A$AP Rocky, c’est d’abord une ascension fulgurante. En 2011, le natif de Harlem devient une star du jour au lendemain avec sa mixtape gratuite Live.Love.A$AP. Dans une période où New York est au creux de la vague et n’a pas su se renouveler ou enfanter de grosses têtes d’affiche depuis quelques années, Rocky débarque en s’éloignant radicalement des codes traditionnellement attachés au rap de la Grosse Pomme. Pas de cadences de kickeur, de sonorités boom-bap ou de récits qui puent la rue. Tout juste garde-t-il une forme de flamboyance héritée du Dipset. Des titres comme « Peso » ou « Purple Swag » introduisent une esthétique qui mêle influences historiques de Houston et de Memphis et sonorités vaporeuses et lancinantes. Le sud a migré à New York et les distinctions géographiques n’ont plus cours. Cette nouvelle ère d’Internet a rebattu les cartes et les identités sonores locales essaiment un peu partout.
Sur des BPM ralentis et des ambiances hallucinées, Rocky égrène des flows hachés et des refrains enrobés de codéine qui ont l’art de faire sonner bien des paroles relativement simples. Il dit peu de choses, mais il les dit avec charisme. Quant à l’architecture sonore, elle est confiée à un groupe resserré de producteurs, dont Clams Casino, adepte des voix spectrales et des nappes de synthés nébuleuses. Un parfum de décadence plane sur l’univers du rappeur, dont les obsessions tournent autour du sexe, de la mode et de l’abus de drogues. Une décadence qui flottera toujours autour de lui et ne le quittera pas, même s’il la raffinera avec le temps, tel un Des Esseintes de Harlem aux goûts toujours plus pointus.
Le pretty motherfucker a traversé les années 2010 dans une constante recherche de style, parfois avec excès, souvent avec réussite, s’aventurant à l’occasion vers une pop psychédélique séduisante.
Rocky incarne alors un genre éthéré aux contours fuyants, le cloud rap. Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin. Cultivant une image de mec cool et élégant, il impose le A$AP Mob, dont seul le fulgurant A$AP Ferg émergera réellement aux côtés de Rocky. Le crew est chapeauté par A$AP Yams, prescripteur/A&R nourri à la culture rap Internet et tragiquement décédé d’une overdose en 2015. Appuyé par cette équipe, A$AP part alors à l’assaut des charts avec des albums à succès – perfectibles mais truffés de pépites – et des apparitions de haute volée sur les singles d’autres artistes. Les voix screwed se raréfient et la brume violette se dissipe à mesure que Rocky affûte ses talents au micro et se dévoile davantage, sans jamais se départir de son insolence. Sa passion pour la mode ne se dément pas, ses couplets s’apparentant parfois à un défilé de la fashion week tant les marques de créateur s’y succèdent jusqu’à l’écœurement. L’invocation de noms d’artistes comme Basquiat n’est pas (seulement) une référence de bon ton chez lui, mais témoigne de sa quête esthétique qui le conduit dans des directions où on ne l’attend pas.
A$AP Rocky se fond partout, capable aussi bien de jouer les Kennedy auprès de Lana Del Rey que d’explorer les tréfonds du Sud ou de draguer les clubs avec Skrillex. Après la demi-déception de son premier album en major, At.Long.Last.A$AP redresse la barre en 2015 et propose des choses plus audacieuses. Joe Fox, un chanteur inconnu rencontré dans la rue lors d’une nuit à Londres, figure sur cinq morceaux. « L$D » est une ode à la drogue entièrement chantée, au clip inspiré par Enter The Void de Gaspar Noé. « Wavybone », un hommage réunissant UGK et Juicy J. Et il y a bien sûr « Everyday », qui représente peut-être la quintessence du son de Rocky, entre sample pop des seventies, orgue sudiste et attitude à la fois bravache et désabusée.
Le pretty motherfucker a traversé les années 2010 dans une constante recherche de style, parfois avec excès, souvent avec réussite, s’aventurant à l’occasion vers une pop psychédélique séduisante (comme le magnifique « Sundress » avec Tame Impala). Pourtant, contrairement à son bon copain Tyler The Creator, il n’a pas su s’affranchir pleinement des frontières et des codes qu’il entendait dépasser. Ses expérimentations, revendiquées notamment sur son dernier album en date, Testing, n’ont pas toutes porté leurs fruits. Rocky n’en a pas moins marqué la décennie de son empreinte, faisant preuve d’une facilité d’adaptation et d’une capacité à signer des tubes qui ne se sont pas démenties. Monstre médiatique entre son procès rocambolesque en Suède et le couple très en vue qu’il forme désormais avec Rihanna, le rappeur a su ne pas se faire engloutir par les considérations extra musicales pour continuer à proposer une musique accrocheuse après son coup d’éclat initial. Ce qui est tendance et trop flamboyant n’est pas censé durer, mais Rocky en a décidé autrement, car son élan n’est jamais retombé. – David