Black Bach, mine de samples
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Black Bach, mine de samples

Photo : Lisa Margolis

Il y a quelque chose d’attachant chez les artistes malchanceux. Ceux qui, en dépit d’un talent égal, sont restés dans l’ombre d’un collaborateur ayant accédé à la gloire. Lamont Dozier est de ceux là. Membre de l’équipe de production « Holland-Dozier-Holland » avec les deux frangins Holland (Edward Jr. « Eddie » et Brian), il a forgé le son de l’âge d’or de la Motown dans les années 60. Des compositions telles que « Stop! In The Name of Love », « Baby Love », « Reach Out (I’ll Be There) », ou encore « How Sweet It Is to Be Loved By You » demeurent des monuments de la musique américaine, et sont sorties de l’imagination fertile de l’équipe H-D-H.

En 1967, le trio s’échappe de la Motown, contre l’accord de Berry Gordy, boss de la Motown, furieux. Les trois hommes fonderont alors deux labels : Hot Wax, maison des Honey Cone, et Invictus, qui accueillera la diva Freda Payne et un groupe de funk un peu barré, Parliament. Le mythique groupe y signera leur premier album, Osmium, seule livraison pour ce label.

Mais être un dénicheur de talent perspicace ne suffisait pas à Dozier. Il quitta ses potes au milieu des années 70 pour une carrière solo chez ABC. Mélodieux et soignés, ses projets n’ont pourtant pas marqué le Billboard, mis à part son plus gros hit « Trying To Hold On to My Woman » en 1973 (ressuscité en 2008 par Just Blaze pour le « The Light ’08 » de Common), et le disco « Going Back to My Roots » en 1977.

Parmi la dizaine d’œuvres de sa discographie, son second album, Black Bach, sorti en 1974, est remarquable. Les ballades soul soyeuses de cet album, parfois chantées, parfois simplement instrumentales, sont une démonstration du talent de chef d’orchestre de Dozier, accompagné de nombreux musiciens qui ont participé au Let’s Get It On de Marvin Gaye. De nombreux beatmakers y ont déniché des boucles pour composer leurs productions.


Lamont Dozier « Shine »

Chanson puissante, épique et à l’optimisme communicatif, « Shine » est l’ouverture parfaite de Black Bach. La montée crescendo de la première minute est saisissante, avec son piano cristallin, ses envolées de cordes quasi-moriconiennes et sa guitare déchirante. Reprise de nombreuses fois, des backpackeurs allemands de Snowgoons à l’orfèvre de Memphis DJ Paul pour Chrome, c’est probablement Carlos « 6 July » Broady qui en a saisi toute l’urgence sur l’intense et court « Saturday Nite » de Ghostface, tiré de son Supreme Clientele. Les inconnus Zurc & Nel ont quand à eux choisi de reprendre l’enthousiasme du refrain de Dozier pour l’entrainant « Shine » (ça ne s’invente pas) de Ransom, rappeur sous-estimé du NewJersey, anciennement proche de Joe Budden.

Ghostface Killah - « Saturday Nite »

Ransom - « Shine »


Lamont Dozier « Put Out My Fire »

Il y a des introductions de morceau qui défoncent, qui donnent irrémédiablement envie qu’on les écoute en boucle. Prenez celle de « Put Out My Fire », deuxième titre de l’album de Dozier. Une courte ligne de basse, un petit accord de guitare, quelques grosses caisses, des roulements de conga : une entrée en matière hypnotique. Emile ne s’y est pas trompé : appuyé par une nappe de synthé planante, l’instru du « Introspective » de Cormega recycle avec finesse la boucle de Dozier, et crée une ambiance effectivement méditative. Tout l’opposé de Just Blaze, qui, la même année, a joué sur la chaleur de la basse et des cuivres pour enflammer le remix du « Burnin’ Up » de Faith Evans.

Cormega - « Instrospective »

Faith Evans - « Just Burnin’ (Burnin’ Up Remix) » feat. Freeway & P.Diddy


Lamont Dozier « Let Me Start Tonite »

Lamont Dozier et Large Professor ont un point commun : tous deux ont connu la gloire en composant pour les autres, mais jamais seuls. La guigne a frappé d’autant plus fort sur le destin du beatmaker qu’il n’a jamais pu sortir son album solo chez Geffen, alors qu’il était auréolé du succès de sa collaboration avec Nas. Au détour des deux volumes de sa série Beatz, il y a fort à parier que l’on croise des instrumentaux en forme d’actes manqués, qui auraient pu bénéficier à de nombreuses fines plumes de l’âge d’or new yorkais. Qu’importe : des beats comme « Out All Night », reprenant une boucle de la ballade country « Let Me Start Tonite » de Dozier, nous font toujours profiter de son talent.

Large Professor - « Out All Night »


Lamont Dozier « Prelude / Rose »

« Rose » (et son « Prelude » indissociable) ont déjà été échantillonnés moult fois. Si Kanye West y a déniché les voix spectrales du « More or Less » de Shyne, « Rose » est surtout connu pour son sampling par Organized Noize pour le feutré « Jazzy Belle » d’OutKast. Mais c’est au sein d’un morceau plus méconnu que se niche un travail d‘orfèvre sur un échantillon de cette composition de Dozier. Jake One a fait preuve d’une excellente oreille en allant dénicher une boucle peu évidente pour le « God Like » du rappeur de Seattle D.Black, extrait du très bon White Van Music de Jake.

OutKast - « Jazzy Belle »

Jake One - « God Like » feat. D.Black


Lamont Dozier « Blue Sky And Silver Bird »

Les revoilà. Après le beat battle entre Just Blaze et Bink!, on pourrait tout aussi bien en organiser un entre Justin Smith et Emile Haynie. Tous deux ont été pioché une boucle dans la conclusion de Black Bach. « Blue Sky And Silver Bird » est un morceau purement instrumental d’une rare intensité émotionnelle. Une batterie mid-tempo pesante, un piano déchirant et des envolées de violon mélancoliques donnent des frissons tout au long de ces minutes. Une intensité capturée de manière différente par Blaze et Emile. Le blanc-bec de Buffalo a repris la boucle telle quelle, en y ajoutant quelques notes d’accordéon étranges, pour le désespéré « Kurt Kobain » de Proof. Le nerd du New Jersey, lui, l’a recomposé pour le « Living In Pain » de Biggie, 2Pac, Nas et Mary J. Blige, la complétant de quelques notes de piano et de cordes pour renforcer l’intensité dramatique du morceau. La méthode est différente, mais le résultat est aussi poignant. Il l’est d’autant plus pour le titre de Proof que son père, McKinley Jackson, fut le producteur et l’arrangeur de l’album de Lamont Dozier. C’est ce qui s’appelle boucler une boucle.

Proof - « Kurt Kobain »

The Notorious B.I.G. - « Living In Pain » feat. Mary J. Blige, 2Pac, Nas

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4 commentaires

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  • Blondin,

    Bête d’article. Du très bon taff. Merci.

  • Nicobbl,

    Congrats Raph’, bête d’article !

  • Kara,

    oups.. jaurai du fermer ma gueule pour Shyne.

  • Kara,

    Bon article ca…
    Le probleme de Dozier, ca a toujours ete sa voix…producteur de genie, mais voix melo pas terrible.

    Pour Rose/Prelude, y’avait surtout More or Less de Shyne, prod de Kanye :

    http://www.youtube.com/watch?v=EjLFI69RIRs