Niche ta mère Des succès alternatifs en or

En 2020, quatre disques d’or ont particulièrement attiré l’attention dans le rap français : Alpha Wann, Dinos, Laylow et Freeze Corleone. Quatre artistes récompensés au niveau des ventes pour des albums exigeants artistiquement, portés par une implication forte de leurs publics. Sur son morceau “apdl” Alpha Wann se félicite d’avoir fait “disque de roro sans entrer dans la playlist de Lolo”. On est allés discuter avec Mohamed Sqalli, directeur artistique indépendant, fondateur du collectif NAAR, et récemment récompensé d’un disque d’or pour son travail sur l’album Trinity de Laylow, pour savoir si la “qualité en guise de promo” est aujourd’hui une réalité. — Brice

Mohamed Sqalli : « Voir des artistes qui évoluent en dehors des automatismes du rap français accomplir des performances commerciales importantes a d’abord semblé être une anomalie, puis un effet de surprise, maintenant presque un pattern qu’on reverra sans doute souvent en 2021. Je pense qu’on assiste à une évolution du rap français, avec désormais une cohabitation entre un modèle « mainstream » tel qu’on le connait depuis 2016, avec ses producteurs fétiches, ses médias, ses moyens de promotion et un modèle « alternatif », qui devient lui aussi performant commercialement et dont l’environnement s’invente et s’étoffe depuis maintenant quelques années. Les artistes-phares de ce second modèle ont progressivement précisé leurs esthétiques, crédibilisant leurs projets et inventant les sous-genres que le rap français attendait depuis son accession au statut de « genre numéro 1 en France. 

Le public y est également pour quelque chose à mon sens. Une grosse partie a naturellement commencé à se détourner du modèle dominant du fait de son faible renouvellement mais, surtout, un public de rap alternatif moins passif dans sa démarche d’écoute et surtout plus exigeant, a commencé à représenter une part significative de l’audience rap. Pour une partie de plus en plus large des auditeurs rap, le  curseur se porte davantage sur l’originalité des prods, la puissance des concepts utilisés, la crédibilité de l’image de l’artiste. En somme, la recherche artistique est enfin valorisée, mettant à mal les certitudes d’une trap française ultra-dominante qui n’a pas touché à ses recettes depuis son accession sans partage aux sommets des charts. Une partie du public a compris que le mainstream évoluait désormais dans le confort de la répétition.

Je suis convaincu que dans le rap, de plus en plus de succès publics seront aussi des succès critiques, et que les artistes qui domineront les prochaines années seront ceux qui feront rentrer ce moment du rap français (celui de la trap) durablement dans la postérité de la musique française. Chaque mouvement musical apporte avec lui ses albums-références, qui influenceront dans leur création les générations d’artistes suivants. Ceux dont on se souvient le plus sont les plus innovants, les plus originaux. Ils surprennent leur époque et révolutionnent le genre à leur manière. Il y a eu PNL, et Laylow aussi selon moi. Je suis curieux de connaître les suivants. »