Surprise, dans son monde
Interview

Surprise, dans son monde

Entre rap et pop, la rappeuse et chanteuse Surprise livre depuis deux ans ce qui l’anime, sans jamais choisir entre les genres. Rencontre avec une artiste qui a décidé de créer son propre monde.

Photographies : Eliott De Sousa pour l’Abcdr du Son

Depuis ses premiers essais sur SoundCloud, Surprise semble être animée d’une envie : faire sa propre musique, avec ses propres codes, et ses propres règles. Un leitmotiv qui fait tout le sel de ses morceaux à mi-chemin entre rap, pop, et chanson, sans jamais trancher entre les genres. Elevée au sein d’une famille de musiciens en banlieue parisienne, la jeune femme de 21 ans a très tôt su qu’elle allait faire une musique qui serait sienne. Un credo particulièrement remarqué en 2024 avec Le plus beau des monstres : 12 titres où elle rappait et chantait ses sentiments contrariés, dans des teintes musicales influencées par le DIY de musiciens comme Tyler The Creator et Varnish La Piscine ou les émotions pop d’une Kali Uchis (une autre de ses inspirations) jusqu’à remplir la Boule Noire à Paris.

Surprise fait ce qu’elle veut, comme elle veut, et c’est sans doute le charme de sa musique. Si il est impossible de réellement la classer dans le rap ou la pop, elle montre sur sa nouvelle mixtape SI Y’A UN MONDE qu’elle peut autant poser des couplets acérés (« CAUCHEMAR », « JACK & SALLY ») que chanter l’amour sur un titre avec des guitares rock (« + RIEN À VOIR ») sans jamais perdre en personnalité. Pour l’Abcdr du Son, la chanteuse et rappeuse a donc pris le temps de raconter son parcours, sa musique, et sa quête de singularité. Un entretien long qui, au fur et à mesure de la lecture, montre bien que la musique de Surprise n’appartient qu’à elle et à personne d’autre. Comme une plongée dans son monde.


Abcdr du Son : J’ai vu que tu avais grandi dans une famille de musiciens. Tu as écouté de la musique depuis toute petite ?

Surprise : Oui, carrément, j’ai commencé très jeune. Mon père était musicien, c’était son métier, il avait un groupe, et ma mère chantait dedans par passion. Donc j’ai écouté plein de musiques différentes. Ma mère m’a même fait faire un peu de solfège et de piano quand j’étais petite, mais j’ai arrêté assez vite. Ce n’était pas assez fun pour moi [rires]. Mais on écoutait de tout à la maison. 

A : Tu te souviens quels artistes vous écoutiez ?

S : Mon père était très electro, French Touch, donc Daft Punk, ce genre d’influences. Il y avait aussi de la bossa nova, des genres super variés, mais avec toujours une touche un peu novatrice. Ma mère, elle, c’était plus chanson français. Elle adorait Doc Gyneco donc elle nous le faisait écouter avec ma sœur quand on était petites. Moi j’aimais trop. 

A : Donc tu as appris à faire du piano avec ta mère ?

S : Elle m’a appris au début mais j’ai vite arrêté. Par contre, depuis toute petite je voulais être chanteuse. J’écrivais des chansons, je savais déjà ce que je voulais faire. 

A : Tu te souviens des premiers artistes que tu as aimés toi ?

S : Quand j’étais petite j’adorais Ariana Grande. J’étais à fond dans le délire popstar. Et après je me suis vraiment tournée vers le rap : toute la vibe de l’époque Nekfeu / Alpha Wann / Jazzy Bazz / 1995, j’étais à fond dedans. Ma grande sœur m’a fait découvrir pas mal de choses, je pense aussi à Hugo TSR. Et c’est aussi au même moment que je me suis motivée à faire de la musique. Au collège, je me suis remise au piano, j’ai essayé de faire un peu de guitare, du ukulélé… et j’ai écrit des chansons de manière plus sérieuse. Comme j’écoutais beaucoup de rap, ça m’a poussé à écrire. De base, j’ai toujours écrit des histoires, sur des pages et des pages. Et à un moment j’ai commencé à tout rassembler pour mélanger l’écriture et la musique. 

« Dès que j’ai eu mon premier ordinateur, j’ai ouvert GarageBand et j’ai commencé à faire des instrus. J’avais un micro de scène que m’avait passé mon père, et j’ai commencé à m’enregistrer.  »

A : Tu te souviens du premier morceau que tu as composé ?

S : Oui je l’avais même sorti sur SoundCloud à l’époque. C’était un son où je parlais d’insomnie. C’était assez rap dans la manière d’écrire et dans la progression du morceau. Et j’avais fait la prod’ aussi. C’était assez planant, doux, un peu bossa. Et c’est marrant parce que j’ai toujours cette touche aujourd’hui. Je pense par exemple au morceau « Si y’a un monde » de mon dernier projet, je voulais absolument la mettre en intro. J’ai fait la prod avec Ameen Beats, j’ai fait la mélo principale et lui tout le reste, et cette mélo-là, cette touche un peu féérique, elle était déjà dans mes premiers morceaux. Je trouve que ce morceau me ressemble vraiment dans ce que je fais en général.

A : Pourquoi est-ce que tu as commencé par rapper plutôt que chanter dans tes morceaux ? Ou alors ce n’était pas un choix conscient ?

S : Franchement, j’ai toujours fait les deux j’ai l’impression. De base je voulais être chanteuse mais c’est aussi parce que je n’avais aucun exemple de rappeuse à qui m’identifier. Je regardais tous les Planète Rap, tous les Rap Contenders de l’époque, et comme je ne voyais aucune meuf dedans, je me disais que ce n’était pas pour moi, que ce n’était pas possible. Donc je m’en inspirais en écrivant des longs textes inspirés du rap que j’écoutais mais que je ne pouvais pas chanter. Et au bout d’un moment je me suis dit : « Je m’en fous si il y a un peu de rap dans mes morceaux ». Mais c’est plus en pratiquant que je me suis rendue compte qu’il y avait cette touche-là dans ma musique, à la base je ne me suis pas du tout posée la question. C’est venu naturellement. 

A : Souvent, les gens qui se lancent dans le rap sont entourés, en collectif. De ton côté, tu as l’air d’avoir commencé seule. 

S : Oui totalement. J’étais au lycée, je faisais mes trucs dans ma chambre et je les postais sur SoundCloud. Ça sonnait d’ailleurs plus chanson que rap pur à ce moment-là. Et j’ai ensuite rencontré un collectif qui s’appelle Entre4Murs. Ils étaient dans un délire très digital, presque un peu hyperpop, avec une envie de casser les codes, et j’ai trop aimé leur manière de faire de la musique. Ils arrivaient direct au micro, sans écrire, et ça m’a un peu plus ancrée dans cette vibe-là. Je pense qu’ils m’ont fait mettre un pied de plus dans le rap.

A : Tu peux un peu plus présenter ce collectif ? 

S : C’est un collectif très large avec des gens qui font de la musique, de la vidéo, des clips. Je suis rentrée dedans via une amie qui s’appelle Recy, qui fait de la musique et qui est tombée sur mes sons sur SoundCloud. Elle m’a proposé de faire un clip avec eux, et c’est comme ça que j’ai rencontré Brundours, qui est aujourd’hui mon manager et beatmaker. C’était la première fois que je travaillais avec d’autres gens dans la musique, et c’était hyper enrichissant de mélanger nos styles. Je pense que ça m’a vraiment ouverte à un autre monde. 

A : Tu parlais de SoundCloud. J’ai l’impression que ça a été un premier espace pour expérimenter, sans pression, pour toi.

S : Oui, carrément. Quand j’étais active sur la plateforme, j’écoutais beaucoup Lil Peep et ce genre de rappeurs. Et ils sortaient tout, même des morceaux pas finis. C’était vraiment dans l’esprit « On s’en fout on balance ». Et les gens adoraient ça. Du coup je ne me sentais pas jugée, c’était une super plateforme pour expérimenter, tester tous les styles possibles. Ça m’a beaucoup aidée pour savoir ce que je voulais faire et ce que j’aimais vraiment, trouver un son qui me ressemble.

A : Et qu’est-ce que tu voulais faire, justement ?

S : Je suis très perfectionniste et je n’avais pas envie d’avoir une musique qui donne une impression de pas finie. Je voulais faire quelque chose de clean, travaillé. Et je voulais quelque chose qui sonne nouveau mais avec des codes plus anciens dans les prods, à la fois doux mais qui peut aussi envoyer. En vrai, je voulais faire quelque chose de très hybride entre plein de styles différents. Je trouve que j’y suis pas mal arrivée.

A : J’ai vu que tu avais parlé de Tyler The Creator et Varnish La Piscine dans tes influences. L’idée, c’est d’avoir un son identifiable musicalement et visuellement ?

S : Oui complètement. Tyler, c’est un exemple parfait. Tu ne peux pas vraiment décrire  sa musique autrement qu’en disant : “C’est du Tyler”. C’est à la fois pop, planant, parfois super agressif dans les flows, il y a du rap, du chant, tout. Pareil pour Varnish, il a une musique hyper personnelle qui le définit complètement. J’adore ces artistes qui sont compliqués à définir mais qui ont réussi à le faire à travers leur personnalité et leur musique.

« Aujourd’hui parfois, dans l’industrie, on essaie encore de me faire rentrer dans un modèle existant. Mais moi, j’ai toujours été entre deux univers. »

A : En 2023, tu sors ton premier morceau officiel sur les plateformes, « Angèle et Pomme ». Qu’est-ce qui fait que tu te décides à le sortir en dehors de SoundCloud ?

S : Franchement, c’est venu un peu sur un coup de tête. J’avais fait ce morceau au lycée, on avait tourné un petit clip, et un jour, je l’ai réécouté, je me suis dit : « Allez, viens on le sort. Il est cool en vrai. » Et voilà, on l’a balancé, un peu comme ça. Au final, on a eu des super retours, donc c’était cool. 

A : Quand le morceau sort, il se passe direct quelque chose autour de toi ?

S : Oui j’ai eu l’impression, on a eu de bons retours tout de suite. J’étais contente qu’un morceau aussi spontané touche les gens. Surtout par rapport au propos : j’avais envie de dire aux gens d’arrêter de nous comparer entre meufs dans la musique, je trouvais ça relou qu’on ne me mette pas en face des artistes mecs qui m’inspiraient. On me disait toujours que je voulais faire du Angèle ou du Pomme quand je disais que je faisais de la musique, et j’avais fait ce morceau en mode ras-le-bol.

A : Ce sentiment-là, il était encore plus accentué parce que tu te sentais plus proche de la scène rap que pop à ce moment-là ?

S : Un peu, oui. Mais je pense que c’était surtout une frustration d’être casée trop vite, sans qu’on prenne le temps d’écouter ce que je faisais. Et même aujourd’hui, parfois, dans l’industrie, on essaie encore de me faire rentrer dans un modèle existant. Genre Angèle, Pomme, ou maintenant Théodora. Ils veulent te mettre dans une case claire. Mais moi, j’ai toujours été entre deux univers. Du coup c’est compliqué. 

A : Sur « Angèle et Pomme », tu rappes à 100% sur tout le morceau. Comment est-ce que tu as appris au niveau des flows, de l’écriture ? 

S : Franchement, au début, c’était hyper naturel. On faisait des freestyles en soirée avec mes potes, et je me rendais compte que j’avais toujours de l’inspiration pour y aller. J’étais assez insolente aussi [rires]. Donc ça matchait bien avec le rap. Et j’ai fait plein de sons à cette époque où ce n’était que du texte, du rap pur. Mais je pense que c’est vraiment avec la scène, ces deux dernières années, que j’ai le plus appris à rapper. Parce que rapper en studio et rapper en live, ce n’est pas pareil du tout. Tu dois poser ta voix différemment, gérer ton souffle, ton énergie…

A : Après ce morceau, tu sors ton premier EP L’INVERSE. C’était une suite logique ?

S : C’est venu juste après, dans la chronologie, mais je travaillais déjà à la base sur celui d’après, Le plus beau des monstres. Je mettais du temps à le préparer, et j’ai fini par me dire : « Ça prend trop de temps, ça me saoule. Je viens de faire 3-4 titres, venez on en fait un projet ». Au final j’en suis super contente. J’aime bien le propos dessus et je trouve qu’avec peu de morceaux, j’ai réussi à poser plein d’ambiances différentes qui me correspondaient. Donc j’étais fière. Et les gens ont bien kiffé.

A : Sur cet EP, j’ai trouvé que tu parlais beaucoup de la pression qu’il peut y avoir quand on est une artiste femme dans la musique. 

S : Carrément. C’est un thème qu’on retrouve souvent dans ce que je fais, cette parole un peu féministe et ces remises en question de « Pourquoi c’est comme ça ? Pourquoi pas autrement ? ». Mais à cette période-là, c’était encore plus fort, parce que je n’étais personne et on ne me connaissait pas. À chaque fois que je rencontrais des gens dans la musique ou dans l’industrie, je devais me vendre, me présenter, me justifier. Et je prenais beaucoup de jugements. C’était compliqué de trouver ma place, parce que si je disais que je faisais du rap, les gens allaient me dire que ça n’en était pas. Si je disais que je faisais de la chanson ou de la pop on allait me dire que ce n’était pas ça non plus, ou alors que j’étais la nouvelle Angèle. Alors qu’au final j’essaye plutôt d’être entre les deux.

A : Un an après, tu sors Le plus beau des monstres. La qualité de ce projet, c’est qu’il a une cohérence du début à la fin. Le thème de l’amour toxique est en fil rouge dessus non ?

S : En fait, j’aime beaucoup les contrastes, que ce soit dans la musique ou dans l’image. J’adore quand tu as quelque chose de très lumineux, ou un personnage super mignon, très doux, placé dans un décor sombre. Ou l’inverse. Je trouve ça trop intéressant à explorer. Dans les chansons d’amour, c’est pareil. Jouer avec ce contraste entre quelque chose de très beau, très intense, et en même temps une forme de tension, de doute, de toxicité… mais pas forcément dans le sens « toxique » lourd, plutôt dans le « oui/non », l’ambigu. J’aime trop jouer avec ça et je pense que ça se ressent pas mal dans ce projet. 

A : Est-ce tu as cherché à avoir une couleur musicale globale dessus ? J’ai senti un lien entre le premier et le dernier morceau, une teinte un peu « home-made » : des instruments, mais aussi du rap.

S : Oui carrément. Il y a ce côté un peu planant, avec des vrais instruments, une ambiance posée. C’est ce qui lie tout le projet je pense. Et on l’a aussi beaucoup bossé en termes d’arrangement. On a tout retapé avec Brundours pour que chaque morceau ait du sens dans l’ensemble. 

A : Il y a un morceau que j’ai beaucoup aimé, c’est « ??? (Sdsdjs) ». Est-ce que tu peux raconter comment tu l’as fait ?

S : Ce morceau c’est très simple, j’étais en soirée, j’étais bourrée et je m’embrouillais avec mon ex. Je suis rentrée chez moi et je me suis mise à le faire en mode freestyle en une heure. J’ai enregistré plein de prises en disant un peu n’importe quoi, et j’ai gardé les petits bouts qui marchaient bien ensemble. Ça a donné ce marmonnement répétitif. Le lendemain j’ai réécouté et je me suis dit « Mais qu’est-ce que j’ai fait ? c’est n’importe quoi » [rires]. Sauf qu’après, en le faisant écouter autour de moi, tout le monde kiffait. Même mon ex rigolait en l’écoutant. Du coup je l’ai gardé, et c’est devenu un des morceaux préférés du projet. Les gens s’identifiaient vraiment à ce qui est raconté. 

A : Il y a un autre morceau que je trouve marquant sur Le plus beau des monstres, c’est « Pas différente ». Tu parles de solidarité féminine dessus.

S : C’était le propos oui. Que ça soit dans la vie ou même dans la musique, c’est trop devenu courant de dire aux meufs « T’es pas comme les autres filles ». Et on est tellement conditionnées à ça qu’on le prend presque comme un compliment. Dans les films notamment, il y a toujours cette mécanique là, qui est horrible en fait, et qui nous sépare. Et dans la musique et dans le rap particulièrement, on a le réflexe de dire « Moi je suis pas comme ces autres rappeuses, je suis pas comme elles ». Et ce son il appelle justement à être fière d’être une femme et de faire partie des autres, d’être comme les autres.

« Si j’ai la haine dans un egotrip, ça finit souvent par être un peu féministe. »

A : C’est vrai que dans le rap, on a parfois ce réflexe bizarre de mettre les rappeuses dans une catégorie séparée des rappeurs, et de les comparer entre elles.

S : Complètement, et même moi en commençant, j’avais grave ce réflexe. Parce qu’on n’est pas beaucoup en fait. Et en grandissant un peu, je me suis rendue compte que ce n’est pas une bonne chose. 

J’en ai beaucoup parlé avec Mandyspie qui est une super pote, et elle me disait qu’elle avait elle aussi eu ce réflexe de se comparer et de se mettre en compétition, alors qu’en fait il faut qu’on se soutienne. Aujourd’hui j’ai l’impression que ça évolue quand même plus, vu qu’on est un peu plus de meufs, il y a plus de solidarité. Donc sur ce morceau, à la base je faisais juste quelque chose d’un peu simple, ego-trip. Et ça m’est venu assez facilement. Si j’ai la haine dans un egotrip, souvent ça finit par être un peu féministe. [sourire]

A : Il y a eu un bon bouche à oreille et tu as fini par remplir la Boule Noire avec Le plus beau des monstres. Est-ce que tu dirais qu’il y a eu un avant / après avec cette sortie ?

S : Oui, je crois. Les gens m’ont un peu plus cernée, compris ce que je voulais faire. Moi je me suis sentie plus à l’aise. Et puis ça s’est vu sur les streams aussi, ça a plus tourné. Mais au-delà des chiffres, ce qui m’a touchée c’est que je voyais qu’il y avait des gens qui restaient, qui écoutaient plusieurs fois, qui suivaient vraiment. C’est eux qui étaient là à la Boule Noire. Et ça, ça m’a trop motivée. Je me suis dit : « Ok, c’est pas juste un petit buzz passager. C’est des gens que ça touche vraiment. »

A : Aujourd’hui tu sors SI Y’A UN MONDE. Qu’est-ce que tu avais envie de faire avec cette nouvelle mixtape ?

S : Après Le plus beau des monstres, j’ai fait beaucoup, beaucoup de sons. J’essayais de trouver une manière de poser ma voix qui me ressemble plus, une manière de faire la musique qui me correspondait mieux. À la base, je voulais faire un petit EP de 3-4 titres mais j’ai fini par faire plein de morceaux que j’aimais et je me suis dit : « Vas-y, je vais faire un projet plus gros, au moins je dirai tout ce que j’ai à dire ». C’est pour ça que je dis que c’est plus une mixtape qu’un album : je ne l’ai pas construit avec une intro, un propos développé, etc. Même si au final, ça s’organise quand même un peu comme ça. Mais oui, je l’ai fait en testant des choses à chaque fois. Et j’ai l’impression de me rapprocher de la musique que j’ai envie d’écouter. La manière dont je pose ma voix, ce que je raconte, c’est plus moi et ça me correspond plus je crois.

A : Tu as nommé cette mixtape SI Y’A UN MONDE. À quoi est-ce que ça correspond, cette idée de monde ?

S : Pour moi, c’était le titre parfait pour représenter tout le projet. Déjà, parce qu’il y a ce côté un peu fantaisiste qui colle bien à mes univers, même aux projets précédents, et aussi à la cover. Et puis, c’était une sorte de question un peu ouverte : « S’il y a un monde où je fais de la musique… S’il y a un monde où je continue ça… ». C’est un peu une question, mais avec une lueur d’espoir. En en même temps c’est très vague et très libre dans les interprétations. Et vu que je voulais faire une pochette très aquatique, avec des poissons, je trouvais que l’idée de mondes, ça marchait bien dans le côté fantaisiste. 

A : Tu parlais tout à l’heure de lueur d’espoir. J’ai trouvé cette mixtape un peu plus lumineuse, presque optimiste par moments.

S : C’est possible oui. Je prends un peu de recul sur ce projet, je dédramatise aussi certaines choses, en me disant « C’est pas grave, c’est juste la vie ». Et c’est vrai que j’ai rajouté des morceaux comme « FRENCH TOUCH » ou « DISTANT » qui sont des morceaux un peu plus solaires. Je n’ai pas forcément l’habitude de faire ça, mais ça rajoute une touche positive à la mixtape que je trouve très cool. Même dans l’écriture, ça reste un peu triste, mais ça ne l’est pas à proprement parler pour moi. C’est plus de la nonchalance, cette idée d’avoir du recul dans ce que je raconte. 

A : Musicalement, j’ai trouvé que les morceaux rap étaient plus rap, et les morceaux pop, plus pop. 

S : J’aime bien qu’il y ait une différence plus marquée, même si il y a plein de morceaux qui sont entre les deux. Mais ça revient à ce que je disais tout à l’heure : j’étais un peu frustrée parce que si j’étais un mec et que je faisais la musique que je fais, je pense qu’on dirait que je suis un rappeur. Il y a plein de rappeurs qui font de la pop et chantent, je pense  par exemple à Josman ou des artistes dans la même veine, et ce n’est pas du tout étrange pour les gens de considérer que ce sont des rappeurs. C’est pour ça que je m’en fiche quand on dit que je suis une rappeuse, ou une chanteuse. Mais j’avais envie de montrer que je sais rapper dans ce projet. C’est pour ça que j’ai fait « CAUCHEMAR ». Je me suis dit « Bon allez, ça y’est ». [rires]

A : Musicalement, est-ce que tu t’es un peu poussée à aller vers de nouveaux styles ? Par exemple l’électro sur « FRENCH TOUCH » ou le rock sur « + RIEN A VOIR ».

S : C’est toujours dans mon ADN d’aller explorer plein de styles. C’est juste que ces dernières années, je m’étais concentrée sur un truc plus précis. Mais le son avec Mandyspie, par exemple, s’est fait super naturellement. On était ensemble en studio, je l’ai enregistré sur le moment, j’étais trop contente de faire un truc comme ça. En fait, je fais plein de sons différents, c’est juste que je ne les sors pas toujours. Mais c’est vrai que le morceau un peu rock, c’était une surprise pour moi aussi. D’habitude, je ne vais pas forcément vers ces prods-là. Mais celle-là, elle m’a parlé direct. Et je suis allée dedans sans réfléchir. Je pense que c’est ça aussi, le truc : continuer à innover.

« Pour la suite, j’ai envie de moins bosser toute seule. J’aimerais aller à la rencontre de plein de gens, varier les collaborations, pousser le truc plus loin musicalement »

A : L’autre chose intéressante sur SI Y’A UN MONDE et ta musique en général, c’est que tu as l’air de travailler avec des producteurs plutôt rap, pour faire des choses plus pop avec.

S : Je trouve que les beatmakers rap ont souvent une vraie sensibilité musicale. Ils comprennent les harmonies, les textures. À part quelques-uns qui sont vraiment spécialisés dans une vibe précise, la plupart savent tout faire. Par exemple, avec Ameen Beats [producteur pour TH, Advm, Ziak, ndlr] je m’attendais à un certain type de prod quand je suis allée le voir. Et ce qu’il a préféré faire avec moi, c’est justement des sons beaucoup plus doux, dans mon univers. Il a vraiment excellé là-dedans. Souvent, on ne leur propose pas d’aller dans ces directions-là, alors qu’ils en ont les capacités. Ils ne sont juste pas sollicités pour ça. Mais c’est vrai que je bosse très peu avec des beatmakers « pop ». Ce n’est pas parce que je n’aime pas ce style, j’écoute de tout, mais dans le monde de la musique, je ne me sens pas trop connectée à celui de la pop. 

A : Pourquoi ?

S : Je pense que je rencontre peu de gens de ce milieu. Et quand ça arrive, ce sont rarement des gens avec qui je me connecte vraiment. Il y a une autre manière de concevoir la musique. Je ne veux pas tomber dans les clichés, mais souvent dans la pop, tout est très « travaillé », très structuré. Il y a ce truc de perfection, un peu solfège, parfois conservatoire. Même chez les interprètes. Moi, je n’ai pas eu de groupe, j’ai fait tout ça dans mon coin. J’ai une approche très spontanée. Même si je faisais uniquement de la pop, je pense que je me sentirais plus chez moi dans le monde du rap. Dans la manière d’écrire, de poser, d’enregistrer.

A : C’est le côté plus brut, direct qui te parle ?

S : Oui, tout est dans la musique au niveau de l’écriture, tu peux vraiment dire « Tout est dit dans le morceau, en fait. » Alors que dans la pop, c’est souvent plus poétique, plus universel, avec des phrases très ouvertes, pour que tout le monde puisse s’y identifier. Même quand je fais de la pop, je garde une écriture qui vient du rap avec une narration, quelque chose de très personnel. C’est ma manière de faire. 

A : Tu fais de la musique en tant que Surprise depuis deux officiellement maintenant et tu parles souvent du fait d’innover dans ce que tu fais. Qu’est-ce que tu as envie d’explorer musicalement maintenant ?

S : À chaque projet, j’ai l’impression de passer un step. À chaque fois, j’avance, je gagne en maturité, en qualité aussi. Là, je viens tout juste de terminer le projet, donc il est encore très frais dans ma tête. Mais ce que je sais, c’est que pour la suite, j’ai envie de moins bosser toute seule. J’ai envie de construire les morceaux directement avec des beatmakers, en studio, en résidence… J’aimerais aller à la rencontre de plein de gens, varier les collaborations, pousser le truc plus loin musicalement. J’ai envie d’ouvrir un peu le processus, travailler différemment. Je ne sais pas encore exactement à quoi ça va ressembler, mais je suis sûre qu’il y aura un nouveau cap, de nouvelles choses à découvrir.

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