Chronique

Booba
Lunatic

Tallac - 2010

« Tout ça pour dire… Pas grand-chose. Mais dis-toi que j’m’en bats les reins. » (« Kojak »)

Au début, ce n’est qu’une impression diffuse ; une sensation qui revient piquer l’oreille de temps en temps mais est rapidement éclipsée par le son rutilant de Lunatic. Une écoute attentive des quatre précédents albums de Booba permet pourtant de la confirmer : oui, jamais l’écriture du MC n’a semblé aussi inégale que sur ce cinquième solo. Pauvreté de certaines rimes, pauvreté de certains enchaînements, pauvreté de certains refrains. Même style de punchlines egotrip depuis 0.9. Pire : à plusieurs reprises, le rappeur du Pont de Sèvres paraît être en panne d’inspiration et tirer désespérément sur la corde pour remplir ses mesures – la fin de « Comme une étoile », son deuxième couplet sur « 45 Scientific », les dernières rimes des couplets de « Fast Life »…

Pourtant, jamais un disque de Booba n’a dégagé une telle impression de puissance et de facilité. Plus diversifié que 0.9 dans ses thématiques (« Killer », « Lunatic », « Ma Couleur ») et sa forme (exercice de style sur « Jimmy Deux Fois », chant autotuné sur « Comme une étoile »), Lunatic reste néanmoins, comme son prédécesseur, l’album d’un boxeur triomphant revenu sur le ring pour défendre son titre. L’objectif premier : pilonner la concurrence ; pas seulement la vaincre, non, mais bien la tabasser, la ridiculiser et l’humilier. Cela se ressent dans les textes – macédoine de blagues, d’auto-célébration, de gimmicks, de pensées diverses, de souvenirs, de références à la rue, de menaces et d’introspection –, bien sûr, mais aussi dans les productions. Au diapason du propos de Booba, les instrus laissent peu de place à la finesse et aux tergiversations. Grosses basses, gros synthés tempérés par quelques touches plus cristallines, rythmiques lourdes… À la fois sombre et grandiloquente, l’atmosphère de Lunatic reflète parfaitement la noirceur et l’arrogance du rappeur-entrepreneur.

Plus que tout autre, Booba a intégré qu’il était un artiste mais aussi une marque. Et que comme toute marque, son but était de perdurer, de ne pas devenir has-been, de rester tendance. Un œil sur la concurrence, l’autre sur le rap américain, Lunatic montre une fois de plus que, loin d’être figé ou nostalgique d’une certaine idée du rap, Booba est depuis toujours en perpétuel mouvement. L’époque n’est pas aux textes denses et au lyricisme mais aux contenus assimilables rapidement ? Le rap U.S. évolue dans telle direction, avec tels types de flows, sur tels types de beats ? Il écoute, travaille et s’adapte. Mieux que la plupart puisqu’il est plus talentueux. Avec réussite et efficacité puisque pour lui le rap est certes une passion mais également un business et que son souhait, depuis ses débuts, a toujours été d’accumuler le plus de fric possible. Jusqu’à ce que les rêves deviennent réalité. Et que d’autres les remplacent. Quitte à choquer, dans un pays plus adepte de l’humilité hypocrite que du luxe ostentatoire.

C’est que Booba, depuis les succès de Ouest Side et de sa ligne de vêtements Ünkut, a changé de statut. Cas unique dans le rap français, le MC devenu nouveau riche est le premier à avoir pleinement assumé ce changement dans ses textes. Sans chercher à minimiser cette nouvelle donne, mais au contraire en la mettant ouvertement en avant, en l’exagérant, en s’érigeant lui-même en modèle de réussite pour ses auditeurs. A partir de 0.9, la plume a été mise au service de ce personnage. Et malgré quelques détours introspectifs ou thématiques nuançant l’ensemble, elle le reste sur Lunatic. Elle dessine un Booba six-XL et quasi-cartoonesque – corps sculpté à la fonte et aux protéines, sexuellement surpuissant, nageant à Miami dans des piscines de billets violets avec des putes « à gros culs » – et jamais rassasié, songeant, comme à ses débuts, à gagner toujours plus en en faisant le moins possible. Sa musique, du coup, prend à son tour une tout autre dimension, devenant non pas simplement celle d’un nouveau-riche-qui-se-la-raconte mais de la motivational music encourageant l’auditeur à rester concentré sur ses objectifs, quels qu’ils soient, et à croire en lui. Au-delà de ses aspects caricaturaux et de son humour à prendre à 1,5°, c’est son essence même.

Alors, oui, l’écriture de Booba est beaucoup moins dense et riche que sur Mauvais Œil ou ses premiers solos. Mais ce que la plume a perdu à l’élagage, le rappeur l’a gagné en magnétisme – et ce magnétisme irradie, depuis 0.9, et explose encore une fois sur Lunatic, donnant une apparence classe à des rimes qui, sur le papier ou dans la bouche d’autres rappeurs, seraient ridicules. Le rap français et ses vingt ans de contradictions avaient cruellement besoin d’un personnage de cette envergure. Capable de le rééquilibrer par son apparente surenchère individualiste. Capable de tirer implicitement vers le haut et de motiver l’auditeur tout en donnant l’impression de puiser dans la fange et de lui cracher à la gueule. Un sourire narquois aux lèvres. Les bras en croix. Le regard vers le ciel et la bite toujours dans le champagne. Plus que jamais mi-homme, mi-bête.

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