Chronique

Akhenaton
Black Album

2002

Six ans après « Métèque et mat », œuvre personnelle et définitive que l’on peut qualifier de classique, Akhenaton était revenu en solo avec « Sol Invictus ». Longuement débattue, la deuxième escapade en solo de Chill n’avait pas la force intemporelle de son premier album, mais représentait en dépit de ses incohérences un travail de haute tenue. Crépusculaire et désenchanté, « Sol Invictus » était loin d’être un album « fast food », dont on a fait le tour en deux écoutes, et ses qualités se dévoilaient au fil du temps, notamment l’affinement perpétuel des productions d’Akhenaton. Un an plus tard, voilà donc le « Black Album », qui n’a d’album que le nom, puisqu’il est composé de faces B, extraits de BO et reprises. Outre ‘J’voulais dire’ et son légendaire couplet pessimiste, on retrouve notamment le fameux ‘A.K.H.’, dont l’instru martiale se bonifie avec le temps. S’il fallait parodier cet égotrip opaque pour définir la qualité du « Black Album », on emploierait sans doute le S comme « sinusoïdal », « sémi-réussi » et « sporadiquement sensationnel ». Les 18 plages sont en effet jalonnées d’instants dispensables, de très bons moments (‘L’esprit de vos cimeterres’, ‘Écœuré’), et de quelques sommets que l’on attendait -presque- plus de la part d’AKH.

Le premier titre, ‘Petite apocalypse’, donne un bel aperçu de ce que pourrait être le prochain album d’IAM si Chill et Joe continuent à travailler dans cette direction. Malgré sa troublante ressemblance avec ‘What it is’ de Busta Rhymes, l’instru évite le plagiat avec son atmosphère tribale et envoûtante, et la sobriété d’AKH s’accorde harmonieusement avec le refrain sentencieux de Shurik’n (« Choisir de servir le meilleur ou le pire / Rouler sur une route sûre ou pavée de soupirs / Tout se passe entre le néant et le devenir / Regarde pas en bas, bouge, ralentir c’est mourir »). Mais lorsque la plume de Sentenza se mue en caméra, et qu’il exploite à fond son exceptionnel sens de la narration, cela donne un monument : ‘Nid de guêpe’. Transporté par une sublime orchestration de violons, on retrouve le grand Akhenaton, celui d »Un brin de haine’ ou ‘Un cri court dans la nuit’, dont l’écriture cinématographique n’a pas d’égal pour donner la chair de poule dans cette description sordide du calvaire d’une prostituée des pays de l’Est. Un chef d’œuvre.

Par deux fois associé à Hal (Chiens de Paille), Akhenaton se trouve très à l’aise sur les instrus mélancoliques du producteur Cannois (‘Une journée chez le diable’), dont les samples savamment sélectionnés rappellent les ambiances de « Métèque et mat », qui mettaient en valeur la voix de M. Fragione. La comparaison des deux versions de ‘A vouloir toucher Dieu’, l’une produite par Chill (‘Aux âmes offensées’), l’autre par Hal, penche nettement en la faveur de ce dernier. AKH y est beaucoup plus convaincant que sur sa propre production, preuve que le comparse de Sako mérite d’être appelé pour le futur album d’IAM, au détriment d’autres…

Car si l’identité sonore de Hal s’affine de plus en plus, il en est pas de même pour Akos et DJ Ralph. Ce dernier livre une prod empruntée et insipide pour ‘Nerf de glace’. Dommage, car AKH s’y amuse presque autant que dans ‘Sauver Tonton’, dans « Chroniques de Mars ». Quant à Akos, bon imitateur mais piètre créateur, il ressert après Teknishun une nouvelle Neptunerie bien pâle dans ‘Au minimum’, gâchant le couplet d’un Shurik’n pourtant en verve. Dans « Sol Invictus », on avait ‘Mon texte le savon’ juste après pour oublier, mais là, on doit subir un autre caméo avec un membre des Psy 4 de la Rime (après l’insupportable ‘Paranoïa’) : ‘Rimes Sévères’.

Ce final chaotique, heureusement sauvé par l’excellente version acoustique de Mes soleils et mes lunes, souligne deux problèmes symptomatiques chez le « AKH 2002 » : d’une part, une génération le sépare des Alonzo, Soprano and co, et sa greffe avec la jeune garde Marseillaise prend très difficilement. Le style spontané/survolté propre au quatuor du Plan d’Aou n’est pas la spécialité de Chill, et malgré toute sa bonne volonté, il n’est pas dans son élément, d’autant qu’il semble faire moins d’efforts sur les égotrips (« Ici c’est dark, et les mecs débarquent en Clark ») que sur ses titres plus personnels. D’autre part, on peut concevoir qu’Akhenaton explore tous les genres, et il lui a été assez reproché de ne se cantonner qu’à un seul style, mais on connaît trop bien son prestigieux passé et sa personnalité musicale pour tolérer la présence d’instrus parodiques et inadaptées au personnage. Une exception cependant : ‘Musique de la jungle’, produit par ce même Akos, capable de belles choses quand il ne passe pas ses influences au mixer. On accueille les premières notes avec une moue dubitative, on grimace à l’écoute du beat bounce à la Timbaland, mais on se laisse finalement prendre par ce titre introspectif et pudique, dans lequel AKH – servi par un excellent refrain chanté, prévu au départ pour la défunte Aaliyah- se montre plutôt inspiré : « Ressens le soir comme une fin d’ère, une petite apocalypse / atmosphère hyper minimaliste enrobe ma vocalise / regarde, mes yeux et mon cœur se serrent à l’approche de la nuit / jungle hostile, drame à la lisière / Mes mains s’rident à force de suer sur des plumes et ma méchante nature harcèle mon esprit comme une harpie ». Mais une question demeure : que pensera-t-on de ce titre très « tendance » dans six ans ?

Après ‘J’voulais dire’, la seconde partie de l’album est plus anecdotique. Plutôt sympathiques, ‘Esprit Beat Street’ et ‘Ancient Scriptures’ ne laissent pas de trace indélébile, car le sujet classique de l’amour du hip hop donne une impression de déjà entendu. On note tout de même que la complicité AKH/Bruizza fonctionne à plein régime, faisant de ‘Ancient Scriptures’ le meilleur featuring de l’album. A l’inverse de ‘Bionic Mc’s’, titre rescapé de la trilogie avec les inconsistants Masar et Lyricist (Mic Forcing) qui reste une face B de série B. Puis arrivent ‘Au minimum’ et ‘Rimes sévères’… inutile d’en rajouter.

Avec un tracklisting plus équilibré, le « Black Album » d’Akhenaton aurait été une véritable satisfaction. Malheureusement, le rythme soutenu de la première partie s’essouffle, et l’enthousiasme s’effrite au gré des featurings improbables et les productions sans surprise. On doit se contenter d’un album un peu fourre-tout, qui dégage néanmoins une bonne impression générale grâce à des titres du calibre de ‘Nid de guêpe’, ‘Petite Apocalypse’ ou ‘Écœuré’. Des baisses de régimes redondantes et certaines erreurs d’appréciation d’Akhenaton incitent cependant à la prudence pour le prochain album d’IAM, dont la qualité dépendra sans doute du choix crucial des productions et des invités.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*