Chronique

Kery James
Si c’était à refaire

Alariana - 2001

Trois années sont passés depuis le très bon Le Combat Continue. Un album brut, où la déception et la mélancolie (‘J’ai mal au cœur’, ‘Un nuage de fumée’) se mêlaient à la rage et la haine (‘Hardcore’, ‘Pour une poignée de dollars’). Kery James formait alors le groupe Ideal J en compagnie de DJ Medhi, Teddy et parfois Rocco. Si ces deux derniers venaient parfois épauler Kery au micro, celui-ci restait clairement la voix et l’âme du groupe. Et lorsque Kery, déçu par l’industrie musicale et la mauvaise interprétation de ses propos, annonçait vouloir mettre un terme à sa carrière musicale, le petit monde du rap français semblait avoir perdu un de ses représentants les plus talentueux.

Converti à l’Islam, le résident d’Orly semble avoir gagné en sérénité et pris beaucoup de recul. Recul par rapport à ses propos et erreurs passés, mais aussi par rapport à la Mafia K’1 Fry (il clame ainsi « Si c’était à refaire, je ne me serais pas réclamé, d’une Mafia ou d’un gang, au point que les flics en soient alarmés » )

La composition musicale de Si c’était à refaire s’avère donc particulièrement dépouillée, faite principalement de simples percussions et de xylophones résonnants. Cette relative simplicité, surprenante, expose d’autant plus la voix et cette façon de poser ses mots. Cette condition qui s’annonçait comme une contrainte pénible, affaiblissant l’ensemble s’avère en réalité une force justement utilisé par l’ex-membre de la Mafia K’1 Fry.

Les différents invités (tous chanteurs à l’exception de La Famille Africaine sur ‘C’qui nous perd’) et chœurs confèrent à l’ensemble une plus grande ampleur, propre à retranscrire l’émotion. Leila Rami, Salif Keita, Kader, ou encore Roldan du groupe Orishas donnent à l’album une touche Caraibo-Africaine particulière, atypique dans l’univers formaté du rap français. Les trois années écoulées depuis Le Combat Continue, ont été assurément riches en expériences et remises en question. Kery a indéniablement changé. Plus mature, calme et posé, Kery prend le contre-pied de l’insupportable mode de rap de rue. Tirant un trait sur le passé, il exprime avec émotion ses regrets, reconnaissant du même coup ses erreurs. Il lâche ainsi  »Si c’était à refaire, assurément j’ferais autrement, mais les choses sont telles qu’elles sont, et ce ne sera jamais autrement, et j’garde les traces de mon passé, ces choses qu’on ne pourra plus jamais effacer’‘. Admettre ses erreurs reste un exercice particulièrement difficile et pénible, les expliciter sur disque avec honnêteté et simplicité prouve un peu plus encore la maturité du personnage.

La violence froide et explicite de ‘Pour une poignée de dollars’ laisse place à ‘Cessez le feu !’ exposant un tout autre discours, alerte et réfléchi. « C’est un appel à la paix, une opposition à la violence, un cessez-le-feu pour tous les jeunes, des ghettos en France » (…) « A force d’arrogance, ils basculent dans l’ignorance, beaucoup se la sentent d’ôter une vie avec aisance » (…) « la mort ne prévient pas mais elle contraint, universelle, aucun être humain ne s’en abstient« .

Si la forme de ‘Deux issues’ est bien plus traditionnelle (une basse lourde et une boucle classique) le fond demeure inchangé. Kery coupe court aux apologies et fantasmes de la vie d’hors-la-loi. Froid, explicite et efficace. « T’es prévenu, la rue ne t’offre que deux issues : la mort ou la prison, en d’autres termes, quatre murs ou quatre planches. »

La tristesse et déception sont deux sentiments récurrents au sein de cet opus. Le magnifique ‘Soledad’ mérite l’appellation de concentré mélancolique. Kery James le mélancolique comme il se définit  »garde les traces de mon passé, des déceptions j’en ai passé, avec mes rêves, c’est ma jeunesse qui s’est brisée ». Même remarque pour ‘Des terres d’Afrique’, un bel hommage aux parents Africains immigrés en France. Si Kery recycle quelques unes de ses anciennes formules ( »être étranger à Paris, une vie, une aventure, rencontre un flic raciste et ça devient vite une mésaventure »), c’est pour mieux répondre aux interrogations soulevées par certains de ses propos. Le début du morceau est une réponse directe à ceux qui l’avait targué d’extrémiste « Ni de France ni d’Amérique, je représente pour l’Afrique, loin d’être raciste Kery James l’anti-fasciste« .

Le bémol, puisqu’il en faut un, a un nom : ‘C’qui nous perd’ avec l’ensemble de la Mafia K’1 Fry (rebaptisée Famille Africaine, comme pour mieux refuser le concept du groupe, de la mafia). Chacun des membres de la Mafia K’1 Fry pose un couplet, souvent en décalage avec le beatbox d’Eklips. Difficile de donner du crédit à cette morale sonnant particulièrement faux, on regrette aussi l’utilisation de quelques formulations caricaturales (« vaut mieux peu gagné honnêtement que beaucoup mal acquis »).

Si c’était à refaire s’achève sur une longue et brillante autobiographie en musique. Plus de neuf minutes pendant lesquelles Kery retrace le cheminement de sa vie, de son arrivée à Orly à ses débuts dans le rap, son adolescence, jusqu’à son apprentissage de l’Islam. La production est une fois de plus particulièrement dépouillée. Le Gospel R’N’B vient apporter une chaleur à ce morceau empreint de lucidité et d’émotion. Un grand morceau, et une conclusion juste.

Kery James signe ici un superbe album pour le moins atypique. L’album de rap français de l’année 2001, incontestablement.

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