
Owen
LA VOIX DES FUGITIFS
Le rappeur Owen est de ceux qui tracent en silence. Pas les coups d’éclat, pas les polémiques, pas le forcing algorithmique. Originaire de Cholet, désormais installé à Angers, il préfère l’artisanat à l’esbroufe. La Voix des Fugitifs, son deuxième EP solo, est à l’image de cette démarche : dense et fidèle.
Après un premier EP, Gloomy Weather (2023), qui posait les bases d’un rap introspectif aux teintes grisâtres, Owen revient avec un EP bien plus ample. Ici, la météo intérieure s’est faite plus contrastée, plus sonore aussi. La Voix des Fugitifs n’est pas qu’un EP, c’est un manifeste doux-amer, conçu en studio avec une équipe de proches – beatmakers, musiciens, ingés, DA – tous membres d’un cercle de confiance qui sonne comme une famille artistique. L’EP sort sous le sceau d’une autonomie revendiquée : celle de quelqu’un qui rappe, mais aussi qui crée sa propre marque de sape (Maison du Linge) et choisit ses chemins, même hors projecteurs.
Le titre de l’EP en dit long : La Voix des Fugitifs fait référence au Voice of the Fugitive, journal abolitionniste canadien fondé en 1851 par Henry et Mary Bibb. Owen prend position sans faire de militantisme à la truelle : il inscrit sa musique dans une filiation d’engagement, de transmission et de survie. L’EP s’écoute comme un carrefour entre récit personnel et mémoire collective, entre errance post-moderne et enracinement africain. Sur « Toni Kroos », morceau pivot du projet, le propos se durcit. Sur une prod soulful signée Sombrelune, Owen mêle son envie de faire du paplar et ses souvenirs d’éducation africaine à un extrait audio de l’intellectuel Mbeko Tabula. Le texte frappe juste : « Éducation africaine, Les tontons les tantines, Les cle-ons, les frangines, Soudé sans les centimes, Le terrain au pays, le sujet est sensible. » Ici, la diaspora n’est pas un fantasme d’exil, mais une blessure à vif, un « chez soi » toujours repoussé.
L’un des grands mérites de ce disque, c’est sa richesse sonore. Le résultat est un patchwork élégant entre samples soulful, instrumentation live et textures électroniques. L’EP ne suit pas une ligne esthétique figée : il ose les virages. Par exemple, « Africa Star Café », avec son petit goût dancehall tamisé (prod signée Xoxorcess, Fadjee! & Bill Mondo) ou à l’opposé, « Bohemian Citizen », ballade spleenétique, où les formules poétiques (« L’espoir indique le vide sur la boussole ») se détachent comme des lucioles dans un décor noyé de pluie. Mention spéciale à « Nuit longue et café froid », morceau aux accents de spleen post-rupture. Owen s’y livre à nu, jusqu’à couper les drums au deuxième couplet, comme pour laisser parler le silence. « T’es devenue la belle sans sa pauvre bête » : il y a quelque chose de désarmant dans la simplicité de cette phrase, entre tendresse et fatalisme. Owen ne fait pas de l’égotrip pour briller, mais pour se construire. Sur « Minnesota vs Oklahoma » (en feat avec STI), les deux rappeurs s’amusent d’un passe-passe final qui flirte avec l’exercice de style, mais sans jamais perdre l’équilibre.
La grande réussite de La Voix des Fugitifs, c’est de ne jamais tomber dans le démonstratif. L’EP aurait pu se perdre dans le trop-plein de références, dans la posture engagée, dans la mélancolie poétique à outrance ou dans de l’égotrip sans gluten. Il évite tous ces pièges. Il raconte. Il documente. Il rêve. Il doute. Il brille. La Voix des Fugitifs est un disque pour celles et ceux qui n’ont pas encore trouvé leur point d’ancrage, pour ceux qui vivent dans l’entre-deux, entre ville moyenne et grande histoire, entre héritage et quête de sens. Owen n’offre pas de solution, pas de prophétie. Mais il donne une voix. Et dans une époque saturée de bruit, c’est déjà beaucoup.
Ce n’est peut-être pas le disque qui fera trembler les plateformes, mais c’est un EP qui reste. Et pour un fugueur, c’est peut-être ça, la vraie victoire : laisser des traces sans avoir besoin de se retourner.
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