Chronique

Kheops
Sad Hill

Delabel - 1997

Il y a des disques autour desquels la vie paraît s’enrouler, qui à chaque écoute renvoient à un lieu précis, à une période. Quelle que soit leur qualité intrinsèque, nous y restons attachés pour les souvenirs dont ils sont chargés, les maudissant un jour pour leurs défauts mais y revenant systématiquement à un moment ou à un autre – presque par automatisme. 

Pour quiconque a découvert le rap dans la seconde moitié des années 1990, lors de son avènement commercial, la compilation/album Sad Hill de Kheops est de ceux-ci. 

Album homogène plus que banale compilation, Sad Hill véhicule une « certaine idée du rap français » : productions simples, mélange de textes sombres et d’histoires à dormir debout, casting large. Soit la réunion parfaite pour obtenir un carton commercial et un disque d’or supplémentaire à dépoussiérer. Et on ne s’en plaindra pas. Promis. 

Si des artistes marseillais et parisiens avaient déjà croisé le fer (de Lady B. Love sur De la planète Marsau morceau ‘Derniers pas dans la mafia’ sur Le Calibre qu’il te faut en passant par le feat de East et Fabe sur ‘L’Enfer’ ou la présence de DJ Cut Killer sur ‘La Face B’), c’est le projet Sad Hill qui établira le pont le plus important entre la capitale et la cité phocéenne. Le groupe IAM n’avait pas caché son admiration pour la clique Time Bomb et invite certains de ses plus emblématiques représentants : les X.Men qui signent la tuerie ‘C’est Justifiable’ (« la violence s’entend dans l’accent »), Oxmo Puccino, Pit Baccardi ou encore Hifi, épaulé par Geraldo. Bien que moins surprenantes et réussies, les apparitions de membres de la Scred Connexion (Fabe et Koma), et du Secteur Ä (Passi accompagné d’Hamed Daye, Stomy Bugsy) vont aussi dans ce sens, amorçant la création d’un véritable axe Paris/Marseille. Par certaines de ces collaborations, le DJ d’IAM permet également à une nouvelle génération de rappeurs d’obtenir une plus grande exposition médiatique, qu’il s’agisse de parisiens ou de locaux (3eme Œil). 

A quoi pense-t-on immédiatement lorsque l’on parle de Sad Hill ? L’impression première est celle d’une immense récréation pour l’ensemble des invités, à quelques exceptions près. Grosses influences cinématographiques – la Trilogie des Dollars de Sergio Leone bien entendu, Scarface, Crying Freeman, la saga des James Bond notamment – et casting impeccable sont au menu : Faf La Rage invente le génial ‘Fainéant’, Def Bond s’amuse en « Def Bond 0013 » (« …et je suis large quand j’invente »), Stomy Bugsy transforme le bad boy de Marseille en playboy de Sarcelles pendant que son pote Passi essaie de serrer une meuf du showbiz, Freeman devient un tueur de l’Ecole du micro d’argent tandis que l’ensemble d’IAM mixe Le Bon, la Brute et le Truand avec Et pour quelques dollars de plus, prolongeant ainsi le délire de ‘Un bon son brut pour les truands’. 

Mais Sad Hill n’est pas uniquement une gigantesque bouffonnerie et compte aussi son lot de titres sérieux : le classique ‘Mama Lova’ d’Oxmo (et par la même occasion son premier tube) en premier lieu suivi de près par le venimeux ‘Pousse au milieu des cactus, ma rancœur’ d’Akhenaton, titre magnifique sur lequel on pourrait facilement s’appesantir des heures, ‘Les jours sont trop longs’ qui permet à l’auditeur de découvrir chez Def Bond une mélancolie insoupçonnée (« (…) aujourd’hui j’écris pour occuper des journées trop longues… ») ou encore ‘Si j’avais su’ de Shurik’n, annonçant la tonalité sombre de Où je vis

Habile dénicheur de samples – sans trop se salir les doigts non plus – plutôt que grand beatmaker, Kheops crée des instrus simpl(ist)es qui, s’ils ne brillent pas par leur originalité (le Marseillais aime beaucoup les BO de films), s’avèrent efficaces d’un bout à l’autre du disque ; bien qu’avec le recul le système un sample bouclé+une basse+un beat puisse paraître un peu trop facile. C’est sans doute dans ce domaine que réside la grande chance de découvrir ce type d’albums à douze ans, donc à un âge où les mots « kick », « sample », « snare » ou « charley » ne sont rien d’autre que du chinois ; on se fie avec naïveté à l’ambiance générale d’un morceau en se laissant simplement envoûter par une histoire et une atmosphère – et les samples extraits de BO d’Ennio Morricone sont parfaits pour cela. Tout ça pour se retrouver quelques années plus tard à cracher sur un album pour trois caisses claires qui ne nous conviennent plus… 

Au final Sad Hill s’apparente à l’album idéal pour faire découvrir le rap français : facile d’accès, à la fois marrant et sombre, léger et profond, il s’agit d’une grande réussite. Si les volumes suivants ne connurent pas le succès escompté (Sad Hill Impact et Sad Streets), ce premier projet de Kheops eût pour mérite d’établir des liens durables entre les scènes parisienne et marseillaise, liens qui se matérialisèrent par le travail d’Akhenaton sur Les Tentations, le premier solo de Passi, ou par les apparitions de Freeman, d’Akhenaton et du Rat Luciano sur l’Opéra Puccino d’Oxmo. 

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