Classique

Ideal J
Le combat continue

Alariana / Arsenal Records - 1998

1991 : Lever de rideau. Accompagnant Daddy Mory (Raggasonic) et MC Solaar, le tout jeune Kery James (13 ans) pose pour la première fois ses rimes sur une galette diffusée à grande échelle. Le morceau se trouve sur l’album Qui sème le vent récolte le tempo et s’intitule ‘Ragga Jam’. Dans cet exercice de style, il toaste plus qu’il ne rappe et prononce des paroles qu’il reprendra sept ans plus tard : « Ca s’appelle je ne veux pas aller au service militaire, je ne veux pas faire la guerre pour un morceau de terre« .

1992 : Acte II. Sort le maxi La vie est brutale du groupe Ideal Junior. Avec la même petite voix, la même verve et la même naïveté touchante, Kery dénonce la misère, le sort auquel sont condamnés les enfants pauvres et la cupidité des gouvernements. Un morceau prometteur, encore une fois entre rap et ragga, posé sur un beat énergique.

1996 : Acte III. A présent âgé de 18 ans, Kery James sort, en compagnie de DJ Mehdi et de Teddy qui « assure les backs« , un premier album sous le nom d’Ideal J, Original MC’s sur une mission. La naïveté sympathique des premiers morceaux est maintenant loin derrière. Un gouffre paraît même séparer les enregistrements cités précédemment de ce premier EP. La voix est plus sûre, le flow plus incisif. Ancré dans la réalité du « ghetto français« , tout en laissant la part belle à l’egotrip, Kery livre des lyrics tranchants « comme le glaive » sur des prods aux sonorités très mobbdeepiennes.

1998, enfin. Dernier acte de l’aventure Ideal J. Le combat continue atterrit dans les bacs et s’apprête à marquer l’histoire du rap français d’une pierre … noire « comme une nuit sans étoiles et sans lune« . Au trio Kery / Mehdi / Teddy s’est ajouté un nouveau membre, Boubakar alias Rocco, qui rappe sur un titre.

Un poing noir crispé, serrant le drapeau français. Cette photographie toute simple, œuvre d’Armen(i Blanco), photographe réputé et comparse de J.R Ewing, résume Le combat continue. Elle en retranscrit la dureté, l’amertume, traduit la tension et la colère qui habitent ce disque. Rarement une pochette aura aussi bien su traduire l’atmosphère d’un album. « C’est l’image la plus forte que j’ai produite, alors qu’elle est simple en soi« , dira Armen.

« Le combat continue, c’est le deux… ». A ceux qui s’interrogeraient sur ce qu’il était advenu du groupe depuis la sortie de Original MC’s sur une mission, Kery répond dès le premier morceau de l’album, sorte de transition entre les deux opus car reprise du premier morceau du Ep de 1996. Il y retrace le parcours du groupe et fait à nouveau les présentations (« Le groupe c’est Ideal et la famille c’est Mafia K’1 Fry« ), évoque les frustrations liées à l’échec commercial (« En attendant que cette putain de roue prenne la peine de tourner, sachez que baise mieux celui qui baise le dernier« ). C’est aussi pour lui l’occasion de rappeler l’intransigeance de leur démarche (« Si les médias veulent nous diffuser, ils diffuseront du Ideal, jusqu’au bout je resterai vrai« ) et la volonté de tracer leur propre voie, en accord avec la ligne de conduite fixée (« J’ai pris contact avec plus d’une major mais elles s’avéraient incapables de bicrave notre son hardcore« ). Kery reprend certains lyrics de 1996, DJ Mehdi en scratche d’autres. Bref, l’auditeur retrouve le groupe là où il l’avait laissé.

Les titres de l’album se divisent en deux catégories : ceux dans lesquels Kery a le pistolet chargé, c’est-à-dire les morceaux clash, egotrip et/ou rentre-dedans, et ceux où il creuse – de loin les plus intéressants -, mettant calmement en avant ses états d’âme et ses pensées. On compte également quelques titres hybrides, voguant quelque part entre ces deux étiquettes, comme ‘Pour une poignée de dollars’, ‘R.A.S. 1’ ou ‘L’Amour’.

Loin d’être mauvais, les morceaux appartenant à la première catégorie sont néanmoins ceux qui, au fil des écoutes, retiennent le moins l’attention. ‘Blast Masta Killa’, ‘Sur violents breakbeats’ sont des titres plutôt anecdotiques, Kery James accordant une certaine importance (et même une importance certaine) à l’egotrip mais ne faisant pas montre de réels talents d’écriture dans cet exercice (du moins sur cet opus, ‘Comme personne ne l’a…’ sur le premier EP et ‘Attaque contre-attaque’ sur la compilation Invasion étant bien mieux réussis). Il en va de même pour ‘Ideal J’ moins gratuit mais plombé par les couplets de ses deux acolytes. Le Kery « cainfri-mafioso » version 1998 n’apporte pas grand-chose et paraît même en deça de celui de 1996. Le ‘Showbizness’ de 96 se voit lui aussi gratifié d’une réactualisation, en compagnie de A.P, Karlito, DRY et O.G.B. Le résultat est, comment dire, mafiaK’1friesque… Le couplet de DRY, rappeur au sein du groupe Intouchable, résume à lui seul le style Mafia K’1 Fry : « freestyle racaille » violent et authentique pour certains, banal et attristant rap de caserne pour d’autres. Quoi qu’il en soit l’efficacité est au rendez-vous, l’auditeur « bougeant la tête comme un coq« . Quant au fameux et sulfureux ‘Hardcore’, le constat est le même : c’est un morceau puissant, redoutable en concert, mais il perd rapidement de sa force lorsque l’on en étudie les lyrics. Kery y enchaîne les phases comme le Journal de 20 heures enchaîne les images-choc, sans rien approfondir, et laissant traîner ça et là quelques propos assez affligeants (« Les flics noirs ne sont que des traîtres et j’en bave de rage« , « Hardcore est le dévergondage des femmes dans le monde entier« …). En revanche, le terrible ‘Opération coup de pompe’, morceau caché impeccablement produit par Chimiste, fait mouche à chaque écoute.

Mais ce sont les titres les plus calmes de cet album qui en font un classique du rap français. Saluons tout d’abord la qualité du travail sonore de DJ Mehdi, responsable des prods de tous ces morceaux, qui a su créer une atmosphère unique pour ce disque, très mélancolique et prenante, moins énergique et sèche que celle développée sur Original MC’s sur une mission mais beaucoup plus intense. On vous épargnera ici les grandes analyses de textes qu’il serait possible de faire à partir des lyrics de ‘Message’, de ‘Un nuage de fumée’ ou encore de ‘J’ai mal au cœur’ afin de démontrer que l’évolution de la carrière et des propos d’Alix Mathurin était déjà en gestation sur cet opus, et que celle-ci était même grandement perceptible. Indéniablement l’écriture est plus mature que sur Original MC’s… et les thèmes abordés sont bien plus profonds et personnels. L’appel au calme et le repentir de ‘Message’, la rage intérieure envers le système judiciaire français dans ‘J’ai mal au cœur’, la prise de conscience et de position à l’égard des paradis artificiels dans ‘Un nuage de fumée’ ou encore l’auto-analyse lucide des ses motivations en tant qu’artiste (« J’aurais voulu être un artiste, mes couilles, j’aurais voulu être un mec riche… ») dans ‘Si je rappe ici’ donnent lieu à des morceaux longs (à mettre d’ailleurs en parallèle avec ceux de Rohff, dans un genre assez proche, qui sortiront l’année suivante sur son premier album, « Le Code de l’honneur », à savoir ‘Du fond du cœur’ et ‘Génération sacrifiée’) et parfaitement maîtrisés. La plume du MC se fait plus précise et touchante (« Qu’ils ressentent ce manque, lorsque la parole devient l’encre« ) que sur les envolées egotripiennes précédemment citées. Voix, texte, flow et musique sont en totale adéquation, des premières lignes du ‘Message’ (« Les souvenirs me déchirent lorsque j’évoque le passé, qu’ils soient bons ou mauvais les souvenirs me déchirent« ) aux dernières de ‘Si je rappe ici’ (« Sachez que mes fautes sont graves et que mes défauts sont larges, j’arrive en éclaireur même si mon cœur est en naufrage. Je titube, la musique vacille, je navigue entre violence et souffrance. Ma douleur m’intrigue… »).

Et entre ces deux berges opposées, on trouve quelques titres plus difficilement classables, parmi lesquels on retiendra l’excellent ‘Pour une poignée de dollars’ rappelant l’écriture très cinématographique du 113 ou encore ‘L’amour’ pour la prestation sympathique de Demon One, autre rappeur d’Intouchable, et celle, assez ahurissante, de Rohff (« Un vrai bonhomme qui encaisse est un mur, la lame de la misère ne peut percer mon armure, ni le charme d’une femme, actrice du vice, complice du Hâlam… »), le tout sur une prod – encore une fois excellente – de Chimiste.

Avec Le Combat continue, Kery James – car bien que le groupe s’appelle Ideal J, c’est surtout (euphémisme) de lui qu’il s’agit – clôt de manière magistrale l’aventure du groupe. L’alchimie entre DJ Mehdi (qui se charge de la plupart des productions de ce disque) et lui est plus qu’évidente et confère à cet album une réelle homogénéité, malgré des morceaux parfois très différents. Et sans jouer au faux devins, on peut affirmer sans prendre beaucoup de risques que cet opus marquait un virage très net dans la carrière et dans la vie de l’artiste.

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1 commentaire

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  • Illmatic~Man,

    Pourquoi ne pas faire les chroniques des albums classiques de Rohff ? Le code de l’honneur, La fierté des nôtres ont ler place dans les classiques ! Et enfin ça serait cool une appli de l’abcdr 🙂