Sortie

D.Abuz System

Le Syndikat

Dire que l’album d’Abuz a fait un flop en 1999 serait un demi-mensonge. Écoulé à un peu plus de cinquante mille exemplaires, Le Syndikat est surtout un disque qui n’a pas été défendu en plus d’avoir pris trop tardivement le virage amorcé en 1997 avec L’Invincible Armada. Vingt ans plus tard, il reste pourtant un long format remarquable. Son single éponyme frappe depuis vingt ans à la porte des classiques du rap français, sans réellement y entrer. « Trafiquants » et « J’aurai dû être là » sont deux storytelling d’orfèvres, stressant et claustrophobique pour le premier, d’une émotion rare pour le second. Les invités, sont partagés entre la galaxie du D.Abuz System (Les Spécialistes, Stor.K) et la comète de L’Invincible Armada (Oxmo, Rohff), auxquels s’ajoute un Doudou Masta au top sur « La Concurrence ». Le rap français a connu plus maladroit comme casting ! Mais surtout, fait rare dans les albums de rap français ayant soufflé leurs vingt bougies, Le Syndikat n’a pris quasi aucune ride en 2019, à l’exception de deux ou trois refrains chantés sur les grands modèles de la fin des années 1990 (« Ce qu’il nous faut »). L’explication ? Le flow d’Abuz, qui à de très rares réminiscences près, abandonne toutes les tonalités ragga qui faisait jusqu’à lors partie de sa signature, y compris l’année d’avant sur le maxi Reviens-nous vite. Son écriture aussi, qui en plus de sa franchise et sa justesse, ne s’embourbe pas dans des tournures alambiquées ni dans un vocabulaire qui sonnerait daté aujourd’hui. Mais la clef de cette intemporalité réside surtout dans la production de Mysta.D et les moyens dont a bénéficié le disque dans sa réalisation à défaut d’en avoir eu dans sa promotion. Masterisé par le redoutable Tom Coyne, appuyé par la présence de musiciens intervenants sur plusieurs pistes, le deuxième et dernier album du D.Abuz System est un bijou de production porté par un rappeur singulier, inimité à ce jour dans le rap français. Deux ans plus tard, le côté festif et hédoniste globalement refoulé du Syndikat reviendra puissance mille chez Abuz, sous l’alias de Ricardo Malone.

Abuz

(Rappeur du D.Abuz System)

« Mercury nous a rendu le contrat, un an après la sortie de l’album. Là, il y a eu plusieurs sentiments mélangés. J’ai commencé à ne plus reconnaître le label que j’avais fondé. Les envies musicales n’étaient plus les mêmes aussi. Je pense que L’Invincible armada, entre autres, nous avait amenés au bout de quelque chose. Mais on a tout de même vendu 55 000 exemplaires du Syndikat, ce qui n’est pas un échec, même si à l’époque ce n’était pas un carton non plus. En plus, je connais quelques raisons pour lesquelles l’album n’a pas été ce qu’il aurait pu être : on n’était pas sur le bon label, le mec qui nous avait signés s’est tué en moto et les autres n’en avaient rien à foutre de nous. En termes de production, on a eu ce qu’on voulait : la flûte traversière sur « Trafiquants », la chorale sur « Je vis dans le péché », la guitare, etc., mais on n’a pas été travaillés. On n’a pas eu Sky’ par exemple, on n’a pas eu les réseaux qui nous auraient permis d’aller plus haut. Mais je suis vraiment content de cet album, il a bien vieilli. Tepa avait dit de Mysta D et moi que nous avions toujours un temps d’avance en termes de sonorités. Mais en réalité, ça ne sert à rien d’être en avance, ni en retard. Il faut être on point. Même avec le EP Ça se passe, je me sentais déjà incompris. J’ai toujours eu l’impression qu’il fallait un peu de recul aux gens pour vraiment être dans ce qu’on faisait. Quand tu écoutes les gens parler des grands mythes du rap français, le D.Abuz System est très rarement cités. J’en ai parlé une fois avec un journaliste de Booska-P, et sa théorie c’est qu’on n’a pas eu classique, un titre comme « Retour aux Pyramides » pour les X. Maintenant, avec du recul, je le vis bien, mais à l’époque, ça me frustrait. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en juin 2015.

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1999, une année de rap français - le mix
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