Chronique

Bisk
Raw Sh!t

Blah Records - 2016

Malgré son titre utilisé une bonne centaine de fois depuis vingt ans, Raw Sh!t nous a un peu pris par surprise. En effet, la jeune carrière de Bisk s’était jusqu’ici faite dans la discrétion. Tout juste l’avait-on entendu sur l’EP éponyme du collectif Cult of the Damned, sorti fin 2015 chez Blah Records. Au milieu des Lee Scott, Tony Broke, Black Josh et autres timbrés du Nord de l’Angleterre à fort accent, le Londonien ne s’était pas franchement fait remarquer. Il était dès lors impossible d’imaginer qu’il sortirait, quelques mois plus tard, un projet aussi réussi que celui-ci.

La sobriété de Bisk est peut-être justement sa principale qualité. Pas d’esbroufe technique, d’envolées expérimentales ou de concepts alambiqués ici. Le flow nonchalant du rappeur et les productions inquiétantes plantent une atmosphère dense, donnent une impression de colère froide. Ce n’est qu’à l’occasion des dernières minutes de l’EP et de « Pimpfunk » que Bisk hausse le ton, comme excédé par la rage accumulée sur les sept pistes précédentes, passées à conter le quotidien d’un jeune lad de Walthamstow, au Nord de Londres, entre rêves de grandeur et petite criminalité.

« Le flow nonchalant du rappeur et les productions inquiétantes plantent une ambiance dense, donnent une impression de colère froide.  »

Le sentiment de menace feutrée n’est pas sans rappeler quelques grandes heures du rap new-yorkais, et notamment l’indémodable Dah Shinin’ de Smif’n’Wessun. Mais si le regard est clairement tourné vers le nord-est des États-Unis, il porte surtout sur les figures actuelles de la Grosse Pomme et de ses environs : « Swampfroot » ou « Goodfood » rappellent les atmosphères anxiogènes qu’affectionnent RetcH ou Da$h, tandis qu’Action Bronson aurait très bien pu débouler au détour d’une mesure de « Glass Jaw », petit bijou de noirceur construit autour d’une guitare angoissante. Les invités prestigieux, ce n’est néanmoins par pour tout de suite : seul Stinkin Slumrok (auteur l’an dernier du remarquable Don Pong) vient partager le micro avec Bisk, pour apporter son flow chevrotant à l’excellent « Runt ».

Depuis Raw Sh!t Bisk a déjà remis deux fois le couvert, avec les EPs freemorphine et Figaro3000. Si ces projets sont moins efficaces que celui dont il est ici question, les ambiances sont radicalement différentes, allant vers un jazz rap brumeux pour freemorphine et des sonorités plus soulful pour Figaro3000. Cette productivité impressionnante et assez inhabituelle pour un rappeur anglais confirme en tout cas deux choses : que Bisk s’inspire bien de ce qu’il se passe du côté de l’Oncle Sam et que, même si on ne le connaissait qu’à peine début 2016, il compte bien être l’un des grands bonhommes de cette année.