Alibi Montana, extraits d’une vie
Interview

Alibi Montana, extraits d’une vie

Alors qu’il a sorti en 2019 un livre autobiographique, Alibi Montana a accepté de revenir ici sur sa vie et son histoire, ou plutôt ses histoires. Interview grand format avec une figure du rap de rue.

Photographie : Groove (n°84, n°97 et HS n°22, images par Manuel Lagos Cid)
Merci à Olivier LBS pour ses archives.

“Extrait d’une vie”, au singulier, est le titre de la piste douze de 1260 jours. Nous sommes en 2003 et Nickarson Saint-Germain retrace déjà son parcours au long d’un texte écrit à Villepinte, derrière les murs de la maison d’arrêt. Il est la narration d’une “vie trop compliquée”, celle d’un enfant d’Haïti en cavale depuis toujours qui navigue entre la bonne éducation inculquée par ses parents, la foi de sa grand mère restée au pays, et son attrait pour les délits. Celui que l’on appelle Alibi depuis plus d’une dizaine d’années déjà ravive des souvenirs contrastés : “de la drogue entre les cahiers et la trousse, j’fréquentais déjà des mecs louches…” Au long de ce morceau à l’instrumental apaisant comme le rythme doux d’une berceuse, un jeune homme extériorise quelques remords et dresse surtout un constat froid. Il est devenu tout ce que “[son] père ne voulait pas : un rappeur et un gangster.” En 2020, le titre en question a désormais dix-sept ans, et son texte est plus vieux encore. Son auteur, Alibi Montana, a également vieilli, et si le chemin parcouru entre son île natale et la cellule où il a rédigé “Extrait d’une vie” était long, celui parcouru depuis l’est encore plus.

Alors le seul “Extrait d’une vie” ne suffit plus, il en faut plusieurs pour s’approcher un peu de la vérité de Nickarson Saint Germain. En 2017, le rappeur s’est lancé dans la rédaction d’un livre autobiographique : De la rue à la rime. Au terme de longs mois de travail parallèlement à ses activités, il sort cet ouvrage en 2019, par l’intermédiaire de Collections de Mémoire, une maison d’édition fréjusienne à destination de tous. Alibi Montana avait envie de raconter son parcours, son histoire, dans ce qu’ils ont de tragique comme dans ce qu’ils ont de beau. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une vie comme la sienne est riche. Elle commence en 1978 et bascule en 2000 par la faute d’un coup de feu à destination d’un autre homme. Parmi les années antérieures à ce point fatidique, il y a déjà bien des choses à raconter : la cité des 4000, la découverte du hip-hop, les voyages au pays, la rencontre avec un producteur sulfureux, des passages à la télévision…

Pour ce qui est des événements postérieurs au dramatique moment de bascule, une fois passées les années d’enfermement, tous semblent plus calmes. De 2003 à ce jour, l’histoire d’Alibi Montana n’est certes pas un long fleuve tranquille. Mais même les rapports houleux de Bayes à l’industrie du disque, même le mépris de Skyrock à l’égard du rap d’Alibi, même l’absence d’une reconnaissance après laquelle il n’a jamais couru, rien de tout ça ne saurait être comparé à un sombre règlement de comptes sur fond de trafic de stup’. Une affaire menant à mille deux cent soixante jours d’incarcération. Entre les albums solos et ceux en collaboration avec d’autres, entre les mixtapes, les street-albums et les compilations dont il est l’initiateur, entre Menace Records, Because Music et T’as Ma Parole Production, c’est une vingtaine de disques qu’Alibi Montana a sortis, au moins. Il a posé avec des centaines d’artistes, des obscurs Avok Jims, Ignace Championna ou Flam Atilio pour ne citer qu’eux, aux grands Rohff, Diam’s ou Kery James, pour également ne citer qu’eux.

Indubitablement, il fallait donc transformer cet “Extrait d’une vie” de 2003 en “Extraits d’une vie” de 2020. La trajectoire racontée par Alibi n’est pas assez linéaire pour s’écrire au singulier. En six temps, tous intitulés d’après un morceau issu de la discographie de Nickarson “Alibi Montana” Saint Germain, voici des moments de vie plus ou moins doux, plus ou moins durs. Il y a des souvenirs à la précision chirurgicale, d’autres plus flous. Ils sont parfois plaisants, parfois pas, extraordinaires ou banals à souhait, amusants ou tristes, rancuniers ou bienveillants, mais ils sont en tout cas ceux d’un homme qui a vécu, continue d’avancer plein d’espoirs et a de la matière pour écrire bien des choses encore. Extraits d’une vie.


“Bienvenue à La Courneuve”

Je suis né en Haïti, c’est à l’âge de deux ans et demi que je pars en France dans un contexte assez tendu. On est alors en plein sous le régime Duvalier ; Baby Doc a succédé à son père François Duvalier et le régime est totalitaire, ils ne supportent pas les opposants, beaucoup sont tués, d’autres sont emprisonnés. Mon père est de ceux qui s’opposent à la politique de ce pouvoir. Il organise des manifestations et participe à plusieurs mouvements contre le régime, ce qui devient vraiment dangereux parce que des amis à lui se font tuer, d’autres disparaissent sans qu’on ne les retrouve jamais… Il commence à entendre des bruits selon lesquels il fait partie de ce genre de listes alors il prend peur, surtout pour sa famille. C’est là qu’il décide que l’on parte pour la France. Arrivés en France, dans Paris d’abord, mes deux parents travaillent, ma mère est aide-soignante. Notre premier logement est à Blanche, un tout petit appartement où je n’ai pas de chambre, alors quand on arrive à La Courneuve, c’est super. Ce n’est pas dégradé, c’est grand, il y a un salon et plusieurs chambres dont une pour moi donc ça nous change. Aussi, je me fais plein d’amis au fur et à mesure dans l’immeuble et dans la cité en elle même. Je garde un très bon souvenir de cette arrivée à La Courneuve, on jouait beaucoup au foot, aux billes, on s’échangeait des images, comme tous les enfants.

Presque tous les ans, on va en Haïti et je prends du plaisir à ça, c’est un retour aux sources avec toute la famille. J’y ai beaucoup de cousins et cousines, j’aime bien aller là-bas, on s’amuse beaucoup. Quand on sort du quartier de ma famille, quand on va voir d’autres choses, certains m’appellent “Le Français” ou sont un peu hostiles, mais ce ne sont pas les souvenirs que j’ai le plus gardés, plutôt ceux d’amusement avec mes cousins et les enfants de mon âge là-bas. Ma famille est très croyante, la religion est quelque chose de très important en Haïti, il y a même des passages de La Bible écrits sur les bus multicolores, moyen de déplacement très important là-bas. Pour mes parents c’est donc très important, ma mère veut que j’aille à l’église… Enfin, ce n’est même pas qu’elle le veut, c’est que je n’ai pas le choix : il faut y aller ! Ça tient une place importante, très importante même dans toute ma famille. En plus ma mère est un peu celle qui réunit tout le monde, mes oncles, mes tantes, souvent ils viennent chez moi le dimanche et il est beaucoup question de la religion à ces occasions. Mon père joue dans un groupe de compas, c’est la musique qu’il préfère et qu’il écoute le plus à la maison. Il aime bien la musique sud-américaine, Johnny Pacheco par exemple, la soul, James Brown et d’autres groupes de l’époque, ou les Jackson Five, Daniel Balavoine aussi. Ce sont des choses que j’entends chez moi.

Dans ma jeunesse, je fréquente les MJC pour, deux, trois trucs qui y sont organisés, mais elles n’ont aucun impact sur mon rapport au hip-hop ou à la musique. Ça, c’est vraiment personnel ou avec mes amis, par le biais de ce que je peux découvrir dans des émissions de radio underground, les premiers titres cainri notamment, j’accroche tout de suite à ça. À la MJC, ils n’ont pas grand chose à nous proposer, ils organisent des tournois de foot inter-cités à la fin desquels tu ne gagnes pas grand chose… [Rires] Une sortie pour aller à la mer ou un truc comme ça, c’était toute une histoire ! On aurait dit qu’ils t’emmenaient à Miami ! Je n’ai pas un super souvenir de la MJC, en tout cas en tant que structure qui t’amène à t’enrichir culturellement, ce n’était pas ça. Si je me souviens bien, j’écoute une émission animée par Sidney, il joue des sons cainri, mais je ne me rappelle pas comment s’appelait cette radio. [Il s’agit selon toute vraisemblance de Radio 7, NDLR] Après, j’écoute aussi Radio Nova, où Lionel D et Dee Nasty jouent beaucoup de sons hip-hop. Le truc qui va vraiment me marquer et augmenter mon intérêt, c’est quand je les entends inviter des gens pour qu’ils rappent à l’antenne. Des gens comme les NTM, Solaar, et d’autres, je les entends freestyler en direct sur des beats cainris et je me dis que c’est vraiment super. Je crois que je fais écouter beaucoup de rap autour de moi, aux gens de mon âge et aux plus jeunes. Les grands, ils adorent le smurf, le break, ils vont à Paris pour ça même, mais quand ils me font écouter des titres pour moi ce n’est pas du rap. Quand j’entends Public Enemy, Nas, Jay-Z, tous ces trucs-là ce n’est pas pareil que la musique qu’ils mettent avec leurs gros postes pour se défier. Par contre, certains font du rap et je le découvre quand je parle des freestyles, parce que quelques gars un peu plus grands que moi sont interpellés. En fait eux en écrivent, des freestyles, et me demandent de leur faire les miens. C’est comme ça que je commence.

Je ne suis pas très bon élève, et le seul conseiller d’orientation que je vois me dirige vers un BEP VAM (vente action marchande). Il me fait comprendre qu’aller vers quelque chose de professionnel est mieux pour moi, ce que je fais. Comme je suis tchatcheur, je pars sur la vente, c’est ce qui m’attire le plus. Mais j’arrête avant d’avoir le bac pro, je ne vais pas au bout. C’est à peu près à ce moment que je tombe dans la vie de rue. Ça commençait déjà à me trotter dans la tête parce que j’avais quelques fréquentations là-dedans, alors j’ai participé à quelques coups sans que mon nom sorte… Puis c’est quelque chose qui devient de plus en plus important dès que j’ai mes propres armes à feu, et que je commence à pouvoir négocier des choses dans l’illicite. Je peux faire les choses par moi-même. Le décès de mon père joue un rôle important, c’est une grosse douleur, un moment très dur et en même temps je me dis qu’à partir de là je dois tout assumer. D’une certaine manière, je sais que je vais oser des choses que je n’osais pas avant et plonger les deux pieds dans l’illicite. Je déménage à Villetaneuse après quelques histoires dont je peux plus ou moins me sortir parce que j’avais mis un petit peu de côté pour les avocats. Je sais très bien que ce que je fais est très dangereux et j’ai vu par les plus grands que moi l’importance des avocats : ceux qui n’en ont pas, ça se passe toujours très mal pour eux, ils restent longtemps en prison…

« T’as ma parole »

Un 21 juin, je vais à une Fête de la musique à Porte Dorée avec plein de potes de La Courneuve. Il y a des stands dont un soundsystem avec un DJ qui balance des riddims et où plein de mecs s’enchaînent pour poser. Mes potes m’encouragent à faire pareil et je ne veux pas alors ils finissent par aller voir le mec qui passe les micros en lui disant “notre pote rappe !” Ils discutent avec lui en face de moi et à un moment je vois le micro venir vers moi… Mes potes ont engrainé le mec à me le donner ! Alors je pose et il se trouve que No Smoke, fondateur du label Vicelards Records est là, dans le sound system avec sa nana. Il estime que j’envoie bien, il aime mon grain de voix et vient donc me parler pour me dire qu’il a un studio et qu’il prépare une compile. Je me retrouve dessus. Après je ne sortirai jamais de disque en mon nom avec lui, je participe à des compiles et même si No Smoke veut que je fasse un solo, Bayes entend parler de moi avant et vient me chercher à la cité.

La première fois que Bayes vient dans mon quartier ça manque de mal se passer. Je ne suis pas là et les mecs lui disent qu’il n’a pas à venir à la cité, qu’ils n’en ont rien à foutre de ses histoires de musique. Mais il revient quand-même, et ça, ça me plaît en fait. Quand on se rencontre, Bayes est très intéressé par des modèles comme les labels Death Row ou No Limit. Il me le dit : “Il faut qu’on s’en inspire. J’ai besoin d’une vitrine pour mon label et vue ta vie, je pense que ça peut le faire.” C’est lui qui amène le côté Master P d’abord, et après en regardant pas mal de trucs là-dessus c’est vrai que cet univers me parle. Pour la conception de la pochette de T’as ma parole par exemple on est en accord, ce n’est pas comme s’il me disait “tu fais ça comme ça” et basta, on en discute avant.

Quand je prépare ce premier album, je suis à Villetaneuse et en même temps que je suis en studio, je suis dans le business aussi. Il y a une proximité avec Escobar et le projet d’un groupe se discute à un moment, ça aurait pu se faire je ne vais pas le cacher. Mais tout un tas de trucs extra musicaux se passent, et expliquent que le groupe n’existe pas. Mon état d’esprit à cette époque-là, c’est que je ne me considère pas du tout comme un rappeur mais comme un mec de la rue, un mec qui fait son business dans la cité mais qui va enregistrer un disque. Généralement, j’arrive en retard aux enregistrements, je suis en train de faire tout un tas de business à la cité, tout un tas de trucs louches… Bayes me dit qu’il y a un enregistrement à telle heure, jamais je n’arrive à l’heure à une séance, je suis en plein dans les affaires de rue. Lui, il le sait mais en même temps ça lui plaît, ce qui lui parle chez moi c’est ce qu’il a vu dans ma cité, mon univers. Il me le dit : “tu es la vitrine de mon label parce que ce que tu vis, c’est vrai, et c’est un artiste comme ça que je veux pour représenter mon label.” C’est ce qu’il me dit toujours.

 

« Mon état d’esprit en 1999, c’est que je ne me considère pas du tout comme un rappeur mais comme un mec de la rue qui va enregistrer un disque »

Dans le département, j’ai un nom dans la rue, par rapport à ce que je fais, à toutes les histoires que je peux avoir avec plein de mecs. Busta Flex, qui est sur l’album, connaît mon nom, pas vraiment en tant que rappeur mais en tant que mec de quartier qui a son équipe, son territoire… Même si lui n’est pas un mec de rue, il connaît ces histoires et aussi mon courage, il respecte ça et quand il sait que je prépare un disque je peux tout de suite compter sur lui, il me le dit. Ça marche déjà bien pour lui quand il vient sur T’as ma parole parce que je me souviens qu’après avoir commencé à enregistrer le morceau, il repart pour plusieurs dates la même semaine et on doit continuer après, quand il en revient. L’instru du morceau est de Valéry [Busta Flex, ndlr], il a son sampler avec lui en studio et me montre : “regarde, ça marche comme ça etc.” et ça ne m’intéresse pas, il m’explique des trucs en le faisant mais je n’écoute même pas ! [Rires] J’ai toujours été attiré par l’écriture, par le fait de faire des rimes, des couplets, de les rapper, mais les instruments, ça ne m’a jamais parlé, je ne sais pas pourquoi ! Sur l’album, il y aussi Kery James. Avec Kery, on s’était rencontrés une première fois à l’époque de Vicelards Records. Dj Tal l’avait invité pour une mixtape et on a avait fait connaissance à ce moment-là, quand Kery a su que j’étais haïtien. On a parlé du pays, ses parents sont arrivés en France un peu comme les miens, on se reconnaît dans ça et on garde contact, donc au moment de faire T’as ma parole, il vient directement lui aussi.

T’as ma parole sort, c’est mon premier disque et Bayes se débrouille pour que la distribution soit assez correcte, même si on n’a pas de promo ;  il est dans les FNAC, les Virgin, Carrefour, tout ça. Quand le disque sort, les mecs de La Courneuve , les mecs de Villetaneuse vont l’acheter dans les magasins parce qu’ils me connaissent. Ils y vont avec leur meuf et sont assez fiers, ils peuvent le dire : “voilà, c’est mon pote, c’est son premier disque !” Mais moi, à la sortie de l’album, je suis dans une période de grosses, grosses embrouilles. Sur notre territoire, on a des problèmes avec plein de gens dont l’équipe qui va essayer de me tuer. Déménager à Villetaneuse a été bénéfique pour moi sur le plan du business, mais c’est aussi ce qui m’amène le plus gros problème, le drame qui me conduit en prison. C’est là-bas que je tire sur un ennemi. Quand je tire sur ce mec et que je suis obligé de me mettre en cavale, c’est au moment où le disque est dans les bacs, le mois de la sortie. Il est dans les magasins mais moi je ne peux rien faire, je n’ai pas le temps d’en profiter, je suis en cavale pour sauver ma peau, je vais d’hôtels en hôtels, je fais attention à qui je parle, je fais attention aux flics, je ne peux pas rester deux soirs au même endroit… C’est dingue ! Après avoir fait des freestyles, des compiles, j’ai la possibilité de sortir un disque mais pas d’en profiter. Comme je ne me considère pas comme un rappeur dans ma tête, sortir cet album c’est un aboutissement quelque part. Pour moi, j’ai fait un album, un objet que n’importe qui peut acquérir dans les magasins, que je peux montrer à ma famille, et c’est bon. Je ne pense pas à faire un autre album, un troisième encore et tout le reste après. T’as ma parole est un aboutissement que je ne peux même pas vivre. C’est ça mon souvenir de ce disque, il arrive en même temps que la plus grosse histoire de ma vie. Je rentre en prison en 2000.

« 1260 jours »

Dans ma tête, jusqu’à maintenant, je n’ai jamais accepté la condamnation pour tentative de meurtre. C’est le chef pour lequel on m’a inculpé et je n’ai pas arrêté de dire que c’était une légitime défense, mes avocats aussi. Cette défense n’a pas pu tenir parce qu’on était sur fond de bandes, de règlement de comptes, de stupéfiants… Les juges ne voulaient rien entendre, à partir du moment où il y avait tout ça ils estimaient que je faisais partie des gens qui pourrissaient le quartier. C’est ce qu’ils ont dit lors du procès. J’ai toujours le même ressenti vingt ans plus tard, même là en en parlant je revois la scène, ça me donne des palpitations : je me revois dans la voiture, elle est criblée de balles et si je n’ai pas mon arme, c’est fini, je suis mort. Mes ennemis ne savaient pas que j’étais armé et c’est le seul truc qui me sauve, quand l’un s’approche de la voiture pour voir si je suis mort, si je ne lui tire pas dessus, c’est fini.

Quand la police me coince et que je pars en prison, je ressasse tout. Je me refais le film, depuis le début des histoires jusqu’à ce que je tire sur ce mec. Il faut savoir qu’après avoir fait ça, avant d’arriver en prison moi je pense qu’il est mort. C’est pour ça qu’on a fui, qu’on a quitté le département. Après que son équipe soit partie, quand je sors de la voiture, lui est étendu au sol, je le crois mort. Je cours chez moi, je dis à mes gars de prendre tout ce qu’on peut prendre et j’explique à ma femme que je suis obligé de partir. Alors en arrivant en prison, je n’ai que ça dans la tête, je me dis qu’il est mort et que je suis parti pour des années… Au début je n’ai pas de parloir, le juge ne veut pas. Il finit par accorder des visites pour que je vois ma femme de l’époque, la mère de mes premiers enfants. C’est au moment où je la vois que je commence à penser à autre chose qu’à la prison, et ensuite Bayes m’écrit, il m’explique que le mec n’est pas mort et il m’envoie la photocopie du journal, puisque l’affaire était dans Le Parisien. Bayes me présente T’as ma parole comme un succès d’estime. Ce n’est pas un succès commercial mais il me dit avoir rencontré des gens de Groove je crois, et peut-être de L’Affiche, auxquels il a ramené le disque et présenté mon histoire. Il me semble qu’il avait obtenu des chroniques, et c’est là qu’il me dit : “Il faut que tu commences à écrire pour ton prochain album, on est là, on va payer les avocats et faire tout ce qu’il faut.” Et c’est vrai qu’il ne me lâche pas !

Au départ je n’ai pas du tout l’écriture en tête, disons qu’apprendre que le mec n’est pas mort, c’est une petite lueur d’espoir qui revient. Je me dis que ce ne sera pas le même procès, parce que dans le fourgon cellulaire je pensais que je serai jugé pour avoir tué quelqu’un. Là ce n’est plus le même état d’esprit… Donc je cantine des feuilles, des stylos et je me mets vraiment à écrire à ce moment. Par période en prison, spécialement quand je vais au mitard, je suis obligé d’écrire de tête, et c’est quelque chose que je ne réussirai jamais à refaire dehors. C’est comme si je voulais oublier, je l’avais fait par obligation au mitard, c’était tellement éprouvant… Inconsciemment je crois qu’après ça je veux effacer cette méthode de ma tête. Je ne pourrai jamais retravailler comme ça. Pour des albums, des featurings, n’importe quel projet, c’est plus fort que moi il faut que j’écrive, je n’arrive pas à refaire de tête. C’est comme si en le faisant je devais revoir tout ça, et je ne veux pas.

« Au mitard je suis obligé d’écrire de tête, et c’est quelque chose que je ne réussirai jamais à refaire dehors, comme si je voulais oublier. »

Quand je sors de prison après trois ans et demi, retourner en studio n’est pas la première chose que je fais, mais j’y reviens assez vite quand-même. Je pars un peu en province puis je vois rapidement Bayes, il me dit qu’il ne faut pas perdre de temps, me donne un peu d’argent et m’annonce qu’on va aller au studio dans la semaine. Dès que je rentre de province on rentre en studio en fait. On y est tous les jours, l’album est enregistré d’un bloc. Il n’y a que le week-end peut-être, où on n’est pas là-bas, mais sinon tout le temps. J’ai la chance que Bayes me donne de l’argent pour pouvoir ne penser qu’à ça. Il faut savoir qu’après être sorti de prison, j’ai encore affaire à la justice, j’ai rendez-vous avec des juges d’application des peines, des choses comme ça. Ce n’est pas quarante rendez-vous, mais je les vois au moins deux fois par mois. Bayes sait tout ça et me dit : “tu ne peux pas te permettre d’avoir le moindre problème.” Il me donne de l’argent, le week-end je suis avec ma femme sans souci mais la semaine on bosse, comme un taff. C’est comme ça qu’on  fonctionne pour 1260 jours.

De l’entrée en studio à la finalisation de la galette et sa commercialisation, je sens une énergie particulière. Mes potes viennent au studio, vivent ce que je raconte, quand j’explique la fusillade, la cavale, les mille deux cent soixante jours, ces choses-là, tous les titres qui parlent de ça, je vois que dans le studio mon entourage les vit à fond. Ça c’est un truc que j’aime, après quand l’album sort, mon statut change complètement mais je ne sais pas vraiment ce qui se passe. Il n’y a que Bayes pour me dire qu’on est dans tous les tops albums. Moi, ça ne fait pas très longtemps que je suis sorti de prison, je ne comprends pas bien… Il m’amène les magazines, les tops albums, les charts, les trucs auxquels ont accès les maisons de disques et les distributeurs. Il me les montre : “Regarde, là tu es dans tel top, là dans tel autre…” Ce qui me frappe quand il me montre le top “tout confondu” c’est de voir Alibi Montana – 1260 jours au milieu de gros noms, genre Johnny Hallyday, machin truc… Il me dit que je suis dans ce top et franchement c’est ça que je trouve incroyable. Avant même de parler de ventes, c’est de voir ces tops. Après, au fur et à mesure je commence à entendre mon son qui est joué dans plein d’endroits, des gens m’en parlent, untel me dit que dans son quartier et dans d’autres ça joue mon son, plein de voitures commencent à tourner avec. Je sens qu’un truc se passe.

Ce deuxième album a totalement changé ma vie. C’est mon disque préféré. Déjà parce que j’ai toujours plaisir à le réécouter, je trouve des titres très forts, et aussi parce qu’il a changé toute ma vie. il m’a amené à faire énormément de choses que je n’aurais jamais pensé faire, des voyages, des rencontres. C’est ce disque-là qui permet toutes les sollicitations qu’on a eues derrière avec le label Menace Records ! Avant 1260 jours, Bayes était vu comme un paria dans l’industrie du disque, je ne parle même pas des artistes… Personne ne voulait entendre parler de lui, et à partir du moment où 1260 jours fonctionne, tous ces gens commencent à lui reparler, à lui dire qu’ils sont là si jamais il y a un prochain album d’Alibi, etc.

« Déjà revenu »

Mon troisième album Numéro d’écrou sort très rapidement après 1260 jours, moins d’un an plus tard, ce qui étonne beaucoup les gens parce qu’à l’époque c’est quelque chose qui ne se fait pas. Nous on est dans l’état d’esprit de ne pas faire comme tout le monde, de proposer autre chose. Je suis sur une lancée où j’écris beaucoup, je suis invité sur énormément de projets, c’est une période de grande productivité. Parfois j’enregistre un couplet et on me fait remarquer que je pourrais le garder pour un album, ce qui me pousse à faire beaucoup de titres pour moi et explique que je suis vite prêt à sortir un autre disque sans problème. La conception de Numéro d’écrou, je l’ai vécue totalement différemment de celles des albums d’avant et je pense que ça sent un petit peu. Quand tu écris d’hôtel en hôtel, quand tu manges bien, quand tu fais la fête tous les soirs c’est pas le même état d’esprit que quand tu es enfermé et que tu fais du mitard… [Rires] Donc j’aborde des thèmes différents, dans ma tête c’est autre chose. Aussi, en prison j’écrivais des textes entiers d’un coup, alors que là dans les hôtels il m’arrive d’écrire une partie à Lyon, une partie à Marseille puis une autre à Bordeaux et une autre encore à Béziers. Je ne suis pas dans un sentiment d’urgence, en plus on fait beaucoup la fête. On fait des conneries dans les hôtels, dans les villes, mais pas des choses pour lesquelles je peux me faire arrêter par la police, ce ne sont plus les mêmes conneries !

 

« Avant de signer j’ai demandé à Bayes d’avoir des parts dans Menace, chose qu’il a refusée. »

Quand je pars de Menace, fin 2006 ou début 2007 c’est plus ou moins tendu. J’aimerais rétablir un truc parce qu’à l’époque beaucoup de personnes ont dit que j’étais parti de Menace pour l’argent ou je ne sais quoi, comme si j’avais oublié l’époque de la prison et les rapports que j’avais alors avec Bayes. Ce n’est pas du tout vrai. Because n’est pas le premier label à me faire une propale, il y a Universal Music, Barclay et une autre maison de disque encore qui viennent avant. J’en rencontre au moins quatre ou cinq, dont Because, et ce que Bayes n’a jamais voulu dire, c’est qu’avant de signer un autre contrat, je lui montre toutes les propositions que j’ai reçues. Elles sont similaires à quelques euros près, toutes, et ce que je lui dis c’est : “je ne signe avec personne, tu me donnes des parts de Menace et je suis coproducteur de mon ou mes prochains album.” Quand je lui demande ça, il le prend super mal. Les gens ne savent pas du tout ça, il n’en a jamais parlé et moi non plus d’ailleurs parce que quand je suis chez Because, on me dit que ce n’est pas grave, qu’il faut que je me concentre sur la promotion de mon album et la tournée. Avec tout ça je n’ai jamais parlé de cette histoire à l’époque, mais la vérité est celle-ci : avant de signer je lui avais demandé d’avoir des parts dans Menace, chose qu’il a refusée et qu’il a mal pris. Il m’a fait comprendre que j’étais ingrat, ou des choses comme ça. Alors que je lui avais fait gagner de l’argent avec mes albums quand-même, j’ai permis à Menace d’atteindre un level qui lui permettait à lui de faire pas mal d’affaires…

Inspiration guerrière sort chez Because en septembre 2007. Je signe chez eux avant l’été parce que je me souviens avoir demandé une avance avec de quoi partir deux mois en vacances pour décompresser. C’est un contrat pour deux albums plus un en option et je réussis à garder un mode de fonctionnement que j’avais chez Menace pour mes mixtapes et mes compilations : elles sortaient en parallèle de mes albums, je reversais une partie à Bayes mais je gardais le plus gros. Ça, j’arrive à le reproduire en signant chez Because, mais c’est dur de convaincre Emmanuel De Buretel, il est dur en affaires et je pense que c’est pour ça que ça fonctionne bien pour lui. Enfin, je réussis à conserver ça, même si au départ il n’aime pas trop le concept d’avoir un album officiel et une mixtape à côté qui peut se retrouver aussi dans les tops. Il finit par accepter, et j’ai la société TMPProd (T’as Ma Parole Productions) qui me permet de financer cette partie de ma discographie.

Ne plus travailler avec Bayes et signer chez Because change totalement mon rapport à l’industrie, et notamment à Skyrock. Malgré mes scores, la radio ne m’avait jamais invité ni même joué, que ce soit pour 1260 jours ou Numéro d’écrou. À partir du moment où je sors un premier album chez Because je les rencontre. Fred et Bouneau savent qui je suis mais on ne s’était jamais vus, là on se rencontre et on parle de tout. Bayes avait insulté Bouneau à plusieurs reprises à l’époque, même ça on en parle. Je me rappelle d’une première rencontre où on joue cartes sur table, et Bouneau me dit qu’il n’est pas aveugle ni sourd, qu’il connaît mon travail, m’a vu dans les tops mais que si j’étais resté chez Menace il n’aurait pas joué le prochain album, et ne m’aurait pas proposé de Planète Rap. C’est très clair.

« Rap français sans complexe »

Le milieu des années 2000 est totalement un autre âge d’or du rap français, celui du rap de rue. Des mixtapes, des street albums arrivent à être classés dans des tops réservés aux albums. Ça se fait sans grosse promo, ni rien. Parfois mes mixtapes Toujours Ghetto se retrouvent classées dans des tops en même temps que mes albums, même si elles sont bien plus bas évidemment. C’est incroyable, ce serait impossible aujourd’hui mais à cette époque c’est quelque chose que l’on vit : un top album avec ton album et ta mixtape à l’intérieur. C’est dingue !

Rue, l’album avec LIM est un classique pour moi, mais ça l’est aussi pour plein de gens, ils me le disent encore. On est amenés à faire cet album par les lascars en fait, les mecs du 92 et les mecs du 93 se parlent, les uns de LIM, les autres de moi. Avant qu’on se rencontre LIM et moi, les mecs parlent déjà d’un projet ensemble, ils se le disent. Ce sont les gens, les connaissances des deux département qui nous amènent à nous voir. Quand ils calent ce rendez-vous, ça nous semble être une évidence. Dès le premier soir, on se le dit : c’est sûr qu’on va faire quelque chose ensemble, peut-être pas un album mais il y aura quelque chose. On voit les choses de la même manière. Quand Rue sort je suis encore chez Menace et LIM c’est Tous Illicites, alors on arrive à se mettre d’accord sur une coprod. Dès la sortie, l’album marche, il se vend tout seul, sans Planète Rap. La tournée se fait d’elle même ! C’est à dire qu’un mec nous appelle, il est à Rouen, à Niort ou à Béziers, il nous dit qu’il a une salle de tant de places, qu’il prend tout en charge, etc. Notre tournée se fait sans tourneur, c’est l’indépendance extrême, chaque date est produite par un mec qui aime l’album. L’authenticité occupe une place très très importante dans le rap à ce moment. Est-ce qu’on était obligés d’y attacher autant d’importance ? Je ne sais pas… J’ai l’impression qu’à ce moment-là, c’est comme ça, c’est tout. Pour le public aussi, c’est très important, quand je pars en tournée, de ville en ville les mecs de ne me parlent que de ça, de cette notion de crédibilité… Il n’y a pas une ville où je ne dois pas discuter des histoires de rue, de ce qui m’a amené en prison, c’est le sujet tout le temps.

Durant cette période, les années 2000, je fais énormément de featurings, et j’essaie de privilégier la rencontre. Quand un rappeur m’appelle, connu ou méconnu, j’explique que les choses se passent différemment quand on est ensemble au studio, il y a un autre feeling. Mais j’en fais tellement, forcément je suis obligé d’en enregistrer certains à distance… Il m’arrive de poser pour quatre featurings dans la même journée ! C’est un travail, je demande un billet, mais je fonctionne différemment selon les cas. Parfois c’est une structure de province qui m’appelle et j’aime bien leur façon de me vendre le truc, par exemple c’est leur premier disque et ils veulent faire un événement dans la ville pour aider les rappeurs de là-bas alors je baisse le prix pour leur permettre de faire. Et pareil après pour mon cachet si je viens à l’événement. J’ai toujours conçu la musique, le rap, comme du partage. Depuis le début, dès que 1260 jours m’apporte de la lumière, je considère que je ne dois pas la garder pour moi seulement. Mon idée, c’est de partager, c’est important pour moi. C’est pour ça que je peux baisser mes cachets pour qu’un projet se fasse. Alino avec qui je sors Affaires 2 Famille en 2009 joue un rôle très important à mes côtés, c’est mon petit frère et il est là depuis toujours, dans les bons comme dans les mauvais moments. Il ne se met pas en avant sur certains projets ou sur les tournées, mais il est là et il me conseille. On discute, on réfléchit ensemble à certaines choses, et il a sa vision : il y a telle et telle proposition, il y a plus d’argent là mais là-bas c’est plus authentique, ça va aider un quartier… Il me conseille sur plein de trucs.

« Le milieu des années 2000 est totalement un autre âge d’or du rap français, celui du rap de rue. »

Avec le développement d’Internet, à la fin des années 2000, dans les interviews vidéos que j’ai données c’est possible que ma parole m’ait échappé, mais honnêtement je ne les ai jamais vues comme de la promo à faire à tout prix. Sinox, Tonton Marcel, Booska-p, pour la plupart quand ils viennent me voir, je suis un des premiers à leur parler. Tonton Marcel n’avais jamais mis les pieds au studio de Planète Rap avant que je le fasse venir pour celui d’Inspiration guerrière. Un jour il vient me parler de son projet de média, il ne fait pas encore d’interviews mais je lui en accorde une et j’évoque mon futur Planète Rap alors il me demande si je pense pouvoir le faire venir. Je le fais. Pour ce qui est de Booska-p, je parle beaucoup avec Fif sur l’enregistrement de Numéro d’écrou et celui de Rue il me semble, et c’est pareil, j’ai toujours fait des interviews pour eux à cette époque. En fait je crois en des gens de quartier qui montent leur média. Sinox ce sera pareil… Je les vois comme des gens de quartier que j’aide si je le peux, au même titre que les jeunes rappeurs avec qui je bosse. Mais eux ont peut-être oublié ça, ils ne se rappellent pas de la manière dont je voyais les choses alors.

Le passage du physique au digital n’est pas évident pour moi. Il faut faire avec, mais je suis de l’école du physique. Pour moi, la musique dématérialisée n’a pas la même saveur et ne l’aura jamais, j’ai perdu de la motivation par rapport à ça. Des mecs ont grandi avec ça, ils y arrivent, mais pour moi ce n’est pas pareil. À l’heure actuelle je suis en litige pour la gestion de mon catalogue de l’époque Menace. Je n’ai pas de trace de Bayes, certaines choses doivent être réglées et ni moi ni d’autres structures n’arrivons à entrer en contact avec lui. Ce litige dure depuis mal de temps maintenant…

« Prise de conscience »

À partir de 2014, et pendant à peu près cinq ans je travaille à la radio RTSF 93, j’y ai une émission et je suis directeur de programmation. [RTSF 93 est une webradio locale qui se veut être un vecteur social et culturel pour les jeunes du département, NDLR] Je m’occupe de la grille, du développement, du business de la radio. Mon émission n’est pas que musicale, j’y reçois des entrepreneurs issus des quartiers, des artistes, des sportifs, c’est une sorte de talk. La radio, c’est fini pour le moment parce qu’on a arrêté avec notre gros sponsor, mais c’est une très belle aventure, et je reste en contact avec ceux qui y ont participé. Si jamais on renégocie les choses comme elles étaient, on n’exclut pas de remettre ça en marche, mais pour moment c’est à l’arrêt. Je suis également parrain de l’association Cœur d’Haïti depuis des années, je participe à plusieurs événements tous les ans pour l’association, que ce soit des événements culturels ou simplement des débats et des échanges. En 2016, on organise un concert avec l’aide de Kery James, tout est reversé à Cœur d’Haïti et à quelques associations sérieuses. Cela donne lieu à un film de Cœur d’Haïti qui montre les actions mises en places dans la santé, la scolarité, auprès des enfants défavorisés, des orphelins et des victimes de la catastrophe qui a dévasté une partie de Haïti, ce tremblement de terre en 2010… J’oeuvre avec l’association sur plein d’actions sociales pour Haïti.

Je pense que quelque part, les rappeurs ont un rôle de grand frère. Avant que n’arrive l’épidémie de coronavirus, début 2020 je suis en tournée pour dédicacer mon bouquin, faire des petits showcases à la fin et en même  tempsj’ai toujours un petit débat avec des lecteurs, avec des gens qui viennent et qui ont des questions. Quand j’entends certaines questions, même si je ne suis pas un moralisateur, je me dis que j’ai un rôle de grand frère quelque part parce que des plus jeunes s’adressent à moi pour avoir des conseils sur certaines choses, sur des manières de faire, dans la musique ou non. Des jeunes veulent se lancer dans la vidéo, des nanas me demandent comment se mettre à l’écriture d’un livre, quel est le processus, alors quelque part quand ça se passe comme ça, même si c’est malgré toi, même si tu dis que non, tu as un rôle de grand frère. Tu fais bénéficier de ton expérience aux gens, comme un grand frère. Dans quelques villes, je donne des ateliers d’écriture. Pour certaines dates du De la rue à la rime tour je ne fais qu’un showcase et des dédicaces, mais pour d’autres comme Montluçon ou Toulon, un atelier d’écriture est calé, même si Toulon a dû être annulé avec le confinement.

Dans mon livre j’évoque une Fédération des Banlieues, c’est un rêve qui n’arrivera jamais je pense. Je me dis que tous les milieux ont des fédérations, même les footballeurs, qui ont beaucoup d’argent, ont un syndicat avec un président qui parle pour eux… Plein de gens ont des structures qui les représentent, et je me suis toujours demandé pourquoi pas nous, au niveau de la banlieue. On est plein d’acteurs différents dans divers domaines : dans la musique, l’écriture, l’image, l’événementiel… Pourquoi n’a-t-on jamais réussi à se fédérer ? Pourquoi ça reste quelque chose d’impossible ? J’ai déjà discuté avec d’autres acteurs, dans d’autres villes et ils me disent que ça pourrait être bien, c’est vrai, mais nous qui sommes issus de l’urbain avons du mal à mettre ces choses en place. J’ai été amené à faire des échanges, des débats, des ateliers d’écriture pour les jeunes de La Courneuve, mais sans plus… J’ai des rapports normaux avec le maire, et quand je vais dans des villes il m’arrive de rencontrer les élus, surtout dans le cadre du bouquin, mais c’est pareil, c’est assez superficiel. Le maire vient parce que c’est un événement culturel dans sa ville. Par contre j’en rencontre plus avec le livre que quand je viens pour la musique. D’ailleurs, je rencontre des gens différents grâce au livre, certains viennent sans me connaître par la musique. Il y a des professeurs de collèges et de lycée, des mères de famille. J’ai affaire à un public nouveau avec lequel j’échange, je discute sur des passages du livre. Il y a des jeunes, des gens hip-hop mais d’autres pas du tout. C’est à la fois bizarre, drôle et super enrichissant. Il peut y avoir dans la salle quelqu’un qui me suit depuis T’as ma parole et quelqu’un qui ne me connaît que parce qu’il a lu le bouquin. Ça crée des échanges, ce sont des moments que je ne pouvais pas imaginer, qu’il faut vivre.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*