait donc qu’on le soit aussi. Là j’avais anticipé, parce que je savais qu’il sortirait d’un album solo et que ça serait à nous de tirer le truc. J’avais emmagasiné beaucoup de textes. On me filait une prod et boum, je kickais le couplet ! C’est pour ça que dans Art de Rue, j’attaque beaucoup de morceaux.

A : En dehors du fait que vous n’êtes plus chez Pone mais en studio, le fonctionnement reste le même qu’avant ? 

S : Exactement. Et c’est aussi pour ça qu’on retrouve plus de prods du Rat : parce qu’on les fait comme ça, sur le vif, au studio. Mais attention, le studio ressemble plus à un immense squat qu’à un vrai studio : c’est là où on dort, où on mange, où on vit. On y est dès le matin. On ne se prend pas la tête par rapport à Si Dieu veut..., on ne se met pas la pression : tout ce qu’on veut, c’est rapper, rapper et rapper !

A : Musicalement, il y a de grosses différences par rapport au premier album…

S : Cette fois-ci, on se dit qu’on ne va pas faire la même chose parce qu’on s’était vraiment fait chier sur scène. On veut des trucs plus speed, plus péchus. C’est pour ça que les BPM montent d’un coup, pour le plaisir d’avoir des sons patate pour la scène. Puis même nous, en terme de rap, on veut prouver que sur du 100 BPM on tient la longueur sans problèmes.

A : On le sent plus maîtrisé que le premier.

S : Entre temps, on a bouffé du studio. Donc on a appris à rapper en studio. On a aussi réécouté Si Dieu veut… et fait notre auto-critique, analysé et corrigé des défauts. C’est fini, l’innocence.

A : On perd le côté un peu fou du premier, pour quelque chose qui est plus formaté…

S : Ouais, c’est vrai. En même temps, il y a encore des titres qui durent six minutes, assez longs, et qui ont été nos singles à l’arrivée. Mais dans le format effectivement, c’est plus du couplet/refrain/couplet/refrain qu’avant. C’est moins freestyle. Mais pas dans un esprit de format radio, dans un esprit de mieux construire nos chansons, tout simplement. De toute façon, on n’a jamais su faire de singles.

A : Il y a aussi une grosse évolution au niveau des choix de samples.

S : Ça n’a plus rien à voir. Là c’est plus électronique, plus disco, plus rapide. Ça se fait au feeling : le matin, quand on arrive au studio, on écoute des samples et quand on tilte sur un on le prend.

A : Avec le recul quel regard tu portes sur ce disque ? 

S : C’est un peu un album de gamins attardés. J’ai l’impression qu’on est plus matures sur Si Dieu veut… que sur celui-là. Même s’il y a des titres durs, Art de Rue est un album fou-fou, un album de mecs qui ne veulent pas basculer dans le monde adulte mais rester adolescents toute leur vie. C’est freestyle, on te dit ce qui nous passe par la tête, c’est pas le côté sombre ou réfléchi qui prend le dessus. On est peut-être revenus à nos premières amours sur ce disque, au délire « Argent, boisson, fumée et femmes« . Sans vraiment le chercher…

A : Il y a des phrases que tu as regrettées par la suite ? 

S : Une. C’est même pas une phrase, c’est juste un mot. Quand je dis : « Je fais pas confiance aux femmes, ça passe d’un homme à un autre » [Dans ‘Art de rue’, Ndlr]. Voilà [sourire]. Je m’en suis rendu compte par moi-même. Le pire, c’est que c’est une erreur de ma part, parce que ce n’est pas ce que je voulais formuler. L’idée c’était : « Je fais pas confiance aux femmes QUI passent d’un homme à un autre… ». Ça change tout.

A : Il y avait aussi d’autres phases qui feraient hurler les féministes aujourd’hui. Quand tu dis : « Plus je connais les femmes, plus j’aime les chiennes » sur ‘Histoire sans fin’…

S : Ah celle-là je ne la regrette pas du tout ! Sur le plan sexuel… Merde, j’suis pas l’Abbé Pierre [rires] ! Et bizarrement, il y a plein de nanas qui kiffent ces phases-là, que ça ne choque pas. Après, c’est clair que j’ai dû faire bondir plus d’une « Ni putes, ni soumises »… Mais elles et moi on ne s’entendra jamais !

A : « Art de rue » pour moi c’est aussi le moment où tu commences à changer en tant que rappeur. Avec en parallèle une évolution vestimentaire vers quelque chose de beaucoup plus ricain vu que tu lâches le survet’/baskets pour te mettre au baggy/Timberlands. Ton style s’américanise, ton flow est plus lent. Et surtout ta voix change beaucoup…

S : A ce moment-là, j’ai un problème avec ma voix. Je mue, mais je ne contrôle pas du tout ce qui se passe. Je vais voir une spécialiste, qui me met une caméra dans la gorge et me montre qu’il se passe un truc avec mes cordes vocales. Je ne maîtrise pas. Mais c’est vrai qu’au-delà de ça, je commence à me trouver, à me découvrir. C’est le début, mais il y a effectivement une mutation, un virage. Ma façon de rapper et d’écrire change, mais je ne sais pas trop à quoi c’est dû. Ça s’est fait naturellement, ça n’était pas recherché.

A : L’évolution du flow, elle, me semble assez flagrante. C’est quand même bien le fruit d’un travail, d’une réflexion, non ? 

S : Sur Si Dieu veut…, je ne maîtrise rien. J’ai plus l’impression de subir ce qui se passe dans le casque. La musique, je lui cours après. Ça m’a frappé quand je l’ai réécouté.

A : Pourtant en tant qu’auditeur, je préfère t’écouter sur « Si Dieu veut… » qu’ensuite…

S : Si tu savais combien de personnes m’ont dit ça ! Sauf que pour moi… C’est un truc personnel, mais j’ai vraiment l’impression de subir l’instru au lieu de le dominer. Mais même sur Marginale Musique, je ne suis pas satisfait de certains placements… Il y a un travail qui commençait. Là où je commence réellement à apprécier m’écouter, c’est sur Second Souffle [son deuxième album solo, sorti en 2008, Ndlr]. Le reste, je kiffe les titres et ce que j’ai écrit mais pas trop la façon de rapper. Mais c’est comme ça, je ne suis jamais satisfait.

A : A sa sortie, l’album est immédiatement un succès ? 

S : Ouais, et contrairement au premier, là on s’en rend compte tout de suite. Dès le premier jour, on a les chiffres et cette fois on sait ce qu’ils veulent dire. On nous annonce qu’on est deuxièmes du top, juste derrière Les Enfoirés qui viennent de sortir leur compile, et devant Daft Punk. On sait à quoi on a affaire, on sait qu’on va vivre une putain de tournée, chose qu’on ignorait avec Si Dieu veut…. Là il est question de salles de 3000 ou 4000 personnes, de Zéniths. Du coup, on travaille beaucoup. On est prêts à relever le challenge, mais en même temps il y a déjà des tensions dans le groupe.

A : Déjà au moment de la tournée de « Art de Rue » ? 

S : Oui, des problèmes humains, qui étaient déjà apparus pendant l’enregistrement de l’album. Des histoires qui s’accentuent sur la tournée parce qu’on se retrouve H24 les uns avec les autres. Tout ce qui n’a pas été réglé prend de grosses proportions et ça gâche un peu la fête. C’est la fête sur scène et dans les loges mais après, quand l’effet retombe, les problèmes reviennent.

A : C’est à ces tensions que fait référence Don Choa sur le « Hors-Série vol.2″ – sorti dans la foulée d' »Art de Rue », en 2001 -, quand il dit : « Mon rap, c’est ma moto, entièrement bricolé / A l’époque on avait rien mais au moins on rigolait. » (sur ‘Vie rapide, mort lente’) ?

S : Ça fait référence à ce que je viens de te dire, oui. Déjà, le Hors-Série vol.2, on le fait mais le cœur n’y est pas. D’un côté on a envie de le faire, d’un autre côté on n’a pas envie. J’en garde pas un énorme souvenir.

A : Sans vouloir rentrer à tout prix dans les détails et savoir vos vies privées… C’était des tensions purement humaines ou il y avait aussi des désaccords artistiques ?

S : Non, c’était purement humain. Des problèmes entre l’un et l’autre, puis entre d’autres. A la fin, les autres s’en mêlent et ça rejaillit sur tout le groupe. Voilà, c’est des trucs tout cons comme ça.

A : Ok. Sinon, pendant toute la carrière de la FF et notamment pour « Art de rue », sur lequel il y a eu pas mal de singles, quels ont été vos rapports avec Skyrock ?

S : Franchement, les portes ont toujours été grandes ouvertes ! Du jour où Si Dieu veut… est entré n°8 du Top albums, c’était chez nous ! On y était tout le temps fourrés, ils jouaient nos titres… C’était un énorme relais. Après, on n’a pas non plus eu de relations particulièrement privilégiées avec Laurent Bouneau. Sur Second Souffle, il n’a joué aucun titre, mais ça ne m’a pas empêché de retourner le voir pour lui faire écouter Diaspora et qu’on déjeune ensemble. Tu sais, j’ai compris beaucoup de choses dans ce milieu… Nous, à la base on fait de la musique. En face de nous, c’est pas des philanthropes ou des passionnés, c’est des businessmen. Le gars, il a une radio à faire tourner donc s’il estime que pour ça, il faut tel titre plutôt que tel autre… C’est ses choix. Ce qui ne m’empêche pas de lui dire ce que j’en pense !

A : Vous n’avez jamais fait de morceaux dans l’optique Skyrock ?

S : Ohlala, ô grand diable, jamais !

A : Même un titre comme ‘Warnings’ ? 

S : Non ! Pour ‘Warnings’… Il nous restait un jour de studio. On venait mixer un des morceaux, et on finit de le faire le matin. Donc il nous reste encore l’après-midi – les heures de studio sont déjà payées. On ne va pas partir et les laisser ! Le Rat me fait écouter un son qu’il a fait la veille. C’est celui de ‘Warnings’. Je le trouve mortel et je lui dis qu’on a déjà deux morceaux à s’ouvrir les veines sur le disque et qu’on pourrait donc se faire plaisir, respirer. Moi j’avais qu’une envie en écoutant les autres morceaux, c’était de me suicider ! On commence à parler, je lui raconte une soirée que j’ai passée, lui me raconte une des siennes. Le titre naît comme ça. On l’écrit, l’enregistre et le mixe dans l’après-midi. Quand on fait écouter les morceaux à Skyrock, ils retiennent celui-là. Ça devient le titre le plus joué, le plus plébiscité pendant 17 semaines [sourire]. Si les gens savaient ! Toute notre histoire est comme ça ! Mais il n’y a jamais eu de commandes de la part de Skyrock, ils ne se seraient pas permis. De toute façon, on n’aurait rien écouté.

A : « Marginale Musique » sort en 2006. Pourquoi cinq ans sans disque de groupe ? 

S : 2002 et 2003, Choa et moi on est dans nos solos respectifs. Il y a donc une période d’un an et demi où on ne se voit plus trop les uns les autres, suite à la tournée d’Art de Rue qui a été très éprouvante, physiquement mais aussi mentalement, à cause des tensions. On pense que les solos vont permettre de souffler mais ça a l’effet inverse : on souffle tellement qu’on ne se voit plus. Un jour, à l’été 2003, je vois Menzo, qui prépare une compilation. Je lui dis que j’ai fini mon solo et que je suis disponible pour lui donner un coup de main. Lui, avant de se lancer là-dedans, veut être sûr que les autres n’ont pas envie de refaire un album du groupe.

A : A ce moment-là vous n’avez quasiment plus de contacts ?

S : Quand on se voit c’est vraiment pour du travail – une promo, une photo… Là, sous l’impulsion de Menzo, on va voir tout le monde. Il y en a qui ne sont pas chauds. Je leur dis que ça serait con que le truc s’arrête là, comme ça. Ça aurait eu un goût d’inachevé. Je voulais qu’on essaye, au moins. Au pire, si on y arrive pas, on laisse tomber… Finalement on se remet au boulot. On essaie de se voir tous les jours pour faire renaître les liens… Mais tu ne ravives pas un truc qui est mort, tu vois. L’ambiance n’est plus trop au rendez-vous. C’est assez scolaire : on vient, on rappe. Et surtout, on traîne. Il doit se passer un an pendant lequel je ne sais même pas si on sort un titre où on est tous dessus et tous satisfaits.

On investit un second local parce que les voisins se plaignaient du tapage dans l’ancien. Là, ça devient un foutoir pas possible. C’est un centre social, c’est infernal. On est là pour se voir et au final on voit tout le monde sauf nous. Chacun est dans son coin, écrit de son côté. Sony s’impatiente. On tranche : on part au Petit Mas à Martigues, parce que c’est de là que tout est parti et qu’on sera bien, entre nous. Là, des premiers titres commencent à naître. Il se passe un truc. Ce sont les titres qui nous rassemblent. L’entrain revient, mais ça n’efface pas les problèmes qu’il y a. Et tout le temps ça revient, ça casse la dynamique… Les titres se font, mais c’est du chacun pour soi. Ça se ressent vraiment : chacun écrit sa partie, c’est à peine si on se fait écouter les textes avant de rentrer en cabine, personne ne backe personne… Mais il y en a quand même plein qu’on trouve bons, même si l’ambiance est déplorable entre nous. On part ensuite mixer à Toulouse et c’est un peu le coup fatal.

A : Pourquoi ?

S : On est à Polygone, un endroit où tu vis en autarcie : c’est un complexe avec studios, bungalows, cuisines ; tu n’en sors pas. C’est là que les problèmes avaient commencé quand on faisait « Art de Rue ». On a quand même de gros fous-rires mais on se rend compte qu’on est d’accord sur rien (titre, clip, pochette…). Tout devenait prétexte à contester, à dire le contraire de l’autre. Je sens que la promo va être galère ; on annule plein de trucs. Mais à sa sortie, l’album rentre premier du Top ! Alors qu’il n’y a pas de clip en télé, rien… C’est derrière que c’est très dur, parce qu’on se demande comment on va continuer.

A : Quand l’album sort, tu en es satisfait ? 

S : Oui, je trouve que c’est un bon album. Il y a de vraies prods, de vrais textes… Il n’a rien d’exceptionnel mais c’est un album homogène, compact. A l’exception d’un ou deux titres qui peuvent paraître plus légers, c’est un album d’hommes. C’est plus le disque de la raison, de l’âge mûr, mais je l’aime. On a grandi.

A : Pourquoi avoir fait appel à des producteurs extérieurs, comme Madizm ?

S : Parce qu’il y a des moments où on s’est retrouvés en rade de son ! Soit Le Rat et Pone n’avaient rien à proposer, soit ça ne nous plaisait pas… C’est comme ça qu’on se retrouve à demander des prods à gauche et à droite.

 

« De cette aventure, je préfère garder les bons moments en tête. D’ailleurs, même quand ça n’allait pas, les bons moments qu’on passait, c’était quand on parlait du passé. Mais on ne peut rien construire avec ça. »

A : Vous souhaitez partir en tournée ?

S : C’est là que ça se complique. Tout le monde sent que ça va être dur, que la boucle va être bouclée et que ça risque d’être notre tour d’honneur. On y va avec le frein à main. L’événement qui me pousse à prendre la décision d’arrêter, c’est quand notre manager m’appelle pour me dire que certains ne veulent pas faire les dates qui arrivent, les festivals. Je me souviens de lui avoir répondu qu’on avait mis deux ans pour faire le disque, qu’on s’était rendus fous et que là, alors qu’arrivent enfin les beaux jours… [soupir]. Autant tout arrêter. Je lui demande d’organiser une réunion le lendemain. C’est là que je leur ai dit qu’on n’y arrivait plus et qu’il était temps de regarder les choses en face. On se faisait du mal. Promo, singles, clips, tournée… Je propose qu’on arrête tout. De toute façon, tout le monde avait déjà la tête dans de futurs projets solos, moi y compris.

A : Ça se passe comment ? Tout le monde est d’accord ?

S : Non ! Certains se réveillent… Je ne prétends pas en avoir fait plus qu’un autre, mais on ne peut pas remettre en cause mon attachement au groupe. Tout le monde avait déjà dit à un moment ou à un autre : « Moi j’arrête, moi j’arrête !« . Sauf que personne ne l’avait fait, c’était des paroles.

A : Tu as espéré que ça serve d’électrochoc ?

S : Peut-être… Mais au fond je n’y croyais pas. Je pense que tout le monde attendait ça mais que personne n’osait prendre cette décision parce qu’elle était dure à prendre, lourde de conséquences et que celui qui la prendrait devrait l’assumer. J’en avais marre… C’est comme si tu avais quelqu’un de ta famille dans le coma depuis longtemps. A un moment tu te dis qu’il faut le débrancher. J’ai débranché les machines. J’ai eu le mauvais rôle mais quelqu’un devait le faire. Si ça n’avait pas été moi, peut-être qu’un autre l’aurait fait deux semaines après. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de fans qui m’en veulent…

A : Qui t’en « veulent » ?!

S : Bah oui. FF pour beaucoup c’est pas juste de la musique, ça allait plus loin que ça. Mais je ne peux pas leur en vouloir, c’est qu’ils ne connaissent pas la vérité. La vérité, seuls les membres du groupe la connaissent. C’est pour ça que je ne rentre pas trop dans les détails : j’estime que ça ne regarde que nous. Je raconte juste ce que j’estime que le public a le droit de savoir, parce qu’il a toujours joué un rôle très important pour nous. De cette aventure, je préfère garder les bons moments en tête. D’ailleurs, même quand ça n’allait pas, les bons moments qu’on passait, c’était quand on parlait du passé. Mais on ne peut rien construire avec ça.

A : Tu penses que « Marginale Musique » était l’album de trop ? 

S : Non. On a été au bout de l’aventure et c’est via cet album qu’on s’en est rendu compte. Si on ne l’avait pas fait, on aurait toujours eu ce truc dans la tête. Il n’y a pas de regrets à avoir : on ne pouvait pas aller plus loin dans ces conditions-là.

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