Keroué, langage des signes
Un bouillonnement intérieur : c’est la sensation que donne la musique de Kéroué depuis son envol en solo il y a trois années maintenant. Si les plus assidus de la nouvelle scène parisienne du rap des années 2010 ont pu constater pendant une décennie ses qualités d’écriture et de placement au sein du groupe Fixpen Sill, les moments d’introspections qu’il parsemait ici et là dans ses couplets étaient souvent ceux qui sonnaient le plus juste. Une qualité pour sonder ses propres émotions que le Breton a fini par pleinement exploiter en se lançant en solo en 2022, au travers de trois EPs (Eckmül, CANDELA, SCOPE) dans lesquels il conviait à la fois l’exigence de l’écriture et les moments d’émotions, notamment lorsqu’il s’observait longuement dans le miroir.
Au début de l’été, Kéroué donnait une suite à ses questionnements en dévoilant “Signes”. Un nouveau morceau qui, le temps de trois minutes particulièrement pensives, mettait bien en avant les qualités de la musique du rappeur. Pensé comme un titre de réflexions douces-amères de fin de journée (le clip, tourné dans le désert des Bardenas, appuie bien sur cette idée) “Signes” voit ainsi le Breton regarder en arrière, exposer ses doutes et ses craintes, tout en appuyant sur sa détermination à suivre son propre chemin. Le temps de deux longs couplets envoyés sur une production drumless nostalgique signée Vidji et Heskis, Kéroué sonde ainsi ce qui l’anime de l’intérieur après quinze années passées à tout donner pour vivre de sa passion (« Belek à pas péter les plombs, toutes ces années commencent à laisser des traces / Cartouche d’oxygène pour l’sommet si j’arrive à épuisement / Dans l’commando sur la pointe des pieds pour éviter les bruits d’branches / J’y crois pas, mon taf c’est d’aligner des syllabes ») pour mieux faire le bilan.
Un moment d’auto-réflexion plein de vulnérabilité – avec une pointe d’arrogance, on ne se refait pas – qui n’oublie pourtant pas de toujours regarder dans une direction : celle de l’optimisme. Si la musique de Kéroué a pris des teintes plus mélancoliques depuis son envol en solo, le rappeur ne se morfond jamais dans ses zones d’ombres, et semble même bien décidé à les mettre autant que possible de côté, tout en reconnaissant leur existence (“J’crois qu’j’me rapproche de la sagesse, fini d’gratter comme un produit abrasif / Trop d’choses à faire dans la minute, ma vie rêvée je veux pas qu’on la prenne / La flemme ça agit comme un virus, et la plénitude j’connais pas son adresse”). En exposant ses propres interrogations tout en gardant un œil sur la lumière au bout du tunnel, Kéroué livre finalement avec “Signes” un morceau autant touchant que réconfortant. Une déclaration de guerre envers ses propres inquiétudes, qui, sans avoir besoin d’être hostile dans sa forme, raconte autre chose dans le fond : un message d’espoir qui ne rejette pas non plus la mélancolie. Comme une forme de spleen tournée vers l’avenir.